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Un programme de doctorat pour les praticiens de l'éducation: le DÉd

Auteur(s) : DEBLOIS Claude

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bull2.gif (117 octets)   La mise en place d'un nouveau programme de doctorat - par exemple, un doctorat en éducation, D.Ed. - où il existe déjà un Ph.D. soulève inévitablement des questions de pertinence tant sur le plan pédagogique qu'institutionnel. En général, les réticences à l'implantion d'un nouveau programme de ce type viennent surtout du milieu universitaire et en particulier de ceux qui sont grandement engagés dans les programmes de Ph.D.. Les plus fortes objections sont surtout d'ordre pédagogique. Pourquoi un nouveau programme de doctorat ? Que peut offrir ce nouveau programme que le Ph.D. n'offre pas déjà ? Quelle différence y a-t-il entre le Ph.D. et le D.Ed. ? Les réponses ne sont pas simples et les arguments favorables à l'ouverture d'un nouveau programme doctoral ne sont pas faciles à développer dans la mesure où le Ph.D. a une longue tradition d'excellence, qu'il est le seul et unique modèle de référence de programme d'études de 3e cycle et qu'il a su évoluer tout en restant fidèle à ses orientations d'origine. Pour bien saisir les enjeux que représente un nouveau doctorat de type D.Ed., il faut faire un retour sur le Ph.D., le replacer dans le contexte historique de son évolution, en rappeler les grands objectifs et les limites qui lui viennent de la culture de recherche qui lui est propre.
bull2.gif (117 octets)  Le Ph.D.: émergence et propagation
bull2.gif (117 octets)  Les programmes de doctorat (Ph.D.) tels que nous les connaissons aujourd'hui sont relativement récents et ils ont connu au 20e siècle une montée fulgurante dans tous les pays, en particulier dans les pays occidentaux. On attribue à l'université allemande (Humboldt) le développement du modèle classique de l'université moderne, une université vouée à la production de nouvelles connaissances au moyen de la recherche scientifique (empirique). Ce nouveau genre d'université s'est imposé progressivement par la mise en place de programmes d'études et de recherches doctorales d'un type particulier au terme duquel le diplôme de Philosophiae Doctor ou Ph.D. est décerné. Les États-Unis ont adopté ce modèle au milieu du XIXe siècle; le Canada a suivi au début du XXe siècle (Université de Toronto). Ce développement fut plus lent en Europe et en Australie où ce nouveau type de programme entrait en compétition avec des traditions doctorales très anciennes. Le Royaume-Uni emboîte le pas vers 1920 (Oxford, Cambridge), l'Australie après la Deuxième Guerre mondiale. En France, le doctorat d'État cède finalement la place au Ph.D. à la suite de la réforme des études supérieures de 1980. Aujourd'hui, la plupart des universités qui offrent des programmes de 3e cycle ont adopté la configuration classique du programme de Ph.D. Il va sans dire que ces programmes ont évolué selon les pays où ils se sont implantés et selon les traditions de recherches universitaires dans lesquelles ils se sont insérés. Ces variantes demeurent cependant secondaires.
bull2.gif (117 octets)  Le questionnement sur le Ph.D.
bull2.gif (117 octets)  Si le Ph.D. conserve toujours son ascendance dans la plupart des universités à travers le monde, il doit faire face de plus en plus à des critiques qui viennent autant des grands organismes internationaux tels que l'OCDE, la Fondation américaine Carnegie, le Groupe Holmes, que de chercheurs éminents comme Ernest Boyer et T. M. Tomlinson. Un numéro de la revue Science consacrait récemment un dossier complet à cette question dans lequel les auteurs analysent la crise que vivent plusieurs de ces programmes ainsi que les diplômés qui en sortent. En résumé, on reconnaît que les programmes de Ph.D. donnent peut-être une formation adéquate pour les diplômés qui se préparent à l'enseignement et à la recherche universitaires mais on leur reproche de dispenser une formation beaucoup trop pointue pour la recherche dans les organismes gouvernementaux et dans l'industrie. En outre, la production de diplômés de 3e cycle a atteint, semble-t-il, un point de saturation tel que les perspectives d'emploi dans plusieurs secteurs sont actuellement très sombres. Plusieurs universités américaines ont déjà pris l'initiative de restreindre l'accès à leurs programmes. Un article du Times Higher Education Supplement sous le titre de “Doctorates in need of new direction” faisait écho des mêmes préoccupations en Angleterre.
bull2.gif (117 octets)  Ce nouveau questionnement qui interpelle les programmes de Ph.D. à travers l'Occident est encore peu ressenti au Québec où il reste un rattrapage à faire dans plusieurs de ces programmes. En éducation, cette question n'est pas encore à l'ordre du jour de la plupart des universités mais les signes sont là, les voix commencent à s'exprimer non pas tant pour abolir les doctorats existants, mais pour demander une autre voie qui réponde mieux aux besoins et aux attentes des professionnels aspirant à une formation de haut niveau.
bull2.gif (117 octets)  Les programmes de doctorat en éducation, les Ed.D.
bull2.gif (117 octets)  La Faculté des études supérieures de l'Université Laval autorisait en 1995 la création de programmes de doctorat autres que les programmes traditionnels de type Ph.D. rendant ainsi possible la mise en place d'un doctorat en éducation tel qu'il en existe déjà dans les pays d'expression anglaise. En effet, ce sont les pays anglo-saxons qui ont pris l'initiative de développer ces programmes qui demeurent souvent proches du modèle du Ph.D. mais qui sont aussi parfois moins exigeants sur le plan théorique et plus accommodant sur le plan administratif. Les premiers à mettre ces programmes sur pied furent les États-Unis imités ensuite par les autres pays anglo-saxons comme le Canada, l'Angleterre et l'Australie.
bull2.gif (117 octets)  Aux États-Unis, la tradition du Ed.D. est fort répandue et, en général, le programme existe en parallèle au Ph.D. Sur les dix (10) universités de très grande réputation selon le classement du palmarès de 1998 que le U.S. News & Wold Report publie chaque année, toutes, sauf une, ont un ou plusieurs programmes de doctorat en éducation (Ed.D.) en plus d'offrir le Ph.D. L'université Harvard qui se classe 3e au palmarès est celle qui a créé le premier Ed.D. aux USA en 1921 et elle a choisi d'offrir le Ed.D. au lieu du Ph.D. pour bien affirmer l'orientation professionnelle de son doctorat. À l'exception du programme de Harvard, la plupart des programmes de doctorat en éducation offerts dans les universités américaines se distinguent peu, sinon pas du tout, des programmes de Ph.D. On y fait quelques concessions pour admettre les étudiants à temps partiel, on favorise la recherche appliquée, mais dans l'ensemble, le contenu des programmes demeure le même.
bull2.gif (117 octets)  Au Canada anglais, la situation évolue rapidement. En effet, jusqu'à tout récemment, les universités canadiennes ont surtout favorisé le développement de programmes de type Ph.D., mais, depuis quelques années, surtout depuis 1990, plusieurs d'entre elles s'efforcent de mettre sur pied des programmes de doctorat de type professionnel (D.Ed.) tout en conservant leur Ph.D. en éducation. Parmi les universités qui se sont engagées dans cette voie on retrouve les universités de grande réputation, l'Université de Toronto, l'Université de l'Alberta, l'Université de la Colombie Britannique. Au Québec, aucune université, anglophone ou francophone, n'offre un programme de doctorat de type Ed.D. ou D.Ed., selon le cas.
bull2.gif (117 octets)  Les initiatives les plus innovatrices en ce qui a trait au programme de doctorat professionnel en éducation (Ed.D.) viennent de l'Angleterre et de l'Australie. Ces programmes ont été créés récemment et se développent à un rythme accéléré.
bull2.gif (117 octets)  En Angleterre, les critiques à l'égard du Ph.D. traditionnel, le taux élevé d'abandons parmi les inscrits et la demande croissante du milieu pour des études doctorales plus accessibles aux étudiants à temps partiel ont ouvert la voie à de nouveaux programmes de 3e cycle dont celui en éducation, le Ed.D. Il s'agit d'un développement très récent puisque le premier doctorat en éducation fut créé en 1992 au School of Education de l'Université de Bristol. Depuis, sept (7) universités ont suivi son exemple et plusieurs autres étudient sérieusement la possibilité d'en créer un dans les prochaines années.
bull2.gif (117 octets)  En Australie, à la suite d'une recommandation du Higher Education Council en 1990, la plupart des universités offrent maintenant un doctorat de type professionnel en éducation ou envisagent de le faire à brève échéance. Une étude menée par Maxwell et Shanahan rapporte que plus de 550 étudiants sont présentement inscrits dans ces programmes. En juin 1998, après huit (8) ans d'expérimentation dans 30 universités australiennes, le “Council of Australian Deans and Directors of Graduate Studies” a émis un avis favorable à la poursuite de ces programmes mais reproche à certains de trop réduire la dimension recherche au profit des cours. Il considère que “A proportion of reseach below one third is considered to be unacceptable by the Council, and to be inconsistent with the award of a doctorate”.
bull2.gif (117 octets)  La controverse autour du Ed.D.
bull2.gif (117 octets)  La coexistence du Ph.D. et du Ed.D. dans de nombreuses facultés d'éducation, notamment dans les universités américaines et non les moindres, a soulevé à maintes reprises des interrogations sur les traits distinctifs de chacun de ces programmes. Les questions portent surtout sur la pertinence de les maintenir l'un et l'autre. Répondent-ils aux besoins de la clientèle de plus en plus diversifiée aux études doctorales? Qu'est-ce qui justifie l'existence de ces deux programmes dans une même faculté ? Si, dans certains cas, l'un se distingue de l'autre, c'est surtout en raison d'un accent plus marqué pour les aspects théoriques et la recherche de type fondamental au Ph.D. Outre le fait que le programme de Ph.D. exige parfois la connaissance d'une deuxième langue et que les études à caractère théorique sont plus fréquentes, il n'y a pas de différence majeure entre les deux programmes. Les contenus de cours sont, pour la plupart, identiques, les cours de méthodologie également. On introduit dans le programme de Ed.D. une plus grande souplesse en ce qui a trait à la période de résidence exigée et quant aux études à temps partiel. Ces quelques distinctions mineures justifient-elles la cohabitation de ces deux programmes? Les auteurs américains sont divisés sur cette question.
bull2.gif (117 octets)  Il semble évident, à la lumière de l'expérience des Ed.D. aux États-Unis, que la tradition très forte du Ph.D. qui prend ses racines dans la conception scientifique positiviste toujours présente en arrière-plan, laisse peu de place à l'émergence d'un nouveau type de programme qui cherche encore ses assises épistémologiques. Les discussions que nous avons pu avoir avec plusieurs responsables de programmes d'études supérieures aux États-Unis, montrent clairement que le Ed.D. arrive difficilement à se démarquer du Ph.D., si, au départ, il ne prend pas ses distances de ce dernier, tant sur le plan épistémologique que sur le plan des objectifs. La stratégie de l'Université Harvard à cet égard est unique et explique possiblement son succès. Ayant été la première à mettre sur pied ce genre de programme professionnel de 3e cycle, elle n'a jamais, par la suite, développé un Ph.D. En outre, elle a obtenu que son programme de Ed.D. soit géré par un Conseil des études supérieures indépendant de celui qui gère l'ensemble des programmes de Ph.D. Elle a ainsi pu préserver le caractère professionnel de son programme.
bull2.gif (117 octets)  Les critiques récentes à l'égard du Ph.D. ont aussi sensibilisé les universités au fait que ces programmes ne répondaient pas nécessairement à tous les besoins de formation de haut niveau dans les sociétés avancées. On met de l'avant l'argument que le Ph.D. a développé une culture de recherche propre, laquelle est parfaitement adaptée à la production de savoirs de type académique et à la préparation de chercheurs qui poursuivront leur carrière de chercheur dans les universités. Par contre, il est moins apte à former des praticiens de haut niveau, appelés à résoudre des problèmes concrets et fort complexes dans des délais contraignants. La recherche réalisée dans le cadre du Ph.D. est fortement influencée par des préoccupations théoriques qui ont leur origine dans les disciplines de base telles la psychologie, la sociologie, et de ce fait, elle tend à produire des analyses abstraites des problèmes. Pour ceux qui partagent ce point de vue, et ils sont de plus en plus nombreux, il est évident que la culture académique diffère de la culture professionnelle et qu'il est urgent d'élaborer des programmes de 3e cycle qui tiennent davantage compte des besoins et des préoccupations du monde professionnel.

bull2.gif (117 octets)  Le questionnement autour de la cohabitation Ph.D. et du D.Ed., très présent dans les écrits scientifiques publiés avant 1990, prend une toute autre orientation dans la dernière décennie du millénaire. En effet, la controverse Ph.D. contre ED.D. s'estompe pour céder la place à un autre discours centré cette fois sur les fondements d'un savoir pratique et des objectifs que devrait poursuivre un programme de formation de 3e cycle pour les professionnels du milieu de l'éducation. On voit également apparaître, en dehors des U.S.A. surtout, des programmes novateurs dont plusieurs se démarquent radicalement des modèles traditionnels. Nous en avons examiné plusieurs, en particulier ceux qui ont été créés depuis 1990 en Australie. Le colloque “Professional doctorates: Innovations in teaching and research” tenu à Coffs Harbour, Australie en 1998 a influencé considérablement nos travaux. Il nous a été possible lors de cette rencontre de discuter avec les représentants universitaires du contenu et de la stucture de ces programmes et de profiter du bilan qu'ils en ont fait à cette occasion.

bull2.gif (117 octets)  Ce que nous retenons de ces modèles et de ces expériences
bull2.gif (117 octets)  Les Ed.D se sont développés très rapidement dans les universités australiennes grâce à l'encouragement explicite du gouvernement fédéral et des subventions qui appuyaient les initiatives universitaires. Il n'est donc pas surprenant que la plupart des universités ont profité de cette ouverture pour mettre sur pied des programmes de type professionnel parmi lesquels les Ed.D. occupent une place considérable. Les initiatives n'ont cependant pas toutes été heureuses. À la Conférence de Coffs Harbour, par exemple, le gouvernement a servi un avertissement aux universités qui avaient créé des programmes constitués uniquement de cours. Plusieurs, toutefois, étaient de belles réussites qui semblaient rejoindre les préoccupations des milieux de l'éducation. Ce sont surtout ces modèles qui nous ont inspirés. Voici les idées qui nous ont semblé les plus importantes de retenir pour le présent projet de programme:
- Asseoir le D.Ed. sur les fondements épistémologiques qui sont à la base de la plupart des nouveaux programmes en émergence, du moins ceux qui semblent les plus novateurs (Maxwell, 1997, 1998).
- Accorder une part importante à la recherche-action, la recherche-intervention dans la formation des professionnels. Le “Council of australian deans and directors of graduate studies” émettait lors de cette Conférence un avertissement aux universités dont les programmes consacraient trop peu de place à la recherche. On recommandait plutôt 70% consacré à la recherche et 30% aux cours. À l''University of New England, la proportion est de 75% pour la recherche et 25% pour les cours. Il se dégageait un large consensus autour de l'idée que la formation de professionnels de haut niveau devait se faire principalement par la recherche et non par les cours.
- Évaluer la production du doctorant à partir d'un “portfolio” ( plutôt que d'une thèse, concept lié au Ph.D.). Nous n'avons pas retenu le terme portfolio pour la simple raison qu'il avait une signification différente en français et qu'il pouvait porter à confusion. Nous avons préféré le terme “dossier de recherche”, gardant ainsi l'idée que ce dossier pouvait se composer de plusieurs éléments.
- Faire cheminer les doctorants en cohortes de 10 à 15 étudiants et leur permettre de poursuivre le programme à temps partiel. Le pour et le contre de cette innovation (adoptée également par l'Université de UBC dans son programme D.Ed.) fut longement débattu à la Conférence de Coffs Harbour. Les universités qui avaient incorporé cette exigence dans leur programme, y voyaient beaucoup d'avantages: créer une communauté de pratique; entr'aide et soutien mutuel durant tout le programme; prise de conscience de pratiques différentes et complémentaires, assurer un suivi plus soutenu et régulier des étudiants; faire une économie de temps et d'efforts, etc. Cette pratique compensait également pour la non-obligation de résidence et la possibilité de faire des études à temps partiel. Ces initiatives étaient conçues non pas dans une perpective de diminuer les exigences et les standards mais plutôt dans l'optique d'une adaptation du programme au vécu professionnel des doctorants.
- Réaliser une recherche en lien avec l'emploi et, autant que possible, obtenir la participation de l'employeur. Si la plupart des universités australiennes insistent sur la nécessité de maintenir des liens d'emploi et de réaliser la recherche dans son milieu professionnel, c'est l'Université UWS-Nepean qui semble avoir pousser encore plus loin cette initiative en invitant les partenaires du milieu à participer au programme à divers titres et en les convaincant, s'ils sont employeurs, de libérer les doctorants d'un temps de travail au profit de leurs études. Le présent projet de doctorat reprend cette idée tout en l'adaptant à la réalité québécoise. En effet, au cours de l'automne 1999, nous avons pris contact avec une douzaine de professionnels de l'éducation, les invitant à se joindre à nos discussions et éventuellement à participer au projet. Ce sont des personnes issues de MEQ, CSE, FCSQ. AQPDE, CEQ, CS, secteur privé, secteur de l'enseignement, etc. Cette initiative vise non seulement leur intégration dans l'offre du programme à titre de conseiller, d'accompagnateur, de membre de comités d'encadrement, etc., mais elle cherchera également à obtenir leur appui dans les négociations éventuelles avec les employeurs, et ce dans le but d'obtenir, si possible, une libération de tâche pour les futurs doctorants du D.Èd.
bull2.gif (117 octets)  Certes l'émergence de D.Ed, nouveau mode, tant en Australie, qu'en Engleterre et au Canada s'explique en partie par les pressions du milieu de l'éducation pour obtenir une formation de 3e cycle autre que celle offerte pas les programmes tratidionels. Il faut souligner cependant que la multiplication récente de ces programmes et leur succès sont dus également aux percées épistémologiques dans les sciences humaines et sociales. Cette question sera traitée lors de la présentation.