Le travail que je présente aujourd'hui vise à donner un éclairage de la notion d'isomorphie en formation d'adultes et en particulier d'enseignants. Il s'agit de donner une vision la plus synthétique possible d'une thèse qui a été soutenue en 1999.
1- Point de départ
  Il m'apparaît essentiel de souligner avant tout que c'est à partir d'un questionnement impliqué que mon travail s'est élaboré, comme travail sur la distanciation.
  Ainsi c'est la perception et le vécu d'un paradoxe qui est à l'origine de ce travail. Je m'explique : Une impression s'est imposée à moi lors de mon vécu de la formation de professeurs des écoles dans une antenne d'un Institut Universitaire de Formation des Maîtres, en tant qu'étudiante de 1ère année puis professeur stagiaire de 2ème année. J'avais l'impression de vivre des situations identiques à celles rencontrées à l'école en tant qu'élève/enfant alors que le discours officiel m'avait amenée à penser trouver des situations professionnalisantes adressées à des adultes. Cette impression m'a d'autant plus frappée que j'avais eu un vécu professionnel antérieur, et un parcours en formation d'adultes, ce qui n'est certainement pas neutre, et me situe dans une posture différente de celle d'un étudiant en formation initiale. Je me trouve donc confrontée au vécu d'une analogie entre l'I.U.F.M. et l'école, une isomorphie. Je me trouve confrontée aussi à un vécu d'infantilisation alors que j'ai une attente de professionnalisation inscrite dans un univers d'adultes professionnels.
  Ainsi étaient posées les prémisses d'un questionnement qui m'a amenée à expliciter, approfondir puis analyser l'isomorphie. Les sentiments d'isomorphie et d'infantilisation, que je vivais comme associés, ont, de plus déterminé mon champ théorique de référence. Il ne pouvait s'agir, en effet, que du champ de la psychanalyse et en particulier celui de la psychanalyse des groupes, puisque les phénomènes étudiés mettaient en oeuvre des mécanismes de régression et posaient le problème d'un fantasme possible.
  Cela met aussi en évidence un point de vue spécifique, celui d'un sujet en formation, point de vue qui va alors être distancé par des méthodes diversifiées.
2- Un concepts et ses corollaires
  Qu'en est-il donc de l'isomorphie dans le champ de la psychanalyse des groupes ? Car il faut, pour bien saisir mon objet d'étude s'attarder sur ce concept.
  Le concept d'isomorphie (R. KAES, 1976, 1993) a deux points d'appui : la dimension fantasmatique qui amène l'individu en formation dans une position d'enfant et la notion d'appareil psychique groupal par rapport à l'appareil psychique individuel.
  L'isomorphie correspond alors à l'identification de l'espace psychique individuel à l'espace psychique groupal dans une fusion imaginaire des appareils psychiques individuels dans l'appareil psychique groupal.
  Ainsi en formation de PE et dans la recherche, l'isomorphie désigne l'ensemble des phénomènes qui amène l'adulte en formation à être à la place de l'enfant et ceci du point de vue du ressenti, du vécu et des situations qui lui sont proposées, c'est-à-dire les phénomènes qui font prévaloir l'identité des perceptions, représentations et affects de telle sorte qu'il y a cooencidence, ce qui provoque assujettissement et auto-assujetissement. Nous retrouvons l'isomorphie ressentie au départ, c'est à dire morphes identiques entre la formation et l'apprentissage à l'école primaire et position identique entre l'adulte/stagiaire à l'I.U.F.M. et l'enfant/élève à l'école ; l'infantilisation se trouve ainsi expliquée.
  Un autre concept, corollaire, lui est adjoint : celui d'homomorphie.
  R.KAES effectue, en effet, une distinction entre isomorphie et homomorphie. Le concept d'homomorphie désigne, par opposition et complémentarité avec l'isomorphie, le maintien d'un écart entre l'espace psychique individuel et l'espace psychique groupal, " la différenciation des deux types d'appareils".
  Ainsi l'homomorphie dans la recherche désigne l'ensemble des phénomènes qui amène le PE en formation à prendre momentanément la place de l'enfant mais en gardant sa position d'observateur, c'est-à-dire l'ensemble des phénomènes qui font prévaloir la différenciation des processus, des significations de telle sorte qu'il y a distanciation, espaces ouverts où les processus sont explicités. Ce qui est visé est le désassujettissement.
  Je dirai alors que l'homomorphie correspond à des morphes identiques mais à une position d'adulte maintenue.
  La tension dialectique qui doit exister entre isomorphie et homomorphie est apparue de plus un phénomène essentiel. J'ai donc été amenée à formaliser cette dialectique sous la dénomination de concept d'iso-homomorphie, ceci pour donner une existence matérialisée théoriquement à cet aller et retour nécessaire et fondamental entre isomorphie et homomorphie.
  Pour éclaircir la dynamique qui va alors se mettre en place entre l'isomorphie, l'infantilisation, l'homomorphie et l'iso-homomorphie, ces quatre concepts centraux de la recherche, je propose une schématisation sous forme de balance.
  L'infantilisation agit au niveau de l'isomorphie et de l'homomorphie, de même que l'iso-homomorphie. Infantilisation et iso-homomorphie agissent comme une contre balance, l'une compensant l'autre. Les effets identification et différenciation sont sur les plateaux de la balance ainsi que leurs résultats respectifs : enfermement et liberté. Si l'isomorphie et l'homomorphie sont sensiblement équivalentes, et si la dynamique entre les deux est maintenue à l'équilibre par une iso-homomorphie active, l'action de l'infantilisation est contenue et ne sera pas vécue fortement. Les pôles isomorphie et homomorphie entraîneront respectivement l'identification et la différenciation nécessaires et suffisantes dans la formation.
  Un déséquilibre dû à des forces excessive ou insuffisante modifiera les effets de la formation. Si l'iso-homomorphie diminue, la masse de l'infantilisation fait pencher la balance vers l'identification.
Au contraire, si l'iso-homomorphie augmente, sa masse fait pencher la balance vers la différenciation et ainsi vers la liberté.
  Et ceci signifie que l'impact de ces concepts dépasse la simple situation vécue pour s'étendre à la constitution de l'identité du groupe en construction.
3- Du questionnement à la problématique . Méthodes en contrepoint et champs
  A partir de cela, j'ai donc cherché à analyser comment l'isomorphie que j'ai vécue était mise en oeuvre dans la formation concernée.
  Quelles en étaient les composantes en un lieu donné dans un temps donné : un I.U.F.M., dans une antenne particulière, durant les années 1993 à 1997, c'est-à-dire à partir de la première année de formation PE dans cette antenne. J'ai ainsi tenté d'en comprendre les mécanismes et l'utilisation, mais aussi d'en dégager l'impact sur la professionnalisation, la professionnalité et l'identité professionnelle de l'enseignant. J'ai, ensuite, choisi d'en dégager des pistes de réflexion, des constantes quant à une mise en œuvre de l'isomorphie comme démarche d'une formation " professionnalisante" d'enseignant.
  Cela signifiait donc des niveaux différents d'analyse, niveaux me fournissant les éléments expérientiels, théoriques, institutionnels, éléments nécessaires, pour trouver d'une part des réponses, et d'autre part des pistes possibles pour l'élaboration de propositions quant à une pratique de l'isomorphie en formation d'enseignant.
  Pour ce faire, la démarche de recherche s'est organisée en cinq niveaux d'analyses issues d'approches plurielles, en particulier la psychanalyse des groupes et de la psychologie sociale.
  Ainsi, le premier de ces niveaux, point de départ et pré-enquête dans l'enquête exploratoire, est l'expérience et histoire de vie, celle de l'auteur en formation, la première année de la mise en application de la réforme I.U.F.M. dans une antenne I.U.F.M.. Cette histoire de vie a pris en compte la première année de préparation et l'année post-concours (1993-1995). Plusieurs aspects y ont été abordés : journal personnel analysé et distancié (G. DEVEREUX, 1980 ; M. CIFALI, 1995), documents et discours de formation traités thématiquement, analyse spatiale (et temporelle) comparée de l'antenne d'Agen et d'écoles primaires (G. FISCHER, 1992).
  Le deuxième niveau, étape suivante de l'enquête exploratoire, est un état de la question dans le champ scientifique (R. KAES, 1976, 1993).
  Le troisième niveau, nouvelle étape de l'enquête exploratoire, concerne les textes officiels, cette littérature grise, et le discours des acteurs institutionnels.
  Le quatrième niveau, dernière étape de l'enquête exploratoire, analyse les propositions faites quant à la formation des enseignants par la communauté scientifique en particulier entre 1992 et 1998 (Ph. MEIRIEU, 1992 ; M. DEVELAY, 1994 ; M. ALTET, 1998 ; M. TARDIF, Cl. LESSARD et Cl. GAUTHIER, 1998).
  Arrêtons-nous un instant à ce niveau. Il y a référence à l'isomorphie qui est alors postulée comme moyen de construire l'identité de ce nouveau groupe professionnel " les professeurs des écoles ". D'autres concepts se trouvent alors convoqués et à prendre en compte. Il s'agit bien des concepts de professionnalité et d'identité professionnelle.
  Ainsi, l'isomorphie agit, et de manière déterminante, sur la construction de l'identité professionnelle et de la professionnalité. Je vais reprendre la schématisation précédente pour la compléter par l'effet sur la professionnalité. La dynamique des 4 concepts va ainsi orienter la professionnalité vers l'innovation si l'iso-homomorphie est forte, vers la reproduction si celle-ci est faible.
  Revenons maintenant à nos niveaux d'analyse. Les 4 niveaux déjà cités nécessitaient et réclamaient des démarches et des méthodologies différentes, mais d'ordre qualitatif. Il convenait alors de s'interroger sur le quantitatif et de mettre en regard, en dialectique, le qualitatif avec le quantitatif, pour mettre en oeuvre une pratique interagie de la recherche et de l'action.
  C'est le cinquième niveau, l'enquête principale, une enquête de " terrain " par questionnaires et entretiens auprès des trois acteurs directs de la formation : une promotion entière de PE2 en fin de formation, leurs maîtres formateurs et leurs enseignants titulaires de l'I.U.F.M. en mai-juin 1997.
4- Résultats et pistes
  Il me semble important maintenant de souligner que cette isomorphie, que j'ai dû " traquer " car elle est très rarement abordée, joue un rôle qui est loin d'être négligeable dans la formation de l'enseignant et pas seulement du PE. C'est un concept (avec ses corollaires) au centre du déclenchement de processus clefs de la construction de la professionnalité et de l'identité professionnelle de l'enseignant. Il me paraît essentiel que ces processus, qui se trouvent être dans une articulation entre la théorie et la pratique, ne soient pas livrés au hasard et à l'inconscient - et surtout pas dans le cas d'une volonté officielle de professionnalisation et de constitution d'une profession enseignante comme c'est le cas actuellement.
  Il apparaît, en effet, quand on observe l'isomorphisme sur un " terrain " donné et que l'on compare avec le modèle isomorphique proposé par la communauté scientifique, qu'il n'y a pas correspondance. L'isomorphie rencontrée sur un " terrain " est une isomorphie survivance du passé, et qui est active, mais sans ses corollaires essentiels. En effet, le modèle mis en place dans la formation étudiée ne prend en compte que certains processus en particulier l'isomorphie, mais néglige les autres processus essentiels, ceux que j'ai mis à jour et dont j'ai montré l'effet en élargissant ma schématisation à la professionnalité et à l'identité professionnelle. Et ces processus absents sont l'homomorphie et l'iso-homomorphie. Car c'est bien l'absence d'iso-homomorphie et d'homomorphie qui pose problème dans le cas d'isomorphisme. Or, en fonction des objectifs (officiels) qui sont donnés à la formation, il me semble qu'il est possible de mettre en oeuvre l'isomorphie dans une formation professionnalisante d'enseignant, si, rappelons-le, elle est associée à ses autres processus corollaires essentiels.
5- Conclusion
  Les résultats de cette recherche montrent que l'isomorphie est utilisée comme démarche de formation et qu'elle joue un rôle très important dans la construction de la " professionnalité" et de " l'identité professionnelle " de l'enseignant qu'est le professeur des écoles. L'isomorphie isolée de ses corollaires se trouve, en fait, un aspect nodal d'une reproduction des pratiques et donc d'une sclérose.
  Il apparaît alors essentiel de prendre en compte ces processus dans une pratique de formation et il me semble nécessaire, dans le cas d'une utilisation d'isomorphisme, d'être sensible à ce phénomène et de s'orienter vers les processus, l'iso-homomorphie et l'homomorphie, qui permettent ce que l'on attend. De plus, dans un enseignement destiné à des formateurs, il faudrait arriver à construire avec eux l'appréhension de ces processus, c'est-à-dire tenir compte de ces résultats de recherche, et les adapter à des situations de formation de telle façon que soit prise en compte une liaison entre le champ de la recherche et celui de la formation. Car il faut bien, et c'est cela qui est intéressant, que ce soit traduisible dans un enseignement qui vise à développer le " comment faire ? " et ceci dans toutes les strates de la formation.
  REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ESSENTIELLES
  ALTET, M., (1998), Quelle formation professionnalisante pour développer les compétences de " l'enseignant-professionnel et une culture professionnelle d'acteur ? " in TARDIF, M., LESSARD, Cl., GAUTHIER, Cl., Formation des maîtres et contextes sociaux. Paris, P.U.F., pp 71-86.
  CIFALI, M., (1995), J'écris le quotidien. Les Cahiers pédagogiques, 331, 56-58.
  DEVELAY, M., (1994), Peut-on former des enseignants ? Paris, ESF.
  DEVEREUX, G., (1980), De l'angoisse à la méthode. Paris, Flammarion.
  FISHER, N. G., (1992), Psychologie sociale de l'environnement. Toulouse, Privat, St Laurent Bo-pré.
  KAES, R., (1976), L'appareil psychique groupal. Paris, Dunod.
  KAES, R., (1993), Le groupe et le sujet du groupe. Paris, Dunod.
  MEIRIEU, Ph., DEVELAY, M., (1992), Emile reviens vite, ils sont devenus fous ! Paris, E.S.F.
  TARDIF, M., LESSARD, Cl., GAUTHIER, Cl., (1998), Formation des maîtres et contextes sociaux. Paris, P.U.F.