Biennale 5
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Conduites adolescentes, rites de passage et éducation.

Auteur(s) : GENDREAU Joël

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bull2.gif (117 octets)   Quelques années de prévention de l’alcoolisme et de la toxicomanie m’ont conduit à interroger les usages conceptuels de “rite de passage” et d’”initiation”. L’étude bibliographique réalisée, la problématique (1) qui se dégage permet d’aborder sous cet angle le cursus scolaire. Avant cela, il nous faudra rappeler la définition des concepts. A partir d’une recherche menée auprès de jeunes Compagnons du Tour de France nous présenterons une première étape d’un tel rite. Nous devrons, sur la base des expériences psychédéliques des années 60, réfuter l’assimilation de la prise de drogue à une pratique rituelle pour aborder à l’école la transmission de valeurs culturelles, sociales, un statut d’adulte. A l’école et ailleurs.
bull2.gif (117 octets)  RITE DE PASSAGE: LE CONCEPT.
bull2.gif (117 octets)  En 1909, Arnold Van Gennep (2) nomme ainsi des pratiques très différentes, de sociétés différentes (modernes ou primitives) et qui concernent autant des individus, des groupes ou l’ensemble d’une société. Pour lui, une structure unique, un processus de passage, caractérise de tels rites. Trois phases constituent cette structure: la séparation du groupe, une phase de mise en marge (”liminale”) et la réintégration du groupe. Si l’agrégation est la phase la plus importante d’un rite marquant la naissance, la séparation caractérise plus les funérailles.
bull2.gif (117 octets)  En quoi l’école est-elle concernée par ces rites de passage? Aujourd’hui, parler de “rite de passage” se réfère de fait le plus souvent à la fin de l’adolescence, au passage au statut d’adulte. L’école participe avec d’autres institutions à la reconnaissance de ce changement (droit de vote, service national pour peu de temps encore). Changement de plus en plus long... Elle est aussi perçue comme l’institution où se dérouleraient deux rites particuliers: le baccalauréat et le bizutage. Avoir.
bull2.gif (117 octets)  UN RITE DE PASSAGE PARTICULIER: LE RITE INITIATIQUE.
bull2.gif (117 octets)  Arnold Van Gennep consacre aux rites initiatiques le chapitre le plus long. Il y regroupe des rites destinés aux jeunes gens et ceux qui permettent l’accès à un sous-groupe particulier. Ainsi, page 133 il traite des évolutions du Baptême chrétien et plus loin, page 139 il évoque “les cérémonies catholiques d’affiliation à un ordre religieux”.
bull2.gif (117 octets)  Une autre analyse consiste, avec Mircéa Eliade à faire une distinction entre deux situations : “ La première comprend les rituels collectifs par lesquels s’effectue le passage de l’enfance, ou de l’adolescence, à l’âge adulte, et qui sont obligatoires pour tous les membres de la société (...) Les autres initiations se distinguent de celles de puberté en ce qu’elles ne sont pas obligatoires pour tous les membres de la communauté et que la plupart se pratiquent individuellement (...) ” (3). Collectifs et obligatoires pour les rites de classes d’âge, individuels et voulus pour les rites d’initiation, d’entrée dans une société secrète, une confrérie... Autre singularité: “ une expérience religieuse plus intense que celle accessible au reste de la communauté”. Ces distinctions sont particulièrement fécondes quant à l’école en soulignant la différence entre obligations et choix, simple adhésion ou engagement personnel.
bull2.gif (117 octets)  LES COMPAGNONS DU TOUR DE FRANCE.
bull2.gif (117 octets)  Nous avons présenté le parcours compagnonnique comme rite de passage (4) et montré comment cet ensemble articulait des cérémonies qui elles même présentaient les trois phases définies par A. Van Gennep. Ici, en rapport avec l’école, nous n’aborderons qu’un tout premier pas: le serment sur la Règle. Dès son arrivée chez les Compagnons tout jeune doit prononcer solennellement son acceptation du code de bonne conduite qui régit tout le Compagnonnage: “La Règle est le fruit de l’expérience des Compagnons et sert la communauté pour le plus grand bénéfice de chacun de ses membres.” Elle parachève la phase de séparation. Écoutons les: “Faut d’abord savoir si on l’accepte ou pas. Quand on la lit, faut pas la lire comme ça, bêtement comme un texte. C’est pas un règlement, c’est la Règle. On obéit à la Règle, on la vit”. Après la discussion, la promesse de la respecter émeut les arrivants pas habitués à s’exprimer dans un tel contexte: “Ce qui est dur dans la Règle, c’est aussi de la lire devant les autres. De parler comme ça”.
bull2.gif (117 octets)  Concrètement, sont ainsi établies les règles de bon fonctionnement en matière de repas, de bien parler, de règlement des dûs, des chambres, de l’accueil de personnes étrangères à la communauté, des sorties pour les mineurs, des relations de travail, de l’embauche à la débauche, de ce qu’il convient de faire en cas de manquement...
bull2.gif (117 octets)  Notons qu’en fin, “Tout stagiaire aura à cœur d’être adopté ASPIRANT, de voyager, de parfaire ses connaissances professionnelles et culturelles pour être reçu COMPAGNON afin de transmettre ses connaissances et les valeurs du COMPAGNONNAGE du DEVOIR.” En une phrase est résumée la trajectoire qui l’attend.
bull2.gif (117 octets)  MODERNITÉ, ADOLESCENCE ET “RITES” DE PASSAGE, D’INITIATION.
bull2.gif (117 octets)  Le détour que nous venons d’opérer en abordant un élément des rituels compagnonniques ne doit pas nous faire oublier que la quotidienneté, la vie dans ce qu’elle pourrait être perçue comme banale est aussi, chez eux, imprégnée de cette rituélie. L’étude des relations aux boissons ont montré comment s’étayaient certaines pratiques quotidiennes (4) tandis que la symbolique compagnonnique était transmise.
bull2.gif (117 octets)  Maintenant, c’est en vain que sera recherchée l’expression culturelle d’une semblable symbolique propre à l’expérience toxicomaniaque. Tout au plus un recours à des signifiants inconscients, à une créativité mise en avant dans les années 60, peuvent-il être évoqués? Le saut qui se présente ici pourra surprendre plus d’un.
bull2.gif (117 octets)  La toxicomanie serait-elle un rite de passage? Les années soixante ont amené un questionnement à ce sujet. Peter Furst publie aux Etats-Unis “La chair des dieux” au sous-titre plus évocateur: l’usage rituel des psychédéliques. Il a deux objectifs: “désamorcer un peu la paranoïa du grand public en ce qui concerne les dangers, réels ou imaginaires, présentés par l’emploi de telles substances. Peut-être aussi les utilisateurs deviendront-ils plus conscients de ce qu’est l’enracinement dans une culture” (5).
bull2.gif (117 octets)  Cette comparaison avec des cultures étrangères spécifiques (6, 7) a passé sous silence une différence fondamentale: dans la société occidentale, la prise de drogue est un des éléments de contestation alors que dans les sociétés étrangères c’est un élément central d’une tradition. Son usage y est réglementé et participe à la socialisation de ses jeunes membres.
bull2.gif (117 octets)  Cet aspect est toujours absent. Ainsi, pour Martine Xiberras: “Le dealer de drogue dure pourrait s’apparenter ainsi à la figure du chaman ou du sorcier dans les sociétés primitives : il tient entre ses mains un réseau de clientèlisme sur lequel il est tout puissant” (7). Plus près d’un processus initiatique intégrant une mort symbolique suivie d’une renaissance, J.M. Oughourlian note bien le caractère illusoire de l’initiation évoquée au sujet des toxicomanes. Elle “les laisse sur leur faim” nous dit-il (8) car il s’agit d’“un rite initiatique de dernier recours”. Depuis, la confrontation à la mort, risquée dans le réel à pris bien d’autres formes morbides.
bull2.gif (117 octets)  En fait, l’usage des stupéfiants, loin de contribuer à la transmission des valeurs de la société participe à leur contestation telle qu’Aldous Huxley la souhaitait en 1954: “Ce qu’il faut, c’est une drogue nouvelle qui soulagera et consolera notre espèce souffrante, sans faire plus de mal, à longue échéance, qu’elle ne fait de bien dans l’immédiat. Il faut qu’une pareille drogue soit puissante à dose minime, et préparable par synthèse” (9) .
bull2.gif (117 octets)  Le recours à des sociétés tribales passe sous silence que pour ces sociétés, le recours à une drogue n’est pas une constante, qu’en présence d’un tel produit, l’arrivée d’une nouvelle substance peut être désastreuse comme ce fut le cas en Amérique avec les amérindiens et l’alcool. Et quant à l’expérience psychédélique, relève t’elle d’expérience rituelle étrangère à la culture des acteurs? “Je me méfie des visions qu’on a facilement en avalant quelque chose. La vraie intuition, l’extase profonde ne viennent pas comme ça” précise un Sioux-Lakotas, Tacha Ushte qui poursuit ainsi: “les visions à la commande procurées par les pilules (... ) font partie de la culture de “l’instant” chez les Blancs” (10). Pas de la culture Sioux.
bull2.gif (117 octets)  L’EDUCATION AUJOURD’HUI ET UN RITE DE PASSAGE.
bull2.gif (117 octets)  La génération qui a promu la métaphore critiquée dans ces lignes est aujourd’hui la génération des adultes, des parents. Elle est bien représentée dans un livre “Etre adulte” (11) où ils sont nombreux à se reconnaître dans ces mots: “Etre adulte, moi? Jamais!”. Affaire de parents-copains diront certains, des parents incertains diagnostiqueront d’autres.
bull2.gif (117 octets)  Des écueils pour cette démarche. Le premier, c’est le refus du statut adulte par certains adultes eux-mêmes qui idéalisent un vécu adolescent prolongé au-delà des limites communes: “Je me considère, dans le meilleur des cas, comme un adolescent fatigué, vieilli, ridé, certainement pas comme un adulte.” (12). Or, pour qu’il y ait rite de passage pour les jeunes, il faut des adultes!
bull2.gif (117 octets)  Deuxièmement, un rite de passage présuppose aussi des mythes, des références, ou au moins des valeurs communes à transmettre. N’abordons pas la question d’une institution de “spécialistes”! Pourtant, écoutons un Africain, Kofi Yamgname (13) : “(...) je suis un enfant et je le resterai sans doute toute ma vie. Pour la simple raison que je n’ai pas pu subir le rite d’initiation. Normalement, à l’âge de quatorze ans, tous les garçons et les filles chez nous passent par ce “rite de passage” qui forme la première étape pour l’entrée dans la vie d’adulte (...) Chez les Bassar, on accède à la vie adulte par étapes. Il faut être un vieillard quasiment grabataire pour en avoir fini et pouvoir participer ensuite à l’initiation des jeunes”...
bull2.gif (117 octets)  Pourtant... Pour marquer les étapes de la vie, toute société dit dans des formes plus ou moins codifiées, avec des références où se mêlent social, culturel, religieux parfois militaire, maternité... le tout en référence à un passé historique, mythique... elle dit que “la roue tourne”, mais pas n’importe comment: il y a des moments qui doivent être marqués, tantôt au niveau d’un clan d’une famille, tantôt au niveau d’un sous-groupe plus large et parfois par l’ensemble de ceux qui font société. Mais aujourd’hui, c’est plutôt un manque de rite qui caractérise nos sociétés et la prolifération de repérage de “micro-rituels”, trop souvent de pseudo-rituels ne fait que souligner la difficulté à dire en quoi y a t’il passage, pour qui, aux yeux de qui? en quoi consiste le dit passage? comment s’intègrerait-il dans “une cartographie” où chacun pourrait se situer.
bull2.gif (117 octets)  Un rite de passage, c’est une transmission d’un savoir être en société, en famille... ou ailleurs. La question de citoyenneté n’y est pas étrangère.
bull2.gif (117 octets)  Règles de vie, citoyenneté... Intégrant ces éléments qui nous incitent à une grande prudence, rappelons nous que juste entré chez les Compagnons, les jeunes prêtent serment sur la Règle qui régit cette communauté... dans le respect des lois de la République. Toute transposition est illusoire mais les réflexions sur la citoyenneté, la civilité pourraient s’en inspirer.
bull2.gif (117 octets)  Alors, une règle commune peut-elle régir l’école? La place de la philosophie dans l’enseignement, la réapparition de leçons de morale ont généré de vifs débats à l’image de la diversité des... désaccords des adultes. Y-a t’il un socle commun qui puisse être transmis aux jeunes générations? A ne pas réfléchir à cette question, nous courons le risque de transmissions opaques, relevant d’adhésions personnelles. Et c’est ainsi que les jeunes ne pouvant pas ne pas s’inscrire dans une chronologie, moteur incontournable d’une continuité sociale, devraient “s’inventer” leurs règles...
Ça relève des professeurs de philosophie? s’interroge l’un d’entre eux, Bernard Defrance. L’”incertitude sur les valeurs” le rend prudent, le dialogue avec ses élèves perplexe: comment expliquer que “la loi est la même pour tous” à la lumière de l’actualité? Que “nul ne peut être puni pour un acte qu’il n’a pas commis” à la lumière de la vie scolaire?
bull2.gif (117 octets)  Un moment signifiant? La focalisation sur le baccalauréat, sa qualification comme “rite initiatique” (15), trahit l’investissement par les familles du “bagage” pour trouver du travail où ce diplôme fait figure aujourd’hui de minimum. La fin de l’école obligatoire. est passée dans l’oubli. Que nous oublions nos obligations pour valoriser nos choix, le bac, en omettant de constater que ce sont les obligations remplies qui ont rendu possible le choix d’une filière ce n’est là qu’une des nombreuses expressions de l’individualisme croissant dans nos sociétés.
bull2.gif (117 octets)  Ici encore nous trouvons une raison supplémentaire d’être prudent quant à des enseignements pratiques, pédagogiques à tirer de la problématique proposée. Dans un premier temps nous voulions rendre manifeste pour le moins “l’adaptation” des concepts de rite de passage et d’initiation à des comportements fort éloignés de tels rites. C’est aussi la légitimation de telles pratiques que nous voulions souligner. Aller au-delà, c’est interpeller la collectivité, les adultes comme génération dans son hétérogénéité, ses références pour une transmission inter-générationnelle. Le constat du manque de rite est une première étape, indispensable. L’analyse des usages sociaux “communicationnels” une deuxième. Trop rapidement avec un homme du marketing nous la résumons ainsi: “ pour entrer en relation avec cette génération (les jeunes), on leur parle comme ils aiment croire qu’on les voit”. Ici point de transmission. Et à l’opposé signalons cette cérémonie de remise de carte d’électeurs dans une commune de la Manche, “rite de passage à l’âge adulte” (17).
bull2.gif (117 octets)  Cependant, la principale dimension qui préside à un rite, dimension spirituelle, impose à un chercheur en sciences humaines... un silence prudent que rappelle en d’autres termes René Girard: “Aucune science, aucune pensée n’est capable d’inventer les rites de toutes pièces, d’aboutir spontanément à des systèmes aussi constants derrière leurs différences apparentes, que sont les systèmes religieux de l’humanité.” (18).
bull2.gif (117 octets)  Le manque de rite ne manque pas!! de susciter bien des créations plus ou moins marginales. Ici doit être présent le risque sectaire.
bull2.gif (117 octets)  Notes.
1- GENDREAU Joël, L’adolescence et ses “rites” de passage, Presses Universitaires de Rennes, 1999.
2- VAN GENNEP Arnold, Les rites de passage, édit. Picard, 1981, 288 p.
3- ELIADE Mircéa, Initiation, rites, sociétés secrètes, Idées, Gallimard, 1976, p. 24.
4- GENDREAU J., Boire et rite de passage chez les Compagnons du Tour de France, pp. 89-103 & Boire sacré et/ou profane, la guilbrette?, pp. 175-176, in Les cahiers de l’IREB, n° 13.
5 FURST P.T., La chair des Dieux, Seuil-Science ouverte, 1974, p. 287.
6- ALLAIN P., Hallucinogènes et société, Payot, 1973, p. 190.
7- XIBERRAS M., La société intoxiquée, Méridiens Klincksieck, 1989, p. 150.
8- OUGHOURLIAN J.M., La personne du toxicomane, Privat, 1986, p. 291.
9- HUXLEY A., Les portes de la perception, Pygmalion, 1975, p.52
10- TAHCA USHTE & ERDOES (R), De mémoire indienne, Terre humaine, Plon, 1986, p. 278.
11- Etre adulte, collec. présenté par TUINIGA M. , Albin Michel & La Vie, 1996, p. 226.
12- Etre adulte, op. cit., p. 23.
13- ibid., p. 177-179.
14- DEFRANCE B., Perplexité d’un professeur, Libération, 8/01/98.
15- L’adolescence et ses “rites” de passage, op. cit., p.14.
16-Le Monde, 28 juin 1999, extrait des propos du président du Festival International de la publicité.
17- Psychologie, décembre 1999, p. 16.
18- GIRARD René, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Livre de poche, biblio, p. 37.