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Structures et usages de la formation : le cas de formations agricoles en apprentissage

Auteur(s) : ASTIER Philippe

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bull2.gif (117 octets)   Les dispositifs de formation organisent des ressources et des contraintes en vue d’objectifs définis de façon plus ou moins précise, exhaustive, explicite. Leurs formes et contenus sont de nature extrêmement diverse et leur formalisation, plus ou moins élaborée, fait l’objet d’une diffusion variable. Il n’empêche que les acteurs de la formation considèrent généralement que le dispositif, et plus particulièrement la formulation qu’en élaborent les promoteurs à partir d’indications voire d’injonctions diverses (financeurs, autorités administratives, organisations professionnelles, acteurs locaux…), détermine l’apprentissage dont il est non seulement le cadre, mais, plus encore, l’organisateur. On retrouverait alors, dans ce cas, une représentation relativement répandue dans d’autres secteurs d’activité et se fondant sur la séparation des activités de conception et d’exécution. De même que les agents de conception conçoivent machines, processus, produits et que les agents d’exécution mettent en oeuvre ceux-ci pour produire ceux-là, de même les concepteurs de formation organiserait des cursus que d’autres acteurs, formateurs et apprenants notamment, mettraient en œuvre. Une telle conception n’est sans doute pas étrangère au succès de la dénomination et au développement des activités d’ingénierie de formation.
bull2.gif (117 octets)  Or nombre de travaux en ergonomie, psychologie et sociologie du travail soulignent plusieurs points :
la conception est également une activité de production dont le produit (plan, projet, …) a des particularités ;
bull2.gif (117 octets)  Les relations entre conception et exécution peuvent être socialement organisées selon des modes différents. En effet, le produit de la première fournit le cadre de la seconde ;
l’activité des “ opérateurs ” n’est jamais de “ pure ” exécution : en effet, la conception se fonde sur une modélisation du réel. Les situations concrètes font surgir non seulement un grand nombre de difficultés nouvelles mais surtout confrontent les acteurs à modifications constantes.
bull2.gif (117 octets)  Ainsi peut-on concevoir, en regard du modèle qui oppose conception et exécution qui n’est peut-être qu’un déplacement de la traditionnelle dichotomie entre théorie et pratique, d’autres représentations où l’activité de conception n’est pas spécifique d’un groupe social ou d’un temps de l’action, mais est une dimension de celle-ci, intervenant sous des formes diverses.
bull2.gif (117 octets)  On en vient alors à considérer que l’ingénierie de formation, loin d'être l'apanage de concepteurs spécialisés, est une dimension de l’action de formation. Dans cette perspective, la dynamique de conception apparaît davantage comme distribuée entre les différents acteurs, chacun y contribuant en fonction de sa positon dans le système institutionnel où il intervient. Les dispositifs de formation peuvent alors être envisagés comme une formulation, parmi d’autres, d’acteurs particuliers. Mais d’autres acteurs s’en emparent pour poursuivre, tout à la fois la conception et la mise en œuvre de la formation, dans la mesure où sa réalisation suppose que l’action de conception se poursuive (Clot Y. 1999) et ne s’achève, in fine, qu’avec l’action elle-même. Ainsi, face à une conception linéaire et séquentielle, on pourrait proposer un autre point de vue selon lequel chaque acteur contribue, en fonction de la place socialement et institutionnellement définie pour lui, à une production collective au travers de sa pratique.
bull2.gif (117 octets)  Le BPREA est un diplôme délivré par le Ministère de l’Agriculture sanctionnant une formation préparant, comme l’indique son titre, aux fonctions de “ Responsable d’Exploitation Agricole ”. C’est un diplôme bien connu du monde professionnel et des organismes de formation et qui fait l’objet de nombreux textes réglementaires. Dans le cadre d’une expérimentation conduite par le CEDAG, des centres de formation et des associations ou des groupements d’employeurs ont eu recours à ce diplôme pour permettre la qualification et l’insertion de jeunes dans ce secteur professionnel. Il s’agissait souvent de faciliter l’installation de jeunes exploitants. Toutefois, les analyses du CEDAG soulignaient que les besoins en main d’œuvre en qualification ne se limitaient pas à ce cas de figure. Elles conduisent notamment à faire l’hypothèse de la nécessité d’un salariat agricole à un niveau conséquent de qualification, mais exerçant son activité dans des conditions particulières, notamment de multi-employeurs. Là encore, la qualification retenue pouvait paraître pertinente dans la mesure où les partenaires professionnels souhaitaient que le salarié puisse, en fait, assurer la plus part des fonctions qui sont les leurs, avec des degrés d’autonomie différents. Le dispositif se fondait sur une formation en alternance, contrat de qualification ou apprentissage selon les cas, et permettait aux apprenants d’intervenir dans différentes entreprises en fonction des demandes de ces dernières. Parmi les sites ayant fait l’objet de l’étude, l’un avait chois de limiter à deux ou trois entreprises cette possibilité, organisant un changement d’affectation de l’apprenti au bout de six mois ou d’un an. Un second site, au contraire, laissait, dans le cadre d’un groupement d’employeurs, les apprenants organiser leur cursus en fonction des demandes de main d’œuvre des employeurs adhérents. L’analyse des parcours de formation des apprenants en relation avec leur insertion professionnelle fait apparaître des situations très différentes :
pour certains, la formation est une étape avant une installation prochaine, dans un cadre et sur un type de production déjà largement défini, par exemple par succession, sur l’exploitation familiale, à l’un des parents prenant sa retraite.
pour d’autres, la formation est une étape vers une installation souhaitée mais dont le cadre et parfois la production sont encore largement à définir ;
pour d’autres, la formation a relativisé le projet d’installation, l’a fait repousser dans un avenir peu défini et s’est organisée autour d’une insertion professionnelle dans le salariat agricole ;
pour quelques-uns l’installation n’est pas envisageable, pour des questions de capital par exemple ou parce que, leur installation doit s’effectuer à terme, au départ en retraite des parents, mais dans un avenir assez lointain. Le salariat agricole est l’insertion envisagée comme dans le cas précédant mais pour des raisons différentes ;
bull2.gif (117 octets)  Enfin, certains, ne connaissant pas ou peu l’activité agricole, mais pouvant néanmoins avoir un souhait d’installation, s’initient en fait à ces pratiques professionnelles que d’autres ont déjà beaucoup pratiqué à l’occasion de travaux saisonniers, d’activité d’entraide ou dans le cade de l’aide sur l’exploitation familiale.
bull2.gif (117 octets)  Cette diversité se retrouve sur les différents sites. On voit bien que les fonctions de responsables d’exploitation ne sont qu’une des issues possibles pour les apprenants. On comprend également que la situation de formation met ceux-ci à la fois dans la situation de responsable d’exploitation futur et de salarié présent (contrat de qualification ou d’apprentissage), ce qui correspond d’ailleurs à nombre des situations d’insertion professionnelle constatées. Mais on constate aussi que les apprenants peuvent avoir des usages de la formation non prévus par le dispositif, comme l’initiation à une activité professionnelle, ou qu’ils peuvent changer d’optique en cours de formation.
bull2.gif (117 octets)  Ces éléments sont particulièrement sensibles sur les points où les apprenants peuvent intervenir et notamment le choix du nombre et du type d’entreprise d’accueil. En fonction de leur projet, qui on l’a vu peut s’écarter de l’objectif du dispositif, ils peuvent se construire un “ cursus d’entreprises ” fondé sur l’homogénéité, par exemple que des entreprises du même type de production que celle sur laquelle ils envisagent de s’installer, créant ainsi une logique de “ spécialisation ” ou sur la diversité, dans une perspective “ d’orientation ”, pour ceux, par exemple qui hésitent sur le type ou le mode de production choisir. On peut sans doute alors penser que le dispositif de formation ne cesse d’être l’objet de reconceptions, plus ou moins explicites, mais qui sont manifestes notamment dans les usages qu’en font les différents acteurs, que ce soit les apprenants, comme on vient de l’envisager, mais aussi les employeurs, les groupes professionnels, les financeurs… Ces “ conceptions dans l’usage ” constituent autant de variations à partir des éléments structurant le dispositif et qui lui assurent, au-delà des différences que chaque acteur peut donner à son parcours, une unité et une identité justifiant, notamment, la certification délivrée.
bull2.gif (117 octets)  Ceci conduit également à considérer que la qualité première d’un dispositif est son inachèvement : en effet, il laisse des possibilités de “ jeu ” et fournit des possibilités pour les acteurs de le compléter en fonction de leur situation, leurs besoins, de leurs stratégies et de leurs représentations notamment de leur avenir et de la qualification obtenue. On fait alors l’hypothèse que l’apprenant conduit une double activité en situation de formation : d’une part il construit des connaissances par les différentes pratiques dans lesquelles il est engagé, tant en centre de formation qu’en entreprises ; d’autre part, il construit, pour une part, le cadre de ses apprentissages à partir des cadres institutionnels et sociaux dans lesquels il se situe et du sens qu’il donne à cette formation. Ce serait dans ce cas que les dispositifs trouveraient leur pleine efficacité puisqu’ils parviendraient à articuler des dispositions générales et impersonnelles à la singularité des histoires et des projets de chacun. Cette articulation pourrait être comprise comme un des résultats de l’activité de l’apprenant qui ne se limiterait donc pas à la maîtrise progressive des contenus de l’apprentissage mais à la construction et au maintien d’un cadre rendant cela pertinent et efficace, pour lui.
bull2.gif (117 octets)  Bibliographie
bull2.gif (117 octets)  Barbier J-M.- (1991).- Elaboration de projets d’action et planification.- Paris, PUF, 287 p.
bull2.gif (117 octets)  Chaix M-L.-(1994).- Des conditions pour apprendre dans les dispositifs de formation école - entreprise.- Education Permanente N° 119, pp. 165 - 175.
bull2.gif (117 octets)  Chaix M-L.-(1996).- L’alternance enseignement-travail comme lieu d’observation privilégiée des processus de construction identitaire.- Education Permanente N° 128, pp. 103 - 115.
bull2.gif (117 octets)  Clot Y. (1999).- La fonction psychologique du travail.- Paris, PUF, 243 p.
bull2.gif (117 octets)  Clot Y.- (1995).- Le travail sans l’homme. Pour une psychologie des milieux de travail et de vie.- Paris, La Découverte, 276