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Egalité des chances :
visées et aspirations, stratégies et pratiques
Texte de |
Imaginons un historien
La promotion de tous
Un levier essentiel : la formation scolaire
(dans et hors l'école)De l'école, toujours plus
Acquérir les contenus de l'éducation scolaire :
Les connaissances inscrites dans les
programmes scolaires
Le développement personnel des individus
Des valeurs morales et sociales
Construire une école "inclusive" et coopérative
Changer l'école : comment ?
Des structures scolaires unifiées
Des pratiques pédagogiques coopératives
Qui aspire à la formation scolaire ?
Conclusion L'éducation, créatrice de lien social
L'Europe des valeurs
Bibliographie
Cet historien pourrait percevoir aussi que ce projet de promouvoir tous les enfants et tous les jeunes prenait appui sur les progrès de la connaissance scientifique réalisés au cours du XXème siècle quant à l'équipement génétique de l'être humain. Pour les auteurs d'études de cas, ces connaissances permettent de poser légitimement le postulat de l'éducabilité de tous : le potentiel de chacun est immense. Il incombe aux sociétés, et notamment à lécole, de mettre en place les conditions de son actualisation : "The innovation of the Dutch educational system since the late sixties is strongly dominated by the objective of maximizing developmental potentials and providing equal chances to all pupils, regardless their culltural, ethnic or economic backgrounds." [Imaginons un historien ... Imaginons un historien du XXIIème siècle, qui disposerait pour toute source d'information de l'échantillon de cas que nous venons de présenter à grands traits. Quelles aspirations des sociétés occidentales européennes en matière d'éducation à la fin du XXème siècle pourrait-il relever ? En réponse à quels problèmes sociaux ? Quelles visées et stratégies d'approche lui sembleraient avoir été prépondérantes ? Portées par quels acteurs sociaux ?
La promotion de tous Cet historien commencerait peut-être par remarquer la forte volonté de prendre en compte tous les élèves, de construire une éducation pour tous, quelles que soient les caractéristiques personnelles ou socio-culturelles des individus concernés.
En étudiant les publics cibles et les besoins sociaux identifiés par les innovations, il apprendrait que les sociétés occidentales de la fin du XXème siècle rencontraient le besoin économique d'assurer une formation générale élevée à la masse des populations compte-tenu de "l'intellectualisation de plus en plus marquée du travail de production". [
[France, "Développement de l'employabilité de jeunes en difficulté : un dispositif de formation intégré au travail"]. Il apprendrait également que les systèmes éducatifs se trouvaient confrontés à des publics très diversifiés, diversification liée à plusieurs types de causalités :
des inégalités socio-économiques persistantes, voire aggravées par une crise économique de grande ampleur ;
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des mouvements migratoires, anciens ou nouveaux, aux causalités diverses d'ordre économique ou politique ;
des pesanteurs sociologiques qui continuaient de creuser des écarts par exemple entre filles et garçons ;
des volontés humanistes d'intégrer dans les structures éducatives des élèves jusque là marginalisés (élèves d'origine étrangère, élèves handicapés ...)
Un levier essentiel : la formation scolaire (dans et hors l'école)
Pour réaliser cette aspiration à la promotion éducative de tous, l'historien remarquerait sans doute, comme nous l'avons fait précédemment, que l'attente principale se manifeste à l'égard de la formation scolaire. Nous avons vu en effet, dans le point précédent, que toutes les innovations sauf une se rapportaient à la formation scolaire et que la majorité d'entre elles étaient conduites à l'intérieur même de l'école.
Ces innovations témoignent aussi dune longue prise en charge scolaire ou para-scolaire des élèves, qui déborde en aval et en amont les bornes de la scolarité obligatoire. Pour ce qui est de laval, cinq innovations [
Qu'elle soit dispensée dans l'école ou dans des structures para- ou post-scolaires, en quoi consiste cette formation scolaire, quels sont ses contenus ?
Acquérir les contenus de l'éducation scolaire
Il s'agit d'abord des connaissances inscrites dans les programmes scolaires. On a vu par exemple que l'étude anglaise se préoccupe de faire accéder les élèves immigrés bilingues à l'enseignement ordinaire dispensé dans les écoles anglaises : "This approach involves looking at the curriculum and the language requirments inherent in it, identifying language targets suitable for the children in the class and planning appropriate presentations, tasks and materials." [Les connaissances inscrites dans les programmes scolaires
L'étude finlandaise enrichit ces attentes du projet d'ouvrir l'école aux moyens informatiques et télématiques [
L'historien pourrait s'étonner que ce dernier thème, celui des technologies modernes à lécole, ne soit pas plus représenté dans notre échantillon car il n'ignorerait pas l'importance prise par la culture informatique en cette fin de XXème siècle. Ce fait est-il purement dépendant du caractère limité de notre échantillon ? Manifeste-t-il un problème économique, le coût de l'équipement informatique demeurant élevé ? Ou encore, une difficulté de lécole à sapproprier
ces outils ? [En même temps que sur les connaissances scolaires, un accent très fort est mis, par beaucoup d'innovations, sur la capacité de l'éducation scolaire à favoriser l'épanouissement de l'individu par le développement de la personnalité et l'acquisition de compétences sociales et communicatives : "L'Education Libre de la Jeunesse est une éducation générale dont le but est de développer les compétences personnelles de l'étudiant ainsi que les qualifications générales. Les compétences personnelles comprennent les propriétés telles que : responsabilité, autonomie, capacité de projeter, de s'exprimer et de coopérer." [
On se préoccupe aussi, avec force, dans les innovations étudiées, de faire acquérir par les élèves, en même temps que des connaissances scolaires, des valeurs morales et sociales et des valeurs citoyennes, caractéristiques d'une organisation sociale démocratique.
Il s'agit d'abord d'instaurer la reconnaissance de chacun en tant que personne, quelles que soient ses caractéristiques individuelles ou socio-culturelles. Ainsi, dans le cas de l'intégration scolaire d'enfants handicapés, il s'agit de "considérer la double réalité de la personne handicapée, qui est en même temps pareille et différente par rapport à ses camarades, et de ne pas étendre son infériorité dans l'usage d'une fonction à la personne toute entière ...". [
Construire une école "inclusive" et coopérative
Nous avons vu plus haut que la majorité des innovations étudiées ici sont implantées dans l'école elle-même. Autrement dit, bien que la demande d'éducation scolaire puisse générer des actions parallèles à l'école ou des actions post-scolaires, il semble que l'école elle-même soit mobilisée : elle génère en son sein des projets d'auto-transformation, elle cherche par elle-même à s'adapter à ses publics, quelle que soit leur diversité, en transformant ses structures et ses méthodes.
Lécole pour tous nécessite en effet d'opérer une véritable intégration, pas seulement une insertion:
"Another aim of the school based programme is to influence the culture of the school (...), to build (the teaching of bilingual pupils) in as an integral part, not add on." [
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"On a bientôt compris que si l'on voulait donner
les mêmes chances aux handicapés, il fallait réaliser leur intégration et pas
simplement leur inclusion dans les classes normales. Inclusion signifie
insérer une personne dans un contexte qui peut rester tel qu'il était avant son
arrivée, tandis que la personne doit s'adapter au contexte bien défini. Dans ce cas
l'élève handicapé sera assimilé au milieu qui l'accueille. Au contraire
"intégration" signifie réaliser un projet fondé sur la rencontre des
diversités ; cela produit une adaptation réciproque qui fournit à l'école une
dynamique pour le changement. Dans ce cas aucun élève handicapé ne sera assimilé au
milieu, mais celui-ci tout entier va se réorganiser." [
En Angleterre, il s'agit d'intégrer dans les classes ordinaires des enfants immigrés bilingues
[Lune de ces études, accentue volontairement "lhétérogénéité" des groupes délèves par un principe dorganisation de classes "multi-âges" dans le cadre dune organisation globale de lenseignement primaire (pré-scolaire et élémentaire) en trois cycles pluriannuels : "L'organisation en cycles multi-âges et multi-niveaux permet aux enfants de tirer profit d'une collectivité riche de sa diversité et d'un temps élargi qui permet à chacun de constater qu'apprendre est un processus lent et progressif." [
Pour assurer légalité des chances de tous les enfants, il ne sagit donc plus, comme cela a pu être le cas dans le passé dans beaucoup de systèmes éducatifs européens, de donner à chacun selon ses moyens ou selon ses besoins dans des structures ou des filières spécialisées étanches les unes par rapport aux autres. Le cas de lintégration des handicapés
[Au total, il sagit principalement dans les innovations étudiées déduquer et dinstruire tous les élèves ensemble, sans ségrégation ni marginalisation, dans une école "intégratrice", une "école inclusive" :" Les nouveaux défis posés à l'école par la diversité exigent une autre approche de l'éducation, l'éducation interculturelle, qui se concrétise dans une nouvelle école, l'école "inclusive". Celle-ci doit permettre le développement de tous et de chacun sans exclusion." [
De telles visées lancent un véritable défi à l'école sur le plan de ses techniques pédagogiques : "La mise en uvre de cette école (inclusive) implique des stratégies et des méthodes novatrices et intégrantes qui respectent la différence culturelle pour promouvoir, de fait, le succès scolaire et éducatif de tous." [
Pour cela, plusieurs innovations s'appuient explicitement sur certains acquis de la recherche dans les domaines de la psychologie du développement et des apprentissages, de la psycho-pédagogie ou de la didactique des disciplines : "Equal opportunities issues and second language learning theories influenced government policy during the course of the 80s and resulted in the requirement to integrate bilingual learners into mainstream schools. Mainstream (class/subject) teachers became responsible for the education of all children, regardless of linguistic abilities."
[D'autres innovations de l'échantillon, qui sont co-gérées par des enseignants et des chercheurs, correspondent à des démarches scientifiques de recherche-action et s'inscrivent comme telles dans des cadres théoriques nettement définis. Parmi celles-ci on relève notamment l'étude néerlandaise qui s'inscrit dans une approche vygotskienne
[La valeur centrale des nouvelles approches pédagogiques, que l'on trouve mentionnée dans la majorité des études de cas, et pas seulement dans celles qui se situent dans le cadre scolaire, semble être la notion de coopération.
A lécole, la coopération et
l'échange entre élèves, et entre élèves et éducateurs, apparaissent comme le
facilitateur, voire comme la source, de la construction des connaissances et des
compétences tant dans le domaine cognitif que dans le domaine social :
"Les valeurs coopératives défendues par l'école sont des valeurs selon lesquelles les interactions et la collaboration entre personnes aux statuts, origines, connaissances diversifiés sont à favoriser pour deux motifs : que chacun participe activement à la vie collective, de façon consciente et responsable, et que chacun profite de la richesse d'échanges intellectuels aussi variés que possible, sources de connaissances." [
Dans cette optique, les différences de quelque nature quelles soient -sociales, culturelles, liées au sexe ou au fait dêtre atteint dune déficience physique, sensorielle ou mentale- apparaissent non plus comme des obstacles mais comme des ressources enrichissant les processus de "co-construction des connaissances" [
La prise en compte de ces différences peut permettre également la transformation de l'école au bénéfice de tous : "La présence des handicapés dans l'école de tous a fonctionné comme un pivot, c'est-à-dire que la minorité de ces sujets faibles a interrogé les pratiques éducatives. Celles-ci sont passées d'une logique de rattrapage de la distance qui sépare les sujets faibles des autres élèves à une logique qui part de la diversité, lutte contre la transformation de la différence en inégalité et vice versa la transforme en ressources, potentialités, compétences. " [
L'historien enfin ne manquerait sans doute pas de remarquer que ces aspirations à l'éducation scolaire pour tous sont portées, tant dans l'école que dans son environnement, par différents acteurs sociaux.L'étude des processus d'innovation montrera que parmi ces acteurs on trouve des professionnels de l'éducation et des responsables gouvernementaux des politiques éducatives mais aussi des employeurs et parfois, c'est ce que nous voudrions souligner ici, les populations bénéficiaires elles-mêmes.
Ces populations participent en effet très activement à leur développement et peuvent être à lorigine même des projets. C'est le cas, nous l'avons déjà signalé plus haut, dans l'innovation irlandaise [
Conclusion
De cet ensemble de remarques, l'historien du XXIIème siècle dont nous avons tenté de prendre le point de vue conclurait peut-être que les sociétés occidentales développées, qui comptent pourtant, pour la plupart, parmi les plus riches du monde [
Sur un autre plan, celui de la construction européenne, l'historien pourrait remarquer aussi la très grande homogénéité de l'échantillon quant aux valeurs qui y sont affirmées, et ceci en dépit du fait qu'il émane de dix pays européens différents. En effet, sur la question de l'égalité des chances en tous cas, on ne perçoit pas de discordance ni de grande différence, du moins au niveau des aspirations. Pour ce qui est des réalisations, il en va peut-être autrement, comme nous le verrons dans le point suivant. En effet, le développement des innovations nécessite une série de conditions économiques, sociales et politiques qui ne sont pas partout également réunies, ce que démontre de façon très illustrative l'étude présentée par la Grèce : "In Europe, the introduction of educational schemes analogous to the Greek Supplementary Teaching Programs is not recent. (...) Why should one engage himself, in the year 1997, with the implementation of such an educational scheme whose present pedagogical foundation is in danger of being outrun ? The answer to the above question must be searched for within the framework of political, economical and, certainly, educational life in Greece, during the last decades." [
D'autre part, on peut être frappé par la grande ressemblance de projets implantés dans des pays très différents. Il en va ainsi par exemple pour l'intégration d'enfants "différents" dans les structures scolaires ordinaires, en Angleterre
[
Linart, Monique. Des machines et des hommes. Apprendre avec les nouvelles technologies. Paris, Ed. Universitaires, 1990.
© Innova : Observatoire européen des innovations en éducation et en formation / European Observatory for Innovation in Education and Training, juin 1998.