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Les apports de l'université à la logique compétence. L'exemple des formations en travail social

Auteur(s) : DUGUÉ Élisabeth

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bull2.gif (117 octets)   On voudrait, à partir de l’exemple du travail social, réfléchir sur le rôle des appareils de formation, et particulièrement de l’Université, dans la structuration (ou la déstructuration) des métiers et qualifications. On s’appuiera essentiellement sur une étude récente portant sur les formations supérieures en travail social.
bull2.gif (117 octets)  Depuis les années 80, le travail social est confronté à un ensemble de transformations qui ont fait l’objet de multiples analyses. La situation est si complexe qu’on ne tentera même pas de résumer les différents phénomènes qui se conjuguent pour bouleverser ce champ professionnel et qu’on renverra aux textes compétents. L’une des conséquences de ces bouleversements est l’existence deux sous-ensembles de professionnels, organisés selon des principes bien différents.
bull2.gif (117 octets)  Les métiers traditionnels du travail social "repéré " sont placés sous la responsabilité de la Direction de l'Action Sociale (DAS) qui soutient une politique de qualification des professionnels, dans une perspective de fermeture sociale réservant certains emplois aux titulaires d'un diplôme. Malgré l’éclatement du secteur social (diversité et éparpillement des employeurs, concurrence entre représentation syndicale et représentation professionnelle) et la difficulté à produire un discours légitime, l’action volontariste de l’Etat a contribué à imposer la logique de la qualification dans le champ professionnel. Celle-ci s’est appuyée sur une double opération de codification : codification des postes concrétisée dans la mise en place des conventions collectives, codification des savoirs servant de base à l’élaboration des diplômes professionnels.
bull2.gif (117 octets)  Les fonctions dites de l'intervention sociale, elles, s’appuient sur un ensemble de dispositifs - RMI, plans d’insertion des jeunes, politiques de la ville -. Ces dispositifs, non pérennes, fonctionnent largement sur une base contractuelle, à partir de projets ou d’appels d’offre. Ils dépendent de diverses délégations interministérielles (DIRMI, DIV, DIJJ) jouant un rôle beaucoup moins structurant, et instituent une logique d’emploi moins contrainte que dans le premier ensemble.
bull2.gif (117 octets)  Après une période de confusion dans laquelle les analyses divergentes donnaient lieu à de vifs affrontements, mobilisant chercheurs et professionnels du travail social, il semble qu’on s’achemine vers un constat bien partagé : les activités tenues par les professionnels relevant de ces deux ensembles sont parfois proches ou même similaires, mais la logique d’emploi différencie fondamentalement les deux sous-secteurs. Le premier est organisé dans une logique statutaire s’appuyant sur les qualifications. Les embauches privilégient les titulaires des diplômes professionnels du travail social et instituent une protection des salariés, en application de conventions collectives. Le second sous-secteur est organisé dans une logique non statutaire se référant aux compétences des individus. Les critères de recrutement ne sont pas codifiés et s’appuient moins sur les diplômes, les formes d’emploi sont essentiellement contractuelles.
bull2.gif (117 octets)  L’extension des pratiques d’emploi caractéristiques du secteur de l’intervention à l’ensemble du champ professionnel du social le ferait entrer dans une logique de marché, régie par la loi de l’offre et de la demande et par les flux financiers, et non plus régulée par des procédures collectives. Bien sûr, la prééminence de l’une ou l’autre logique est largement déterminée par les cadres d’emploi. Mais l’articulation entre système de formation et système de travail joue également un rôle.
bull2.gif (117 octets)  En effet, la césure entre ces deux sous-secteurs professionnels est entérinée, et peut être organisée, par la relation largement concurrentielle entre deux systèmes de formation. L'appareil de formation au travail social, piloté par la DAS, vise à l’adéquation qualitative et quantitative entre les formations et les emplois. Les diplômes sont organisés et labellisés par la DAS qui les construit et les modifie en animant les relations institutionnelles avec les représentants des divers acteurs concernés (employeurs, professionnels). La DAS contribue également à réguler l’offre de formation en agréant les centres et en contrôlant le nombre de diplômes délivrés, grâce aux quotas d’étudiants et aux financements. Le Ministère maintient ainsi le double principe d’une cohérence nationale entre les contenus des diplômes délivrés et d’une adéquation quantitative entre offre de formation et offre d’emploi.
bull2.gif (117 octets)  Conjointement avec la montée en charge des dispositifs d’insertion, on constate l’apparition de nouveaux opérateurs de formation qui échappent aux contrôles auxquels est soumis l’appareil de formation au travail social et qui introduisent une logique de marché dans la formation. On ne citera que pour mémoire le développement des petits organismes de formation qui, s’appuyant sur les contrats de qualification, se sont développés dans le domaine de l’aide à domicile. Ils contribuent à entraîner ces fonctions dans une logique de marché que la création du CAFAD (Certificat d’aptitude aux fonctions de l’aide à domicile) tente de limiter.
bull2.gif (117 octets)  L’Université participe, elle aussi, à la montée de la logique non statutaire dans le monde du travail social. L'entrée des formations professionnelles à l'Université ne date pas d'hier : des formations continues, qualifiantes ou non, se sont mises en place à la suite de la loi de 71. Ce mouvement s'est considérablement accru au cours des dernières années, avec la création d'un ensemble de formations initiales, à vocation professionnelle, qui vont actuellement du DESS aux licences professionnelles, en train de se mettre en place. La transformation (quantitative et qualitative) des publics accueillis a changé de fond en comble les fonctionnements et missions de l'Université. Mais ces évolutions s'effectuent sans que la culture de l'autonomie et de l’individualisme ne soit entamée et sans que des régulations ne se mettent vraiment en place au niveau national. Il est, de ce fait, actuellement difficile de déterminer quelle est la politique menée par l'Enseignement Supérieur concernant le secteur professionnel du travail social. Il apparaît plutôt que l'idée même d'une politique en ce domaine est contraire aux modes de fonctionnement de l’Université, archétype des formes “ d’anarchie organisée ”.
bull2.gif (117 octets)  Ce sont essentiellement les initiatives individuelles qui sont mobilisées. En effet, il n'existe pas de structures formalisées ni de moyens techniques mis en œuvre pour penser un cadre adapté aux nouvelles formations, transdisciplinaires et ne devant plus être conçues et évaluées seulement à l'aune des disciplines scientifiques qui structurent l’organisation de l’institution et des carrières.
bull2.gif (117 octets)  Les formations se mettent donc en place sans prendre appui sur une logique d'ensemble. Si la multiplication des diplômes de niveau varié manifeste la vitalité de l'institution et sa capacité à innover, leur éparpillement interdit de les considérer comme un dispositif ayant quelque cohérence. Il devient difficile de percevoir à quel ordre correspond l'empilement des niveaux et des types de diplôme. De même, pour un diplôme donné, la définition réglementaire succincte, ne portant aucunement sur le contenu et ne faisant aucune référence à une cohérence nationale, offre tout latitude pour construire des programmes d'une extrême diversité. La notion de branche professionnelle (qui contribue à structurer l'enseignement secondaire professionnel) ne vient pas relayer la discipline pour offrir un support à une organisation des contenus de formation. Seule la notion de "réseau" semble utilisée pour favoriser l'harmonisation des formations.
bull2.gif (117 octets)  Les interactions avec le monde du travail sont fortement décentralisées et peu institutionnelles. Faute de procédures définies et de moyens de contrôle en la matière, les relations avec les milieux professionnels sont très variables. Dans certains cas, elles peuvent, semble-t-il, être construites dans une relation très lâche avec les milieux professionnel. Dans d’autres cas, au contraire, les propositions de formation s'appuient sur un partenariat local qui permet une bonne adéquation avec les besoins spécifiques des utilisateurs immédiats de la formation, au prix d’un assujettissement à un employeur ou à une spécificité locale.
bull2.gif (117 octets)  L'absence de liens institués avec les milieux professionnels - qui exigent de lourdes procédures de consultation de partenaires représentatifs - permet une grande réactivité et une grande souplesse : il est aisé de construire rapidement un DESS ou une licence professionnelle pour répondre à des besoins spécifiques ou ponctuels. Et comme il n'existe pas de cadre national contraignant (en matière de contenu comme en matière de carte universitaire), ces diplômes ont toutes les chances d'être aisément habilités. L'Université peut donc produire très vite les formations répondant aux besoins locaux, elle peut s'adapter aux évolutions des exigences du travail. Mais cette capacité de l’Université à répondre rapidement à des besoins locaux va de pair avec son incapacité à servir une politique nationale de formation homogène.

bull2.gif (117 octets)  Lorsque les milieux professionnels ont une demande forte et uniforme, celle ci peut contribuer à canaliser l'offre de formation. C'est loin d'être le cas pour le travail social qui se présente en ordre dispersé face à l'Université. Dans ce secteur, c'est donc l'addition des décisions individuelles (au niveau des établissements ou des universitaires) qui tient lieu, de facto, de politique.
bull2.gif (117 octets)  Grâce aux articulations avec le monde du travail et au pilotage qu'elle exerce sur l'appareil de formation, la Direction de l‘Action Sociale délivre des diplômes qui garantissent à la fois un niveau et la maîtrise de l'ensemble des compétences considérées comme nécessaires pour un type de poste donné. Le dispositif de formation, articulé au monde du travail et contrôlé nationalement, participe à la qualification des travailleurs sociaux puisque les diplômes sont majoritairement conçus dans une perspective de reconnaissance statutaire. Ils s'inscrivent dans une logique de reconnaissance collective du lien entre formation et emploi. Inconvénient classique de cette logique, la lourdeur et la lenteur des procédures de négociation préalables à l'élaboration d'un diplôme donnent une faible réactivité à ce système de formation, ce qui peut entraîner un décalage entre les diplômes existants et les organisations et situations de travail.
bull2.gif (117 octets)  Les formations universitaires, au contraire, se présentent, non pas comme un dispositif cohérent et structuré, mais comme une offre de formation ouverte et concurrentielle. L'Université ne garantit que le niveau du diplôme et non pas l'homogénéité des compétences détenues par les diplômés. En utilisant la grande souplesse du système, les universités peuvent proposer rapidement une offre de formation correspondant aux situations de travail mises en place localement. Elle participent à la constitution de compétences dans une logique de marché ouvert et diversifié.
bull2.gif (117 octets)  De façon schématique, on peut dire que l'appareil de formation au travail social, encadré et animé par la DAS, apparaît un outil de gestion collective des personnes et des emplois. Il est adapté à un renforcement de la cohérence des modes d’organisation du travail, autour de la qualification des professionnels. Il renforce la logique professionnelle. L'Université, au contraire, représente un outil de gestion individualisée des personnes, adapté à des formes d'organisation mouvantes et variées dont il entretient la diversité. C’est en ce sens un instrument idéal pour développer la logique compétence et répondre, sans médiation institutionnelle, aux besoins formulés par les employeurs.
bull2.gif (117 octets)  Dubar, synthétisant les travaux de la MIRE sur les fonction de l’intervention sociale, envisageait deux scénarios d’évolution possibles : l’un renforçant la logique statutaire caractéristique du travail social et l’étendant aux fonctions de l’intervention, l’autre généralisant à l’ensemble du social la logique non statutaire, actuellement caractéristique des fonctions de l’intervention sociale. On peut légitimement penser que la victoire de l’un ou l’autre scénario dépendra largement des places et rôles respectifs accordés à l’appareil de formation au travail social et à l’Université dans la formation des professionnels.
ref : Dugué (E.), Fonctions d’encadrement et formations supérieures dans le travail social, CNAM, 1998.
Par exemple et sans aucune prétention d’exhaustivité : Autès (M.), Les paradoxes du travail social, Dunod, 1999, De Ridder (G.) (dir.), Les nouvelles frontières de l’intervention sociale, L’Harmattan, 1997, Soulet (M.H.) (dir.), Les transformations des métiers du social, Ed. Universitaires de Fribourg, 1997.
Cohen (M.), March (J.), Olsen (J.), Le modèle du “ garbage can ” dans les anarchies organisées, in : March (J.), Décisions et organisations, Les éditions d’organisation, 1991, p. 193.
Dubar (C.), Les catégorisations des métiers de l’intervention sociale, MIRE Inffo, n° 40, 1997.