retour au résumé
Les systèmes des métiers et professions, l'organisation du travail, de la production évoluent et se transforment à un rythme soutenu. Les questions qui concernent la façon dont les apprenants se saisissent de ces mutations, comment ils se représentent leur avenir dans leur propre trajectoire de professionnalisation et quels sont les leviers qui sont en Oeuvre dans ces évolutions / transformations des représentations sont donc des questions essentielles si l'on veut proposer des modèles de formation qui soient en réelle adéquation avec la réalité du monde professionnel.
Nous voudrions par notre contribution, fournir quelques pistes de réflexion relatives à la formation et aux représentations mises en Oeuvre dans les systèmes de formation aux professions.
Notre approche est résolument ancrée dans la psychologie sociale et s'appuie sur le paradigme des représentations. Notre objectif est de décrire la représentation que les personnes en formation se font de leur futur métier et, ainsi, mieux cerner ce qui préside aux choix d'orientation et de métier et comprendre ce qui conditionne les investissements des apprenants dans les différents contextes de formation. Comment des trajectoires et des parcours de formation vont-ils interagir pour professionnaliser les acteurs ? Quels processus de professionnalisation transforment les représentations ?
Nous voudrions tout d'abord affermir le terme de représentation en contexte de formation, nous spécifierons son rôle dans le processus de professionnalisation en l'expliquant et le qualifiant. Nous présenterons ensuite les résultats de nos travaux de recherche, sur le terrain des élèves-ingénieurs.
Le concept de représentation socioprofessionnelle
Les activités d'enseignement nous conduisent à nous interroger sur leurs effets par rapport aux représentations que les acteurs en formation se font de leur futur métier.
En effet, n'y a-t-il pas là tout d'abord une spécificité de représentation et une dynamique représentationnelle mise en Oeuvre précisément par la transformation des savoirs visant à la professionnalisation. Comment cette représentation qualifiée par nous de socioprofessionnelle, intervient-elle dans les processus de professionnalisation ?
Le concept de représentation socioprofessionnelle a été forgé pour rendre compte de ce processus selon lequel les acteurs mobilisent des représentations de leur futur métier, cette mobilisation conditionnant leur investissement en formation. A l'inverse, les nouveaux savoirs, les nouveaux types de formation vont transformer la représentation du futur métier.
Il convient donc maintenant d'expliquer les mécanismes de cette représentation, pour ce faire nous partirons du schéma ci-dessous.
REPRESENTATION SOCIO-PROFESSIONNELLE
DE L'ELEVE-INGENIEUR
(Principes organisateurs)
Un double engagement
Dans le schéma ci-dessus nous mettons en avant deux formes d'engagement en référence aux savoirs identifiés plus haut. Nous nous appuyons pour cela sur les travaux de M. BATAILLE qui propose une clarification des concepts d'engagement et d'implication. Ce dernier terme, malgré son caractère polysémique, est mis en relation par l'auteur avec le "processus d'implicitation qui aboutit à la construction d'une forme de connaissance impliquée (implicitée), à savoir une représentation". C'est la voix pronominale du verbe impliquer (s'impliquer) qui nous intéresse plus particulièrement ici ; cette forme verbale est la plupart du temps confondue avec l'engagement.
C'est la situation de communication qui par l'explicitation des points de vue, des malentendus, va permettre une mise à plat des représentations et " fabriquer " de l'implicite. Par l'explicitation (" explicare " : déployer / déplier) il s'agit de rendre intelligible ce qui est obscur en interprétant par la parole, des représentations et ainsi impliquer (lat. implicare, et plicare : plier par mouvement contraire) les acteurs leur permettant ainsi de s'impliquer.
La question de l'implication dans les groupes est posée par rapport au système de valeurs, c'est la "différence optimale des valeurs" qui va amener les acteurs au conflit socio-cognitif. En effet, cette différence optimale de valeurs est déterminante : trop grande, elle génère de la discussion pour la discussion (" chacun se parle à soi-même pour ne pas se faire entendre ") et l'implication dans le débat ne se traduit pas en implication active dans la tâche de décision ; trop faible, elle réduit à presque rien le débat, et la complicité bloque ici l'implication. Or le débat fondé sur une différence optimale de valeurs conduit le groupe et ses membres, dans un processus de mise en conflit socio-cognitif, à substituer à une variété de représentations individuelles, une représentation sociale, collective, propre au groupe qui en a discuté, partagée par ses membres d'autant plus qu'ils se la sont appropriée en la forgeant ensemble, par l'échange communicationnel. Cette approche a été développée après K. LEWIN, par des auteurs comme S. MOSCOVICI et W. DOISEi .
Pour reprendre le propos de M.BATAILLE concernant l'engagement et s'appuyant sur les travaux de Moscovici et Doise (1992), il est nécessaire d'insister sur le rapport étroit entre représentation et implication; la formation d'une représentation va se faire dans une forme de communication caractérisée par la confrontation des dissensions, ce qui fait dire à M. BATAILLE: "s'impliquer c'est s'expliquer" autrement dit " l'implicitation à l'Oeuvre dans la formation d'une représentation sociale s'opère dans un processus d'explicitation des points de vue de chacun. Le dépliage, la mise à plat des implications individuelles produit l'implicitation d'une représentation qui fonde l'engagement collectif et qui est fondé par lui. Ce modèle est -il valide pour la formation d'une représentation qui présente un caractère particulier par rapport au contexte, la formation à un métier, et à l'objet de la représentation, le métier lui même? L'objet de la représentation précisément, est spécifique en ce sens qu'il amène une projection dans l'avenir de la part de l'acteur ; se représenter son futur métier oblige un déplacement sur l'axe temporel et ce, dans le registre professionnel.
Les représentations socioprofessionnelles seront définies spécifiquement à un contexte de formation professionnalisante, comme un ensemble organisé d'informations comportant des schèmes qui expriment des savoirs théoriques et d'action, constituant par là un double engagement se référant à un double idéal : professionnel et de métier. Elles se situent dans un processus dynamique d'interactions sociales qui précèdent l'action professionnelle et elles expriment les reconstructions que le sujet effectue à partir d'éléments connus au cours de la formation.
Les représentations socio-professionnelles se constituent donc dans le cadre d'un double engagement :
- c'est, d'abord, un " engagement par le savoir ", ce terme étant pris dans son acception "scolaire", c'est-à-dire un engagement qui fait suite à un cursus scolaire centré sur des savoirs académiques. Ce premier type d'engagement est tourné vers un idéal professionnel ce qui positionne cet axe engagement par le savoir / idéal professionnel sur l'extériorité: réalités externes aux individus par les énoncés, les livres, constructions intellectuelles indexées d'une évaluation sociale positive .
- le deuxième type d'engagement est celui que nous nommons "engagement par le savoir faire" et qui fonctionne par rapport à un idéal de métier, c'est-à-dire des conditions "réelles" d'exercice du métier. En effet, le métier est pensé en terme d'ensemble d'activités et de compétences spécifiques; il est défini par son utilité dans la société, il a un caractère noble qu'il tire sur le degré de technicité exigé, c'est par exemple le tour de main de tel artisan. L'opposition profession / métier doit être associée à une distinction socialement structurante et reproduite jusqu'à aujourd'hui : "intellectuel / manuel". (Reste que ces deux termes participent du même modèle d'origine : les corporations.) L'ancrage de la représentation va ici s'opérer sur un groupe social référé à un savoir faire "manuel", à une pratique. Nous sommes là dans un contexte praxéologique où les situations de formation renvoient à des actes de travail : stages en entreprise, activités associatives où les acteurs vont développer des compétences relatives au métier. Cette "querelle entre praticiens et théoriciens" est coutumière dans les institutions de formation même si elle n'est pas toujours formulée ouvertement.
C'est donc dans une dialectique entre ces deux engagements, ces deux formes d'implication, que va se construire et évoluer la représentation socioprofessionnelle, et, ce, par une dynamique de communication.
DESCRIPTIF DE L'ECHANTILLON ETUDIE
Notre échantillon porte sur 543 élèves ingénieurs entrant en formation professionnalisante, dont 454 (soit 83,6 %) en France et 89 (soit 16,4 %) au Canada. Sur ces 543 élèves, nous comptons 451 (soit 83 %) d'hommes et 92 (soit 17 %) de femmes. Ce travail n'est donc pas comparatif compte tenu de la disparité quantitative des populations, c'est donc en termes de tendances que nous raisonnerons.
Ecoles étudiées :
France :
INSA : Institut National des Sciences Appliquées (Toulouse)
ENSEEIHT : Ecole Nationale d'Electronique d'Electrotechnique et d'Informatique de Toulouse
SUPAREO : Ecole Nationale Supérieure d'Aéronautique (Toulouse)
INT : Institut National des Télécoms (Paris)
Canada :
Ecole de Génie d'Ottawa (Province de l'Ontario)
Ecole de Génie de Moncton (Province du Nouveau Brunswick)
Ecole de Génie de Sherbrooke (Québec)
F | insa | 169 | 31.181% | F | n7 | 169 | 31.181% | F | supaero | 86 | 15.867% | F | int | 30 | 5.535% | C | ottawa | 7 | 1.107% | C | sherbrooke | 40 | 7.38% | C | moncton | 42 | 7.749% |
Compte tenu des contraintes d'espace, nous publions seulement les grands profils par pays
| FONCTIONNEL (Activités) | CONTEXTE | IDEAL | CANADA | Gestion Communication Recherche Travail complexe Enseignement Spécialisé | Avenir optimiste Participation associations Bonne protection chômage Bonne formation | Charisme Autonomie dans le travail Pouvoir Diriger Statut élevé Situation stable | FRANCE | Commercial Production Encadrement Travail simple et individuel généraliste | Avenir pessimiste Non protection chômage Pas bonne formation Non participation associations | Pas d’autonomie dans le travail Pas de pouvoir Pas de situation stable Métier intéressant |
LEGENDE :
Les mots écrits en capitale correspondent aux valeurs des chi2 > 50
Les mots écrits en gras correspondent aux valeurs des chi2 compris entre 10 et 50
Les mots standards correspondent aux valeurs des chi2 ( 10.
Analyse des résultats
Nous proposons à la discussion la grille d'analyse présentée dans le tableau suivant.
La représentation socioprofessionnelle se construirait selon deux lignes de force : la formation et l'emploi. Un type de représentation de le formation associé à un type de représentation de l'emploi amène les profils représentationnels de l'ingénieur de la part des élèves ingénieurs de l'échantillon étudié. Ces profils de représentation sont inscrits ci-dessous.
FORMATION | Stabilité de carrière | Flexibilité de carrière | EMPLOI | Savoir faire | Savoirs d’action Commercial Apprentissage par l’action, primat du métier Supaéro (marché porteur des avions) 10,5% de la population | Intérêt pour le métier Prise de risques, primat du sujet Engagement personnel " j’applique " Insa (sciences appliquées) 27,3% de la population | Idéal de métier | Savoir Connaissances | Production Recherche Enseeiht Canada (volonté de valoriser l’ingénieur de par le formé) 53,5% de la population | Management Encadrement Travail en équipe INT 8,7% de la population | Idéal professionnel |
|