Des activités de décloisonnement pour des apprentissages réussis

Académie : Lille

Département : Pas de Calais

École : Célestin Freinet, Grande Synte, Dunkerque

Rédacteur(s) : Sylvie Considéré et Nicole Dubois

Sommaire

Introduction

  1. Une réflexion progressivement mûrie
  2. Un projet parmi d’autres : "vers une meilleure acquisition du langage au cycle 1"
  3. Les ateliers de langage prennent vie

Conclusion

Introduction

Le groupe scolaire Freinet est composé d’une école maternelle à 5 classes et d’une école élémentaire à 9 classes (dont une classe d’intégration scolaire et un regroupement d’adaptation scolaire, poste E). Le groupe scolaire est situé dans le quartier Courghain à Grande Synthe, ville de 25 000 habitants à la périphérie du port industriel de Dunkerque. Le quartier comporte deux entités géographiques et sociales : d’un côté un lotissement de petites maisons individuelles en accession à la propriété entouré de verdure et proche d’un plan d’eau, de l’autre des immeubles H.L.M. à l’architecture contemporaine (niveaux décrochés, terrasses, dédalles de voies et de passerelles), sur lesquels le temps a déjà imprimé sa marque.

L’école, ouverte en 1981 accueillait des élèves issus de ces deux ensembles distincts en proportions comparables. Les familles habitant les pavillons ayant vieilli, elles n’envoient plus aujourd’hui que de rares enfants à l’école. La population des immeubles, composée autrefois de familles relativement privilégiées attirées par l’architecture particulière, a progressivement fait place à une population socialement plus défavorisée qui s’est enracinée dans le quartier, fréquentant l’école sur plusieurs générations.

Il existe, dans les locaux de l’école maternelle une garderie municipale réservée à des enfants dont les deux parents travaillent. Cet apport de population parfois extérieure au quartier, contribue à rehausser, dans des proportions non négligeables le niveau social du public scolaire : 20% des enfants de l’école fréquentent cette structure ouverte hors temps scolaire (matin , restauration à midi, soir, mercredis et vacances)

Ville industrielle touchée par les différentes crises économiques successives, Grande Synthe connaît un fort taux de chômage et le quartier de l’école Freinet reflète cette dramatique réalité : beaucoup de familles sans emplois (21%), de familles monoparentales (10%) ou plusieurs fois recomposées et un nombre assez important de cas où l’assistance éducative est mise en place. Les enfants issus de milieux ouvriers représentent 52% de l’effectif de l’école.

Grâce à la stabilité des enseignants, la communauté enseignante représente, pour les parents, une équipe connue avec laquelle s’est instauré un climat de confiance. Cependant, il apparaît aux yeux des maîtres que les parents ne voient essentiellement dans l’école qu’un objet de consommation dont ils attendent surtout qu’elle règle les problèmes qu’ils rencontrent avec leurs enfants.

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1 – Une réflexion progressivement mûrie

Cette école nous apparaît comme étant une école ordinaire implantée dans un quartier comme on peut en rencontrer souvent et qui reçoit un public dont les problèmes sont, hélas, assez bien partagés. Dans ce contexte les enseignants ont peu à peu éprouvé le besoin de faire évoluer leurs pratiques. Depuis 2 ans, les écoles maternelle et élémentaire se sont progressivement ouvertes. D’abord entre classes puis l’une à l’autre : prêts et échanges de lieux spécifiques (B.C.D ou salle informatique). Cette ouverture s’est notamment opérée grâce à la volonté des enseignants de parvenir à une meilleure coordination entre sections de grands et CP : suivi des élèves, échanges des maîtres sur les objectifs puis les pratiques. Ces réflexions suivies d’actions ont conduit à réellement mettre en œuvre un fonctionnement du cycle 2 articulé sur une concertation entre les enseignants, les maîtres spécialisés et plus récemment les aides éducateurs. Ces derniers ont contribué à une ouverture plus effective dans la mesure où les enseignants ont pensé leur intégration à l’échelle du groupe scolaire. Dans un premier temps, les aides éducateurs sont passés d’une classe à l’autre selon les besoins du moment, puis leurs interventions se sont centrées sur des activités plus structurées et selon un emploi du temps défini. Après cette phase de mise en commun des ressources (humaines, matérielles et spatiales) l’équipe réfléchit maintenant à des formes de travail permettant des rapprochements d’élèves du cycle 3 avec ceux du cycle 1 (lecture de contes par exemple).

Compte tenu de cette dynamique d’équipe, l’inspecteur de circonscription a sollicité l’école afin qu’elle s’inscrive dans le processus proposé par la charte du XXIe siècle. Avec son entrée dans la Charte, l’équipe du groupe scolaire s’est mobilisée autour d’une réflexion commune visant une meilleure collaboration entre tous les acteurs (enseignants, enseignants spécialisés, membres du réseau d’aide, aides éducateurs, assistantes maternelles, intervenants extérieurs), cela afin d’améliorer la réussite des élèves. De nombreuses réunions ont déjà été nécessaires pour faire état des constats, des préoccupations mais aussi des doutes et des inquiétudes mais aussi pour imaginer puis construire les modalités d’une action. Le travail de réflexion a conduit à identifier différentes problématiques :

  • Quels sont les effets des prises en charge diversifiées sur la réussite des élèves ?
  • Quelle est l’efficacité de l’organisation du temps et de l’utilisation des personnes sur les apprentissages des élèves ?
  • Comment répondre aux besoins des enfants dans des domaines comme la motricité, le graphisme ou la maîtrise de la langue orale et écrite ?
  • Comment gérer les interventions des aides éducateurs, personnels qui diffèrent par leur formation, leurs compétentes ou leurs expériences ?
  • Comment les accompagner pour faire de leur passage dans l’école une vraie expérience professionnelle qu’ils pourront mettre en valeur plus tard ?

C’est la volonté d’apporter des réponses à leurs questionnements qui a conduits les maîtres à rechercher des actions possibles répondant à des objectifs d’apprentissages et de meilleure réussite des élèves. L’idée de répartir les élèves selon des besoins identifiés les a conduit aussi à rechercher des modalités utilisant au mieux les ressources humaines disponibles. Très vite les enseignants se sont acheminés vers une réflexion par cycle jugée plus pertinente. Au cycle 1, les enseignantes ont perçu trois champs dans lesquels les difficultés des élèves sont importantes : motricité, graphisme et langage. Après réflexion, elles ont identifié l’acquisition du langage comme étant préalable à tous les autres : parler c’est d’abord exister socialement. Au cycle 2 les efforts portent sur la maîtrise de la langue orale. Au cycle 3, les enseignants distinguent les CE2 qui doivent travailler sur la formulation et la compréhension et les CM qui rencontrent des difficultés dans la compréhension orale.

Les perspectives d’action s’intègrent donc progressivement dans un vaste projet qui dynamise le groupe scolaire dans son ensemble.

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2 – Un projet parmi d’autres : "vers une meilleure acquisition du langage au cycle 1"

a – Quelles ressources ?

Les locaux de l’école maternelle sont agréables, fonctionnels, spacieux éclairés par des puits de lumière ou des baies vitrées, mais le temps a laissé ici et là les traces d’un passage auxquelles il faudra que la municipalité apporte remède. Chaque classe dispose de son coin d’eau et de toilettes et s’ouvre sur de vastes espaces centraux utilisés pour les activités de motricité ou la chorale qui regroupe deux fois par semaine à 11H30 des élèves de différentes classes. Les élèves sont répartis en classes de niveau homogène pour les plus jeunes (25 enfants nés en 1997), mais en double niveau en ce qui concerne les deux classes de petite et moyenne section (26 enfants chacune nés en 1995 et 1996) et les deux classes de moyenne et grande section (24 et 26 enfants nés en 1994 et 1995). Ces doubles niveaux se justifient certes par le nombre d’enfants accueillis et leur répartition par âge mais aussi par la volonté des enseignantes. Pour elles, grouper des enfants parvenus à différents degrés de maturité offre à la classe une richesse et une dynamique supplémentaires. Elles sont également attentives à brasser les enfants afin de leur offrir des contacts humains les plus variés possibles : ateliers décloisonnés et fédérés autour d’une réalisation commune, groupements plus importants (chorale) ou groupe plus restreints liés à des besoins spécifiques.

Les sections bénéficient de la présence de quatre assistantes maternelles et d’une personne en contrat emploi solidarité. Deux aides éducateurs sont arrivés en avril 1999 et un a rejoint l’équipe en septembre 1999. Par leurs compétences en sport, en informatique ou par des dispositions particulières dans le domaine du livre, les aides éducateurs apportent une richesse que l’équipe des enseignantes tient à mettre en valeur. Cependant, nous notons aussi une volonté de diversifier la nature des activités et les situations dans lesquelles les aides éducateurs interviennent.

Grâce à la présence de ces derniers qui permet de constituer des groupes d’enfants à effectifs restreints, les enseignantes ont pu mettre en œuvre les ateliers de langage que nous allons décrire. Deux fois par semaines, les 77 élèves du cycle 1 sont répartis en 6 groupes : trois sont pris en charge par les enseignantes, les trois autres par les aides éducateurs.

b – Quels besoins ?

Les enseignantes remarquent et déplorent le manque de maîtrise de la langue orale de leurs élèves qui se traduit par des difficultés de communication. Selon elles, ces difficultés entraînent, pour certains enfants, un repli qui les conduit vers un retrait progressif du groupe classe et des activités pour lesquelles la motivation disparaît. Pour d’autres, l’incapacité à utiliser le langage les incite à mettre en place un mode de communication fondé sur des actes devenant à un moment ou à un autre des actes agressifs. Inviter l’enfant à utiliser le langage oral et à le maîtriser procède d’une volonté de " faire exister " des enfants à qui les adultes ne laissent qu’une faible place en tant que personne. Les enseignantes attribuent ce malaise devant la prise de parole en partie à un milieu social et culturel, souvent en détresse économique où l’on n’utilise que peu la communication verbale. Dans les familles où la langue française est peu utilisée, les enfants perçoivent la distance existant entre le vocabulaire employé à la maison et celui dont l’école se sert au quotidien. Dans certains cas repérés par les enseignantes, on parle aux enfants en employant quasiment uniquement des injonctions courtes et souvent violentes. Les termes se rapportant à des prescriptions ou des interdits sont peu utilisés à l’école par des enseignants qui visent à l’autonomie. Les enfants, eux, ne sont pas invités à réinvestir ce type de vocabulaire dans des situations scolaires, par suite, on peut supposer que, peu à peu ils sont conduits à penser qu’il n’ont rien à dire, surtout s’ils sont habitués à ce qu’on ne les intègre jamais dans une conversation, si on ne leur demande jamais de donner leur avis ou de dire ce qu’ils aiment etc.

L’objectif du travail que les enseignantes entreprennent est donc de permettre aux élèves d’entrer dans le monde du langage afin de les amener à une meilleure aisance devant la prise de parole sans que la correction de leur formulation soit l’objectif prioritaire. L’idée est d’identifier des besoins les plus précis possible afin de constituer des groupes d’élèves relativement restreints pour mieux les prendre en charge. Dans un premier temps les enseignantes décident de mettre en place une phase d’observation empirique de leurs élèves durant 3 semaines. Au cours des différentes situations de classe, elles se donnent pour but d’observer chacun de leurs élèves afin de répondre à la question : " comment parlent-ils ? ". Des échanges quotidiens et la confrontation de leurs diverses observations amènent les enseignantes à identifier 4 groupes d’enfants. Il y a d’abord ceux, (environ la moitié de l’effectif du cycle), pour qui le langage ne présente pas un obstacle majeur et qui s’expriment correctement compte tenu de leur âge. Il y a ceux qui ne parlent pas du tout. Les plus nombreux se rencontrent dans la classe des touts petits mais il y en a un nombre non négligeable dans les sections de moyens. Certains enfants parlent mais ne le font qu’avec leurs camarades et n’osent quasiment jamais s’adresser à un adulte. Enfin les enseignantes repèrent des enfants qui ne communiquent qu’avec les adultes comme si parler avec leurs pairs ne présentait pas d’intérêt.

c – Quelle organisation ?

Il est prévu que les groupes d’enfants en difficulté seront pris en charge par les enseignantes. Le groupe de ceux qui n’ont besoin d’aucun soutien particulier sera divisé entre les trois aides éducateurs. Ce décloisonnement aura lieu 2 fois par semaine, mardi et jeudi, le matin après l’accueil. L’école ouvrant ses portes à 8H35, les élèves seront dans leur classe jusqu’à 9H, puis on les répartira dans les différents groupes auxquels ils appartiennent. Cette répartition occasionnant de nombreux déplacements devra être pensée. L’atelier langage durera jusqu’à 9H30. Aucun moyen supplémentaire n’a été prévu, l’action s’appuie sur ce qui existe tant du point de vue humain que du point de vue du matériel ou des espaces. Chaque enseignante accueillera dans sa classe le groupe qu’elle a en charge, les 3 aides éducateurs seront répartis dans la bibliothèque, dans la salle de motricité et dans le grand hall.

La réflexion porte alors sur les activités et les situations à mettre en place pour répondre à chacun de ces besoins spécifiques. Les enseignantes pensent d’abord globalement leur action c’est-à-dire qu’elle envisagent des activités dans chacun des trois groupes de besoin, en ayant soin de confronter régulièrement leurs idées. Puis, elle se fixent sur l’un de ces trois groupes et affinent leur projet. Les aides éducateurs sont invités aux principales réunions de préparation. Afin de ne pas alourdir leur travail, il n’est pas question pour eux de consacrer autant de temps que les enseignantes à la mise en place de cette action. Cependant il leur est demandé de choisir un support d’activité et de réfléchir à des situations favorisant les échanges verbaux. Ludovic se charge d’un atelier de jeux de constructions, Christelle d’une activité autour des puzzles et encastrements et Aline propose des histoires à élaborer à partir d’images séquentielles ou de diapositives.

Le travail est long et les enseignantes éprouvent des doutes. Il leur semble parfois que rien n’est suffisamment prêt, elles se demandent si vraiment elle pourront parvenir à mettre en place cette opération. On est au début d’octobre, les enfants ont renoué avec leur statut d’élève, les plus jeunes se sont familiarisés avec leur nouvel univers. C’est le moment que choisit la directrice pour proposer de tenter l’expérience " il faut absolument nous lancer pour que nous nous fassions une idée de ce que cette opération représente ". Les ateliers, tels qu’ils ont été prévus, se dérouleront de la même manière jusqu’aux vacances de la Toussaint puis, on y apportera les ajustements que l’observation et l’analyse rigoureuses de chaque séance auront rendu pertinents.

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3 – Les ateliers de langage prennent vie

Nous avons pu assister à trois séances réparties sur les trois premières semaines de fonctionnement de ces nouveaux ateliers. Sur les six activités qui fonctionnent, nous en avons observé deux que nous décrirons en détail afin de mettre en évidence les modalités de travail choisies et mises en œuvre par deux des enseignantes. Les observations s’étant poursuivies sur trois séances nous pourrons, avec les enseignantes, faire état d’un premier bilan tout provisoire. Les autres ateliers seront évoqués plus sommairement.

a – Les enfants rejoignent leur atelier

Vu l’âge des enfants concernés et la période précoce de l’année scolaire, la répartition des enfants doit se faire soigneusement afin de permettre à chaque groupe de se mettre au travail sans tarder mais aussi pour sécuriser les plus jeunes pour qui cette expérience est la première du genre. En effet au début d’octobre ils n’ont pas encore quitté leurs camarades ni leur maîtresse. Dans sa classe, chaque enseignante a expliqué à ses élèves que le travail qui commence va se faire en petits groupes qui rassemblent des élèves des trois sections. Les élèves sont donc séparés en petits groupes que les aides éducateurs viennent chercher pour les conduire dans les espaces prévus pour eux. Cette phase de déplacement paraît peut-être longue à certains enfants curieux de participer mais il est indispensable qu’elle se déroule dans la sérénité. Les premières fois, on entend, ici ou là quelques pleurs des plus petits suscités par la peur d’une nouveauté qu’ils ne comprennent pas encore. Au fil des séances on n’observera plus de manifestations de ce type. Dans un futur plus ou moins proche, les enseignantes prévoient que les plus âgés des enfants puissent se rendre de manière plus autonome dans leurs différents ateliers.

b – Les deux ateliers observés

1– Les enfants qui ne parlent pas à l’adulte

Corinne accueille les enfants issus des différentes classes et les intègre aux élèves issus de sa propre classe ce qui aux porte l’effectif du groupe à 10. Elle leur annonce que l’on va pouvoir jouer dans les coins avec les poupées et la dînette. Le coin cuisine est situé dans un angle de la salle c’est là que va se positionner Corinne. Le coin des poupées, en revanche est installé sur une mézzanine qui domine et qui permet d’observer la cuisine. Cette disposition particulière a été exploitée par Corinne qui propose aux enfants de choisir le lieu où ils veulent se rendre. Ceux qui seront au bas, avec elle pourront disposer d’une échappatoire chaque fois qu’ils éprouveront le désir ou la nécessité de se séparer de l’adulte vers lequel ils pourront revenir.

Corinne présente le matériel aux enfants qui ne connaissent pas la classe. Immédiatement, elle emploie le vouvoiement destiné à montrer qu’elle joue, elle aussi. Elle prend soin de s’adresser à l’un ou l’autre des élèves en offrant un jouet. Puis elle propose de faire le repas ensemble. Progressivement, le jeu va s’orienter vers une situation de restaurant dans laquelle les enfants préparent, à la demande de Corinne qui est une cliente. Au début de la séance elle tente de poser quelques questions aux enfants " qu’allez-vous préparer ? " voulez-vous m’aider à mettre le couvert ? ". Devant le mutisme des enfants, Corinne modifie sa stratégie :  elle n’insiste pas pour obtenir une réponse mais fait en sorte qu’un contact s’établisse peu à peu. Contact qui n’est pas fondé sur des échanges de mots mais sur des réponses apportées par des gestes, des sourires, des regards de la part des enfants. Par exemple, lorsqu’elle demande si elle peut avoir un café, plusieurs enfants vont lui tendre une tasse. Progressivement, Corinne obtient quelques mots " oui ", " non ", " tiens ". L’un des enfant prononce une courte phrase " tu en veux encore ? ". A la question " qu’est-ce que vous avez préparé ? ", un autre répond dans un faible murmure " des frites ".

Au cours de la séance on voit nettement les contacts s’établir avec l’adulte. Une élève de la section des petits, entrée en pleurs, ose quitter les genoux de Corinne et s’aventure à participer à un jeu qui se structure. Alors qu’au départ les enfants se serraient dans le coin cuisine, séparés de l’adulte par quelques meubles bas, ils en sortent peu à peu pour enfin organiser un repas à la fin de la séance. Certains enfants s’assoient spontanément à côté de Corinne à table tandis que d’autres vont jouer le rôle des cuisiniers et vont servir des plats à leurs camarades aussi bien qu’à Corinne. On observe deux enfants qui n’ont pas prononcé une seule parole, les autres ont surtout répondu par monosyllabes. La seule phrase enfantine prononcée au cours de cette demi heure vient du coin des poupées dans lequel deux enfants se sont cantonnés. Soudain on entend une voix claire annoncer " les bébés sont malades ". Corinne tente d’entamer une conversation " avez-vous appelé le docteur ? " mais sans aucun résultat. Dans cet espace, on entend parfois les enfants échanger entre eux quelques mots mais sans que le jeu soit très structuré. Quelques enfants ont effectivement eu recours à ce coin perché pour " échapper " de temps en temps au jeu du restaurant. La séance se termine par un rangement collectif et les élèves regagnent leurs classes respectives selon le même système que pour la répartition en activité.

Lors de la deuxième séance, (le mardi suivant), la situation est reproduite à l’identique mais on peut déjà observer des changements dans le comportement des enfants. Tous participent et l’on assiste à une effervescence autour de Corinne, reconnue comme étant le pôle d’attraction. Elle n’est plus la seule cliente du restaurant : d’autres se sont joints à elle pour commander les mets convoités. Submergée par un amoncellement de vaisselle et d’ustensiles de cuisine, elle appelle, demande, commande des plats, donne ses appréciations " c’est bon ", " c’est chaud ", vous avez vu ce qu’il m’apporte dans mon assiette ? ", " et vous, comment trouvez vous votre café ? ". Il y a une sorte de concurrence pour la servir. Elle commande un plat et les enfants se précipitent pour satisfaire la demande. Au cours de cette séance, c’est toujours Corinne qui parle le plus, les enfants ne communiquent pas entre eux trop pressés de répondre aux demandes de l’adulte. Parfois des enfants s’adressent à elle : " tiens ", " du café ", " des légumes ", mais c’est souvent pour répondre à une sollicitation de la part de Corinne. Pour terminer, elle annonce qu’il est grand temps de ranger, elle doit se rendre à son travail. A l’un des enfant qui lui demande ce qu’elle va faire, elle a l’idée de répondre qu’elle sert, elle aussi, dans un restaurant.

Lors de la séance suivante, Corinne inverse les rôles : c’est elle qui sert les enfants, spontanément attablés. Elle leur parle toujours beaucoup : " pour vous Monsieur, qu’est ce que ça sera ? ", " et pour le bébé, je vous apporte un yaourt ou un pot de fruits ? ". Elle tente toujours de formuler des questions qui nécessitent une réponse autre que " oui " ou " non " et qui ne peuvent se satisfaire d’un simple geste. L’inversion des rôles induit des réponses plus longues et plus élaborées de la part des enfants qui s’enhardissent à venir parler à l’adulte parfois sur des thèmes apparemment éloignés du jeu : " mon bébé, il doit faire pipi ", " mon bébé, il a de la fièvre ". Corinne termine la séance en demandant à ses clients de régler l’addition ; les enfants entrent dans le jeu en mettant la main à leur poche et l’on se quitte en se serrant la main, " à la prochaine fois, Madame ".

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2 - Les enfants qui ne parlent qu’à l’adulte et pas à leurs pairs

Le groupe, se composant de 9 enfants, est accueilli par Laurence qui leur donne la consigne suivante " aujourd’hui, vous allez jouer ensemble dans les coins cuisine et chambre ". Puis elle se retire totalement pour se poster assise à une petite table où elle se met à prendre des notes. Durant une quinzaine de minutes, les enfants ne semblent pas comprendre ce qui leur est demandé, même ceux pour qui la classe est un espace connu. En attente, ils observent l'enseignante, lui sourient avec insistance. Devant son manque de réaction, ils se tournent vers l’observateur qui s’est positionné debout non loin d’eux de manière à avoir un angle d’observation le plus large possible sans que les petites cloisons du coin jeu ne le gênent.

Camille arrivée en pleurant, sans doute angoissée par cette nouvelle situation, s’assied par terre entre la cuisine et la chambre et continue à pleurer dans une indifférence générale. Puis les enfants lui adressent quelques regards et se tournent à nouveau vers la maîtresse. Enfin une fillette, habituée de la classe, se met à jouer : elle prend une chaise, la déplace puis entreprend de vider un placard. Aussitôt une deuxième fillette l’imite, gestes après gestes donnant ainsi l’impression qu’elle jouent ensemble sans qu’il y ait de collaboration explicite et sans aucune interaction médiatisée par un recours au langage. Soudain l’une d’entre elles fait pipi. L’enseignante intervient et la conduit aux toilettes. La seconde fillette suit cette nouvelle camarade. Les deux enfants se retrouvent aux toilettes et entament une conversation.

Deux garçons restent assez longtemps dans une position d’observateurs puis Jesse, le plus costaud, tente d’établir un contact. Il offre un collier à son compagnon, Jason, mais devant l’indifférence de ce dernier, Jesse se tourne vers Camille qui a quelque peu cessé de pleurer. Ce geste contribue à faire redoubler son chagrin. Finalement les deux garçons finissent par jouer ensemble avec le collier jusqu’à ce que Jason, lassé, quitte le coin pour aller observer par une porte vitrée ce qui se passe dans la salle à côté. Jesse tente à nouveau d’apaiser Camille : il lui caresse la joue sans beaucoup de résultat. Puis il manifeste son intention d’accaparer les lieux. Il s’approprie les objets sans rencontrer de résistance ; il semble impressionner fortement les autres. Il se met à vider le contenu des placards et installe ses trouvailles dans une poussette. Une petite fille ayant remarqué son manège lui offre d’autres objets que Jesse accepte d’abord avec méfiance puis avec bonne humeur. En retour, il autorise la fillette à promener la poussette avec lui. Cette coopération s’est établie sans qu’aucun échange langagier n’ait eu lieu.

Des enfants, attirés par un téléphone ostensiblement déposé sur un meuble, se prêtent l’écouteur mais les conversations qu’aurait pu susciter l’appareil se résument à " regarde ", " attends ", " tiens ". En général les seuls échanges de mots se produisent à propos d’un objet que l’on ne veut pas partager. Jesse est l’enfant qui parle le plus mais son langage ne sollicite que très rarement l’expression des autres : " non, c’est à moi ", " attention, passer là ", " tu veux ça ? ", ou, à l’attention de Camille, " ta maman elle est dehors ". La fin de la séance est marquée par une tension importante. Camille redouble de chagrin et Jesse qui s’est lassé de la poussette l’envoie rouler assez violemment au risque de heurter quelqu’un. L’enseignante annonce qu’il est temps de ranger. Camille cesse de pleurer et chacun participe au rangement sans toutefois communiquer avec les autres mais en s’adressant parfois à la maîtresse.

La deuxième séquence observée à lieu le mardi suivant. Laurence a réajusté la composition de son groupe, une enfant dont elle a remarqué qu’elle ne lui parlait jamais a été intégrée au groupe travaillant la communication avec l’adulte. En outre deux enfants absents lors de la séquence précédente sont arrivés. Camille arrive sans pleurer et se réinstalle par terre mais quand la maîtresse lui propose de jouer avec les autres elle préfère aller se vautrer dans un fauteuil. Manon, nouvellement arrivée, reste debout dans la cuisine au bord des larmes, son " doudou " serré contre elle durant toute la séance. Par rapport à la séance précédente, on observe déjà des nuances. Les enfants l’abordent avec une sérénité plus grande. Ils reproduisent une situation connue. Les activités démarrent plus vite, les enfants quittent plus vite leur position d’observateur et multiplient les interactions même s’ils ne se parlent toujours pas entre eux.

Lors de la troisième séance, Laurence invite les enfants à jouer en suivant cette consigne : " aujourd’hui, vous allez préparer à manger aux bébés ". Elle suppose que cette situation va induire des échanges verbaux de la part des enfants autour d’une tâche commune. Dans le coin chambre, Laurence a pris soin de remplacer les peluches par des poupons et d’introduire dans la cuisines quelques vrais biberons. On observe des invariants, Jesse n’est rassuré que s’il a les bras encombrés d’objets divers. Jason poursuit son va et vient entre le groupe et la porte vitrée d’où il observe l’activité menée par un aide éducateur. On note des interactions plus nombreuses entre les enfants qui sont aussi plus actifs et qui résistent davantage aux assauts de Jesse. Ce dernier tente aussi de contenir quelque peu son agressivité.

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c – Les autres ateliers

1 – Les enfants qui ne parlent pas du tout

Alane, l’enseignante des tout petits, a apporté un objet bien connu des enfants mais dont la présence est insolite dans la classe. Il s’agit d’un aspirateur qui provoque des réactions spontanées de la part des enfants, par ailleurs invités à le manipuler. Alane a cherché à mettre en place des situations langagières variées qui renvoient à un vécu affectif et familial des enfants. Par exemple elle propose aux enfants des images séquentielles illustrant l’histoire de l’ours Ploum qui a fait pipi, ou de Ploum jouant au sable. Elle insiste sur le nom des objet dont l’ours se sert pour construire son château puis elle invite les enfants à venir au coin sable. Elle dispose d’un sac contenant divers ustensiles que les enfant doivent nommer afin de les obtenir pour aller jouer : " la pelle ", " le seau ", " le râteau ". Des jeux autour du coin eau sont proposés selon le même dispositif. La manipulation de marionnettes peut aussi être le support d’une situation où l’enfant découvre puis emploie le lexique. D’abord les enfants cherchent à nommer différentes parties du visage des marionnettes. Constatant que, pour eux, toutes sont des bonshommes, Alane insiste pour que les personnages soient différenciés : le loup, la grand-mère. Puis, ayant montré comment se manipule une marionnette, Alane laisse les enfants libres de jouer.

2 – Les enfants n’ayant pas de besoins langagiers spécifiques

a – Les jeux de construction

Ludovic met à la disposition des enfants différentes boîtes de jeux de constructions puis leur indique qu’ils peuvent aller choisir l’un d’entre eux. Par petits groupes de deux ou trois, les enfants ont pour consigne de réaliser quelque chose ensemble avec le matériel. Délibérément, Ludovic intervient le moins possible afin de laisser les enfants échanger librement entre eux.

b – Les puzzles

Christelle propose un puzzle pour 2 ou 3 enfants et exige d’eux qu’ils nomment chaque pièce à encastrer. Le matériel est changé à chaque séance mais Christelle prévoit de proposer certains puzzles déjà vus à intervalles réguliers en espérant que les enfants réinvestiront les acquis lexicaux.

c – Les images séquentielles

A partir d’un matériel existant qu’elle a enrichi, Aline demande aux enfants de décrire les images, puis, par deux ou trois, de chercher à raconter une petite histoire.

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Conclusion

Un premier bilan de ces trois semaines de fonctionnement (cinq séances d’atelier langage), fait apparaître une certaine satisfaction des enseignantes. Les effets observés sont positifs dans chacun des groupes de besoin. On remarque un investissement progressif des enfants qui entrent dans les jeux de plus en plus rapidement et de plus en plus intensément. Les situations proposées permettent bien aux enfants de communiquer avec des mots et les interactions se multiplient peu à peu.

Chez Laurence, les échanges verbaux gravitent toujours autour de l’appropriation des objets, de leur partage ou, plus souvent, du refus de leur partage. Elle remarque que les phénomènes d’agressivité, de soumission, de violence ou de leadership, observés en grands groupes, se reproduisent en groupe plus restreint. Cette première phase d’observation a permis à Laurence de mieux cerner le caractère de chacun des élèves. Son idée est maintenant de constituer des paires d’enfant dont les tempéraments sont similaires (deux dominants, deux timides, deux muets) et de leur proposer un jeu ou une situation, prétexte à échanges verbaux, mais dont il faut à présent déterminer les contenus. Il s’agirait de demander à chaque paire d’élèves d’accomplir ensemble une tâche ou de participer à un jeu de rôle dont la consigne viendrait de l’adulte.

Corinne s’étonne des productions orales dont les enfants sont capables. Seuls ceux qui ont manqué des séances restent encore un peu en retrait par rapport à elle. La majorité des enfants parle, les émissions sont plus longues, plus complexes, le ton s’affirme et les comportements exubérants sont mieux maîtrisés. Corinne se rend compte que les enfants sont capables de lui parler dans un langage riche et déjà structuré, y compris, pour certains, en dehors de ce moment précis de langage. En effet, elle a déjà pu remarquer que des enfants qui ne lui parlaient jamais, lui adressent désormais la parole en situation habituelle de classe. Pour elle, ne pas pouvoir parler à l’adulte relèverait donc moins d’un handicap langagier que d’un sentiment de dévalorisation de soi ou d’un manque éventuel de confiance en l’adulte. La situation de jeu, mais aussi la position de membre du groupe adoptée par Corinne a permis à chacun de trouver une place, de jouer un rôle également valorisant et valorisé par l’adulte. Elle envisage la suite de son atelier selon des modalité semblables, c’est-à-dire dans le registre des jeux de rôles. Une phrase de l’une des enfants lui a donné l’idée d’engager le jeu, à la rentrée de Toussaint, autour du thème du docteur.

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