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Pour tenter de comprendre pourquoi les filles sont encore si peu nombreuses (1) dans les classes préparatoires scientifiques de type maths - physique (MP) et physique - chimie (PC) (2), il nous est apparu nécessaire d'étudier les choix d'orientation post-baccalauréat des filles en terminale scientifique (3) en les comparant à ceux des garçons afin de saisir pourquoi les filles dotées globalement d'un meilleur bagage scolaire que leurs homologues masculins, se détournaient encore largement de cette filière d'excellence et de prestige et quelles sont leurs motivations pour les autres filières.
En effet, les filles ont un taux de réussite au baccalauréat scientifique (bac S depuis 1995) de plus en plus élevé et toujours supérieur à celui des garçons. (4)
De plus, entre 1985 et 1998, le nombre de filles en terminale scientifique a plus que quadruplé (5) et leur représentation dans l'effectif global des élèves est passée de 33,7 % à 41,7 %, soit une croissance de 8 %.
Par contre, on constate que 16 % des garçons détenteurs d'un bac S en 1998 se sont engagés en classe de mathématiques supérieures MP et PC contre seulement 7 % de filles détentrices du même bac. (6)
Pourquoi les filles possédant un bac scientifique sont donc plus de deux fois moins nombreuses que les garçons (possédant le même bac) à s'engager en classe de mathématiques supérieures MP et PC ?
En 1998-99 : les filles ne représentaient encore que 23 % des étudiants dans cette filière.
Depuis la réforme des classes préparatoires scientifiques en 1995, la classe de mathématiques supérieures a 3 filières et se dénomment au premier trimestre : MPSI (maths - physique - sciences de l'ingénieur), PCSI (physique - chimie - sciences de l'ingénieur) et PTSI (physique - technologie - sciences de l'ingénieur). A partir du deuxième trimestre, chacune de ces 3 filières se dédoublent : MP et MP option PSI, PC et PC option PSI, PT et PT option PSI. Pour plus de commodités, nous appelons la filière à dominante maths - physique, MP et celle à dominante physique - chimie, PC. Dans nos recherches, nous n'avons pas étudié la filière PT.
La quasi-totalité des entrant(e)s en classe de mathématiques supérieures MP et PC possède un Bac S.
En 1985 : le taux de réussite des filles au bac C était de 78,3 % ; des garçons, 71,5 %.
En 1998 : le taux de réussite des filles au bac S était de 82 % ; des garçons, 76, 9 % (toutes spécialités confondues) ; pour la spécialité mathématiques : 86,7 % pour les filles et 82,2 % pour les garçons ; pour la spécialité physique : 82,7 % pour les filles et 77,7 % pour les garçons.
(France métropolitaine et DOM - DPD)
(5) Le nombre de filles a été multiplié par 4,6 ; celui des garçons par 3,3.
En 1985 : 14998 filles et 29406 garçons étaient en terminale C ; 69290 filles et 96872 garçons étaient en terminale S en 1998. (France métropolitaine - Public et privé - DPD)
(6) Le pourcentage de bachelières C (puis S) entrant en classe de mathématiques supérieures maths - physique (puis MP et PC) a toujours été inférieur à celui des garçons. Par exemple, en 1993, c'était le cas de 11 % de filles et de 21,8 % de garçons. (France métropolitaine - Public et privé - DPD)
Pour tenter de répondre à cette question, deux enquêtes par questionnaire ont été menées au cours de l'année 1995/96 :
- une auprès d'élèves de 4 classes de terminale S de 4 lycées d'Ile de France (126 élèves) (7)
- une auprès d'élèves de 8 lycées dont 5 en Province et 3 à Paris (près de 600 questionnaires au total) (8).
Ces 2 enquêtes par questionnaire ont été complétées par des entretiens semi-directifs avec des élèves volontaires (pour la première recherche : 22 soit 10 filles et 12 garçons ; pour la seconde : 175 soit 123 filles et 52 garçons).
Principaux résultats
Nous avons relevé tout d'abord que les filles ne se sont pas dirigées dans " le même état d'esprit " que les garçons : certaines différences par rapport aux raisons évoquées quant à leurs choix d'orientation ont fait apparaître que les filles se sont plus engagées dans cette filière que leurs homologues masculins pour se laisser toutes les portes ouvertes vers l'enseignement supérieur alors que les garçons ont plus fait ce choix pour se spécialiser dans la voie scientifique.
Nous avons noté également des choix et des attitudes différentes entre les élèves des deux sexes.
Nous avons observé effectivement que les filles étaient plus nombreuses que les garçons à avoir opté pour la spécialité Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) ce qui réduisait considérablement leurs possibilités d'intégrer après leur baccalauréat une classe de mathématiques supérieures MP ou PC (les textes officiels prévoient que tous les bachelier(e)s S peuvent être accueilli(e)s dans ce type de classe préparatoire mais dans la réalité, on sait que cette filière privilégie les spécialités mathématiques et physique -chimie du bac S). Les filles étaient aussi en proportion plus importante comparativement à leurs homologues masculins à regretter de s'être orientées en terminale S, ce qui laisse supposer qu'elles seront plus nombreuses qu'eux à ne pas poursuivre dans la voie scientifique.
(7) Cette enquête a été menée par C. Fontanini dans le cadre de sa thèse : " Les filles face aux classes de mathématiques supérieures et spéciales : Analyse des déterminants des choix d'une filière considérée comme atypique à leur sexe ". Thèse de Doctorat en Sciences de l'Education - Université de Bourgogne - février 1999 - 472 pages
(8) Cette recherche a été conduite par J. Fontaine et D. Ohana, membres du LABREC (Laboratoire de Recherche d'Ethno-Education Comparée) de l'Université Rennes 2 Haute-Bretagne.
On a constaté également que les filles s'auto-évaluaient plus sévèrement que leurs condisciples masculins dans toutes les disciplines (sauf en philosophie). Ce résultat est conforme à des observations faites sur des échantillons plus conséquents (par exemple, M. Duru Bellat - 1994; C. Marro - 1995).
Cette vision moins affirmée de leurs propres compétences a vraisemblablement eu un impact sur leurs choix d'orientation post-baccalauréat car comment intégrer une filière scientifique et de surcroît difficile et compétitive si on ne s'estime pas très bonne au moins dans les disciplines scientifiques ? Cette sous-estimation des filles a pu entraîner en outre les enseignants à ne pas les encourager dans une voie où elles auraient justement besoin d'avoir confiance en elles. On a remarqué que les filles appréciaient moins la physique que leurs homologues masculins. Ce moindre intérêt pour la physique chez les filles a déjà été mentionné notamment par M. Desplats (1989) et C. Terlon (1990).
Ce manque de " goût " pour cette discipline ne favorise évidemment pas une orientation vers une classe de mathématiques supérieures MP et PC puisque la physique est une des matières les plus importantes de cette formation (en terme de temps consacré en cours et en terme de coefficient aux concours). Nous avons relevé des différences de choix d'orientation post-baccalauréat entre les élèves des deux sexe : les filles sont plus attirées par l'université et les écoles paramédicales et sociales que leurs homologues masculins, ceux-ci désirant plus aller en IUT/STS, en CPGE, en écoles de commerce et dans les préparations intégrées aux écoles d'ingénieurs. Par rapport aux filières convoitées par les élèves à l'université, les filles veulent plus se diriger vers la médecine et la pharmacie que les garçons mais moins qu'eux vers les STAPS, les sciences et l'économie. les filles sont d'une part en quantité moindre par rapport aux garçons à projeter d'intégrer une classe préparatoire et lorsque celles-ci envisagent cette filière, elles sont moins nombreuses que leurs homologues masculins à avoir pour projet d'aller en classe de mathématiques supérieures MP et PC.
Enfin, nous avons observé que les choix d'études supérieures des élèves des deux sexes s'étaient faits principalement en référence aux stéréotypes sociaux et en fonction des professions occupées plutôt par les femmes et par les hommes. Nous soulignons au passage que la profession d'ingénieur était considérée comme plutôt masculine autant par les filles que par les garçons.
(7) Cette enquête a été menée par C. Fontanini dans le cadre de sa thèse : " Les filles face aux classes de mathématiques supérieures et spéciales : Analyse des déterminants des choix d'une filière considérée comme atypique à leur sexe ". Thèse de Doctorat en Sciences de l'Education - Université de Bourgogne - février 1999 - 472 pages
(8) Cette recherche a été conduite par J. Fontaine et D. Ohana, membres du LABREC (Laboratoire de Recherche d'Ethno-Education Comparée) de l'Université Rennes 2 Haute-Bretagne.
Conclusion
Les résultats convergents de ces deux recherches nous aident à comprendre pourquoi peu de filles titulaires d'un baccalauréat scientifique s'engagent en classe de mathématiques supérieures MP et PC. Il apparaît en effet que c'est une succession d'attitudes, de projections et de choix différents entre les filles et les garçons qui génère des orientations dissemblables d'études post-baccalauréat et ensuite professionnelles.
Plusieurs sociologues de l'éducation ont déjà montré les mécanismes d'auto-sélection des filles vers les filières scientifiques au lycée qui s'inscrivent dans un contexte social peu ouvert à un changement des rapports sociaux de sexe. Il semble donc que la plupart des filles est confrontée à un moment ou à un autre de leur cursus scolaire à des processus d'auto-sélection vis-à-vis des études scientifiques et sélectives.
Malgré la mixité officielle de toutes les formations d'enseignement supérieur depuis plus d'une vingtaine d'années, les filles ne représentent encore actuellement que 23,24 % des étudiants en classes préparatoires scientifiques maths-physique.
Elles constituent pourtant environ 41 % de l'effectif global en terminale scientifique. En outre, les filles ont à la fois un taux de réussite au baccalauréat scientifique et des mentions supérieures à ceux des garçons.
Cependant, 25,2 % de garçons contre 12,9 % de filles, détenteurs d'un Bac S en 1995, se sont engagés en classes préparatoires scientifiques maths-physique.
Comment comprendre cette déperdition des filles au moment de l'entrée en classes préparatoires scientifiques maths-physique alors qu'elles sont souvent dotées d'un meilleur bagage scolaire que les garçons ? Quelles autres filières intègrent-elles et pourquoi ?
Pour tenter de répondre à ces questions, il nous est apparu nécessaire d'étudier d'une part, les raisons qui ont poussées les filles et les garçons vers cette filière scientifique au lycée et d'autre part, de connaître un peu mieux le profil et les motivations des filles qui pourraient se diriger en classes préparatoires scientifiques maths-physique et qui ne le font pas ou du moins qui le font moins que leurs homologues masculins.
Pour mener cette recherche, nous avons réalisé une enquête par questionnaire (semi-directif), courant janvier 1996, auprès d'élèves de 4 classes de terminales scientifiques de 4 lycées de la région parisienne ; cette enquête ayant été complétée par des entretiens semi-directifs réalisés auprès d'élèves volontaires.
L'analyse des résultats de notre enquête a montré que la faible orientation des bachelières scientifiques vers les classes préparatoires scientifiques maths-physique est liée à une succession d'attitudes, de projections et de choix différents entre les élèves des deux sexes en terminale S, associés aux rapports sociaux de sexe actuels.
Mots-clés : mixité - orientation - filles et sciences
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