Je voudrais relater ici ma recherche doctorale en sociologie sur l'articulation de la socialisation familiale et de la socialisation scolaire du jeune enfant en France. Impulsées par le manque de connaissances relatives au quotidien des jeunes enfants dans notre société, nourries des travaux antérieurs de la sociolo-gie de l'éducation, les questions initiales de la recherche, ³comment vit le jeune enfant de 3 à 6 ans dans notre société?, comment se déroule sa socialisation entre famille et école maternelle?, quelle est cette distance culturelle qui sépa-rerait famille et école?, furent reformulées après les premières observations qui remettaient en cause la pertinence de la notion de distance culturelle dans une approche microsociologique.
  Inspirée par Anselm Strauss, l'approche en terme d'articulation entre la sociali-sation familiale et la socialisation scolaire rouvre l'investigation et permet de rendre compte des imbrications entre les deux processus d'acquisition de savoirs et de savoir-faire requis pour l'établissement de liens sociaux, pour reprendre la définition de la socialisation proposée par J-M. Berthelot. Le cadre théorique permet d'analyser dans les mêmes termes les deux organisations sociales que sont l'école maternelle et la famille : les situations, l'agencement matériel et l'action des protagonistes observés renvoient à différentes logiques d'action, fondées sur la justice, sur la force ou sur les sentiments.
  Premier phénomène contribuant à l'articulation : l'analyse des textes prescriptifs destinés aux parents et aux instituteurs d'école maternelle - le Code civil, la Convention Internationale des Droits de l'Enfant, les décrets et circulaires du Ministère de l'Éducation Nationale, et deux manuels considérés comme para-digmatiques : J'élève mon enfant et Orientations, projets, activités pour l'école maternelle -montre que les mêmes logiques d'action sont prescrites aux parents et aux instituteurs et composent leurs répertoires respectifs.
  Autre phénomène favorable, l'homogénéisation des deux écoles observées : les choix des parents vers une école dont les autres familles et les enseignantes leur conviennent se combinent à l'installation d'institutrices satisfaites par ce public.
  Enfin, dans l'investigation microsociologique, il s'avère que l'articulation entre socialisations familiale et scolaire s'incarne dans les compétences construites par l'enfant au foyer et mobilisées dans sa classe. Le soutien scolaire parental ne garantit pas une bonne articulation. Les jonctions entre les deux processus s'appuient sur des similarités du fonctionnement familial et de l'organisation scolaire, mais aussi entre des caractères complémentaires. Les jeunes enfants de parents étrangers révèlent a contrario l'importance de la culture anthropologique commune dans l'articulation.
  Confronté aux répertoires des divers principes d'action de ses parents et de ses institutrices, le jeune enfant construit le sien. Dans notre société moderne et segmentée, cette socialisation plurielle s'avère nécessaire. En tant que procès au c¦ur de l'auto-production sociale, l'étude de la socialisation conserve un grand intérêt.