Cette recherche interroge le rôle de l'information écrite dans la relation école-famille.
  Plus précisément, l'objectif est de tenter d'éclairer le rapport à l'information de l'école aux familles et entre l'école et les familles, enfant et parents.
  Une approche systémique
  Le matériau syntaxique et sémantique que représente ce que nous appellerons l'information générale, pour la différencier de l'information scientifique ou technique, renvoie quel qu'en soit son contenu et le domaine qui la concerne, aux rôles et places des énonciateurs, et à la question même de la circulation des messages entre eux. Le terme "énonciateurs" balise un cadre conceptuel qui se démarque résolument du modèle mécaniste de l'information reliant émetteur et récepteur par le schéma linéaire de la communication. Dans notre cadre de référence, la communication considérée dans une dynamique de circulation, tient compte des processus d'interaction en jeu dans leur complexité. Le concept de communication, en tant que "circulation de l'entité information" (ESCARPIT,1991) qui le construit et le justifie à la fois, se trouve donc impliqué dans la question du rôle de l'information.
  Un troisième volet fonde la communication selon l'école de Palo Alto : une dimension pragmatique, qui affecte les comportements des sujets (WATZLAWICK, DEAVIN et JACKSON1967/1972, p.16). L'échange d'information, qui participe donc du procès de communication, renvoie à ses effets sur les sujets, à une influence, que soutient la place de la rétroaction.
  L'étymologie du terme "information" approche cet effet d'une autre manière, mais nous renvoie également à une notion d'empreinte : in = dedans ; formation - formare = mettre une empreinte (BRETON et PROULX,1993). L'étude des propriétés générales de l'information - sa nature,ses conditions de production et de circulation - ne peut être envisagée en dehors des effets de rétroaction qui caractérisent les systèmes en interaction.
  Les pratiques de l'école en matière d'information aux familles se trouvent alors posées comme des indicateurs de la communication entre l'école et la famille. En interrogeant les contenus d'information et le rapport des sujets -enseignants, enfants et parents- aux pratiques d'information de l'école, ce sont les processus de communication, pris dans la dynamique de la circulation, que l'on questionne également.
  Plus particulièrement, nous examinons la question nodale de la tension entre information et formation dans la relation école-famille.
  Cette question en appelle d'autres, qui se déploient en éventail autour de plusieurs axes soutenus par la position singulière des sujets : l'enseignant, l'élève, ses parents.
*Concernant l'enseignant, l'étude des pratiques qui organisent l'information écrite aux parents d'élèves nous permettra d'approcher les représentations de la relation école-famille que sous-tendent les choix dans ce domaine de l'information écrite aux familles.
*L'approche systémique que nous adoptons, reconnaît l'influence conjuguée des différents partenaires éducatifs (POURTOIS et DESMET, 1989) et prend en compte l'enfant comme partenaire à part entière dans la relation.
  C'est pourquoi du côté de l'élève, nous nous interrogeons plus particulièrement sur la prise en charge cognitive et relationnelle de cette information et sur les conduites qui l'accompagnent tant dans l'espace scolaire que dans l'espace familial .
*Ainsi, les interactions familiales seront questionnées afin de repérer la place de l'information en provenance de l'école : quelle part y prend l'enfant ? Les attitudes qu'il développe autour de l'information influencent-elle les conduites éducatives parentales ? Cette information permet-elle aux parents de mieux comprendre le contexte scolaire dans lequel évolue leur enfant ? Eclaire-t-elle le réseau social de l'enfant ? Les interactions autour de l'information influencent-elles leur propre réseau social ?
  Phases de la recherche et recueil des données
*La première phase de la recherche consiste en une approche pragmatique de l'information.
  La définition des corpus de pratiques de l'école maternelle française en matière d'information écrite en direction des parents d'élèves représentait une étape prioritaire. Admettant que l'information collective aux parents d'élèves est initiée par les enseignants (MONTANDON et PERRENOUD, 1987), on s'est attaché dans un premier temps à l'étude des modes d'information écrite et collective aux parents d'élèves mis en place par les enseignants à l'école maternelle :
la circulation de l'information, les supports d'information et leur désignation(enquête par questionnaire)
puis, les contenus de cette information (analyse de documents)
ont contribué à définir le matériau de l'information à l'école maternelle .
*La deuxième étape prend appui sur cette première partie de la recherche : la constitution de la population d'enquête a en effet été réalisée à partir de critères que cette approche de l'information écrite a permis de définir. Les entretiens réalisés auprès des enseignants, des élèves et des parents forment le corpus principal de la recherche. Un travail d'observation dans les classes vient compléter ce corpus afin d'aborder, grâce à une "multiréférentialité méthodologique" (ARDOINO et VIGARELLO,1988) la démarche de recherche redéfinie à l'issue de la première phase.
  Première phase : l'information à l'école maternelle,
  Définitions
  A - Diffusion et circulation de l'information écrite à l'école maternelle
  Une enquête par questionnaires a permis de repérer les caractéristiques de l'information écrite collective à l'école maternelle. L'exploitation des données recueillies auprès de 519 personnes met en relief de manière quantitative et qualitative les choix des enseignants en matière de support et de circulation de l'information entre l'école et les familles.
  Deux types de pratiques se distinguent :
-la diffusion de messages écrits non archivés (96personnes)
-la circulation d'informations archivées, regroupées dans un "contenant" tel que enveloppe courrier, chemise cartonnée.... (50 personnes) ou sur un support désigné par les termes de "cahier de liaison", "cahier de vie", "cahier de correspondance"... (405 personnes).
  Dans le groupe ayant opté pour un archivage des informations (405 personnes) l'analyse thématique des réponses permet de dégager 3 pôles autour desquels se structure le choix de l'utilisation d'un support :
- la référence à la culture scolaire ("pôle scolaire")
-la dimension relationnelle enseignant/parents, parents/enfant ("pôle relationnel")
-le contrôle de la circulation de l'information ("pôle contrôle")
  B - L'information archivée : typologie des messages, typologie des supports
  Le deuxième volet de cette étape consiste en une étude pragmatique des discours d'information.
  Le choix de restreindre le champ de notre étude à "l'information archivée", médiée par le support d'un cahier se fonde sur les résultats de l'enquête par questionnaire.
Ce choix, lié aux références de l'approche systémique, s'inscrit également dans le cadre théorique adopté pour l'étude de notre corpus : l'Analyse des Discours considère le support comme faisant partie intégrante de la situation de communication. Selon Dominique MAINGUENEAU (1998,p.57-58) "le support n'est pas accessoire(...) le médium n'est pas un simple moyen de transport pour le discours, mais il contraint ses contenus et commande les usages qu'on peut en faire(...) il faut partir d'un dispositif communicationnel qui intègre d'emblée le médium".
  L'étude des messages de 50 cahiers collectés auprès du groupe d'enseignants ayant participé à notre enquête par questionnaire tente de repérer les types d'information diffusés par l'école en direction des familles :
  Quelle est la nature de l'information écrite médiée par ces cahiers ?
  Quelle place les messages réservent-ils à l'enfant ?
  Les résultats mettent en relief que l'école souligne les devoirs du parent d'élève dans l'espace de l'institution scolaire et la dimension contrainte du rôle de parent d'élève. Une autre catégorie de messages souligne les attentes des enseignants vis-à-vis de la "collaboration" ou de la "contribution" des parents (MONTANDON,1994). La proportion de ce type de messages attribue à 32 cahiers sur 50, un rôle informatif à dominante "bureaucratique"(GLASMAN, 1994)
  Enfin certains textes mettent l'accent sur les événements exceptionnels de l'école ou de la classe et sur l'expérience scolaire d'un groupe d'élèves. C'est dans ce groupe de messages qu'une place particulière est attribuée à l'enfant, aux interactions dans la classe ou même à l'interaction parent/enfant. Dans 18 cahiers sur 50, la proportion de ces messages permet de leur attribuer un rôle informatif de type conversationnel.
  Analyse
  L'information entre utilité et ambiguïté
  Les messages sur le fonctionnement institutionnel de l'école marquent la tentative de réduire "l'opacité" de l'école et de mettre à portée de tous les repères nécessaires à l'inscription dans la communauté-parents d'élèves. On en connaît l'intérêt grâce aux recherches qui ont montré les liens entre l'adaptation scolaire des élèves et la capacité des enseignants à proposer des clés permettant une meilleure lisibilité de l'institution scolaire (DORAY et ROGOVAS-CHAUVEAU,1989 ; GLASMAN, 1994...). Néanmoins, la portée de cette pratique doit être modulée : les modalités de mise en œuvre, le contenu et la forme des messages étroitement imbriqués, sont porteurs de formes de métacommunication. On ne peut donc ignorer le risque de "communication paradoxale " (WATZLAWICK, DEAVIN et JACKSON, 1967/1972)
  De l'information à la conversation : la valorisation du quotidien
  En revanche, il faut souligner que ce support peut générer une dynamique susceptible de provoquer des rebondissements positifs...
  D'une part parce que l'apport d'informations que représente les cahiers répond à une demande des parents "qui s'intéressent à tout ce que l'enfant fait à l'école, à ce qu'il apprend, à ses contacts avec ses camarades, ses maîtres, à la vie de l'école." (MONTANDON, 1994, p.197). Elle contribue également à dépasser ce "sentiment d'étrangeté" (POURTOIS et DESMET, 1989, p.81) que des familles peuvent éprouver vis-à-vis de l'école et qui handicape l'adaptation scolaire de l'enfant. Ces messages dont le but principal pourrait être la conversation plus que l'information, ne sont pas sans importance. Bernard LAHIRE (1995,p.278) montre que le dialogue autour de la vie de l'écolier dans l'espace familial permet "l'intégration sociale et symbolique de l'expérience scolaire".
  La reconnaissance d'un enfant actif et compétent
  Dans ce processus de communication, la place de l'enfant est essentielle et l'analyse montre que certains cahiers mettent les élèves au premier plan et tente de leur rendre accessible le contenu de l'information. L'usage d'une information écrite vivante et régulière médiée par l'enfant peut répondre aux encouragements faits à l'école de générer des pratiques familiales qui l'aident "à tester les fonctions et les usages de l'écrit dans des situations de communication effective" (BEN FADHEL,1998, p. 79).
  Cette première étape nous conduit à centrer notre recherche sur les "supports d'informations archivées à dominante conversationnelle" afin de traiter la question que nous posions concernant la tension entre information, formation et communication dans la relation école-famille.
  L'effet de l'information sur les pratiques familiales sera plus particulièrement examiné dans le domaine de la relation à l'écrit.
  Deuxième phase : interroger la place et les effets de l'information
  Le cœur de la recherche, en cours, se structure autour d'un corpus constitué par des situations d'observation dans 10 classes de Zone d'Education Prioritaire (ZEP) et des entretiens menés auprès :
d'enseignants d'école maternelle (10 entretiens individuels)
de 54 de leurs élèves (entretiens individuels et groupes de langage)
et de 34 parents de ces élèves (entretiens individuels).
  Elle aborde, par la démarche clinique, le rapport à l'information tel que l'appréhende l'enseignant, l'élève, le parent.
  L'enquête par questionnaire et l'étude des 50 cahiers nous a permis de structurer notre démarche pour la conduite des entretiens.
  Choix méthodologiques
  Le choix méthodologique qui consiste à structurer l'observation dans les classes et les entretiens autour des pratiques liées à un objet empirique s'appuie sur la démarche anthropologique. Nous considérons que le support d'information n'est pas un "objet en soi", une réalité objective indépendante, mais que son utilisation et les modes d'activité qui s'y rattachent supportent un ensemble de significations, de représentations et de conduites de la part de l'enseignant, de la part de l'enfant et de la part des parents. La place charnière particulière qu'il occupe, dans l'espace dynamique entre la famille et l'école où il convient de reconnaître pleinement l'enfant renvoie à la communication entre ces deux institutions.
  D'autre part, ce choix méthodologique se fonde sur un parti pris épistémologique autour de la reconnaissance de l'expérience des sujets et de l'élaboration d'une parole sur cette expérience. De ce point de vue, les travaux d'Éducation Familiale (POURTOIS et DESMET, 1989) ont fortement mobilisé notre attention pour un recueil de données susceptible de rendre compte du rôle essentiel de l'enfant entre les différents milieux éducatifs.
  Le cahier est donc utilisé comme pivot dans l'observation et dans la conduite des entretiens, avec les enseignants, avec les parents et avec les enfants. Ce point d'appui nous semble fondamental dans la perspective d'une unité de sens, permettant de mettre en cohérence l'analyse des contenus de l'information, l'organisation et la circulation de cette information et la position des sujets vis-à-vis de celle-ci...
  Premiers résultats
  Les premiers résultats mettent en avant la diversité des pratiques autour de l'information archivée à dominante conversationnelle. L'importance du "pôle savoir" apparaît pour tous les partenaires, tandis que le "pôle relationnel" est particulièrement valorisé par les enfants et les parents.
  Pour les enfants, les parents ne sont que des partenaires parmi d'autres convoqués par eux au partage de leur expérience scolaire. Si les membres de la fratrie occupent une grande part dans les interactions autour d'un support d'autant mieux investi que les écrits qui y sont archivés répondent à des critères de lisibilité, l'usage solitaire de ce support est largement évoqué qui pourrait répondre au besoin naturel de répétition, de reprise qui participe à la construction d'un sentiment de sécurité et de maîtrise chez le jeune enfant. L'intérêt et les compétences du jeune enfant vis-à-vis de l'écrit génèrent chez les adultes -enseignants et surtout parents- des capacités d'étonnement donnant lieu à des orientations spécifiques des attitudes éducatives: identification d'une "approche naturelle" des apprentissages, reconnaissance de l'importance des "écrits sociaux"...L'accès des parents à l'information et leur part dans l'activité sont hétérogènes: si dans certains cas l'observation des conduites de l'enfant représente la ressource essentielle pour répondre à sa demande ou à celle de l'école...si dans d'autres cas on note l'occasion saisie par les mères pour renouer avec l'écriture...il semble surtout que la mise en valeur d'une information à dominante conversationnelle renverse le sentiment d'être exclu de la scolarité et des réseaux de socialisation du jeune enfant.