Biennale 5
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Éducation et culture à l’aube du troisième millénaire

Auteur(s) : Issa ASGARALLY

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bull2.gif (117 octets)   Nous venons de traverser un siècle profondément marqué par la violence et la guerre. La première phrase de Gil Elliot dans "The Twentieth Century Book of The Dead" se lit ainsi : "Le nombre de mortalités causées par les hommes au 20e siècle s'élève à environ 100 millions". Les plus importants “théâtres de la violence” incluent la Première Guerre mondiale, la guerre sino-japonaise, la guerre civile russe, l’Etat soviétique, les Juifs en Europe et la Seconde Guerre mondiale.Gil Elliot écrivait au début des années 70 et aujourd’hui il faudrait ajouter à la liste les morts au Cambodge, au Ruanda, en Bosnie, au Sri Lanka, en Algérie et ailleurs dans le monde. Et la Commission Carnegie sur la prévention des conflits meurtriers estime que 4 millions sont morts dans de tels conflits depuis 1989.
bull2.gif (117 octets)  La fin de la guerre froide pourrait ne pas signifier un début mais une éclipse du projet des Lumières à travers le monde. Les concepts universels des Lumières -- la raison, l’égalité et la justice -- semblent de plus en plus suspects. Cela a marqué profondément le discours culturel, la nature de l’éducation et notre manière d’appréhender le monde.
bull2.gif (117 octets)  En même temps, nous voyons partout une nouvelle religion du marché et de l'utilitarisme. Le “sens pratique” a dominé l’éducation au 20e siècle, et surtout l’éducation supérieure au cours du dernier quart de siècle. Un génie instrumental est nourrie non seulement par les forces du marché, mais également par les pressions parallèles de la spécialisation et de la “professionnalisation”. L’invasion des arts libéraux par les études vocationnelles et pré-professionnelles constitue la véritable éducation anti-libérale (illiberal ).
bull2.gif (117 octets)  Dans le domaine de l'éducation, particulièrement de l’éducation supérieure, cela s'est traduit par un éloignement des matières non-utilitaires, des arts libéraux traditionnels, au profit de la gestion et de la comptabilité. Aux États-Unis, par exemple, sur 1 million de licences universitaires décernées en 1991, 250 000 relevaient de la comptabilité, 7 300 concernaient la philosophie et la religion, et 12 000, les langues étrangères.
bull2.gif (117 octets)  Ces chiffres sont très éloquents, mais il est significatif que les discussions autour de l'éducation ne les prennent nullement en considération. On assiste à des débats interminables sur la nature du programme d'études alors que le programme tel que nous le connaissons devient caduc. Des pressions commerciales que traduisent les intérêts des étudiants, sont en train de miner une éducation libérale.
bull2.gif (117 octets)  Pourtant, et cela est crucial, nous demeurons une civilisation globale extrêmement performante en matière de technologie mais très pauvre en ce qu'il s'agit de la compréhension. Nous n’avons pas appris à mieux vivre. La technologie de la mort a fait des bonds mais pas l’art de vivre. Nous avons des e-mail et des satellites, mais nous avons aussi la pauvreté endémique, l’éclatement régulier de guerres fratricides et des épidémies de maladie. Pourquoi? Ce n’est pas un manque de connaissance. Ou, si c’était le cas, on aurait un projet éducatif déjà défini: comprendre pourquoi nous pouvons envoyer un homme sur la Lune, mais ne pouvons empêcher un homme de tuer un autre ou lui-même ou de mourir de pauvreté et de maladie.Nos technologies progressent pendant que nos sociétés régressent.
bull2.gif (117 octets)  Il me semble que c’est ici exactement que doit intervenir l’éducation. Je ne voudrais pas minimiser l’importance du savoir-faire, mais je veux mettre l’accent sur le fait que l’éducation doit être consacrée aux arts et aux sciences, à la culture de la vie. Ce sont les domaines où nous avons échoué. Les arguments en faveur d'une éducation libérale sont plus forts que jamais. Ce sont ces arguments que nous voulons reprendre ici en les situant dans le monde du XXIe siècle et en évoquant les figures de Matthew Arnold ( “Culture and Anarchy” ) et de Bill Readings ( “The University in Ruins” ).
bull2.gif (117 octets)  Matthew Arnold, le poète et critique du XIXe siècle, illustre certaines idées sur l’éducation, ou plutôt sur la faillite de l’éducation alors que nous entrons dans un nouveau millénaire. Arnold n’était pas un socialiste, il n’était pas non plus un conservateur: il pensait que l’Etat devait assumer la responsabilité de l’éducation du peuple et, en fait, de la culture en général. Il croyait en l’égalitarisme et dénonça les grandes disparités économiques. Ce n’était pas des propositions séparées: pour Arnold, une éducation publique robuste, une solide égalité sociale et une culture vivante allaient de pair.
bull2.gif (117 octets)  Arnold a toujours dénoncé les inégalités. Comme il le disait, n’importe qui en Angleterre défend l’égalité devant la loi. Le hic c’est l’égalité sociale, que chacun oppose, car l’Angleterre est le sanctuaire de “la religion de l’inégalité”. Pour Arnold, les inégalités énormes de propriété découlent des immenses inégalités de classe et et de propriété du Moyen Âge qui se transmettent dans les familles: “Personne en Angleterre ne lie le constat des défaillances de notre civilisation aux inégalités énormes. Les gens peuvent reconnaître ces faits séparément, mais ils n’ont pas l’habitude de les associer.
bull2.gif (117 octets)  La subversion d’Arnold découle de son insistance sur la considération des buts et pas seulement des moyens. L’enjeu n’est pas l’existence de la liberté, mais son contenu: “Vous pensez tout couvrir en disant “Nous sommes libres! Nos journaux peuvent dire ce qu’ils veulent!”. Pour Arnold, cela n’’était pas suffisant. “ La Liberté, comme l’Industrie, est un bon cheval à monter -- mais pour aller quelque part. Vous semblez croire qu’il vous suffit de monter sur votre cheval Liberté, ou votre cheval Industrie, et de chevaucher aussi vite que possible pour être sûr d’arriver à la vraie destination.”
bull2.gif (117 octets)  Bill Readings est mort dans un accident d’avion en octobre 1994. Dans son livre posthume, il divise l’histoire de l’université moderne et de sa raison d’être en trois phases: l’université kantienne de la Raison, l’université fondée sur le concept de la Culture -- qui était la version dominante au début du XXe siècle -- et finalement l’actuelle université de l’Excellence. La notion de l’université de la Culture est, selon Readings, essentiellement liée au concept de l’Etat-nation: l’université a pendant longtemps servi les intérêts de l’Etat-nation en faisant la promotion de l’idée d’une culture nationale. Readings voit l’émergence de l’université de l’Excellence comme “un signe de l’érosion et même de de la disparition de l’idée de l’Etat-nation”: les institutions de l’éducation supérieure sont en train de devenir des corporations transnationales.
bull2.gif (117 octets)  Les effets des forces du marché sur la structure de l’université s’étendent aux départements de la philosophie qui semblent suivre la voie déjà empruntée par les arts classiques. Les lois “somptuaires” selon lesquelles une université sans un bon département de philosophie était inconcevable, ont été abandonnées au profit d’impératifs du marché. Ce n’est peut-être pas une catastrophe, car cela ne signifie nullement qu’un ensemble de questions sur la nature et les limites de la pensée, sur la “belle vie” qu’on se posait dans le cadre de la philosophie, ont cessé ou cesseront d’être posées. Il signifie simplement que rien dans la société contemporaine n’assure que les individus seront entraînés à poser de telles questions.
bull2.gif (117 octets)  Readings propose donc le remplacement de l’idée de l’université de l’Excellence par l’université de la Pensée. The excellent University is excellent at being excellent, disait-il: L’université de l’Excellence est excellente à être excellente. Telle quelle, c’est une institution nihiliste. Dans l’université de l’Excellence, le problème de la valeur est mis entre parenthèse et l’évaluation ( du degré de l’excellence) est censée fournir des réponses définitives qui alimentent alors le financement, les ressources et des décisions salariales. Penser en terme d’une université de la Pensée signifie ne plus penser en terme d’une idée maîtresse. Contrairement à l’Excellence, la Pensée ne se déguise pas en tant qu’idée; la Pensée diffère de l’Excellence car elle n’occulte pas la question de la valeur.: “ La Pensée ne fonctionne pas comme réponse mais comme question. L’Excellence marche parce que personne n’est contrainte de se demander ce qu’elle veut dire; parce que son statut en tant que simple nom -- détaché radicalement de la vérité --impose cette question.
bull2.gif (117 octets)  J’arrive à ma conclusion. La violence n’est pas seulement à l’école: elle est dans la société, dans le monde. Nous avons vécu un siècle extrêmement violent au cours duquel on s’est éloigné des grandes idées des Lumières, des idées qui ne sont pas seulement occidentales mais universelles, des idées de liberté et d’égalité. Nous voyons une nouvelle religion du marché et des affaires, un éloignement d’une éducation libérale qui considère des enjeux philosophiques et politiques, le repli vers le cynisme et ce qu’on appelle les “politiques identitaires”, où chaque groupe célèbre ses particularismes. Dans cette nouvelle époque post-libérale, je pense que des figures comme Matthew Arnold et Bill Readings sont plus importantes que jamais. Arnold, par exemple, a démontré un engagement envers l’éducation publique et la culture universelle qui était saturé d’idées de liberté.
bull2.gif (117 octets)  Bibliographie
Carnegie Commission on Preventing Deadly Conflict: Final Report, Washington, DC, 1997.
Gil Elliot, Twentieth Century Book Of The Dead, Charles Scribner’s Sons, New York, 1972.
bull2.gif (117 octets)  Matthew Arnold, Culture and Anarchy and Other Writings, Ed. Stefan Collini, Cambridge University Press, 1993.
bull2.gif (117 octets)  Bill Readings