Biennale 5
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Freud, l’éducation pour la réalité et les illusions psychopédagogiques

Auteur(s) : DE LAJONQUIÈRE Leandro

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bull2.gif (117 octets)   La problématique de l’éducation n’est passée à l’ordre du jour des préoccupations freudiennes que dans le sillon de l’une d’elles, à savoir, les relations entre la souffrance psychique et la morale sexuelle de l’époque (cf.1905,1907,1908). Le malaise, pensé jusqu’à un certain point comme l’effet d’une défense psychique face à la contradiction entre le désir sexuel et les prescriptions morales, a révélé la possibilité d’une psychoprophylaxie éducative de l’enfance. La conception aussi bien de la relation entre l’individu et la culture que de l’étoffe de l’éducation s'est définie progressivement au long de son œuvre. En 1920, la thèse de l’irréductibilité pulsionnelle ne permet plus de penser le malaise psychique comme un effet culturel contingent et les propres réalités culturelles commencent à être considérées comme un produit de la division ou castration psychique inhérente au processus d’humanisation. Dès 1937, Freud enterre une fois pour toutes la possibilité d’une éducation psychoprophylactique.
bull2.gif (117 octets)  Néanmoins, le fait qu’il renonce à toute prophylaxie n’a pas affecté son espérance qu’il existe un jour une éducation différente de celle qui existait à son époque. Bien que cet espoir ait été, jusqu’à certain point, solidaire de l’illusion prophylactique, le cours de son œuvre viendrait les séparer. En 1932a, Freud se penche sur la “mission première de l’éducation” et déclare non seulement que jusqu’alors l’éducation n’a accompli sa mission qu’imparfaitement, mais encore que “l’éducation psychanalytique” cherche à faire de l’enfant un “homme sain et efficace”. Sa confiance en une éducation autre reçoit, en 1927, le nom d’éducation pour la réalité. Cette dernière, à la différence de celle de son époque - particulièrement en raison la piété chrétienne sur le modèle aussi bien de l’idéalisme germanique ou de la culture nord-américaine, que du stalinisme russe (cf.1932b) -, se doit d’éviter la “misère psychologique des masses” (1929), bien qu’elle soit incapable de changer “notamment l’essence psychologique de l’homme ” (1927). Dans ce cas, l’essence psychologique est l’étoffe divisée du sujet et, d’un autre côté, l’état psychologique à être évité est précisément la misère inhérente à la renonciation au désir propre des masses psychologiques. Dans ce sens, cette éducation autre ne se résume pas à une intervention moins répressive, au sens comportemental, des adultes auprès des enfants, comme l’ont présupposé quelques pédagogies psychanalytiques. Au contraire, elle vise une modification du status quo éducatif en faveur d’une qualité différente d’intervention, c’est-à-dire, de la possibilité que les adultes en viennent à s’adresser aux enfants au nom de quelque chose d’autre que la morale hégémonique, de manière à ne pas reproduire les stratégies massives de la jouissance psychique.
bull2.gif (117 octets)  L’éducation pour la réalité prend son sens en opposition à celle mise en place par la pédagogie religieuse. La réalité, pour Freud, n’a rien à voir avec la réalité quotidienne et son effort ne doit donc pas être compris dans un sens psychologico-adaptationniste. Cette proposition éducationnelle vient se superposer à la définition de l’éducation, en soi, comme “le stimulus à vaincre le principe de plaisir et à le substituer par le principe de réalité ” (1911:1641). Il souligne encore que la réalité quotidienne, fruit des illusions religieuses, n’est qu’une espèce d’énorme “névrose collective” (1929:3067).
bull2.gif (117 octets)  Il est possible d’élucider le contenu de la critique contre la morale religieuse quand Freud montre qu’il est inadéquat de considérer la théorie psychanalytique comme une Weltanschauung particulière. En 1932b, il affirme : “La religion ... accomplit, ainsi, trois fonctions ... elle satisfait la volonté de savoir des hommes ... elle diminue la peur des hommes face aux dangers et aux vicissitudes de la vie ... [et] formule des prescriptions, des prohibitions et des restrictions” (p.3193). Il y soutient ensuite : “Les exigences éthiques, auxquelles la religion cherche à donner une sustentation, demandent, au contraire, un fondement différent, car elles sont indispensables à la société humaine” (1932c:3197).
bull2.gif (117 octets)  La critique contre la religion semble viser le sceau justificationniste de cette dernière, c'est-à-dire, ce qui entrave la dimension éthique de l’action humaine. Non seulement Freud est-il convaincu que, dans la mesure où l’homme obéit au nom d’un Dieu quelconque, son action trouve ses justifications dans une réalité spirituelle qui transcende la vie sociale, mais encore qu’il y gagne une certaine certitude subjective. Ainsi, quand l’homme échappe à toute illusion divine, des questions peuvent être instaurées par le désir qui anime son acte et un nuage d’incertitude spirituelle ou morale peut, alors, se profiler à l’horizon. D’un autre côté, Freud ne souligne pas seulement le besoin en soi d’exigences morales mais également celui de leur trouver un autre “fondement” - la propre condition humaine. En effet, il nous paraît possible de considérer l’entreprise freudienne de substituer les motifs religieux de la morale par d’autres “purement séculiers” (1927:2982) comme une critique à l’essentialisme éthique, qui tend toujours à récuser le caractère ex nihilo des créations discursives morales ou, si l’on préfère, la fragilité inhérente à l’existence artificialiste de l’homme.
bull2.gif (117 octets)  Freud n’affirme pas le manque de vérité des doctrines religieuses au nom de la psychanalyse, quoiqu’il l’ait fait en son nom propre. Il se contente, à mesure qu’il remet en cause la signification psychologique de ces dernières, de conclure qu’il s’agit d’illusions - c'est-à-dire de croyances qui ne sont pas forcément erronées mais qui répondent mal aux canons de la raison scientifique de l’époque. Ainsi, Freud cherchait à élucider un aspect particulier des religions qui pourrait bien mériter le nom de fondamentalisme ou fanatisme.
bull2.gif (117 octets)  En somme, il serait psychiquement possible de croire à la religion sans tomber dans les griffes du fondamentalisme ou dans l’impasse propre d’un justificationnisme éthique, qu’il soit religieux ou non. Comme le disent les paroles d’une chanson populaire latino-américaine “je ne demande qu’une seule chose à Dieu : que le futur ne me soit pas indifférent”. Le sujet peut donc fort bien ne demander à Dieu que de ne pas lui retirer sa propre responsabilité sur le futur, c'est-à-dire la possibilité de s’impliquer de manière existentielle dans un acte ou de pouvoir agir au nom du désir. Mais il serait également psychiquement possible de brandir un certain athéisme et, toutefois, être spirituellement pris dans un illusionnisme fondamentaliste comme, par exemple, dans le cas du stalinisme (1932b:3204). D’un autre côté, un sujet irréligieux - dans ce cas S. Freud - peut fort bien avoir l’espoir de ce que le futur de l’humanité soit dépourvu d’illusions religieuses sans se leurrer quant aux difficultés pour que celui-ci se réalise.
bull2.gif (117 octets)  C’est dans ce contexte qu’il nous faut comprendre que la “morale sexuelle culturelle ” des adultes, considérée “hypocrite” car elle empêche que l’homme “vive selon sa vérité psychologiqu ” (1915:2107), s’oppose, au début de la réflexion freudienne, à la morale “ naturelle ” (cf.1908). C’est-à-dire que, dans la morale dite culturelle, l’homme ne peut pas se reconnaître en tant que divisé et désirant, puisqu’il dispose toujours d’une justification correcte et fondamentale de ses actes.
bull2.gif (117 octets)  Dans ce sens, la critique persistante de Freud contre l’éducation remet à l’aspect central des idées éducationnelles hégémoniques des premières décennies - leur justificationnisme pédagogique, épiphénomène du fondamentalisme qui s’était emparé de la civilisation. L’éducation pour la réalité pourrait être pensée comme une éducation par-delà le justificationnisme pédagogique. Ainsi, Freud espérait que le futur nous réserve une “éducation libérée des doctrines religieuses” encore qu’incapable de produire l’harmonie psychique qui nous fait encore défaut. Plus encore, il considérait que malgré le fait qu’il soit improbable que ses espoirs viennent un jour à se concrétiser, “il valait la peine de tenter” (l927:2987).
bull2.gif (117 octets)  Freud présupposait donc la possibilité d’une éducation à sec, c’est-à-dire, qu’il misait sur une éducation humble, sans le moindre fondement transcendantal. C’est sous cette perspective qu’il nous faut comprendre la critique, au début de son œuvre, contre le fait que la pédagogie produise un “conflit psychique” (1908:1264) ou un “refoulement violent” (1913a:1866). L’éducation de l’époque, en cachant systématiquement le sexuel et en intimidant sur le terrain religieux fait du cours des pulsions quelque chose qui ne peut que difficilement avoir lieu et, donc, compromet la position de l’enfant face au désir. Dans le monde transcendant des certitudes, en principe, il n’y a pas de place pour le sujet du désir. Ainsi, éduquer pour la réalité est synonyme d’éduquer pour le désir ou de permettre la reconnaissance de l’impossible réalité du désir - c’est-à-dire le caractère artificialiste de son étoffe.
bull2.gif (117 octets)  La pédagogie imprégnée d’illusions religieuses neutralise la volonté de savoir mais diminue également la peur des adultes face aux dangers et aux vicissitudes de la coexistence avec des enfants, dans la mesure où il formule des prescriptions, des prohibitions et des restrictions toujours justifiées. En somme, elle ignore le désir. Elle ne veut rien savoir de l’impossible autour duquel s’articule la relation de l’adulte à l’enfant. Au contraire, une éducation pour la réalité du désir ne constitue pas un paramètre pédagogique.
bull2.gif (117 octets)  La critique freudienne à la pédagogie présuppose la possibilité d’une intervention auprès d’enfants, libre des justifications habituelles ou des paramètres pédagogiques, qui irradient des certitudes spirituelles. Ainsi, dans la mesure où l’adulte ne soutient pas l’éducation au nom d’un autre monde plus véritable que celui-ci, il permet au désir, qui en fait anime son acte, de venir germer chez l’enfant. Il en ressort que l’éducation pour la réalité est une éducation non fondée du point de vue pédagogique, car elle se reconnaît comme assise sur le désir adulte en cause dans l’acte éducatif. C’est-à-dire qu’elle se sait fonction de la position du propre adulte vis-à-vis de la castration. Autrement dit, elle dépend de la possibilité de ce que l’adulte en vienne à susciter chez l’enfant une interrogation quant aux motifs qui l’animent, impossibles à réintégrer dans quelque système pédagogique que ce soit.
bull2.gif (117 octets)  Finalement, il convient d’ajouter que la critique freudienne au fondamentalisme pédagogique de sceau religieux nous permet de repenser l’impasse de l’éducation actuelle. A la différence du passé, “ l’éducation ” actuelle est imprégnée d’un certain fondamentalisme psychonaturaliste. Elle est maintenant pensée comme le processus de stimulation méthodique et scientifique d’une série infinie de capacités psychomaturationelles. Cette éducation réduit, d’un côté, l’enfant à être l’objet de savoirs psychologiques spécialisés et, de l’autre, les vicissitudes de l’acte d’éduquer au développement d’une raison didactico-instrumentale. Ainsi, l’interrogation éthique est formulée par l’empire d’une illusion psychopédagogique, c’est-à-dire par la confiance en une possibilité de fonder l’intervention sur une supposée adéquation psychologique à la réalité infantile.
bull2.gif (117 octets)  Comme les bénéfices religieux, le fondamentalisme psychonaturel est capable de neutraliser la volonté de savoir, et encore de diminuer la peur des adultes face aux dangers et aux vicissitudes de la vie auprès des enfants, dans la mesure où il formule des prescriptions, des prohibitions et des restrictions toujours justifiées. Pour ce qui est de l’éducation, les illusions psychonaturalistes l’emportent néanmoins sur la religion, en un point : elles diminuent un peu plus la possibilité de reconnaissance du désir qui anime l’acte éducationnel.
bull2.gif (117 octets)  L’insistance religieuse à dominer le désir, comme, d’ailleurs, toute manifestation névrotique, ne fait que placer, de temps en temps, le sujet face à l’impasse de reconnaître l’impossible réalité du désir. Même si la religion ne récuse pas la réalité du désir, elle condamne le sujet à la réitération de l’échec du refoulement. D’un autre côté, cette “ névrose collective ” qui s’empare du monde adulte renforce, selon Freud, le risque que les enfants en viennent, dans le futur, à rejoindre les rangs des “ ennemis du progrès ” (1932a). Signalons encore que la forclusion du désir, impliquée par les illusions psychopédagogiques actuelles, n’empêche pas que les enfants souffrent de cynisme résigné.
bull2.gif (117 octets)  Il existe, par définition, une antinomie entre la nature artificielle du désir et le justificationnisme moral, propre de toute pédagogie. Mais le fait que la pédagogie moderne soit imprégnée d’un justificationnisme naturaliste, c'est-à-dire de la certitude de ce qu’il existerait une adéquation naturelle entre l’intervention éducationnelle et le prétendu niveau psychologique de l’enfant, implique la forclusion du désir (cf. de Lajonquière, 1998).
bull2.gif (117 octets)  Naturellement, ces deux risques d’échec éducationnel, que les enfants deviennent soit des ennemis du progrès soit des cyniques, relèvent d’un problème politique. Ainsi, sur ce point, la psychanalyse trouve sa propre limite, et le devoir qu’elle finit par se fixer est, simplement, d’agir sur le même niveau politique du problème, ce qu’avait expressément observé Maud Mannoni (1973).
bull2.gif (117 octets)  REFERENCES
bull2.gif (117 octets)  DE LAJONQUIÈRE, L. (1998). “ L’enfant, sa psychologie et l’éducation ”. 2ème CD-Rom de l’Education et de la Formation, APRIEF.
(2000). “ Freud, l´éducation et les enfants : entra la psychanalyse et la politique ”. Etats Généraux de la Psychanalyse, Paris. http://members.aol.com/call971/texte73.html
bull2.gif (117 octets)  FREUD, S. (1905). “ Tres ensayos para una teoria sexual ”. In : Obras Completas, v. 2. Madrid : Biblioteca Nueva, 1973.
(1907). “ La ilustración sexual del niño ”. In : op. cit.
(1908). “ La moral sexual cultural y la nerviosidad moderna ”. In : op. cit.
(1911). “ Los dos principios del funcionamiento mental ”. In : op. cit.
(1913a). “ Múltiple interés del psicoanálisis ”. In : op. cit.
(1913b). “ Prefacio para un libro de Oskar Pfister ”. In : op. cit.
(1915). “ Consideraciones de actualidad sobre la guerra y la muerte ”. In : op. cit.
(1915-17a). “ Lecciones introductorias al psicoanálisis -Lección XXI.. In : op. cit.
(1915-17b). “ Lecciones introdutórias al psicoanálisis -Lección XXIII.. In : op. cit.
(1925). “ Prefacio para un libro de August Airchhron ”. In : Obras Completas, v. 3. Madrid : Biblioteca Nueva, 1973.
(1927). “ El porvenir de una ilusión ”. In : op. cit.
(1929). “ El malestar en la cultura ”. In : op. cit.
(1932a). “ Nuevas lecciones introductorias -Lección XXXIV. In : op. cit.
(1932b). “ Nuevas lecciones introductorias -Lección XXXV. In : op. cit.
(1937). “ Análisis terminable e interminable ”. In : op. cit.
bull2.gif (117 octets)  MANNONI, M. (1973). Education impossible. Paris : du Seuil.