Mieux s'orienter au lycée pour préparer l'après-bac
  Plusieurs enquêtes et rapports mettent en avant les difficultés rencontrées par les étudiants dans leur premier cycle universitaire, ou encore les propos de jeunes sur le fait qu'ils auraient préféré être "mieux orientés" ou encore, et c'est le cas chez les élèves de baccalauréats technologiques ou professionnels, accéder plus vite à la "bonne" filière, notamment à un BTS ou un DUT.
  Par ailleurs beaucoup d'enseignants se posent des questions sur le sens de ce qu'ils enseignent. Certains évoquent comme un "décalage" entre ce qu'ils professent et pratiquent quotidiennement et les contextes des environnements économiques et sociaux.
  Certes l'école a un rôle éminemment éducatif et ne peut voir ses buts se réduire aux seules valeurs et de l'économie et des attentes des entreprises. Pourtant, le droit à l'éducation inscrit dans la loi de 1989 inclut en troisième priorité celui "à s'insérer dans la vie sociale et professionnelle". L'article 8 développe ce concept en terme de droit au conseil en orientation et à l'information sur les enseignements et les professions, notamment à travers une aide à l'élaboration du projet d'orientation.
  Il n'est pas de démarche sans méthode. Celle-ci peut prendre l'aspect d'un pilotage linéaire dirigé par des structures et des instances externes : il s'agit dans ce cas d'orienter. Mais les attentes sociales vont davantage aujourd'hui vers une idée d'acquisition de méthodes personnelles d'orientation, c'est-à-dire davantage dans le sens d'un appel à l'éducation de l'autonomie que vers celle d'instruction. Les nouvelles donnes de la carrière professionnelle ou encore des conditions d'organisation de travail dans les entreprises ne sont pas étrangères à cette demande sociale qui est aussi celle fixée par la loi, d'éducation, de conseil et d'accompagnement.
  Le dispositif de la recherche- action et les effets observés
  Conscient de ces changements, le proviseur du lycée René Gosse de Clermont l'Hérault inscrit à la rentrée 95 à l'emploi du temps de toutes les classes de seconde et de leurs professeurs principaux, une heure dite " vie scolaire -orientation ". Mais les enseignants se trouve vite désemparés face à ce temps libéré. Ils demandent une formation.
  La MAFPEN de Montpellier apporte en Octobre 1996 une réponse formation qui se transforme en quelques mois en recherche-action, touchant sur trois ans l'ensemble des élèves (600) et plus de la moitié des personnels toutes catégories confondues.
  Le dispositif mis en place repose sur quatre piliers : un double pilotage clairement identifié ; une formation et un suivi- accompagnement centrés sur les personnes, la constitution de binÙmes1 pour animer les activités avec les élèves, et l'élaboration interactive d'une méthode.
* Le pilotage
  L'équipe de direction choisit les animateurs (professeurs principaux et binômes), contractualise avec eux le dispositif (rémunérations), planifie le cadre organisationnel (emplois du temps) gère la communication interne et les tensions éventuelles, (personnels non impliqués dans l'action, conseil d'administration, parents ...) et la communication externe (rectorat, administration centrale, région, entreprises, médias...).
  Les formateurs MAFPEN garantissent le cadre théorique et la méthode de travail. Ils créent les conditions de mise en synergie des personnes et régulent les affects. Ils créent également des conditions favorables à la production d'idées originales. Enfin, ils écrivent les séances support des activités proposées aux élèves.
* La formation et le suivi- accompagnement
  Centrée sur les personnes, la formation permet à chacun de mieux prendre conscience de son parcours personnel et professionnel, de ses représentations et de ses attitudes. Elle invite également chacun à élargir ses connaissances : psychologie, sociologie, évolution des organisations du travail... et à entrer en relation avec les autres par-delà les rôles sociaux. De plus la formation met le groupe en situation de s'approprier un vocabulaire et un langage communs et des techniques de communication facilitant les échanges de points de vue nécessaires à la conduite de l'action.
  Le suivi- accompagnement poursuit les mêmes objectifs et permet en outre au groupe, à travers l'analyse partagée des activités réalisées par les binômes en classe, de se construire peu à peu en équipe autour d'une tâche commune.
* Le travail en binôme favorise l'émergence d'une culture commune
  La démarche appartient à tout l'établissement et le questionne : car autour des séances le lycée change. Des enseignants développent en cours des pratiques réflexives. Ils proposent plus souvent des travaux en petit groupes. Co-animant les séances avec d'autres enseignants ou d'autres membres de la communauté éducative et donc se voyant mutuellement travailler, ils prennent l'habitude de se coordonner et se constituent plus volontiers en équipes vis-à-vis d'autres activités.
* Les élèves développent de nouvelles compétences
  Dans ce lycée situé en zone rurale, les élèves restent très liés à leur famille. Ils ont peu d'expérience, que ce soit au niveau scolaire ou au niveau des relations sociales. Ils sont douillets, peu autonomes et vite découragés.
  Dans un contexte de démocratisation de l'accès aux études, l'orientation est un processus de plus en plus difficile à maîtriser pour des familles qui ne disposent pas des références culturelles nécessaires, les parents n'ayant pas fait eux-mêmes l'expérience d'études prolongées.
  Il faut donc aider les élèves à acquérir des outils de réflexion, de communication et d'action : mieux se connaître, mieux évaluer leurs compétences, mieux s'informer pour mieux choisir.
  Le choix est fait d'éviter tout élitisme et de s'adresser à l'ensemble des élèves. Pas de classe-pilote, car il n'y aurait pas de critères de choix pertinents pour les constituer. Il faut mener cette activité dans le cadre du groupe-classe et sur l'ensemble des niveaux de l'établissement. A terme, une majorité d'élèves doit savoir que l'information existe et où elle se trouve.
  Le premier effet concerne les relations entre élèves. Mis en confiance, certains élèves manifestent rapidement leur volonté de communiquer. D'autres, muets en situation de classe ordinaire, osent prendre la parole, et acquièrent progressivement de l'aisance à l'oral. Pouvoir dire "JE", parler en son propre nom, débattre sur les idées et non par conflit de personnes permet d'avancer vers une meilleure qualité d'écoute et de parole. C'est ainsi que les relations entre élèves s'améliorent et que des cas de tensions et de conflits trouvent leur solution. Comme le dit un élève :"cela renforce l'amitié dans la classe".
  Les relations inter personnelles s'améliorent aussi considérablement entre élèves et adultes : "On a vu les profs sous un autre angle", "Les profs sont des adultes de tous les jours". D'autres membres de l'équipe se voient reconnus un rôle éducatif par les élèves "Mon étiquette de conseillère principale d'Èducation est tombée très vite" ou pour la documentaliste : "ils ont découvert que j'étais enseignante".
  Les relations de confiance qui se sont instituées permettent à chacun de s'exprimer plus librement, y compris lors d'événements institutionnels comme les conseils de classe. Les élèves ont de plus en plus tendance à demander pourquoi telle décision a été prise, à vouloir comprendre les raisons de certains choix pédagogiques. Questionnement que tous les enseignants n'accueillent pas toujours avec sérénité, mais qui fait progresser le niveau de conscience de l'ensemble de la communauté scolaire.
  Les élèves utilisent mieux le CDI dont la fréquentation a considérablement augmenté. "Ils ont acquis des méthodes de recherche" transférables puisqu'ils paraissent posséder "plus d'autonomie et plus d'aisance dans d'autres types de recherche aussi".
  En sortant du Lycée (interviews en seconde, stages en première), en y accueillant l'extérieur (intervenants en seconde, première et terminale) les élèves ont aiguisé leur curiosité vis-à-vis du monde du travail.
  Ainsi, le stage-enquête en première est essentiel pour la "découverte du monde du travail", c'est une "ouverture vers l'univers du possible". "Le stage de trois jours pour moi a été très positif et très révélateur".
  Les conseillers d'orientation voient leur rôle renforcé. Ils peuvent intervenir en tant qu'experts sur un terrain déjà préparé par l'activité d'éducation à l'orientation en classe. Les élèves sont informés, motivés, ont des questions à poser. Le conseil donné atteint mieux son objectif et connaît une diffusion plus large.
  Orientation-Lycée2 : une méthode d'orientation active
  La méthode qui s'élabore ainsi pendant trois ans s'inscrit dans le cadre institutionnel de l'éducation à l'orientation et dans le courant théorique de la l'approche expérientielle et éducative en orientation. Elle doit beaucoup à l'ADVP (Activation du Développement Vocationnel et Personnel), à la psychologie humaniste, aux recherches récentes sur l'évolution du travail et du système social et à l'expérience personnelle de ses auteurs.
  Vingt-sept séances de 50' sur trois ans3, mobilisent le groupe-classe avec un binôme d'animateurs autour d'expériences à vivre de type coopératif. Les élèves accompagnés, apprennent ensemble à rechercher des informations sur les métiers et les formations au CDI, dans les médias, dans les entreprises ; à enquêter; à débattre; à communiquer. Ils apprennent à se connaître dans l'action et à faire des projets collectifs et personnels.
  Essaimer, à quelles conditions ?
  Produire ensemble est une aventure particulière qui dynamise les personnes. Avant de proposer la méthode à un plus vaste public, il paraissait donc indispensable de la tester dans un autre contexte.
  C'est dans le cadre du bassin de formation du Gard-Rodhanien que les établissements scolaires du second degré et le Centre d'Information et d'Orientation ont décidé de mener et de soutenir des actions communes d'éducation à l'orientation. Depuis septembre 1999 quatre collèges sur six ainsi que toutes les classes de seconde d'un des deux lycées sont concernés. Le choix d'Orientation-Lycée correspondait à la nécessité d'entrer dans une conception nouvelle de l'orientation dans cet établissement. Un plan de formation a été négocié avec l'I.U.F.M. pour permettre la coordination des sept équipes volontaires dans l'expérimentation de la méthode Orientation-Lycée. Le rôle du bassin est alors de déterminer les moyens techniques et pédagogiques nécessaires, de légitimer les démarches nouvelles résultant d'une politique commune et de favoriser l'essaimage de l'expérience menée en seconde vers les autres niveaux et les autres établissements qui souhaitent s'engager.
  De plus une évaluation menée en parallèle doit permettre de percevoir les effets objectifs de l'opération. Les premières observations devraient être communiquées en fin d'année scolaire pour permettre la préparation de l'action sur l'année 2000-2001.
  Les premiers résultats
  D'ores et déjà il est évident que les relations élèves-professeurs ont évolué. C'est déjà un effet ressenti par les membres de la communauté éducative. Des animateurs témoignent de ce changement et surtout du fait qu'il influe leur façon d'enseigner et de communiquer. Le travail en binôme a permis à des professeurs que rien ne rapproche de trouver un intérêt commun et de partager des expériences éducatives qui sont pour beaucoup leurs premières activités pédagogiques transversales. Au C.I.O., les élèves de seconde fonctionnent de façon plus autonome : par rapport à l'année précédente trois fois plus de consultation auto-documentaire en quatre mois. Mais en même temps dans le cadre des entretiens avec les conseillers d'orientation psychologue la demande est plus exigeante et plus précise. Pour les quatre conseillers du C.I.O. il s'agit d'un véritable recentrage de leur métier sur une activité de psychologue au sein de l'équipe éducative. Si elles nous satisfont déjà ces premières observations devront être affinées pour permettre une évaluation la plus objective possible de l'opération. Notre objectif reste de faire vivre des activités et non de faire consommer de l'activité.
  Orientation-Lycée s'appuie sur ces nouveaux aspects de pilotage : communication, créativité, transversalité, travail d'équipe, démarche expérientielle. Il convient donc de doter chaque élève d'une méthode de "navigation" entre les ressources institutionnelles qui peuvent faciliter son parcours. Il convient également de doter les enseignants, habitués aux modèles scolaires, de cette même démarche. C'est pourquoi Orientation-Lycée s'adresse autant aux acteurs de l'orientation adultes qu'aux élèves. C'est sans doute là la raison de son succès.
1 Les binômes sont constitués du professeur principal de la classe et d'un autre membre de la communauté éducative : enseignant, conseiller d'orientation- psychologue, documentaliste, conseiller principal d'éducation, infirmière, ...
2 La publication d'Orientation-Lycée , méthode d'orientation active est prévue en Mars 2000 chez L'Harmattan
3 11 séances en seconde - 7 séances en première - 9 séances en terminale et des ateliers de techniques de recherche d'emploi facultatif en première et en terminale.