Biennale 5
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L'élève transparent : exploration dune rencontre singulière

Auteur(s) : DEMIAS DIAZ Anne-Laure

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bull2.gif (117 octets)   L'élève transparent est le sujet de mon étude. Au moment de l'élaboration de ce texte, je peux écrire que cet " objet " de recherche s'est trouvé révélé par l'observation et la réflexion à partir de situations scolaires. Mais aussi, l'implication du chercheur se trouvant indispensable dans toute approche clinique, le questionnement initial sur ce que j'ose appeler une réalité scolaire, part de mon histoire, histoire partiellement comprise grâce à un travail d'analyse.
bull2.gif (117 octets)  Ainsi je peux retracer l'histoire du questionnement à l'origine de mon désir de comprendre.
bull2.gif (117 octets)  Le premier indice de l'existence d'un élève " transparent " s'est trouvé dans la participation à des conseils de classe. A ces moments, la demande institutionnelle et professionnelle impose un bilan des compétences des élèves, compétences disciplinaires, sociales .... Or pour un élève, rarement deux, l'annonce du nom et du prénom de ce dernier ne permet pas la visualisation " mentale " de son visage, de son corps : impossible de " voir " cet élève, impossible de se souvenir de qui il est, de ce qu'il fait. Le recours à une photographie est indispensable, mais s'avère aussi souvent insuffisante pour pouvoir construire du " dire " sur cet élève. Alors que pour l'ensemble des autres élèves il est possible de qualifier le travail, la participation voire plus, pour celui-là rien. Présent physiquement il apparaît comme absent de la représentation des élèves par l'enseignant.
bull2.gif (117 octets)  Un autre moment de l'exercice professionnel d'enseignant est l'établissement des bulletins scolaires qui ponctuent " virtuellement " chaque trimestre. Cette tâche amène le professeur à se remémorer l'élève, corporellement et souvent dans l'espace-classe afin de qualifier le travail produit. Là encore prévaut l'impossible émergence dune image et d'un " dire " sur un élève.
bull2.gif (117 octets)  A ces deux moments s'ajoutent les rencontres organisées entre l'enseignant et les parents. Il m'est arrivé de parler d'un élève à un père ou à une mère, élève qui n'était pas l'enfant de ce dernier.
bull2.gif (117 octets)  Enfin, en dernière proposition de situations scolaires qui interrogent l'approche différenciée des élèves, je parlerai de ces moments où en classe tel élève est nommé afin de répondre à une sollicitation ou afin d'individualiser une consigne. Encore ici pour un élève la mémorisation du prénom ou du nom de cet élève se trouve défaillante : une inversion de prénom avec un autre élève est faite ou un oubli est constaté. Je note ici que ma profession d'enseignante d'E.P.S. qui ne permet pas d'avoir la liste des élèves sous les yeux au moment où j'interpelle un élève joue probablement dans la révélation de l'existence d'élèves transparents.
bull2.gif (117 octets)  C'est à partir de ces situations vécues que mon interrogation première part.
bull2.gif (117 octets)  Il existerait, à mon avis, des conditions d'existence d'élèves transparents. Elles seraient liées pour certaines à la situation scolaire. Effectif de classe, nombre d'heures d'enseignement d'un professeur avec une classe, discipline enseignée par l'enseignant, démarche pédagogique adoptée par le professeur, structure de la classe soit les élèves qui la composent, sont autant d'éléments que je pourrais nommer comme étant environnementaux et qui permettraient la compréhension de l'existence de tels élèves. Pour autant ces données ne semblent pas permettre l'analyse de la transparence. Pourquoi ? Avant tout, je pense que ce que j'ai pu approcher de la transparence grâce aux entretiens menés auprès d'enseignants, ne permet pas d'ancrer ce phénomène à d'uniques conditions environnementales. Comment expliquer la présence de Denis, élève qualifié de mystérieux par un professeur de mathématiques, alors que des travaux en groupes de seize élèves pourraient permettre son " repérage " ? Comment concilier l'existence de Marie, élève " transparente " aux yeux d'un autre enseignant alors que le temps hebdomadaire d'enseignement de la discipline est de sept heures ? Comment comprendre la présence d'élèves transparents tous différents (dans une même classe) pour chaque enseignant interrogé ?
bull2.gif (117 octets)  De ces points est partie ma réflexion sur ce qui oeuvre à la transparence d'un élève dans une rencontre avec l'enseignant.
bull2.gif (117 octets)  Comment puis-je tenter de comprendre la transparence ?
bull2.gif (117 octets)  De l'exploration constitutive de mon travail de DEA, j'ai compris que seul l'éclairage par le biais de la " théorie du sujet " pouvait permettre d'approcher les fondements de l'existence du phénomène. Cet appel de la psychanalyse pour appréhender la transparence d'un élève s'est révélé à la suite d'observations menées en classe et d'entretiens conduits auprès d'enseignants. Ainsi, au cours de l'exploration de l'objet d'étude dont le but premier était d'examiner la pertinence dune telle recherche, j'ai interrogé le terrain dans un lycée. J'ai assisté pendant six semaines à des leçons de français et de mathématiques, leçons s'adressant à une classe de première. Puis je me suis entretenue avec l'ensemble de l'équipe pédagogique travaillant avec cette classe.
bull2.gif (117 octets)  Les observations conduites en classe visaient deux objectifs. Dune part je souhaitais apprendre à reconnaître individuellement chaque élève afin de visualiser les élèves nommés, lors des entretiens. D'autre part je tentais d'appréhender des éléments de la situation scolaire qui pourraient permettre de comprendre la transparence de certains élèves.
bull2.gif (117 octets)  Au cours de ces , j'ai noté dans un cahier de bord, un " journal de terrain " (LOURAU, 1988), la place des élèves dans l'espace-classe, le nom des élèves sollicités pour répondre à des questions du professeur, le nom de ceux intervenant spontanément, des comportements d'élèves face aux demandes de l'enseignant, les attitudes de ce dernier dans la conduite de la leçon. De cette masse d'informations j'ai retenu deux faits.
bull2.gif (117 octets)  Il existe une forte disparité dans la participation orale aux leçons entre les deux rangées qui découpent l'espace de la classe. D'un côté, la collaboration des élèves par questions et réponses est active. Dans l'autre rangée le silence des élèves est quasiment constant. Ainsi, il semble exister une différenciation des rôles dans la classe qui se traduit par une occupation d'emplacements différents. A cette donnée se rajoute une distinction en fonction du sexe des élèves. Les filles se trouvent en majorité dans la rangée " silencieuse ", les garçons étant plus souvent dans l'alignement " coopérant ".
bull2.gif (117 octets)  De plus, des observations menées en cours de français j'ai noté que l'enseignante regarde pratiquement exclusivement les élèves situés dans la rangée " participante ". Elle s'adresse à eux en centrant sa perception sur ces élèves-là. L'autre rangée d'élèves est absente de l'échange qu'elle instaure par le regard et le questionnement. En interprétant ce constat je pourrais dire que l'élève transparent peut occuper un emplacement dans la classe qui permet d'éviter les sollicitations mais aussi qui n'autorise pas sa " perception " en raison du regard " sélectif " de l'enseignant.
bull2.gif (117 octets)  Denis, élève qualifié de transparent par l'enseignante de mathématiques, se situe, ainsi, le plus souvent dans la rangée d'enseignés qui ne participent quasiment pas. Corinne, élève transparente pour le professeur de français, est exclusivement placée dans cet espace. De ces éléments et de la donnée concernant l'attention sélective de ce même enseignant sur la rangée qui échange, nous pouvons dire qu'il existe des emplacements dans la classe qui placent " hors-jeu ". La compréhension du phénomène peut se nourrir de cette remarque parce quelle peut signifier qu'il existe des obstacles à la relation. Pour autant d'un ensemble d'élèves peu perçus par le professeur de français, seule Corinne se trouve appréhendée comme transparente. L'unique approche du phénomène par la " matérialité " des places occupées dans la classe ne paraît pas possible pour comprendre ce qui se joue dans cette relation entre un élève et un enseignant.
bull2.gif (117 octets)  Suite aux observations, j'ai engagé des entretiens avec les enseignants travaillant avec la classe de première. Cinq interviews ont été réalisés en s'appuyant sur la méthodologie " mixée " de l'entretien non-directif et de l'entretien exploratoire. Des relances interrogatives ont permis d'amener le dialogue sur le sujet de la transparence. Pour deux enseignants j'ai souhaité renouveler la rencontre en centrant l'échange sur les élèves qu'ils avaient qualifié de transparents, lors du premier entretien. Ce sont ces deux interviews qui vont être reprises ici ainsi que l'entretien réalisé avec un autre professeur. Le choix de présenter également ce dernier s'explique par le temps relativement long consacré à l'entretien qui a permis d'évoquer la transparence.
bull2.gif (117 octets)  Les paroles des enseignants
bull2.gif (117 octets)  De l'entretien de Madame C à propos de Corinne, nous retenons :
bull2.gif (117 octets)  L'enseignante souligne l'absence de demande de l'élève. Elle ne s'attarde pas sur elle, alors que d'autres élèves sont demandeurs. Corinne répond défavorablement à ses sollicitations et ne donne pas ses préparations à corriger. L'enseignante se dit attiré par les élèves qui ont du " répondant ". Elle trouve l'élève " atone ", passant inaperçue, noyée dans la masse. " Elle ne renvoyait rien, absolument rien. " Madame C. souligne son attirance pour le contact, le métier choisi la comblant. Elle pense que les élèves sans demande sont très bien comme ils sont, font leur petit train-train. L'enseignant trouve que Corinne na pas besoin quelle s'intéresse à elle. Neutre, en retrait, sans avis sont les qualificatifs qui dépeignent l'élève en classe. Elle dit rechercher pour les lycéens, l'épanouissement, la confiance en eux et l'intégration. Elle oppose ses caractéristiques à celles supposées de Corinne. Elle déclare que Corinne est transparente parce quelle ne se fait pas entendre et parce qu'elle ne donne rien. L'élève est sans relation, sans demande, neutre. Elle comprend la transparence, comme la neutralité.
bull2.gif (117 octets)  De l'entretien de Madame E à propos de Denis, nous retenons :
bull2.gif (117 octets)  Denis est dit à part, seul. Il a été longtemps confondu par l'enseignante avec un autre élève, Olivier. Elle s'interroge, ne sait pas trop que penser de lui. Elle le qualifie de mystérieux. Très attentif, souvent seul, voire tout seul, difficile à cerner, non intégré dans la classe sont les expressions de Madame E., lorsqu elle évoque Denis. Au moment de l'entretien où l'interviewer parle de transparence, elle trouve que ce qualificatif peut s'appliquer à cet élève-là. Elle explique alors cette dénomination par le calme de Denis, le discernement difficile de son caractère, de sa personnalité. Elle souligne que cet élève est en difficulté dans sa discipline, les mathématiques comme, par ailleurs, d'autres élèves inqualifiables à son avis de transparents. La peur de se dévoiler, la gêne, l'inhibition sont des raisons supposées par Madame E. de la transparence de Denis.
bull2.gif (117 octets)  De l'entretien de Monsieur D. à propos de Marie, nous retenons :
bull2.gif (117 octets)  La première réflexion de Monsieur D. est " je ne la sens pas ". Un peu timide, sans choses à dire sur elle, d'approche difficile, Marie est présenté ainsi dans sa relation à l'enseignant. Il pense que la transparence de Marie résulte d'une interaction entre le professeur et l'élève. Il constate qu'en fin d'année, elle apparaît moins transparente, circulant un peu plus dans la classe, venant parler, ayant pris confiance en elle. Il souligne une différence qui lui apparaît importante à savoir dissocier la timidité de la transparence. La transparence se révélerait par une reconnaissance impossible dans la classe et le groupe, une insertion inexistante dans ces espaces. La timidité, quant à elle, ne parerait pas à cette intégration. D'autre part, l'invisibilité rend l'évaluation difficile. L'élève transparent ne laisse pas de trace. Monsieur D. les sent vides, sans rien à dire, pas à leurs places, sans place. Mal dans leurs peaux, ils se font tout petits. Ils n'aspirent pas à ce que l'enseignant sache quelque chose sur eux et sont satisfaits de cette ignorance-là. Enfin, Monsieur D. différencie les regards des élèves qui se voient et ceux des élèves qui ne se voient pas. Marie na pas pour cet enseignant le premier regard, celui qui pétille et attire.
bull2.gif (117 octets)  Les paroles de l'élève transparente
bull2.gif (117 octets)  De l'entretien de Corinne, élève transparente pour Madame C., nous retenons :
bull2.gif (117 octets)  Corinne dit apprécier sa classe parce quelle se trouve fédérée par une discipline, les sciences économiques et sociales. Elle raconte avoir parlé et s'être assise à côté de pratiquement tous ses camarades de classe. Elle se souvient de ses années passées au collège, terrorisée par certains élèves. Aussi, le lycée a été trouvé génial en comparaison du collège qualifié d'horrible.
bull2.gif (117 octets)  Lorsqu'elle évoque les enseignants, elle parle du professeur de français (Madame C.) comme d'une personne inexpérimentée et désordonnée dans la présentation de ses leçons. Pour elle, c'est le contraire du professeur des sciences économiques et sociales. Donc, elle ne trouve pas bien cette enseignante mais espère tout de même son évolution ultérieure. Invitée à préciser son avis, elle souligne l'éternel qualificatif de " travail sérieux " qui apprécie ses copies. Cette appréciation ne signifie rien pour elle, si ce n'est ce qu'elle sait déjà, à savoir qu'elle travaille en effet sérieusement. La blancheur "immaculée " des marges laissées sur ses copies, le manque de stimulation au travail et la quasi absence de progression expliquent son avis défavorable. Elle la trouve gentille, cependant. Elle souligne également que sa tolérance au bruit (bavardages, rires entre l'enseignante et les autres élèves) ne favorise pas la concentration pour le travail. Corinne trouve que Madame C. s'intéresse aux élèves qui parlent, qui s'amusent avec elle. Les autres sont mis à l'écart, ceux qui sont un peu plus timides. Elle remarque le fait d'avoir été oubliée par l'enseignante. Elle insiste sur le besoin du professeur de parler sans cesse, l'ennui de celle-ci face au silence, l'envie de cette dernière de toujours faire quelque chose. Corinne reconnaît ne pas participer en français. Les raisons en sont le peu de questionnement suscitant des interventions. De plus, l'enseignante dit souvent tout, voire trop. Elle cite alors l'exemple de mots de vocabulaire relativement faciles inscrits sur le tableau, exercice peu utile à son avis.
bull2.gif (117 octets)  Vers une problématique :
bull2.gif (117 octets)  L'analyse des observations et des entretiens permet à mon avis d'orienter la réflexion vers les concepts d'identification, de refoulement et de désir. La transparence peut-être approchée comme un symptôme dune relation entre l'enseignant et les élèves. La rencontre impossible entre l'élève transparent et le professeur semble témoigner des dimensions inconscientes de " sujets désirants " qui " circulent " dans l'espace-classe.