Biennale 5
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Le temps didactique en classe de doubleurs

Auteur(s) : GIROUX Jacinthe, RENE DE COTRET Sophie

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bull2.gif (117 octets)   Cette étude traite des dimensions temporelles dans deux classes de mathématiques du secondaire. Elle s’inscrit dans une recherche qui vise principalement à caractériser les interactions dans une classe d’élèves faibles, avec comme point d’ancrage le temps didactique. L’échange didactique, suivant par là les nécessités du système bien mises en évidence par Chevallard et Mercier (1987),fonctionne sous des contraintes temporelles bien précises: du point de vue de l’apprentissage, le temps avance tant que les nouveaux objets de savoir peuvent se construire au moyen des anciens objets alors que, du point de vue de l’enseignement le temps avance au rythme de l'introduction (prescrite par les programmes d'étude) des nouveaux objets de savoir. De manière plus spécifique donc, notre questionnement porte sur l’articulation des dynamiques temporelles de l’enseignement et de l’apprentissage, propres à une classe d’élèves réputés faibles.
bull2.gif (117 octets)  Nous avons choisi, pour amorcer cette recherche, d’effectuer une étude comparative de deux systèmes didactiques, l’un s’articulant autour d’une classe d’élèves dits réguliers et l’autre d’élèves doubleurs. Ce choix repose sur la nécessité d’investiguer, dans un premier temps, les différenciations possibles entre ces deux systèmes au regard du temps didactique. Ainsi, nous avons retenu pour cette étude deux classes de première secondaire sous la responsabilité d’un même enseignant. Le programme d’études étant le même, ces classes se distinguent alors principalement par le type deregroupement d’élèves (réguliers ou doubleurs).
bull2.gif (117 octets)  Le temps didactique en classe de doubleurs: quelques interrogations
bull2.gif (117 octets)  Les mesures particulières mises en place auprès des élèves qui ont vécu l’échec scolaire visent à transformer l’attestation d’échec en une attestation de réussite ; l’enseignement vise la mise en œuvre des conditions de cette transformation. Dans le cas d’une classe de doubleurs, ces conditions doivent être mises en place sous des contraintes assez semblables à celles d’une classe régulière: couverture des mêmes objectifs dans un temps légèrement plus court. Quelles peuvent être alors les conditions d’obtention d’une réussite chez des élèves qui ont déjà échoué sur le même contenu ? Peut-on simplement se fier au fait qu’une répétition (sans modifications de l’enseignement) serait suffisante ? Dans ce cas, la création d’une classe doubleur serait inopportune. La création même d’un groupe “homogène” d’élèves doubleurs montre que l’institution reconnaît que ces élèves ont un passé d’échec et qu’en cela ils se distinguent des élèves réguliers et, par conséquent, qu’une mesure particulière doit être mise en place pour augmenter leur chance de réussite.
bull2.gif (117 octets)  L’homogénéité des groupes, qu’elle soit plus ou moins effective, semble viser à un assouplissement, une adaptation du rythme d’enseignement à celui de l’apprentissage des élèves. On vise ainsi à éviter des ruptures dans le rythme pour obtenir une progression régulière dans le savoir. Nous supposons donc que l’organisation du travail des élèves du groupe doubleur et les interactions au sein de la classe porteront la marque d’une temporalité qui se distingue du celle du groupe régulier. De manière plus spécifique, l’engagement de l’élève dans la résolution d’une tâche pourrait par exemple être sollicité dans un contexte où l’écart entre l’ancien et le nouveau tend à être réduit. Les tâches ainsi proposées ne risquent pas de se poser en termes de problèmes aux élèves ni de susciter un questionnement qui leur soit propre ou encore d’induire une connaissance utile à la résolution de la tâche. Une telle baisse dans la sollicitation de l’élève s’accompagne nécessairement de la réduction de la nouveauté, accentuée possiblement en classe de doubleurs, par le fait que c’est une classe de reprise d’enseignement. Ainsi, les objets de savoir peuvent devenir rapidement anciens, obsolètes du fait que les tâches pour lesquelles ils sont utiles ne sont pas présentées de manière à faire problème aux élèves.
bull2.gif (117 octets)  Nous postulons donc que le temps didactique agit de façon différenciée sur les systèmes réguliers ; cette étude exploratoire vise à repérer comment joue, au sein des interactions dans une classe régulière et dans une classe de doubleurs de 1ère secondaire en mathématiques, la contrainte du temps didactique. Elle vise donc conséquemment à explorer des marqueurs permettant de caractériser le fonctionnement d’un système didactique au regard du temps didactique.
bull2.gif (117 octets)  Les deux classes, d’élèves réguliers et doubleurs, observées sont de première secondaire. L’enseignant est le même dans les deux classes, ce qui permet de concentrer notre regard sur les distinctions au plan des facteurs temporels sans avoir à considérer des différences au plan du style d’enseignement, puisqu’il s’agit du même enseignant dans les deux classes. Le programme à couvrir ainsi que le manuel mathématique utilisé sont aussi les mêmes dans les deux classes.
bull2.gif (117 octets)  Quelques observations sur les marqueurs temporels dans les deux classes
bull2.gif (117 octets)  L’analyse des protocoles des deux leçons nous a conduites à organiser selon deux catégories les données relevées concernant le poids de la contrainte temporelle sur les systèmes didactiques. Une première catégorie concerne les données relatives à l’organisation de la leçon, le schéma de base retenu et mis en place par l’enseignement. La seconde catégorie réfère aux données relatives aux interactions entre l’enseignant et les élèves à propos du contenu de la leçon. Nous évoquerons principalement dans ce texte les résultats concernant la première catégorie de données.
bull2.gif (117 octets)  Les leçons sont organisées en classe doubleurs et en classe régulière selon un déroulement relativement semblable pour toutes les leçons observées. Ainsi se succèdent trois temps différents. Le premier temps de la leçon est consacré à la correction du devoir composé d’exercices amorcés individuellement en classe au cours précédent et terminés en dehors des heures de classes. Au second temps du cours, l’enseignant fait un exposé d’éléments de savoir. Le rôle des élèves consiste principalement à transcrire dans leur cahier les notes inscrites au tableau par l’enseignant. Au cours de cette période, l’enseignant sollicite aussi certaines réponses d’élèves à des questions se rapportant aux exemples appuyant les éléments“ théoriques ” présentés. Enfin, dans un troisième temps, les élèves sont invités à débuter une série d’exercices tirés du manuel scolaire, série qui devra être terminée en devoir.
bull2.gif (117 octets)  Dans la classe de doubleurs, la séquence T-D-C(théorie-devoir-correction) forme un bloc homogène au regard d’un même contenu. Elle forme un triplet ordonné (T1/D1/C1) qui se reporte autant de fois dans le temps qu’il est nécessaire pour couvrir un chapitre. On peut ainsi découper le temps d’enseignement en prenant comme unité temporelle le triplet (Tn/Dn/Cn). Cette organisation temporelle ne favorise pas la création d’espace public pour les allers-retours, les reprises autrement dit pour un questionnement propre à l’élève à propos des objets utiles et pertinents à la résolution des tâches. On peut supposer que les élèves sont ainsi davantage en situation d’attente plutôt que de dévolution. En classe régulière, le travail individuel (devoir)est constitué d’une part de tâches portant sur l’application des éléments de savoir nouvellement exposés et, d’autre part, de tâches pour lesquelles les prochains éléments de savoir exposés seront utiles. La séquence T-D-C ne forme donc pas un bloc homogène au regard du contenu traité. Elle pourrait être schématisée ainsi : T1/D1-2/C1/T2/C2/D2-3.Il est plus difficile selon ce schéma de découper le temps d’enseignement en unités temporelles référant exactement aux mêmes éléments de savoir.
bull2.gif (117 octets)  L’organisation des séquences d’enseignement semble être un marqueur permettant de caractériser un des aspects du fonctionnement didactique de ces classes au regard du temps didactique. La séquence Théorie-Devoir-Correction participe d’un découpage dans le temps favorisant un défilement des objets de savoir plus prononcé en classe de doubleurs qu’en classe ordinaire. Lors des moments de correction des devoirs, nous avons relevé que la contextualisation est plus prégnante en classe de doubleurs qu’en classe ordinaire. La gestion des problèmes lors de la correction vise davantage à pointer, identifier le savoir visé par l’enseignement tout en évitant d’introduire du nouveau. Enfin, le contenu de l’exposé tend à se réduire à la désignation des objets suffisants pour produire le plus “facilement” possible des réponses correctes, tout en laissant une trace de la progression de l’enseignement et de l’apprentissage.
bull2.gif (117 octets)  De nouvelles interrogations à propos du temps didactique en classe de doubleurs
bull2.gif (117 octets)  La spécificité d’une classe de doubleurs relève au départ du fait que si ses élèves ont échoué leurs mathématiques, ils ne sont pas considérés pour autant comme des élèves en difficulté d’apprentissage ou autrement dit de l’adaptation scolaire. Ainsi, la formation d’un groupe d’élèves doubleurs permet à ces élèves de poursuivre leurs études au régulier dans les autres disciplines. La problématique d’une classe doubleurs ne peut être associée indistinctement à celle des classes de l’adaptation scolaire bien que des comparaisons entre elles permettraient sans aucun doute de caractériser le fonctionnement de chacune d’elles.
bull2.gif (117 octets)  La population des classes de l’adaptation scolaire est considérée, souvent à juste titre, hétérogène. En revanche, la formation d’un groupe d’élèves en échec d’un programme-année mathématique s’inscrit dans un mouvement d’homogénéisation. L’école aurait pu en effet décider de disperser ces élèves dans les groupes réguliers. Dans ce dernier cas, il y aurait une totale assimilation de l’échec par le système puisque les élèves doubleurs seraient retournés à la case “départ”,placés exactement à la position occupée avant que n’advienne leur échec. Intégrés dans une classe de doubleurs, leur position n’est plus tout à fait la même; on les convoque officiellement non pas à une “prise II” (laquelle se juxtaposerait et occulterait la première) mais bien à une reprise de l’enseignement. D’où notre hypothèse sur la recherche d’une temporalité distincte d’une classe ordinaire.
bull2.gif (117 octets)  Les élèves doubleurs ont une mémoire des savoirs traités en première secondaire, des activités et tâches qui y sont associées. Nous n’avons pas examiné la question de la mémoire didactique mais elle nous apparaît intimement liée à celle du temps didactique . Nous avons été étonnées, par exemple, de constater qu’en aucune des leçons observées, l’enseignant incite les élèves au rappel de ce qu’ils ont travaillé l’année précédente. En fait, la mémoire collective de la classe ne semble pas se constituer en prenant appui sur la mémoire privée des élèves. Ces quelques données semblent indiquer qu’en classe de reprise, l’enseignement vise à transformer l’échec en réussite et que dans cette perspective, il tend à exclure l’histoire de l’échec de ces élèves et, avec leur passé d’élèves, leur mémoire d’élèves. Cela sous-tend que que la mention d’échec prive le système didactique, d’une classe de doubleurs, des rapports que les élèves ont développé aux savoirs au cours de l’année précédente créant ainsi une ignorance au sein du système.
note : Ce projet est rendu possible grâceà une subvention du FCAR