Toute personne, qui s'intéresse aujourd'hui à l'étude de l'enseignement, ne peut être que frappée par la profusion et l'éclatement des écrits portant sur la connaissance des enseignants. Alors qu'il y a une vingtaine d'années à peine, cette question était à peu prés négligée, elle est devenue entre temps un véritable cheval de bataille enfourché par des chercheurs, des théoriciens et des pédagogues appartenant à des courants théoriques très variés et étudiant, sous le terme commun de " savoir " ou de " connaissance " (knowledge), des objets multiples selon des perspectives très différentes : cognitivisme, constructivisme et socio-constructivisme, ethnométhodologie, études sur la pensée de enseignants (teacher's thinking), sur les " enseignants experts ", sur l'enseignement efficace et stratégique, travaux anglo-saxon sur le " knowledge base ", néobéhaviorisme (souvent caractéristique des approches américaines process/product), sociologie des professions, ergonomie, psychologie sociale, anthropologie culturelle, théories du sens commun, phénoménologie sociale, philosophie (par exemple, les études sur les raisonnements pratiques de Feinsteinmacher), etc.
  Or, jusqu'à maintenant, très peu d'auteurs se sont intéressés à la genèse idéologique de ce champ de recherche et au contexte sociopolitique qui a présidé à son édification et, par la suite, à son expansion. Certes, les études de Bourdoncle en France (1991, 1993), de Labarre (1991, 1996, 1997) et de Apple (1987, 1993) aux États-Unis, de Hargreave (1994), de Fullan et al. (1998) et de Gauthier et al. (1997) au Canada ont permis de jeter quelques lumières sur cette question. Toutefois ces études s'attachent principalement aux enjeux de la problématique de la professionnalisation de l'enseignement et à leurs conséquences sur la question de la connaissance des enseignants. Mais la professionnalisation de l'enseignement ne constitue qu'un des facteurs qui a contribué à l'émergence de cette question. De plus, ces auteurs en restent le plus souvent à des phénomènes internes à l'évolution de l'enseignement et de la formation des maîtres, sans établir de lien avec l'histoire récente de l'institution scolaire et les idéologies socio-politiques qui l'ont marquée. Dans un sens analogue, l'évolution de la recherche en éducation est souvent traitée en vase clos, sans qu'il soit possible de saisir les liens qu'elle entretient avec des courants intellectuels et/ou culturels plus vastes qui lui servent souvent de fondements cachés. Enfin, ces auteurs négligent complètement l'évolution récente de ce champ de recherche dans des pays comme le Brésil, le Mexique, etc.
  Le but de cette communication est d'étudier la genèse idéologique et socio-politique de ce champ de recherche sur la connaissance des enseignants. Dans un premier temps, nous présentons l'arrière-plan idéologique et intellectuel qui a rendu possible l'émergence de ce champ de recherche en sciences de l'éducation sur le plan international. Dans un second temps, nous tâchons de le situer au sein de l'évolution récente de l'institution scolaire et de la crise du savoir dans nos sociétés modernes avancées. Cette communication propose donc des jalons et des repères pour mieux comprendre pourquoi et comment la question de la connaissance des enseignants en est venue à dominer la recherche sur l'enseignement depuis le début des années 1980. Elle vise du même coup à élucider les orientations idéologiques et les choix socio-politiques qui l'ont nourrie et la nourrissent encore.