Biennale 5
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Mémoire et expérience d'enseignement

Auteur(s) : CORTEZ Maria Cecilia

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bull2.gif (117 octets)   Le bel essai d'Horkhwimer et Adorno sur l'illuminisme analyse le dilemme de l'homme occidental dans la modernité : l'alternative de détacher l'existence humaine de la nature, qui exige une présence d'esprit constante, et la tentation du retour au passé représenté dans le récit homérique par le chant des sirènes.
bull2.gif (117 octets)  L'essai sur l'illuminisme fut l'un des points d'appui qui nous servi pour orienter un ensemble de critiques au projet moderne d'un faire-valoir de la science dans la vie quotidienne et soulager la mémoire par les divertissements culturels. En dénonçant le pouvoir des dominants se réservant le droit de la mémoire et en imposant par là leur version du passé au dominés, en dépréciant les souvenirs du commun des mortels, en interdisant la transformation de la mémoire en expérience, fut mis à nu l'un des dispositifs les plus autoritaires et les plus insidieux du colonialisme de la technoscience sur la pensée actuelle. Dans les années 80, le fil de la réflexion sur la mémoire a été renoué, fil qui avait accompagné la pensée occidentale au début du siècle à travers les oeuvres de Bergson, James, Proust, Freud, Joyce, Conrad, Halbwachs, les penseurs de l'école de Francfort et les chercheurs de l'école de Chicago, et qui avait été interrompu par la seconde guerre mondiale et par l'euphorie pragmatique qui s'en est suivie. La mémoire, et sa relation avec la vie pratique, sous la forme du concept d'expérience, fut revalorisée, mais essentiellement fut démontrée la relation entre le travail de mémoire et l'émergence et la constitution d'un sentiment d'identité.
bull2.gif (117 octets)  Halbwachs (1968) avait attiré l'attention sur la fonction de la mémoire collective dans le renforcement ou la constitution d'un sentiment d' appartenance à un groupe, une classe ou une catégorie qui partagent un passé commun. Cette appartenance n'est pas seulement partagée, mais elle sert aussi de balise ou repère pour définir des différences qui n'appartient pas à la catégorie du réel ( race, couleur, ethnie, genre ) mais plutôt au champ du symbolique, étant donné que la mémoire crée un imaginaire historique, défini par l'appropriation personnelle et par l'attribution de sens particulier à une trajectoire donné, faite de contact et d'accès à un patrimoine culturel. Les travaux de la mémoire effectués dans la mouvance de Halbwacks critiquèrent la relation qu'il établit entre mémoire collective et sentiment national, centrant leurs travaux sur la déconstruction et la critique sur la mémoire officielle et aliénée ( Pollack, 1989) . Néanmoins, ils connurent leur dette envers Halbswacks en montrant le rôle de la mémoire dans l'affirmation nécessaire d'une cohérence interne pour structurer une différence symbolique.
bull2.gif (117 octets)  Dans un tout autre champ, Freud avait démontré le caractère dynamique de la mémoire et les frontières mouvantes qui séparent la mémoire de l'oubli, ainsi que la libération qui offre la possibilité à l'individu de récupérer aussi bien les mémoires censurées, que d'élaborer un sens différent au passé personnel. En même temps, en exposant sa théorie de la séduction, il avait ébauché aussi le concept de "postérité": le fait que le passé ne peut pas être considéré comme une masse de donnés mais plutôt que le passé est constitué et continuellement reconstruit à partir d'une problématique du présent. Sur ce point, Benjamin prit appui pour affirmer, dans ses thèses sur l'Histoire, que tandis que la divination du futur paralyse, la réflexion sur le passé libère le présent.
bull2.gif (117 octets)  Toute cette réflexion qui vient d'être esquissée, rencontra notre écoute sensible, nous qui travaillions à la formation des professeurs, malgré les résistances envers la mémoire dans la pensée éducationnelle. Il y a une dissociation fondatrice qui tient à des particularismes brésiliens entre la mémoire et la éducation, et qui a des résonances jusque dans l'histoire de l'éducation. L'idée positiviste d'une temporalité linéaire allant en ligne directe vers le progrès, ou constituée d'étapes comme dans l'idée de développement, a eu pour conséquence que la catégorie du futur s'est imposée comme légitime dans le champ éducationnel. Un développement qui n'intègre pas véritablement la nouveauté et la transformation, car il est prévu dans l'ordre du progrès, ou dans les étapes de développement, a légitimé pendant très longtemps les interventions extérieures à la relation pédagogique. Ces interventions s'en trouvèrent auto-justifiées parce qu'elles étaient des innovations scientifiques et, parce qu'elles étaient scientifiques, positives et transformatrices. Ainsi, la mémoire enseignante cessa d'être une scène pour les expériences, rarement considérées comme modèles, mais toujours, pour leur exemplarité, capables d'apporter une sagesse au présent et de fournir interrogations pour orienter le futur. Evidemment, cette perception du temps qui chemine inexorablement vers le progrès, comme dit Benjamin, ne peut que transformer le passé en rebuts et vestiges, restes inutiles pour un cheminement qui cherche son sens dans le futur. Ainsi, la dépréciation de la mémoire continue de ne pas être discutée dans la majeure partie des tendances éducationnelles actuelles, alors même que les sciences humaines on fait exploser l'idée d'une temporalité linéaire, homogène et unique, et que la chute des utopies révolutionnaires, en cette fin de siècle, a ébranlé d'une temporalité chemina inexorablement vers le progrès. De la notion illuministe, du rejet du traditionalisme, de l'autoritarisme et des idées toutes faites, qui orientèrent le projet de scolarisation et l'action de réformateurs tel que Anisio Teixeira, il ne resta plus que cette face négative, une fois abandonnés les idées d'une démocratisation effective. On cherche encore vers le futur, en faisant, des réformes successives des adversaires imaginaires du passé. Bien que l'on ne sache déjà plus quelle direction la flèche du temps va pendre, le mythe de la science auquel des nombreuses y sont accrochées, soutient encore une mystique du progrès: la technologie garantie le rêve que la postérité ne nous réserve pas les abîmes que la fracture sociale ouvre dans le présent et que l'histoire officielle, dans sa fonction tranquilisatrice cherche à effacer du passé.
bull2.gif (117 octets)  D'une manière autoritaire, la transformation abusive des descriptions théoriques , principalement psychologiques, dans des pratiques pédagogiques, en prenant appui sur l'autorité d'un discours dit scientifique, entraîna une acceptation non-critique de théories , souvent dans une version "stérilisée" par l'enseignement des professeurs. L'inculcation qui s'est basée sur cette juxtaposition pure et simple du "pratique" à "l'empirique" a fait de l'éducation le champ d'application des théories scientifiques. Il s'est ainsi créé une confusion entre le discours scientifique et un discours technico-rhétorique, introduisant une équivoque en considérant comme relevant de l' éthique ce qui n'était qu'instrumental et prescriptif. Peu d'attention a été donnée à l'irréductibilité existante entre l'univers de la praxis et l'univers empirico-théorique et aucun intérêt n'a été manifesté pour comprendre leurs médiation complexe. Au fond, la réflexion pédagogique et psychologique, jusqu'à tout récemment, en se centrant sur les processus d'apprentissage de l'élève, a laissé à la marge le processus d'apprentissage du professeur. La formation de l'enseignant était pensé comme un processus d'inculcation d'un savoir produit d'une manière extérieure à leur activité professionnelle présente et passée.
bull2.gif (117 octets)  La perception de l'éducation comme "champ d'application de la théorie" a débouché sur l'idée que le regard sur l'expérience professionnelle passée est au minimum inutile, puisqu'elle se réfère à ce qui est dépassé, et au maximum pernicieuse, parce que "sans bases scientifiques". Certaines pratiques pédagogiques traditionnelles furent ainsi considérées comme des "pratiques attardées": la dictée, la copie, la lecture orale par exemple, furent pratiquement bannies des recommandations pédagogiques, jusqu'à que des recherches très récentes ont rétabli leur évidence dans l'apprentissage de la lecture. Plus encore, les expériences consacrées par la culture scolaire ont été considérées comme routinières et banales, les histoires de vie et de formation scolaire à peine intéressantes. Les découvertes dites "scientifiques" , au fond simplement techniques, ont enlevé toute crédibilité à l'expérience des écoles, l'histoire des élèves et des professeurs.
bull2.gif (117 octets)  Ainsi les récits de vie professionnelle d'enseignants ont peu été pris en considération, jusqu'à très récemment dans les recherches en éducation. Ces expériences furent interprétées en fonction des paramètres des politiques éducatives, et, en tant que telles, considérées comme non scientifiques, ne méritant aucun crédit, perçues presque toujours comme des résistances ou des obstacles aux innovations qu'on cherchait à imposer à travers l'autorité de la science ou la séduction d'une rhétorique technique. L' expérience des professeurs a été aussi bien disqualifiée que leur rôle en tant que sujet historique a été sous-estimé: on cherchait à les considérer dans le passé comme des simples reproducteurs afin de pouvoir les mouler dans le présent comme des relais de transmission ou d'application des connaissances et des techniques élaborées en d'autres lieux. On explique la bureaucratisation, la tendance à l'inertie et à la routine, à un processus inhérent à une pratique autonome, à savoir, celle du professeur libre de cours de recyclage et d'évaluation administrative. Quand l'expérience enseignante échappait à ces stéréotypes, elle était considérée comme une exception et par conséquent non généralisable, socialement et historiquement non pertinente.
bull2.gif (117 octets)  C'est ainsi que les professeurs ne sont pas devenus, comme le voyageur emblématique de Benjamin, sages grâce à l'intégration de vécus de nombreuses vies et grâce à la science de nombreuses expériences. Ils eurent leur parole coupé de leur plénitude révélant la différence qui existe entre le "dire" et ce que "le langage oral attend pour parles qu'une écriture l'écoute et sache qu'elle dit". ( M. De Certeau, 1982, p. 211 à 242 ) . Dans une modalité propre à la modernité, le professeur devient un personnage pour lequel le vécu et les paroles se trouvent profondément scindés. Personne n'attend d'un professeur qu'il intègre, dans ses lectures et sa formation, une vaste expérience de l'Autre, qu'il identifierait à l'histoire de sa propre vie. Personne ne tolère, encore moins dans le langage écrit, qu'une professeure se place comme participante active et personnage central dans sa relation à la connaissance. Le professeur doit seulement enseigner et, ce faisant, il plonge son être au royaume des ombres.
bull2.gif (117 octets)  Dans l'imaginaires social, les professeurs n'ont pas d'histoire puisqu'ils répètent, reproduisent ce qu'ils ont appris, reproduisent les cours, les programmes, les connaissances, les pratiques, de jour en jour , d'année en année, durant les décennies de leur carrière professionnelle. Les femmes professeures ne sont pas en général sujets de mémoire, bien qu'elles le soient pour quelques élèves, à titre d'obscures maîtresses d'école, celles qui les ont initié dans les premiers pas d'une carrière où ils devirent célèbres. Peut-être cela est-il dé à l'opposition, mise en évidence par Monique de Saint-Martin (1989) , au début du siècle, entre être écrivaine et être professeure. Au contraire des écrivaines, peut-être que l'ouverture à une carrière intellectuelle apparentée à un bénévolat social a amené les professeures a devoir payer un tribut en faisant voeu de silence sur elles-mêmes tout au long de leur chemin obscur et anonyme. L'écriture de la mémoire des femmes professeures fut ainsi empêchée quand bien même elles en auraient été les uniques lectrices qui, à partir d'un point quelconque du futur et d'une instance critique plus vérifiée, auraient pu reconstitué la totalité de leur vie, refaire leur parcours de vie professionnelle, en la réunifiant et construisant son sens.