Biennale 5
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Apprendre à lire en apprenant à communiquer ses procédures

Auteur(s) : DEL PERUGIA Brigitte

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bull2.gif (117 octets)   Une problématique d'évaluation :
bull2.gif (117 octets)  Le champ de la lecture peut être caractérisé comme un lieu de polémiques récurrentes dont les enjeux touchent au plus près le politique et le social. Envisagée le plus souvent depuis le pôle didactique, la formation des enseignants puise dans les disciplines connexes comme la psychologie cognitive, la psycholinguistique, la sociologie... La question qui nous intéresse ici est l'apprentissage de la lecture dans sa genèse, c'est à dire lors de l'apprentissage du code, premières fondations de l'acte de lecture, ayant lieu au cycle 2 de l'école primaire. Le discours didactique est discret sur ce point. Il s'efface devant la psychologie cognitive qui va prendre en main cette dimension et la traiter avec ses propres outils. Le plus médiatisé concerne les notions de " modèles " : les processus de compréhension sont définis comme une interaction entre deux modèles d'entrée dans le texte: le modèle descendant qui traite les informations de "haut niveau" par des stratégies sémantico-contextuelles, et le modèle ascendant qui consiste à décoder par des stratégies grapho-phonologiques, soit à traiter les informations de "bas niveau". Aucun de ces deux modèles ne saurait à lui seul rendre compte des processus de lecture, sans réductionnisme patent. Un consensus très large s'est fait autour de la notion d'interactions continues entre les informations de "bas niveau" et celles de "haut niveau". Cette discrétion relative du discours didactique peut, aussi et surtout, provenir d'une grande prudence en la matière. En effet, une étude menée par G. ROBILLART (1996) dans le cadre de l'Observatoire National de la Lecture, montre qu'il est impossible de mettre en évidence un modèle didactique dominant chez les maîtres qui obtiennent un pourcentage élevé de réussite à l'apprentissage de la lecture au Cours Préparatoire. De même, une recherche de P. BRESSOUS (1993) montre comment le facteur "habileté pédagogique" est déterminant. Il en ressort que si la didactique amène un " background " théorique où vont puiser les enseignants, elle n'est pas garante d'une démarche d'enseignement efficace si elle reste restreinte à la prise en compte des savoirs, ici des pratiques sociales de références concernant le lire (J.L. MARTINANT, 1983) Il semble donc nécessaire d'intégrer dans le champ de la didactique les gestes de l'enseignant, et plus globalement d'étudier ce qui pourrait favoriser différentes régulations. La focalisation se déplace alors dans le champ de l'évaluation. Notre propos va donc être de "promouvoir" une "recherche de qualité" (J.J. BONNIOL, 85-86) au moyen de l'évaluation : la réussite de l'apprentissage de la lecture n'étant pas fondamentalement déterminée par l'utilisation d'un modèle didactique précis, mais plutôt par une certaine attitude du maître, faite à la fois de rigueur et d'éclectisme, dont la principale caractéristique semble être l'adaptabilité à ses élèves, cette qualité nous semble être celle de l'évaluateur, celui qui sait exercer sa "fonction critique" (J. ARDOINO, 1985) afin d'impulser les régulations nécessaires en fonction des visées. L'évaluateur va alors être celui qui permettra aux interactions de se faire, celui qui "jouera" des oppositions entre les modèles de lecture. L'apprenant a également ce rôle à jouer, gage de sa future autonomie : évaluateur de ses propres procédures, de ses produits, et peut-être même de ses processus.
bull2.gif (117 octets)  Nous considérons donc l'évaluation à deux niveaux (M. GENTHON, 1991-1992 et 1997) :
- la régulation du dispositif d'apprentissage (concerne le formateur)
- la régulation des stratégies (concerne l'apprenant)
bull2.gif (117 octets)  Ce sont donc les interactions entre ces deux fonctions qui vont créer la dynamique du système. Les deux jeux de boucles doivent fonctionner ensemble, en interaction. Cette idée d'interaction amène M. GENTHON (1997) "à penser le processus d'évaluation comme un processus de communication ". Il s'agit alors de considérer les interrelations entre sujets. Le mouvement de la régulation devient un processus où l'on retrouve les caractéristiques de la dialectique post-hégélienne : comportant deux logiques contradictoires et complémentaires (bilan et accompagnement), la régulation s'inscrit dans la durée et donne une praxis [c'est à dire à la fois une visée (non exempte de création)] et une médiation [l'?uvre commune, qui pourrait être ici le vécu scolaire, la quotidienneté vécue comme création des acteurs-auteurs (J. ARDOINO, 1993)].
bull2.gif (117 octets)  La médiation de l'apprentissage, toujours dans une optique de modèle dialectique, va être envisagée comme reposant sur le dialogue. Elle va alors comporter deux faces : une médiation sociale (la communication, les interactions maître-élèves et élèves-élèves, "des interactions structurantes et structurées avec un adulte mais aussi avec des pairs - M. L. MARTINEZ, 1989, en référence au socio-constructivisme représenté par Vygotsky puis aujourd'hui par Bruner -; et une médiation sémiotique (le rôle, l'utilisation de l'oral dans la classe). Car il s'agit de proposer un contenu d'enseignement explicite (J. GIASSON, 1990) qui vise à développer chez l'élève des stratégies diverses, ainsi qu'à lui permettre de se donner les moyens de les évaluer et de les adapter. Il concerne l'auto-évaluation sous ses deux aspects d'auto-contrôle et d'auto-questionnement (M. VIAL, 1997b). C'est alors la réflexivité telle que la définit PIAGET (1974) qui devient objectif de formation, c'est à dire la double capacité pour le sujet de prendre conscience de ses procédures de lecture et de les réguler.
bull2.gif (117 octets)  L'hypothèse est donc posée que de développer un questionnement sur les processus (J.J. BONNIOL, 1988) participerait à l'apprentissage de la lecture chez le lecteur débutant. Il viserait à développer chez l'élève des stratégies relevant de l'heuristique en tant que capacité d'inventions et de découvertes, tout en s'appuyant sur des procédures balisées. Ces différents niveaux évoqués (didactique, communication, évaluation, stratégies...) relèvent à chaque fois de l'articulation des contraires (M. VIAL, 1997a) qu'il sera nécessaire de travailler.
bull2.gif (117 octets)  Les travaux présentés ici sont une prospection sur le terrain visant à mettre à l'épreuve et à affiner la problématique. Ils sont orientés sur l'observation des échanges verbaux en regard de notre hypothèse.
bull2.gif (117 octets)  Etude de terrain (1)
bull2.gif (117 octets)  Quelle que soit la méthode de lecture employée, les séances de lecture au CP comportent toujours des moments de questions, généralement posées par le maître. Celles-ci (DURKIN D., 78-79) appartiennent soit:
- à l'enseignement (si la question a des chances de faire évoluer l'élève dans ses habiletés de compréhension)
soit
- à l'évaluation [logique de contrôle] (si le maître ne fait rien de plus avec la réponse que de répondre oui ou non)
bull2.gif (117 octets)  Une première étude (DEL PERUGIA B., 1998) portant sur les pratiques ordinaires d'une classe de cours préparatoire, a permis de mettre en évidence que les questionnements de l'enseignante (envisagée ici comme médiation sociale) relevaient principalement de pratiques évaluatives dans une logique de contrôle. Il s'agit d'une séance de découverte d'un texte narratif (mois de mai 98). Lors des essais d'interprétation des élèves, la maîtresse retourne seulement aux élèves leurs énoncés erronés sous une forme interrogative (phénomène de redondance). La seule information qu'elle apporte en procédant ainsi est la présence d'une erreur dans le message. Elle ne permet pas aux élèves (sauf à ceux qui ont déjà développé des compétences d'auto-évaluation) de réguler leur réponse autrement que par tâtonnement, par essais-erreurs non argumentés. Une aide à la prise de conscience de la pertinence ou non des indices prélevés aurait sans doute permis aux élèves de clarifier leurs procédures et de les réguler. Cette recherche corrobore celle de D. DURKIN (1978-1979) qui montre que les enseignants passent seulement 1% du temps de la "leçon" à enseigner, le reste étant consacré à passer les consignes, donner des directives et évaluer par des questions sur le texte. De même J. IRWIN (1986) regrette que la plupart du temps l'enseignement de la compréhension se limite à des questions d'évaluation avec pour seul effet un retour donné à l'élève sur l'exactitude ou non de sa réponse; les questions portant sur les processus utilisés par les élèves et relevant, elles, des stratégies d'enseignement (c'est à dire des questions susceptibles de faire progresser l'élève dans ses habiletés de compréhension).
bull2.gif (117 octets)  Etude de terrain (2)
bull2.gif (117 octets)  Nous sommes allés observer des pratiques d'enseignement de la lecture en centrant cette fois l'observation sur la fonction de l'oral et les critères de maîtrise d'un discours oral lors de l'apprentissage de la lecture au cours Préparatoire. L'oral étant là envisagé comme médiation sémiotique. La tâche disciplinaire est celle de lecture d'un texte narratif. L'interprétation des résultats nous a amené à faire les remarques suivantes :
bull2.gif (117 octets)  L'oral n'est pas dans la situation choisie, un objet d'apprentissage, ni explicite, ni implicite. Dans aucune des deux classes observées l'oral n'apparaît comme un objet d'apprentissage, même de façon implicite: l'oral est avant toute chose utilisé dans ses fonctions de communication, ainsi que le soulignent les critères de maîtrise relevés [parler de façon audible et articulé, ne pas répéter des propos déjà dits...]. Le contrôle des tours de parole réduisent la quantité des échanges, mais pas la qualité ; de même, que les tours de paroles soient contrôlés ou non, cela n'influe pas sur le déroulement de la tâche. Alors que les micro-tâches étaient différentes selon la classe, on obtient dans un temps donné les mêmes éléments d'élaboration de sens. Pour le même objectif de compréhension d'un texte, les micro-tâches proposées sont plus variées dans la classe ZEP.
bull2.gif (117 octets)  Ce qui ressort de cette observation de classe est que l'oral n'est pas ici utilisé dans une fonction de médiation sémiotique de façon explicite et puissante. Il reste avant tout un instrument de communication entre les acteurs et un moyen de contrôle pour l'enseignant.
bull2.gif (117 octets)  Etude de terrain (3)
bull2.gif (117 octets)  Nous sommes aujourd'hui dans une troisième phase exploratoire qui consiste à voir dans quelle mesure de jeunes enfants du Cours Préparatoire peuvent expliciter leurs procédures de lecture. Si l'on se réfère aux travaux de Piaget sur le développement, les différents stades de la prise de conscience suivent les étapes des stades de développement. On peut alors légitimement se demander s'il est " raisonnable " d'attendre d'enfants de 6 ans (stade pré-opératoire) qu'ils fassent preuve de capacités d'abstraction suffisamment élaborées pour être en mesure de décrire leurs procédures de lecture. Les travaux de Piaget sur la prise de conscience ont porté principalement sur les capacités à conceptualiser les actions, les coordinations des actions et leurs effets à partir d'actions sur des objets extérieurs au sujet. Dans le cas de la lecture il s'agit pour le sujet de conscientiser ses propres démarches intellectuelles, ses propres processus cognitifs. Nous sommes là dans le champ de la métacognition, tel que l'a définit Flavell, c'est à dire la capacité de prise de conscience de ses modalités de fonctionnement cognitif. Il s'agit donc d'étendre les trois niveaux hiérarchisés d'abstractions tels que les a définis Piaget, au fonctionnement cognitif .
* conscientiser ses actions (abstraction empirique)
* conscientiser les effets de la coordinations des actions (abstraction réfléchissante)
* conscientiser les coordinations conceptuelles (abstraction réfléchie)
bull2.gif (117 octets)  La difficulté est que les observables qui sont le support de l'abstraction empirique sont dans notre cas " inobservables ", puisqu'il s'agit de processus cognitifs.
bull2.gif (117 octets)  Dans le cas des actions opératoires (la sériation), Piaget a montré le primat de la réussite sur la conceptualisation. Dans le cas de la lecture, il paraît évident que l'enfant réussit à lire et à comprendre un texte écrit sans pour autant être capable forcément de décrire par quels processus il est parvenu au résultat. C'est du moins une chose dont on se préoccupe peu dans les classes, exception faite lorsqu'il y a erreur et que l'enseignant cherche à comprendre la procédure erronée. Ce qui veut dire que l'enfant est laissé seul pour organiser et rendre efficients ses processus cognitifs. Les meilleurs y arrivent rapidement, les autres plus laborieusement, certains sont en échec. Pourtant on peut se demander si mettre en jeu une conscientisation des procédures au moyen d'une verbalisation ne favoriserait pas chez l'enfant une organisation cognitive. Tenter de parler ses procédures, par un retour réflexif, pourrait permettre de les organiser, de la même façon que pour Vygotsky la langage médiatise la pensée.
bull2.gif (117 octets)  Chaque enfant d'une classe préparatoire a vécu (mois d'octobre 99) un entretien d'explicitation (P. VERMERSCH, 1994). Le travail d'analyse en cours permet d'ores et déjà d'avancer que les jeunes enfants sont capables d'un retour réflexif leur permettant d'expliciter, dans une certaine mesure, leurs procédures. Cette description du faire ne nous paraît être cependant qu'une étape dans un travail de conceptualisation de sa lecture par le sujet. Il nous semble nécessaire de développer également les différents domaines de ce que P. Vermersch appelle le " système des informations satellites de l'action vécue ", afin que le sujet puisse mettre en lien ses intentions (la finalité de l'acte de lire), ses connaissances (les savoirs théoriques qu'il possède quant aux procédés de lecture), et ses procédures effectivement réalisées. C'est l'appréhension de ce système de données conscientisées qui permettra au sujet de développer des capacités d'auto-évaluation.
bull2.gif (117 octets)  Bibliographie :
bull2.gif (117 octets)  ARDOINO J., Des allant-de-soi pédagogiques à la conscientisation critique (L'articulation problématique des Sciences et des Pratiques sociales), préface à Pour une praxis pédagogique, F. Imbert, Vigneux, Ed. Matrice, 1985
bull2.gif (117 octets)  ARDOINO J., L'approche multiréférentielle (plurielle) des situations éducatives et formatives, in Pratiques de formation (Analyses) - L'approche multiréférentielle, n°25-26, Formation permanente, Université de Paris VIII, 1993
bull2.gif (117 octets)  BONNIOL J.J., A la recherche de la qualité : fonctionnement par objectifs et évaluation, Conférence d'Evian de 1985, Journal des infirmières de neurochirurgie, n°51/52, p. 1101-1109, 1986
bull2.gif (117 octets)  BONNIOL J.J., Entre les deux logiques de l'évaluation, rupture ou continuité ?, Bulletin de l'ADMEE n°3, p.1-6, 1988
bull2.gif (117 octets)  BRESSOUS P., Les effets des écoles et des classes sur l'apprentissage de la lecture, Thèse de l'Université de Dijon, sous la direction de M. .Duru-Bellat, Département des Sciences de l'Education, 1993
bull2.gif (117 octets)  DEL PERUGIA B., De la prise en compte des contradictions : entre dialectique et paradoxe, le cas de l'évaluation dans l'apprentissage de la lecture au Cours Préparatoire, Mémoire de D.E.A. sous la direction de M. Vial, Département des Sciences de l'Education, Université de Provence, 1998
bull2.gif (117 octets)  DURKIN D., What Classeroom Observations reveal about Reading Comprehension Instruction, Reading Research Quarterly, vol. XIV, n° 4, pp. 481-534, 1978-1979
bull2.gif (117 octets)  GENTHON M., L'évaluation fonction du projet d'apprentissage, colloque AFIRSE, Les évaluations, Carcassonne, 1991, PUM, p.24-27, 1992
bull2.gif (117 octets)  GENTHON M., Apprentissage, évaluation, recherche : genèse des interactions complexes comme ouvertures régulatrices, synthèse présentée en vue de l'habilitation à diriger des recherches, Aix en Provence, Université de Provence, 1993 ; titre En question, Département des Sciences de l'Education, Université de Provence, 1997
bull2.gif (117 octets)  GIASSON J., La compréhension en lecture, De Boeck, Paris, Bruxelles, 1990
bull2.gif (117 octets)  IRWIN J., Teaching Reading comprehension Processes, Englewood, New Jersey, Prentice-Hall, 1986
bull2.gif (117 octets)  MARTINAND J.L., Questions pour la recherche : la référence et le possible dans les activités scientifiques scolaires, Premier atelier internationnal de recherche en didactique de la physique à la Londe-les-Maures, CNRS , Paris, 1983
bull2.gif (117 octets)  MARTINEZ M. L., Le socio-constructivisme et l'innovation en Français, Pratiques n° 63, pp. 37-62, 1989
bull2.gif (117 octets)  PIAGET J., La prise de conscience, PUF, Paris, 1974
bull2.gif (117 octets)  ROBILLARD G., L'apprentissage de la lecture au cycle des apprentissages fondamentaux, in Regards sur la lecture et ses apprentissages, Observatoire National de la Lecture, Ministère de l'Education Nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1996
bull2.gif (117 octets)  VERMERSCH P., L'entretien d'explicitation, ESF, Paris, 1994
bull2.gif (117 octets)  VIAL M., Le différentiel, un outil pour évaluer les stages, En Question, cahier n°2, Dép. Des Sciences de l'Education de l'Université de Provence, Aix-Marseille, 1996
bull2.gif (117 octets)  VIAL M., Modèles - Références - Méthodes en Sciences de l'éducation : l'articulation des contraires, Synthèse présentée en vue de l'habilitation à diriger des recherches, 2t, Université de Provence, Aix-Marseille, 1997a
bull2.gif (117 octets)  VIAL M., L'auto-évaluation comme auto-questionnement, En Question, cahier n°12, Dép. des Sciences de l'Education de l'Université de Provence, Aix-Marseille, 1997b