MOTS-CLES : Prévention, processus de médiation, binôme de médiation, acteurs-clés, modèle de changement, institutionnalisation, intervention.
1.INTRODUCTION.
  La massification de l'enseignement s'est effectuée parallèlement à l'approfondissement de la crise économique. De nouvelles exigences de réussite scolaire formulées par l'ensemble des couches sociales sont venues, dans les années 80, en contrepoint des risques grandissants de chômage et du développement de la précarité. Ainsi, l'institution scolaire, à l'écoute des attentes de la société, s'attache depuis à réduire l'échec scolaire et plus particulièrement à lutter contre la marginalisation et l'exclusion scolaires qui sont les ferments des incivilités et de la violence qui tend à s'étendre dans les établissements scolaires.
  L'un des moyens suggéré par l'institution, prenant en cela appui sur des travaux de recherche et des innovations, est la mise en place de médiations conduites par des médiateurs. Cette innovation pose une double problématique : celle de son contenu et celle de son implantation et de son développement. Que peut être la médiation en milieu scolaire ? Quels sont les types de situations qui relèvent de la médiation ? Que peut être un processus de médiation ? Qui peut le conduire et comment ? Quel est le rôle du médiateur ? Mais aussi : comment la médiation peut-elle s’implanter dans un collège ? Quels sont les facteurs favorables, les leviers mais aussi les freins et les résistances ? Comment développer une dynamique de création des pratiques nouvelles et de standardisation des résultats et des procédés ? ...
  Notre recherche faisait l’hypothèse que face à un modèle d’action impulsé par notre équipe et constitué d’un référentiel du dispositif, d’une procédure d’institutionnalisation et d’une intervention externe, les acteurs internes mettraient en place un modèle d’action interne constitué de leviers et de résistances et que le changement vrai dans l’établissement se situerait dans l’interaction entre les deux modèles.
  Nous avons expérimenté dans cinq collèges de l'Académie de NICE, la mise en place et l'essor d'un dispositif de prévention et de médiation.
2. DESCRIPTION SOMMAIRE DU MODELE D’ACTION EXTERNE.
  Les éléments fondateurs de ce modèle sont empruntés pour l'essentiel à la sociologie des organisations et à la psychologie sociale.
2.1. Le référentiel.
  C’est un descriptif de l'organisation possible du dispositif avec ses structures, ses modes de fonctionnement, les outils qui les accompagnent, les rôles et missions de chaque acteur (individuel ou collectif). Il est à la disposition des acteurs internes pour la construction de leur propre projet de dispositif. Le pivot du dispositif est le trinôme composé du (ou des) conseiller principal d'éducation et du binôme de médiation composé lui-même de l'assistante sociale de l'établissement et du médiateur (un enseignant de préférence). Le C.P.E. est le référent de la fonction prévention, il anime les équipes éducatives pour éviter que certains collégiens ne sombrent dans l'échec scolaire qui prédispose souvent à la marginalisation. Le binôme de médiation est chargé de la restauration du lien socio-éducatif (lien qui unit le jeune à l'institution scolaire) lorsque celui-ci est rompu soit par la déscolarisation, soit par un conflit aigu avec l'institution (par le biais d'un ou de plusieurs de ses représentants le plus souvent). Nous concevons donc la médiation au collège comme un processus de régulation de la vie sociale qui vise à restaurer du lien socio-éducatif et à résoudre des conflits. Ce processus est conduit par un binôme de personnes ressources impartiales. Dans le cas de la restauration du lien socio-éducatif, il joue le rôle d’une personne ressource d’informations et de communications. Dans celui de la résolution de conflits, il achemine les parties en conflit vers leur solution.
  Le médiateur est un homme ou une femme de dialogue, qui écoute et accueille (empathie), qui questionne et renvoie sans jugement de valeur. Il conduit avec les parties en cause le processus de rationalisation des situations, des contextes et des comportements, il dénoue l’enchevêtrement causal du conflit. Il est respectueux de l’Autre en préservant la sphère privée de celui-ci et de ce fait, il respecte la confidentialité. Enfin il est impartial.
  Le binôme assistante sociale - médiateur pratique l’étude cas et recherche la mise en œuvre de situations de “ gratification scolaire et sociale ” pour le jeune. Il porte une attention toute particulière à la communication interne en informant autant que faire se peut les membres de la communauté éducative et en faisant valider par le chef d’établissement les actions envisagées à l’issue du processus de médiation, à la communication externe ensuite en s’appuyant sur les ressources de l’environnement.
2.2 La procédure d'institutionnalisation.
  La phase d'institutionnalisation, jamais totalement achevée par ailleurs, s’appuie sur trois facteurs essentiels. Le premier d’entre eux est la communication, c’est le moyen le mieux approprié pour favoriser l’implication des acteurs. Elle développe la circulation de l’information et structure les échanges entre les acteurs notamment lorsque des processus d’action sont mis en œuvre en faveur d’un jeune en danger. Le deuxième est l’effort de rationalisation de l’action et des systèmes, il s’agit par là de produire collectivement une connaissance du système humain et un mode de raisonnement sur l’action organisée qui permettent aux acteurs de structurer et réguler leur action. Le troisième enfin est l’adoption d’une démarche d’identification et de résolution de problème, mais lorsque les deux facteurs précédents sont présents ce dernier devient presque un allant de soi.
2.3 L'intervention.
  L'intervention, assurée par les membres de l’équipe recherche dans le cadre de la formation continue des enseignants, s'inspire des méthodes développées par la sociologie des organisations.
  Phase 0 : c'est celle du passage de la demande d'intervention du collège à une commande négociée entre les intervenants et une fraction du personnel de l'établissement conduite par le principal.
  Phase 1 : c'est celle de la sensibilisation à la médiation et de la réalisation d'un diagnostic sociologique sur le “ climat de l'établissement ” et le “ modèle spontané de lutte contre la marginalisation et l'exclusion scolaires à l'œuvre dans le collège ”.
  Phase 2 : c'est celle de la mise en projet
  Phase 3 : c'est celle de la mise en œuvre
  Phase 4 : c'est celle de l'évaluation
3. QUELQUES RESULTATS TIRES DE L'EXPERIMENTATION.
  Sur les cinq collèges expérimentaux (de septembre 1995 à juin 1997), trois ont réussi à mettre en œuvre un dispositif qui continue à vivre et se développer. L'expérimentation a notamment révélé le rôle clé de trois acteurs ; la déficience de l'un d'eux, comme ce fut le cas dans les deux autres collèges, soit empêche l'installation du dispositif soit en fait une “ coquille vide ”. Ainsi le binôme de direction (principal et son adjoint) est un acteur-clé ; la complémentarité interne et l'implication physique de chacun détermine un niveau d'implication qui rejaillit sur le niveau d'implication des autres acteurs. Le binôme de médiation est un autre acteur-clé ; la complémentarité interne et la convergence des modes de penser la médiation détermine leur propre niveau d'impulsion. Enfin, le conseiller principal d'éducation est l'acteur-clé de la prévention ; c'est sa capacité à animer les équipes éducatives qui détermine sa capacité à impulser l'institutionnalisation de la fonction prévention dans le collège. Le croisement de ces trois niveaux d'impulsion permet d'établir le niveau d'institutionnalisation de l'ensemble du dispositif.
  En ce qui concerne l’efficacité du dispositif, il faut retenir que : pour les jeunes qui ont suivi un processus de médiation, dans 25% des cas la médiation est un succès, dans 25% des cas l'amélioration de la situation du jeune est sensible, dans 25% des cas l'amélioration est modeste et fragile enfin dans 25% des cas il n'y a pas d'amélioration perceptible.
  Le modèle d’action des acteurs internes se compose de trois éléments essentiels :
“ le démarreur et le régulateur ” dont les facteurs sont :
le niveau d’implication et d’impulsion du binôme de direction ;
l’organisation du pilotage de l’innovation ;
le style de “ gouvernement ” de l’établissement.
le “ moteur ” en tant que processus d’apprentissage collectif en triade :
la congruence : le projet initial est mobilisateur, il rencontre les besoins, les attentes et les désirs d’une masse critique d’acteurs de terrain ;
l’instrumentation : les acteurs construisent leurs propres outils qui standardisent les procédés et les résultats qu’ils créent ;
la diffusion : les innovateurs, en faisant valoir l’efficacité du dispositif, font adhérer des indifférents, voire des résistants.
les facteurs “ accélérateurs ” et les facteurs “ freins ” :
le niveau d’implication des acteurs de terrain dans la phase de diagnostic ;
le niveau de coopération des enseignants dans le collège, qui influe sur leur attitude vis à vis des réunions d’équipes éducatives ;
les conceptions des enseignants sur les élèves en échec scolaire, sur les origines de l’échec scolaire et sur les phénomènes de marginalisation et d’exclusion scolaires ;
les représentations des acteurs de terrain sur le rôle des intervenants externes.
  Pour chacun de ces facteurs, la borne inférieure de l’échelle de valeurs est un frein et la borne supérieure un accélérateur. Au cours de l’action, l’interaction entre le modèle d’action externe et le modèle d’action interne fait varier la position du curseur sur l’échelle de valeurs de chacun des facteurs. Une dynamique de changement, alimentée par le processus d’apprentissage collectif, s’installe, un dispositif de prévention et de médiation s’institutionnalise dans le collège, véritable construit des acteurs de terrain. Peu à peu l’accompagnement de l’implantation et du développement de l’innovation, par les intervenants externes, se fait de plus en plus discret pour finalement cessé au bout de quatre ans.