Le Point sur... numéro trois
mai 2001

Avant-propos

Ce numéro 3 propose des témoignages de membres du Comité National de Suivi, comité qui veille au respect du protocole et de la démarche de recherche conduite par la mission école primaire de l'INRP. Leurs réflexions sur la recherche accompagnement conduite par la mission École primaire seront suivies d'autres témoignages dans le prochain numéro.

Le point sur... par les membres du Comité :

la Mission "Ecole primaire"
la FCPE
le SE/UNSA
le SNUipp/FSU
Etiennette Vellas, expert, université de Genève.

  Le point sur ... par la mission école primaire

La recherche accompagnement

Des constats récurrents
Les maîtres d'école enseignent depuis toujours ; cependant les assises théoriques de leur métier demeurent nébuleuses. Tout se passe en fait comme si cette fonction sociale des plus visibles ne parvenait pas à divulguer le secret des savoirs qui la constituent (Enseigner et séduire, sous la dir. de Clermont Gauthier, Laval : Presse universitaire de Laval. 1999). Dans le même temps, des chercheurs produisent des connaissances dont les applications et les transferts demeurent insuffisants pour aider les enseignants à améliorer leurs pratiques. Fort de ces constats, la mission transversale "École primaire" de l'INRP s'est engagée à conduire ses actions à partir des questions de travail énoncées par les enseignants. Les équipes de chercheurs accompagnent les enseignants directement sur le terrain en tenant compte de leurs contraintes et de leurs priorités. Ensembles, ils s'approprient ces questions et les transforment en objet de recherche pour lesquels des éléments de réponses opérationnelles seront apportés. C'est donc à une véritable situation problème professionnelle que les enseignants et les chercheurs se confrontent.
Par exemple : A quelles conditions les dispositifs d'accueil quotidiens influent-ils sur la disponibilité des élèves face aux apprentissages ? La co-intervention (professeur des écoles- spécialiste)sur différents contenus disciplinaires modifie-t-elle le rapport de l'élève à la discipline enseignée ? Comment l'équipe pédagogique peut-elle être actrice de la construction des apprentissages dans les ateliers animés par des intervenants extérieurs ?
Il s'agit ainsi de mettre en place les conditions d'un véritable partenariat de coopération entre les différents membres de la communauté éducative. Il s'agit aussi de rendre audibles les propos des chercheurs par l'ensemble des praticiens.

Des idées reçues et des actions pour les combattre
Des idées reçues qui sont parfois sources de blocage :
Il n'y a plus de recherche en pédagogie mais uniquement des recherches sur l'éducation ; les enseignants ne sont pas des chercheurs ; la connaissance précède forcément l'action ; les recherches en éducation ne sont pas scientifiques, enseigner est une question de bon sens, il suffit d'avoir de la culture pour enseigner...
Le travail conduit depuis plus de deux ans maintenant montre qu'une certaine forme de recherche en éducation peut et doit se développer, en complémentarité des recherches fondamentales. Une forme de recherche qui permet de faire émerger des savoirs parce qu'elle ne refuse pas de chercher et de proposer ce qui semble le mieux à faire quand on veut éduquer tous les élèves.
Ce type de recherche ne transforme pas les enseignants, les formateurs ou les inspecteurs en chercheurs, au sens où l'on est reconnu chercheur, actuellement dans le système éducatif ; il permet d'aider aux repositionnements de ces professionnels, sur leurs lieux de travail, mis en situation de recherche et reconnus comme des experts.

Des résultats convergents et encourageants
Cette recherche réunit des partenaires qui ont mis en évidence qu'il convient d'accepter de faire partie du problème pour espérer en trouver une solution (Hutmacher 1989). Nous faisions l'hypothèse que l'intelligence collective était supérieure à la somme des intelligences individuelles ; nous sommes parvenus à mettre en place les conditions pour la valider. Les principes mis en oeuvre, parce qu'ils relient le savoir scientifique et le savoir pratique conduisent à la création d'un savoir stratégique : un savoir pour l'action pédagogique.
Ces actions, bien plus et bien mieux que les injonctions, sont des leviers pour que tous les membres de la communauté éducative, quels que soient leurs statuts, parviennent à regarder leur pratique de manière distanciée. Une dialectique s'instaure alors qui peut aboutir à modifier, quand cela devient pertinent, les pratiques de chacun. Le face à face et l'espace d'incompréhension qui séparent encore trop souvent les chercheurs des praticiens peuvent espérer alors se transformer en côte à côte et en distance féconde.
Jean-Luc Duret, Dominique Sénore

 Le point sur... par la FCPE

Une école du Calvados, située dans un quartier "difficile", s'inquiète de la médiocre qualité des relations entre les familles et l'école. Elle s'interroge pour savoir dans quelle mesure une amélioration de la qualité de ces relations, par une évolution de l'organisation pédagogique, est susceptible d'améliorer également la qualité des apprentissages scolaires.
Dans cet objectif l'équipe décide d'organiser des réunions de rentrée plus structurées (informations plus complètes sur l'école, contenus de l'enseignement, livrets scolaires, activités souhaitées à la maison).
Elle prévoit la création et la diffusion d'un journal d'école pour communiquer aux familles le travail réalisé et valoriser les productions écrites des enfants.
Elle programme la présence effective des enseignants aux moments d'entrée et de sortie pour dialoguer, éviter les conflits.
Elle s'attache à donner plus de cohérence entre les enseignements dispensés en cycle 2 et en cycle 3.
Une fois ces modalités mises en place, elle élabore, avec l'équipe de recherche, des grilles d'observation : résultats scolaires sur une cohorte d'élèves du CP et au CM2, et recensement des modalités de participation des parents en tant que partenaires éducatifs (leçons, réunions, activités scolaires et périscolaires dans lesquelles ils sont impliqués).
De cette nouvelle organisation du travail de l'équipe, l'école attend une meilleure adéquation entre les demandes des familles et les demandes de l'école, une amélioration de la fréquentation scolaire le samedi matin, un intérêt plus grand des élèves pour les activités scolaires.
Cette "expérimentation", tracée à gros traits, répond bien à la problématique générale de la recherche : "comment les activités pédagogiques et éducatives -organisées et articulées tout au long de la journée et de la semaine de l'élève- favorisent-elles son développement et ses apprentissages scolaires ?"
Elle nous donne l'occasion d'illustrer -certes schématiquement- une problématique qui a choisi comme entrée celle du partenariat avec les parents d'élèves.
Ainsi, l'équipe de l'école a défini un objet de recherche, comme tentative de réponse à un problème qui se pose réellement dans son expérience quotidienne.
Elle a dégagé un certain nombre d'opérations concrètes qui sont censées résoudre la question que pose la recherche : "est-ce qu'une amélioration des relations parents-élèves peut avoir une incidence sur le comportement et l'activité scolaire des élèves ?".
Elle émet une hypothèse explicite : si nous mettons tel ou tel dispositif en place, nous nous attendons à obtenir tel ou tel résultat.
Elle se donne les moyens "d'évaluer", de "mesurer" les effets produits par l'organisation mise en place.
La dernière étape consistera à interpréter les données recueillies, qui valident ou non l'hypothèse de départ, et à identifier les erreurs qui ont été faites, ainsi que les problèmes rencontrés.
On pourra alors produire un certain nombre de recommandations contextualisées (si telles conditions sont mises en place, dans tel environnement, alors on peut en attendre tels effets).
Une analyse plus globale de l'ensemble des objets de recherche retenus par les écoles de l'échantillon (environ 600 à ce jour) permettra d'en dresser un catalogue, d'établir des classifications pertinentes afin de voir dans quelle mesure ces objets sont transférables d'une situation à une autre.
Rappelons, pour terminer, qu'un dossier thématique est consacré à la place et au rôle des parents dans l'école : il a pour objectif d'aider les enseignants à s'engager dans des actions de coéducation avec les parents pour mieux en comprendre les enjeux et pour en repérer les effets sur la vie des enfants et leurs apprentissages.
L'école primaire (et donc l'école maternelle) a, dit-on, bonne réputation, en particulier auprès des parents d'élèves. Si cette assertion est globalement recevable, elle ne doit pas pour autant inciter au relâchement.
Des enfants aux compétences très contrastées arrivent au collège : si ce dernier a pour devoir d'accueillir ces jeunes tels qu'ils sont et non tels qu'on voudrait qu'ils fussent, il n'en reste pas moins, qu'en amont, l'école primaire a un devoir permanent d'amélioration.
Cette recherche y contribue, car "...elle s'inscrit délibérément dans un projet de transformation qui doit permettre à l'école d'être à elle-même son propre recours...".
Thierry Volck

 Le point sur… par le SE/UNSA

Promouvoir les pratiques pédagogiques innovantes

Plus que jamais, la recherche en éducation s’affirme comme un vecteur d’amélioration concrète des pratiques pédagogiques mais elle reste encore un champ trop décrié et insuffisamment structuré.
On a souvent critiqué à juste titre la mauvaise diffusion des travaux de recherche, l’absence de coordination des initiatives, la faible stimulation des acteurs du terrain et le manque d’outils mis à disposition des écoles.
Aujourd’hui l’INRP peut permettre de pallier à ces insuffisances. La liaison entre les chercheurs et les praticiens doit devenir une pratique courante. Les centaines d’écoles engagées dans une recherche premier degré sont en droit d’exiger outre un soutien et une aide concrète de leur administration, la possibilité d’échanger entre elles d’une façon permanente, des outils de formation et une diffusion des résultats contextualisés. La mission école primaire à l’INRP travaille dans ce sens. Le Syndicat des Enseignants/UNSA soutient activement ses efforts qui visent à promouvoir des pratiques pédagogiques innovantes.
L’Enseignement de demain devrait être un enseignement d’entraide entre les enseignants, d’entraide entre les élèves. Le travail en équipe, les échanges de service, la capacité de mise en relation de toutes les compétences utiles autour d’un projet commun pour l’école sont les éléments-clés d’un professionnalisme enseignant qui reste pour une large part à construire.
Philippe Niemec, Délégué National

 Le point sur... par le SNUipp FSU

La transformation de l’école, l’évolution des pratiques enseignantes, aller vers la réussite de tous, nécessitent un nombre accru de recherches portant sur l’école maternelle et l’école élémentaire.
Pour mieux appréhender et diversifier les processus d’apprentissage pour mieux répondre aux difficultés des élèves et les conduire tous sur le chemin de la réussite, la recherche en éducation doit se développer. Elle doit porter sur tous les champs disciplinaires et scolaires enseignés en intégrant les éléments pédagogiques et didactiques, les contenus et les programmes ...
Le SNUipp demande que le Ministère impulse une véritable politique de recherche qui doit être réinvestie dans la formation initiale et continue dont nous demandons en même temps le développement.
Déjà de nombreux enseignants, parfois dans le cadre d’équipes d’écoles s’investissent dans de telles démarches et saisissent les opportunités qui se présentent.
C’est ainsi que des écoles ont exprimé la volonté de s’inscrire dans une recherche INRP.
Le SNUipp souhaite que l’INRP puisse répondre aux attentes des écoles pour que les recherches aient véritablement une dimension " interactive ". Il souhaite qu’à l’issue de ces travaux, ces écoles soient destinataires de la totalité des résultats des recherches engagées.
Par ailleurs, le SNUipp se prononce pour le développement des possibilités offertes aux enseignants des écoles de participer à des recherches associant chercheurs, enseignants, formateurs.
Nicole Geneix

Le point sur… par Etienette Vellas
Expert, chargé de cours à l'université de Genève

Scientifique ou pas?

"Votre recherche est-elle scientifique?" A cette question, je réponds inlassablement : "Notre recherche est une recherche en éducation et j'ai la conviction de son intérêt à être conduite. Nous jugerons ultérieurement de son taux de scientificité."
Je me refuse en effet de tomber dans le piège de devoir fournir la preuve de la scientificité des recherches que je mène en Sciences de l'éducation ou ailleurs tant que cette scientificité attendue a comme modèle les normes des sciences formelles. Et surtout tant que la recherche n'est pas achevée.
Les enjeux de la recherche "École primaire" sont trop importants pour se laisser entraîner à en gommer ses spécificités à force d'entrer dans le jeu de cette quête éperdue de scientificité qui secoue actuellement les Sciences de l'éducation et que dénonce justement Michel Develay (2001) Cette pression actuelle conduit à l'impasse. A la perte même des objets qui nous intéressent.
Pour moi, les enjeux de notre recherche appartiennent bien à une recherche en éducation (Van der Maren, 1999)
Ils sont pragmatiques : la recherche vise la résolution de problèmes, la régulation quotidienne des pratiques en rapport avec la transmission de la culture.
Ils sont ontogéniques : les acteurs (de toutes les instances engagées), en se mettant en recherche, améliorent leur pratique, innovent, se développent par la réflexion sur l'action.
Ils sont politiques : notre recherche est conduite pour repérer quelles structures, quelles pratiques, quelles conduites semblent efficaces et quelles autres sont du même coup à modifier pour transmettre au mieux la culture à tous les enfants.
Ils sont enfin théoriques : l'analyse transversale. des recherches conduites mettra en évidence quelques lois, principes, théories, savoirs sur la transmission et l'acquisition de la culture. Du moins est-ce notre pari.
Ce qui me semble particulièrement intéressant à souligner, c'est que les savoirs que nous construirons auront pu émerger, parce que notre recherche n'a pas refusé d'avoir pour objectif de "chercher et de proposer ce qui semble le mieux à faire quand on veut éduquer". Voilà qui viendrait donner raison tant à Philippe Meirieu qu'à Bernard Charlot quand ils plaident pour un retour de la recherche pédagogique en Sciences de l'éducation:
La tâche de l'heure, c'est de réhabiliter la pédagogie et la recherche pédagogique, de faire de la recherche sur des situations concrètes, dont on puisse tirer des conséquences concrètes, de multiplier les recherches sur les pratiques de classes. (Charlot, 1995, p. 126)
Alors, notre recherche est-elle scientifique ou pédagogique? Je répondrai pour l'heure et en l'état de son avancement : elle risque bien d'être scientifique parce qu'elle aura eu le courage d'oser être pédagogique.
Etiennette Vellas