Le dispositif d’aide à la réussite de tous les enfants (ARTE)

Académie : Reims

Département : Haute Marne

École : Écoles de la ZEP de Saint Dizier

Rédacteur(s) : Jean Luc Duret, Christian Griffaton, Dominique Sénore

Sommaire

Présentation du dispositif

Observation et comptes-rendus des entretiens

Les enseignants titulaires des classes

Les maîtres "ARTE "

Les élèves

L’inspecteur de la circonscription

S’il fallait conclure

C’est à la rentrée de septembre 1998 que l’inspecteur d’académie directeur des services départementaux de l’éducation nationale du département de la Haute Marne propose un dispositif susceptible d’aider les élèves en difficulté d’apprentissage dans les classes et leur prise en charge par les enseignants titulaires des classes, pendant qu’un maître supplémentaire titulaire travaille avec les autres élèves de la classe.

 

Cette idée débouchait, en octobre 1998 sur la rédaction et la présentation de trois documents que nous reproduisons ci-dessous. Le premier présente le dispositif proprement dit, en définissant les objectifs, en proposant un descriptif de l’action suivi d’observations. Le deuxième est la " Charte du projet ARTE ", il définit l’identité du maître travaillant dans le dispositif ARTE, les conditions de mises en œuvre de l’aide à la réussite de tous les élèves et les modalités d’intervention des enseignants avec les élèves concernés par ce dispositif. Enfin, le troisième, rédigé par l’inspecteur de l’éducation nationale présentent les principes adoptés pour ce dispositif.

 

La monographie présentera enfin les comptes rendus des observations et des entretiens réalisés dans les écoles.

 

En avril 1999, l’inspecteur d’académie nous invitait à une journée de travail afin de nous présenter la démarche et de tenter de repérer, avec l’équipe de pilotage, les points éventuels susceptibles de poser problèmes. Cette journée fut suivie d’une visite à Saint Dizier, dans trois écoles de la zone d’éducation prioritaire qui bénéficient de ce dispositif afin d’y rencontrer les enseignants, les élèves et l’inspecteur de l’éducation nationale de la circonscription.

 

1. Présentation du dispositif

1.1 Le dispositif

Objectifs :

  • Assurer la meilleure réussite de tous les élèves et de chacun d’entre eux
  • Contribuer à la volonté de discrimination positive, donner plus à ceux qui ont moins, en préconisant d’autres méthodes, d’autres démarches.

Descriptif de l’action :

Les maîtres du dispositif ARTE permettent aux maîtres de certaines classes des réseaux d’aides prioritaires, ou implantées dans des secteurs difficiles qui en auront exprimé la volonté sur la base d’un projet spécifique de travailler en petits groupes pour aider les élèves en très grande difficulté scolaire et en situation précoce de rejet de l’école.

L’action en direction des élèves concernés par le dispositif ARTE s’inscrit dans la politique des cycles pédagogiques. S’y trouvent développées une pédagogie de projet favorisant des démarches participatives des élèves, une pédagogie du contrat, la mise en œuvre d’activités signifiantes prenant appui sur les activités artistiques, scientifiques et technologiques, les pratiques physiques et de pleine nature, favorisant la coopération au sein du groupe et de la classe, des approches interdisciplinaires comme assise aux savoirs instrumentaux. La place donnée à la motivation et à la prise en compte des intérêts des élèves est une condition majeure de la réussite scolaire et de l’acceptation de l’école.

Par des actions d’aide, est visée prioritairement la construction des compétences qui permettront à chaque élève de vivre une scolarité harmonieuse, sans risque de marginalisation au sein de la classe. Une attention particulière sera accordée à la maîtrise des langages.

Une évaluation est à l’origine de l’élaboration de chaque projet d’aide individualisée et des parcours personnalisés. Elle en assure la régulation.

Le conseil de cycle est le lieu de régulation des projets et de concertation des maîtres. Le maître du dispositif ARTE y participe activement. Le conseil des maîtres permet de faire l’inventaire des moyens disponibles dans l’école en réponse au traitement de la difficulté scolaire. Il est l’occasion de clarifier les missions de chacun. Le conseil d’école, comme la réunion des parents de chaque classe est le lieu d’information des partenaires éducatifs.

Observations :

Le dispositif ARTE concerne des classes de l’école élémentaire. A l’école maternelle la présence d’aides éducateurs favorisera la mise en place de situations en petits groupes pour les activités langagières, et augmentera les temps effectifs de langage.

Au niveau du second degré, la mise en place du "collège hors les murs" et les dispositifs relais d’accompagnement affirme notre volonté de prendre en main la réussite de tous les élèves sur l’ensemble de la scolarité obligatoire.

 

1.2 La charte du projet ARTE

Les maîtres du dispositif ARTE sont des moyens supplémentaires attribués aux inspections de l’éducation nationale. Elles permettent aux écoles des réseaux d’éducation prioritaires, et à celles implantées dans des secteurs difficiles qui en auront exprimé la volonté sur la base d’un projet spécifique, d’assurer la meilleure réussite de tous les élèves et de chacun d’ente eux. Ils contribuent à la volonté de discrimination positive, donner plus à ceux qui ont moins, en préconisant d’autres méthodes, d’autres démarches.

Identité du maître du dispositif ARTE

Le maître du dispositif ARTE permet au maître de chaque classe concernée de travailler en petits groupes pour aider les élèves en très grande difficulté scolaire et en situation précoce de rejet de l’école, se traduisant assez souvent par des troubles de la conduite et du comportement (passivité, agitation, absentéisme, agressivité, etc.). Il facilite une meilleure prise en compte de la diversité de ses élèves. Membre de l’équipe pédagogique de l’école, il participe à la vie de l’école et assiste aux différents conseils qui l’animent. IL inscrit son action dans le projet de l’école (en référence au projet de zone et au contrat de réussite pour l’école e REP et en ZEP). Le maître du dispositif ARTE anime avec le maître, le projet de classe en référence aux progressions et programmations établies dans le cadre de ce dernier. Il met en place les activités qui répondent aux programmes officiels et ne limite pas son action à certaines d’entre elles dont seraient privés les élèves en difficulté.

Le maître du dispositif ARTE n’est en aucun cas un maître spécialisé, un moyen de remplacement ou de décharge ; on veillera à ce qu’il ne soit pas considéré comme un intervenant extérieur. Il ne se substitue pas aux membres des réseaux d’aides spécialisées.

Conditions de mise en œuvre de l’aide à la réussite de tous les élèves

Le groupe classe reste le repère de chaque élève. Le maître de la classe en est le responsable et le garant de l’application des programmes officiels. Son action prioritaire en direction des élèves concernés par le dispositif ARTE s’inscrit dans la politique des cycles pédagogiques. S’y retrouvent développées une pédagogie de projet favorisant des démarches participatives des élèves, une pédagogie du contrat, la mise en œuvre d’activités signifiantes prenant appui sur les activités artistiques, scientifiques et technologiques, les activités physiques et de pleine nature, favorisant la coopération au sein du groupe et de la classe, des approches interdisciplinaires comme assise aux savoirs instrumentaux ? La place donnée à la motivation et à la prise en compte des intérêts des élèves est une condition majeure de la réussite scolaire et de l’acception de l’école.

L’évaluation est à l’origine de l’élaboration de chaque projet d’aide individualisée et des parcours personnalisés. Elle en assure la régulation. Elles est en incidence la condition de l’efficacité des actions engagées. Par les actions d’aide, est visée prioritairement la construction des compétences qui permettront à chaque élève de vivre une scolarité harmonieuse, sans risque de marginalisation au sein de la classe. Une attention particulière sera accordée à la maîtrise des langages.

Les diverses actions d’aides dont peut bénéficier un même élève doivent être coordonnées dans un projet individualisé et ne peuvent conduire à l’extraire trop souvent de la classe.

Modalités d’intervention

Le maître de la classe intervient avec les élèves concernés par le dispositif d’aide, dans le cadre de petits groupes constitués après évaluation de leurs besoins. Le projet établi précise l’organisation adoptée, les temps de régulation qui en favorisent la souplesse et l’évolution pendant l’année scolaire.

Le maître du dispositif ARTE intervient avec les autres élèves des différentes classes impliquées dans les projets. Il assure la mise en œuvre des activités prévues par les programmes officiels. A cet effet, il utilise autant que possible les méthodes et les stratégies préconisées pour les élèves aidés par le maître de chaque classe. Il veille à ce que toutes les disciplines soient prises en compte. Il peut aussi agir au sein même du groupe classe avec le maître de la classe, en fonction des projets.

Sa présence et sa disponibilité en début d’année scolaire permettent la conception et la mise en œuvre de l’évaluation individuelle des élèves, la constitution des groupes de travail, la coordination des projets.

Le conseil de cycle est le lieu de régulation des projets et des concertations des maîtres. Le maître du dispositif ARTE y participe activement . Le conseil des maîtres permet de faire l’inventaire des moyens disponibles dans l’école en réponse au traitement de la difficulté scolaire. Il est l’occasion de clarifier les missions de chacun. Le conseil d’école, comme la réunion des parents de chaque classe est le lieu d’information des partenaires éducatifs.

Chaumont, le 6 octobre 1998

 

1.3 Les principes

Dans chaque groupe scolaire de la zone d’éducation prioritaire de Saint Dizier (Langevin-Wallon, Pierre et Marie Curie , Brossolette, Albert Camus, Jean Moulin, Louise Michel et Louis Pasteur) est implanté un poste A.R.T.E :.

Ces sept maîtres en surnombre permettent aux titulaires des classes de prendre en compte plus facilement les élèves en difficulté.

Les principes suivants sont adoptés :

  • La maître de la classe, lui-même, définit et met en œuvre un projet d’action pour les élèves en difficulté de sa classe ;
  • Ces élèves sont ciblés grâce à une évaluation diagnostique. D’autres évaluations régulent l’action et permettent d’en mesurer l’efficacité ;
  • L’action est limitée dans le temps mais a une intensité forte (par exemple : six heurs par semaine pendant sept semaines) ;
  • La complémentarité avec les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) est recherchée (c’est ainsi que les cycles 3 sont prioritaires pour le dispositif ARTE, alors que les RASED interviennent majoritairement en cycle 2) ;
  • Les modalités d’action dépendent du projet. Les enfants peuvent être sortis de la classe ou être suivis dans la classe (les deux enseignants sont alors ensemble dans la classe).

Un stage de formation continue a permis de construire ce projet. Un suivi régulier de l’équipe de circonscription permet d’accompagner les maîtres engagés dans le dispositif.

L’inspecteur de l’Éducation nationale


Le Vert Bois est une banlieue en milieu rural, zone franche de quinze mille habitants, soit près de la moitié de la population de Saint Dizier mais soixante deux pour cent des demandeurs d’emploi de la commune et soixante et onze pour cent des bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI).

Chaque groupe scolaire de la zone d’éducation prioritaire de Saint-Dizier, située pour l’essentiel au Vert Bois est séparée du reste de la ville par plus d’une barrière physique -voie express, voie ferrée et canal- mais aussi par un gouffre social. Chacun de ces groupes scolaires a reçu un maître ARTE.

2. Observations et comptes rendus des entretiens

Au plan administratif, le maître supplémentaire (maître ARTE) n’est pas un maître spécialisé ni un moyen de remplacement ou de décharge au sens conventionnel du terme. Il est un membre à part entière de l’équipe pédagogique qui participe à la vie de l’école et aux différents conseils qui l’animent. Ce n’est en rien un intervenant extérieur et il ne se substitue pas non plus aux membres des réseaux d’aide spécialisée (RASED). Au contraire, sa présence et sa disponibilité en début d’année scolaire doivent permettre la conception et la mise en œuvre d’une évaluation individuelle des élèves, la constitution de groupes de travail et de coordination des projets. C’est cette évaluation qui doit faciliter le repérage des élèves en difficulté et l’élaboration de chaque projet d’aide ou de parcours personnalisé. Il devrait ainsi être plus facile d’assurer la régulation de ces projets. Une évaluation devra en mesurer l’efficacité.

Cependant, les entretiens conduits auprès des enseignants mettent en évidence qu’il ne fut pas facile, au départ, de rentrer dans ce projet de l’inspecteur d’académie. Les enseignants, en effet, étaient inquiets et ne savaient pas toujours comment ils pourraient utiliser les services de ce maître supplémentaire. Aussi, chaque équipe a-t-elle bâti un projet pour "ne pas risquer de perdre ce poste supplémentaire", mais sans suivre forcément les directives initialement pensées et présentées. Ainsi, l’idée initiale qui consistait à intervenir sur une période minimum d’une demi journée ne s’est pas concrétisée et des modalités différentes ont été mises en place comme par exemple : des interventions ponctuelles d’une ou deux heures, deux fois par semaine, qui conduisent le maître "ARTE" à avoir un emploi du temps très découpé. L’un d’entre eux nous dira d’ailleurs que s’il apprécie beaucoup de pouvoir participer à cette action, il ne pense cependant pas rester très longtemps sur un tel poste car il veut "une classe" à lui.

2.1 Les enseignants titulaires des classes

  • Un autre regard sur les élèves qui ont des difficultés

Pour l’un des enseignants qui participe à ce projet, "le fait de travailler avec les petits groupes des élèves en difficulté facilite le travail en permettant de faire référence au vécu de la classe", ainsi, "des liens existent, par exemple, entre ce que fait l’élève en mathématiques, discipline dans laquelle il est bon et en français, où il a de grosses difficultés". Certains ont aussi apprécié de pouvoir travailler avec les élèves en difficulté de leur classe, sans avoir à les adresser à d’autres structures, même ponctuellement.

Pour un maître de CM2, l’arrivée du maître "ARTE" dans l’école a représenté le moyen de se "retrouver avec ses élèves en difficulté, d’avoir le temps de découvrir où ils en sont et de remettre les pendules à l’heure". En petit groupe, il a pu leur apprendre à travailler sur des écrits, à gérer un cahier de texte, à apprendre une leçon. Les effectifs réduits, de deux à huit élèves, qui ne se sont pas toujours les mêmes, permettent une sorte de roulement, "pratiquement du préceptorat". Les maîtres parviennent ainsi à mieux comprendre comment chacun apprend et cela a provoqué chez eux la volonté d’acquérir une formation afin d’être plus efficace dans le repérage des modes de fonctionnement individuels. En petit groupe, les enfants se montrent et apparaissent différents ; ils apprécient la présence d’une personne qui s’occupe d’eux, ils se confient, s’attachent. Le temps permet de gérer une relation où le maître représente un adulte différent pour des enfants qui entretiennent souvent des relations de rapport de force avec leurs parents.

  • Différentes modalités de fonctionnement sont mises en oeuvre

    Au niveau d’un CP, alors que la maîtresse ARTE fait un travail autour du livre, la maîtresse de la classe propose à quatre enfants, qui peinent à rester calmes, à s’écouter et écouter les autres, des jeux d’attention visuelle, d’attention auditive, des exercices de mémoire. Elle tente de les amener à réaliser des séries cohérentes (mettre des images en ordre logique pour raconter une histoire), à prendre confiance en déchiffrant les fiches permettant de réaliser des pâtes à sel, à s’exprimer par exemple sur le thème de la dispute pour des "pogs", afin qu’ils réfléchissent sur ce qui se passe en eux quand ils se donnent des coups au lieu de discuter.

Mais pour cette maîtresse le bilan de son action reste contradictoire : "Je
n’ai pas beaucoup de réussite avec mes petits groupes. Je suis un peu déçue. La solution, ce n’est pas moi qui la détiens. Il y a des points positifs : les enfants ont appris à ne plus se couper la parole autant, à avoir plus confiance en eux. Quant aux retombées précises, non. Le contact avec moi s’est amélioré, aucun ne dit : la maîtresse ne m’aime pas. Ils ont été moins passifs, ils ont eu un temps de parole qu’ils n’auraient pas eu autrement. Mais les difficultés sont telles que je n’ai pas vraiment les moyens d’améliorer ce qui relèverait plus d’intervenants extérieurs ou de psychologues. Il y a des enfants dont ce n’est pas encore le moment d’apprendre. Certains vivent des choses difficiles chez eux et relèvent d’un personnel spécialisé ".

Dans une autre école, en C.P., tandis que le maître "ARTE" a en charge les séquences de lecture quatre fois une heure trente par semaine, la maîtresse prend en charge une élève étrangère venant d’arriver en France. En C.E., la classe est séparée en deux pour la lecture et l’expression écrite et orale, le maître prend la moitié des élèves le plus en difficulté. A l’occasion des "ateliers lecture" et à la suite de tests passés en lecture et en expression orale, plusieurs groupes ont été constitués. Ainsi pour les quarante-huit élèves en CE2 dans l’école, la maîtresse "ARTE" prend en charge seize élèves, les trois autres maîtres se répartissent les trente-deux élèves restants. Le même schéma se reproduit pour les CM1 et les CM2. En maternelle enfin, la maîtresse "ARTE" participe à l’atelier de décloisonnement entre les élèves de moyenne et de grande section ; elle prend en charge une partie des enfants tandis que la maîtresse restent avec ceux dont on peut prévoir qu’ils auront des difficultés au C. P.

Une maîtresse de CE1 pour sa part se réjouit que le poste ARTE soit "un véritable poste en plus pour l’école, que son titulaire soit un professionnel qui prend réellement sa classe en charge et non un aide éducateur auquel elle serait obligée de mâcher le travail. Dès lors, le partage des tâches s’opère sans douleur". Pour ceux des élèves qui n’ont pas de difficultés scolaires particulières, mais posent des problèmes de comportement, la maîtresse titulaire prend avec elle cinq élèves, laissant les dix-neuf autres à la maîtresse ARTE. Avec eux, elle travaille sur une matière (la découverte du monde) et le petit effectif lui permet de canaliser plus facilement les énergies, d’aider à parler ceux qui se taisent, de les aider à être attentifs, à rester calmes, à ne plus se couper la parole. Les élèves du petit groupe reconnaissent qu’"ici c’est mieux, il y a moins de monde. La maîtresse explique mieux que quand il y a tout le monde ; on parle plus, on donne plus de réponses". L’un des élèves poursuit : "j’ose pas parlé dans la classe , il y en a qui se moquent ; pas ici".

En CM1, une maîtresse utilise une fois par semaine, en expression écrite, ce qu’elle nomme "le créneau ARTE " ou "la plage ARTE ". Tandis que la maîtresse ARTE travaille aussi en expression écrite, mais d’une autre manière avec le reste de la classe, elle garde avec elle cinq élèves, trois au départ que sont venus rejoindre deux autres, à la suite du bilan du premier trimestre. Tous éprouvent des difficultés différentes, orthographe pour les uns, problèmes de comportement pour les autres, des plus turbulents aux plus calmes. Avec elle, ils ont mis en chantier une pièce de théâtre (rédaction, orthographe) destinée à être présentée à la classe ; chacun prend son temps pour préparer les décors, les élèves vont manipuler des personnages en carton, les plus en retrait vont avoir l’occasion de s’affirmer un peu plus. Les personnages représentent des élèves de la classe, le secret est bien gardé : les autres ne savent pas ce qui se trame, il leur a été dit que les élèves du projet ARTE faisaient des dictées, ils n’ont plus posé de questions.

Mais les retards auront-ils été rattrapés en fin d’année ? La maîtresse en doute : pour elle "le dispositif permet des activités différentes et de voir les enfants différemment (ils sont avec les autres tout le reste du temps), il n’y a pas de miracle, mais certains ont appris à se servir du dictionnaire...".

La directrice d’une des écoles ne s’est pas montrée favorable à l’expérience. Pour elle la maîtresse "ARTE" ne peut qu’avoir fort à faire à résister aux revendications des élèves restés en grand groupe qui demandent pourquoi les autres ont des activités différentes et pas eux : "pourquoi nous on ne va pas lire ? pourquoi eux ils sortent et pas nous, est-ce parce qu’ils ne sont pas bons ? Quand est-ce que ce sera notre tour ?" Quant aux élèves ayant travaillé avec leur maître et que la vie en petit groupe aurait désinhibé, elle ne les voit pas retourner de gaîté de cœur dans un grand groupe, elle les imagine au contraire refuser de travailler autrement qu’en petit groupe, elle ne voit de solution que dans une formation accrue des maîtres et une diminution généralisée des effectifs des classes.

En groupe réduit, le maître de la classe se retrouve devant les cas les plus difficiles, sans se reposer sur quelqu’un d’autre, sans savoir s’il dispose d’une formation suffisante. Pourtant, avec les seuls enfants en difficulté, sans objectifs de connaissance aussi pesants, il se sent mieux, il n’a "ni le bruit ni les perturbations du groupe". Dans sa propre classe, un CM1, avec deux enfants manquant d’intérêt pour l’école et un troisième à ce point inhibé qu’il "cassait le moral" du maître dès son arrivée en classe, il a cependant pu leur proposer une production écrite qui sera présentée aux autres élèves. Si, au retour en grand groupe, ces enfants lui ont paru de nouveau un peu "écrasés" par leurs camarades, retrouvant "les mêmes difficultés à oser s’exprimer", au moins avaient-ils eu l’occasion "de produire quelque chose et de se rendre compte qu’ils en étaient capables".

  • Premiers constats

Au début de l’opération, les objectifs du dispositif ARTE étaient apparus trop spécifiques et rigides à certains directeurs. "Les enfants en rupture, une pédagogie du détour ne leur semblaient pas justifier un poste particulier d’enseignant. En étendant le dispositif à l’ensemble des enfants ayant des difficultés, ils pensaient en avoir élargi le champ ; ils ont pu conduire cette expérience, avec l’accord de leur inspecteur. Tous les enseignants ont paru intéressés par le projet, même si dans un premier temps, prenant à la lettre les modalités préconisées par le dispositif, ils n’ont pas toujours pu ou souhaité repérer, dans leurs classes, des enfants "en rupture d’école ", mais plutôt des enfants demandeurs d’aide et de soutien méthodologique.

2.2 Les maîtres "ARTE"

Plusieurs modalités de travail pour le maître "ARTE" ont été expérimentées. Il peut être, selon les cas, un enseignant supplémentaire dans la classe, avec le titulaire, un enseignant qui participe à des activités décloisonnées ou un enseignant supplémentaire qui prend en charge la moitié d’une classe. Il est aussi, parfois, "la chaîne culturelle de la maison" et ses activités sont en ligne directe avec ce que prévoyait le projet initial. Les maîtres "ARTE" interrogés précisent qu’ils ne rencontrent pas de problèmes majeurs avec la discipline car les élèves leur reconnaissent un statut d’enseignant, même s’ils regrettent d’être considérés comme "un enseignant trop supplémentaire et pas assez complémentaire". Le dispositif ne semble pas faciliter les liens entre les familles des élèves et les maîtres "ARTE" qui reconnaissent "ne pas avoir de rapports avec les parents".

Le maître (ou la maîtresse) "ARTE" travaille avec les autres élèves autour des activités prévues par le programme et le projet de classe, en veillant à ce que toutes les disciplines soient prises en compte sans limiter son action à certaines d’entre elles dont seraient privées les élèves en difficulté. Ceux que nous avons rencontrés disent tous que l’expérience est intéressante mais qu’il est difficile de trouver du temps pour se concerter. La concertation entre le titulaire de la classe et le maître "ARTE" se fait encore souvent, de manière informelle, au moment de la pause, à la cantine ou dans les couloirs de l’école.

Le rôle de l’enseignant "ARTE" est difficile : il est en effet pesant, parfois, de ne pas avoir sa classe et de travailler dans des classes dont on a enlevé certains élèves. A chaque fin de trimestre les effectifs changent, ils évoluent dans toutes les classes, on lui en rend, on lui en prend, mais c’est toujours la maîtresse ou le maître titulaire qui en décide. Parfois, elle a l’impression de faire ce que les enseignants n’aiment pas faire, les problèmes à tous les niveaux, l’expression écrite. Sa marge d’autonomie et de variété lui paraît mince, elle a souvent le sentiment de faire toujours les mêmes choses, elle ne se voit pas jouer ce rôle toute sa vie, elle ne se sent pas une "vraie maîtresse".

Pourtant si cet aspect du travail semble frustrant, les enseignants le trouvent néanmoins positif dans son ensemble. Pour eux, "c’est une bonne formule, elle produit des effets et des enfants qui se sont sentis mis de côté par le maître, sont valorisés quand, tout d’un coup, il s’intéresse à eux. Ils sont en échec, ils le savent et l’enseignant leur dit : " je vais t’aider vraiment ". Il n’y a pas de recette et faire quelque chose de complètement différent peut rendre difficile le retour dans le système, mais il arrive que ça marche. Assez souvent. C’est parfois les bons élèves qui sont frustrés de ce qu’on ne fasse pas autant d’efforts pour eux".

Dans une autre école de Vert Bois (l’école d’application en ZEP Pasteur 2) à laquelle une maîtresse ARTE a été également attribuée, l’ensemble du dispositif a fait l’objet d’une contestation vigoureuse : pour sa directrice donner un poste en plus aux écoles est une idée sensationnelle mais le schéma proposé souffre d’une erreur de diagnostic suivi d’une erreur de traitement ; "c’est en effet une erreur de diagnostic de croire que les enfants en difficulté du quartier étaient également en rejet de l’école ; l’inspection académique n’a pas compris dans quelle souffrance sociale se trouvent des enfants qui sont malgré tout rarement violents ou agressifs et attendent plus de travailler de façon détendue en demi groupes que d’être " remotivés " pour aller à l’école".

Sur la question de la discipline dans les classe, C’est dans un CM2 que la maîtresse ARTE, considérée par les élèves comme une "sous maîtresse", a rencontré le plus de difficultés pour faire réaliser des exercices, "les enfants ne se sont guère montrés autonomes, ils attendaient les consignes, demandaient qu’on les guide sans arrêt et n’appréciaient pas qu’on exige d’eux qu’ils parviennent à se débrouiller seuls. Mais peut-être est-ce moi qui exigeait trop d’eux, trop rapidement ?s.

2.3 Les élèves

Les élèves interrogés sur les motifs qui ont conduit à mettre en place ce dispositif sont assez clairvoyants : "on vient à cause des difficultés, pour être aidés pour les contrôles, les bilans. On avait du mal pour les problèmes, …". Quand on leur demande si des changements apparaissent, ils répondent : "oui, ça change. C’est plus facile pour passer au CM2. On est à leur hauteur quand on retourne avec les autres, ils demandent ce que l’on a fait… J’arrive mieux à trouver des résultats. On se sent mieux ; avant quand on avait leurs problèmes (les problèmes posés aux "bons élèves"), on savait pas quoi faire… La dernière fois, on était même meilleurs, c’est tout le temps nous qui levions le bras. Le maître a même dit : " Bravo ceux du soutien ! Ils sont meilleurs, ils parlent plus et donnent plus de bonnes réponses ". Avant, on pouvait pas parler, on savait pas !". Quant à la présence de leur enseignant, cela semble être un avantage : "On est avec le maître, pas une éducatrice, il nous prend en classe, sans payer".

Les élèves notent aussi que "ici, c’est mieux ! On est moins nombreux, le maître explique mieux que quand on est vingt six". Les élèves qui restent avec l’enseignant "ARTE" reconnaissent "être plus forts", mais ne considèrent pas que le fait de travailler avec un autre enseignant change quelque chose pour eux : "on a les mêmes contrôles ! ". Leur attitude générale est tout de même un peu différente : "on écoute mieux avec le maître mais on fait pas le bazar comme avec l’aide éducatrice ".

2.4 L’inspecteur de la circonscription

Un important travail pour l’inspecteur a consisté à rencontrer les membres des réseaux d’aides aux élèves en difficulté pour les convaincre du fait que ce dispositif n’entrait pas en concurrence avec leur mission mais se trouvait là en complémentarité. C’est pour éviter cette concurrence qu’il a adressé une note de service précisant que les maîtres "ARTE" devaient travailler en priorité avec les élèves du cycle 3. De plus, il a fait le constat que les demandes faites au Réseau d’aides étaient sans doute parfois "floues" et qu’une réflexion était à conduire pour aider les enseignants à "affiner leurs demandes et entrer davantage dans une culture de l’évaluation".

Concernant la mise en place du dispositif, l’inspecteur note des points positifs pour les enseignants qui parviennent ainsi "à mieux comprendre les enfants en difficulté qui ne sont plus considérés comme des perturbateurs". Au sujet des pratiques pédagogiques, il fait le constat que "même s’il y a encore peu de différenciation pédagogique dans les pratiques, celle-ci se poursuit grâce au dispositif ". Enfin, pour les élèves, il constate "un changement de regard des élèves vis à vis du maître ; ce dernier étant perçu comme quelqu’un susceptible de les aider, mais aussi du changement de regard des élèves entre eux, il y a moins de moqueries et plus de respect".

D’autres points sont mis en avant. Ils concernent en particulier les emplois du temps des maîtres "ARTE" qui sont, "dans l’ensemble bien trop émiettés. Nous nous sommes heurtés à deux logiques : l’inspecteur d’académie aurait souhaité que nous imposions des emplois du temps mais nous nous sommes très vite rendu compte que ça ne fonctionnerait pas. Nous étions contraints d’attendre que les enseignants fassent eux-mêmes ce constat". Il a aussi remarqué que "les interventions des maîtres se font essentiellement en mathématiques et en français et l’adaptation avec le travail des autres intervenants (aides éducateurs, professeurs de langues vivantes, titulaire de la classe, …) n’était pas facile". Poursuivant dans cette réflexion, il convient de l’importance d’une action à conduire qui faciliterait "la lisibilité dans les écoles pour découvrir qui est l’intervenant et qui est le maître".

Très conscient des difficultés rencontrées par les enseignants pour se concerter, l’inspecteur essaiera de les aider en proposant un suivi des équipes. Il mise aussi sur la continuité de l’action des uns et des autres même s’il constate que "trois maîtres " ARTE " ont demandé à reprendre un poste ordinaire dès la prochaine rentrée" .

S’il fallait conclure

Ce dispositif a permis à certains enseignants de réaliser, avec les seuls élèves en difficulté, ce qu’ils ne parvenaient pas à obtenir avec l’ensemble de la classe : changer les regards des élèves et des enseignants sur les élèves qui ont des difficultés scolaires et valoriser ceux qui, d’ordinaire, se taisent en grand groupe. Les enseignants ont découvert ou redécouvert ainsi des capacités à réussir chez certains de leurs élèves qui n’osaient plus répondre ou s’exposer, dans le groupe classe. Ils ont pu mesurer plus finement l’évolution de leurs élèves, la situation réelle des enfants et de leurs familles.

Malgré le manque de temps pour réfléchir ou se concerter suffisamment, ils ont pu travailler à l’actualisation et au suivi des fiches individuelles, lesquelles, pour chacun des soixante élèves qui bénéficient de l’opération "Aide à la Réussite de Tous les Élèves", précisent la difficulté repérée, les objectifs et les résultats attendus, l’action mise en place, le type de relation "maître - élève" établi ou visé, l’évaluation faite en cours d’année et les décisions prises. Certains se sont aperçus qu’ils n’avaient que peu modifié leurs pratiques pédagogiques en regard de leurs élèves qui avaient en fait plus rapidement changé qu’ils ne le pensaient.

Les premières observations font apparaître des résultats encourageants pour les élèves et pour les maîtres. Tous semblent avoir appris quelque chose qu’ils ignoraient. La concertation entre les enseignants est une difficulté persistante et ne pas encore avoir trouvé de solution pleinement acceptable. Cette concertation se fait trop souvent encore de manière succincte et rapide : "je sais ce qu’elle fait, nous dira une enseignante en parlant de sa collègue, elle sait ce que je fais, on trouve toujours cinq minutes pour parler de ça".

Le projet ARTE a eu des difficultés pour se mettre en place tel qu’il avait été pensé par le directeur des services départementaux de l’éducation nationale et s’est développé de manière contrastée. N’ayant pas été pensé et proposé par "la base", les enseignants y ont vu, dans un premier temps, une ingérence de l’inspecteur d’académie dans ce qu’ils considéraient comme leur jardin professionnel privé : la pédagogie.

Ayant convenu qu’il aurait été dommage de laisser passer une telle occasion de travailler avec des moyens en personnel accrus, ils ont accepté le maître supplémentaire mais les partenariats mis en place restent divers et variés, allant du partenariat de substitution (le maître "ARTE" prend les élèves sans que le titulaire de la classe sache, explicitement, ce qu’il fera,), à un partenariat de juxtaposition (les élèves sont répartis pour des activités entre les différents adultes) pour se fixer aussi, parfois, sur un véritable partenariat interactif, un partenariat de coopération qui permet à tous les élèves de progresser grâce à la collaboration d’enseignants travaillant en commun au sein d’une équipe pédagogique bien décidée à aider tous les élèves à réussir dans les apprentissages.

Un travail plus complet, conduit dans le cadre de la recherche confiée à l’INRP, et avec les écoles volontaires, devrait permettre de repérer, avec plus de précisions, les effets de ce dispositif innovant, sur les apprentissages et le développement global de tous les élèves.