Le Point sur... numéro deux
octobre 2000

 Éditorial
 Intervention de Jack Lang au colloque du 13 mai 2000 
Le suivi individualisé des élèves et la gestion des ressources. Entretien avec Philippe Perrenoud.
Les objets de recherche choisis par les écoles de l'échantillon 

 Éditorial

Nous avons pris acte de la démission de Philippe Meirieu de son poste de directeur de l'INRP. Pour autant, l'action que nous avons entreprise et la recherche accompagnement débutée en janvier 1999 se poursuivent.
Le livret d'accompagnement de la recherche numéro 3 sera prêt comme prévu au début de la prochaine année scolaire, le premier ouvrage présentant les trois premières monographies réalisées dans douze écoles en France est à l'impression, il porte sur l'aménagement des temps et des espaces. Enfin, nous travaillons activement à la publication des actes du premier colloque sur la recherche que nous avons organisé le 13 mai 2000 dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne.
Nous profitons de cet éditorial pour remercier les 1115 personnes qui se sont inscrites au colloque. Nous avons pu marqué au cours de cette journée notre appartenance à une communauté éducative consciente du bien fondé d'une recherche accompagnement qui facilite le rapprochement entre pratique, recherche et formation. L'accompagnement des équipes pédagogiques et éducatives par des chercheurs conduit tous les membres de la communauté éducative, quel que soit le statut de chacun d'eux, à modifier leurs pratiques, quand cela est pertinent. Cette recherche, conduite conjointement par des "praticiens chercheurs" et des chercheurs proche du terrain favorise à la fois l'évolution des pratiques scientifiques et des actions pédagogiques.
Cette recherche représente un élément de réponse pour permettre "d'articuler une recherche pointue et en même temps participative", comme l'a précisé Philippe Perrenoud le 13 mai, d'autant que, précisait-il, à la différence d'autres réformes, elle "pose des problèmes à partir des pratiques et donc elle n'est pas suspecte d'imposer un cadre conceptuel et une réponse unique aux problème de l'enseignement primaire".

Jean-Luc Duret,  Dominique Sénore

 L’intervention de Jack Lang, Ministre de l'Éducation nationale au colloque du 13 mai 2000

Mesdames, Messieurs, Monsieur le Recteur, Monsieur le Directeur Philippe Meirieu.

Quelques mots simplement,

Vous êtes réunis tout au long de cette journée non pas pour entendre des discours ou des proclamations, mais au contraire, et je trouve que de ce point de vue là, la démarche est originale et féconde, pour exposer vous-même ce qu’est le fruit de vos expériences là où vous êtes. Je dois d’abord vous remercier d’être venus à l’invitation de Philippe Meirieu et de passer ensemble cette journée.
Plusieurs collaborateurs seront ici même auprès de vous, ils vont scrupuleusement prendre des notes, entendre ce que vous ressentez vous-même, vos réussites, vos inquiétudes, vos espoirs, vos propositions, et comme vous le savez sans doute, je souhaite personnellement porter mon attention plus particulièrement sur l’école, non pas pour, rassurez-vous, la chambouler, la bouleverser, mais au contraire pour essayer de trouver les voies positives de changements et d’améliorations.
Des réformes se sont succédées ; les unes heureuses, d’autres moins heureuses. Mais la réalité est entre vos mains, celles des responsables de l’éducation nationale, des professeurs, des directeurs d’école, des chefs d’établissements, là se trouve la réalité de la pédagogie vivante jour après jour.
Naturellement, j’aurai l’occasion, le moment venu, d'énoncer ou de ré-énoncer un certain nombre de lignes de force pour que notre communauté éducative puisse se sentir mieux recentrée dans son idéal et ses perspectives. En même temps, comme je l’ai déjà dit, je m’exprimerai sur ce sujet, le moment venu. Je souhaiterais qu’au-delà même des grandes lignes de force qu’il faudra réaffirmer avec clarté, le feu vert soit donné aux initiatives, aux expériences et je crois que vous-mêmes êtes précisément des femmes et des hommes qui, dans vos académies respectives, avez engagé sur le terrain, là où vous êtes, ces changements positifs. Et j’essaierai, nous essayerons, de tirer de vos expériences le meilleur miel ou les meilleurs fruits, comme vous voulez, de façon à encourager d’autres collègues et naturellement vous-même, d’abord. Nous voulons lever les obstacles s’il en est, non seulement à vos expériences actuelles mais à leurs prolongations.
A l’instant, en entrant, je rencontrai des jeunes femmes qui animent un pôle d’excellence d’une école maternelle dans la région parisienne et qui m’exprimaient leur inquiétude sur la continuation de ce qui a été engagé. Il ne suffit pas de donner le feu vert pour maintenant, il faut aussi assurer la perpétuation, la prolongation, dans la durée, de ce qui a été engagé par les uns et par les autres.
Voilà, je n’ai pas pour l’heure plus à vous dire ; simplement à vous remercier. Je dirais que votre réunion d’aujourd’hui vient à point nommé, au moment même où la nouvelle équipe ministérielle a décidé de centrer sa réflexion sur l’école et le collège, et encore une fois cette journée d’aujourd’hui et ce que vous nous apporterez ou ce que vous vous apporterez collectivement sera le bienvenu.
Je dirai un dernier mot : quelles que soient les imperfections et il y en a, quels que soient les échecs et il y en a, il est important, en même temps, que l’on sache qu’il y a aussi des réussites et il n’est pas négligeable que nous nous nourrissions, mutuellement et collectivement de ces réussites. Je n’ai jamais pensé que l’on pouvait avancer dans quelque combat que ce soit, si, il n’y a pas un minimum, disons de lumière, d’espoir, d’étincelles, fondé sur un certain nombre de réussites. Et de ce point de vue, vous contribuez, vous contribuerez à donner l’énergie, le moral dont nous avons tous besoin pour avancer, et pour favoriser la réussite des élèves et votre épanouissement personnel et collectif.

Donc bonne journée et par avance, merci à vous tous.

Jack Lang, Ministre de l'Éducation nationale

 Le suivi individualisé des élèves et les ressources
Entretien avec Philippe PERRENOUD

MT5 : Les deux premiers thèmes traités lors du colloque du 13 mai portaient sur le suivi des élèves et la gestion des ressource...
Ph. P. : En fait, ce sont deux termes que je n'utilise pas souvent bien qu'en réalité, ils désignent de vrais problèmes.

MT5 : Pour autant, pouvez vous nous dire en quoi le suivi désigne un vrai problème ?
Ph. P. : Sans jouer sur les mots, qu'est ce que signifie exactement suivre un élève ?

MT5 : Peut-être tout simplement s'y intéresser ?
Ph. P. :  Bien entendu, il est préférable de s'intéresser aux élèves plutôt que de ne pas s'y intéresser. Et si on s'y intéresse, il est préférable de savoir ce que chacun sait plutôt que d'avoir une opinion globale sur le groupe ou la classe. Mais je trouve que cette notion de suivi prend une place peut-être excessive...

MT5 : Par rapport à quoi ?
Ph. P. : Par rapport à une autre notion qui pourrait être celle du pilotage qui rejoint bien le thème de l'individualisation des parcours. Quand on individualise, en effet, on individualise les parcours, pas l'enseignement. On vise les mêmes acquis de base, à la fin de chacun des parcours.

MT5 : Faut-il donc insister sur la nécessité des parcours individualisés ?
Ph. P. :  Non, pas plus qu'il faille plaider pour une forme de tutorat. Il s'agit, au contraire de fixer des objectifs à assez longue échéance pour que tout le monde ait une chance de les atteindre par des cheminements variés. J'ai l'impression de dire une immense banalité et en même temps j'observe que le travail réalisé ne porte peut-être pas suffisamment sur ce dernier point. J'ai cru que la France de 1989 avait une grande avance sur la maîtrise de l'individualisation des parcours en instaurant les cycles. Mais je découvre, observant les pratiques de classes, que je me suis fait quelques illusions. C'est étrange de constater que d'autres pays francophones tels que la Belgique, la Suisse ou le Québec inventent les cycles, longtemps après la France mais que chez vous, je le dis pour vous provoquer un peu, cette réforme reste à faire...

MT5 : Qu'est ce qui vous frappe le plus ?
Ph. P. : Il me semble que nous devrions tout mettre en oeuvre pour utiliser les cycles comme des outils de pilotages plutôt que comme des outils de suivi des parcours de formation. Un des défis majeurs, si l'on s'intéresse au suivi des élèves, pourrait être de les précéder sur le chemin. Autrement dit, il s'agit d'organiser le travail en équipe des enseignants et de penser le suivi à l'échelle d'un cycle, au moins.

MT5 : Pensez vous alors qu'il faille développer en même temps des outils de communication pour aider au suivi ?
Ph. P. :Tous les outils qui faciliteront le pilotage doivent être mis en oeuvre. Pour l'instant, on surinvestit des outils de dialogues avec les élèves et les familles, ce qui est honorable et intéressant. Mais on travaille assez peu sur des outils de pilotage professionnel, par les enseignants, pour les aider à prendre les décisions d'attribuer tels élèves à tels groupes, d'attribuer tels élèves à tels tâches, de recomposer constamment les ressources pédagogiques et les dispositifs.

MT5 : Justement, les ressources faisaient l'objet d'un thème du colloque sur lequel je vous propose de réagir maintenant.
Ph. P. : Sur les ressources, ma réserve repose sur le fait que l'on met dans le même sac des choses extrêmement différentes. Par exemple, mettre le partenariat et Internet dans la même catégorie conceptuelle, ce n'est certes pas absurde, mais cela risque de ne pas nous mener loin parce que les problèmes soulevés sont très différents. Je ne suis pas contre le partenariat, mais d'une certaine manière, je ne pense pas qu'il va sauver l'Ecole. Et ce n'est pas quelques ressources externes de bonne volonté ou pas, quelques appuis qui vont résoudre nos problèmes.

MT5 : Quelle place reconnaissez-vous à Internet ?
Ph. P. : Je ne suis pas un vendeur de technologies nouvelles, ce n'est pas ma spécialité. Je pense que c'est un bon thème pour nous aider à réfléchir sur les enjeux de la scolarité primaire et de l'éducation en général. Une nouvelle inégalité naît ; elle risque de devenir dramatique dans les vingt ans qui viennent si on n'y prend pas garde. L'ensemble des technologies nouvelles et notamment Internet nous mettent face à un monde de plus en plus abstrait devant lequel l'inégalité dans la compréhension des manières de faire va devenir fatale. Quand on observe les utilisateurs des réseaux, c'est encore plus criant que face aux livres. Certains apprennent tout seul et se débrouillent, prennent des initiatives, créent des sites et sont acteurs. D'autres comprennent plus difficilement où il faut cliquer et sont complètement dépendants de la logique de ces savoirs nouveaux et du pouvoir qui sont derrière l'ensemble des sites. Cela pourrait nous aider à poser différemment le problème des ressources car dans le fond, il s'agit plus certainement des ressources qu'il faut donner aux élèves pour leur permettre d'accéder à celles qu'ils devront utiliser, par la suite, dans leur famille, dans leur travail, pour les loisirs par exemple.

MT5 : Quel peut être l'apport d'Internet dans l'enseignement ?
Ph. P. : Je ne pense pas qu'il faille absolument Internet pour enseigner la géographie, l'histoire ou la grammaire... Mais il semble que l'on peut trouver de l'intérêt à proposer une forte présence d'Internet surtout pour réorganiser le travail autour d'activités dans lesquels l'accès à ces ressources ne soit pas une simple décoration mais une nécessité absolue. Pour se débrouiller face à cette technologie, il faut savoir lire, il faut savoir penser, il faut savoir analyser. Tous les objectifs classiques de l'école ne sont pas du tout périmés, mais au contraire, l'échec dans leur atteinte devient encore plus visible. Ce ne sont pas les images animées sur l'écran qui vont permettre à quelqu'un qui ne sait pas lire de naviguer sur le réseau. Il faut savoir lire, savoir raisonner, savoir anticiper. Tous ces savoirs traditionnels qu'on formulait au début du vingtième siècle restent d'actualité. Les nouvelles technologies ne les démodent pas et les pratiquer en classe permettra d'une certaine manière de saisir la différence entre les compétences essentielles et l'ensemble des habitudes, des habilités qu'on passe des heures à acquérir sans profit majeur à l'école.

MT5 : En fait, le problème soulevé par les ressources réside sans doute plus dans la capacité à s'en servir...
Ph. P. :  Exactement. Le problème n'est pas la ressource mais la capacité de nous en servir intelligemment. Il y a ici un enjeu de formation des enseignants mais peut-être aussi de clarté sur les usages. Je reste sur ce point sur ma faim, il me semble que l'on a ouvert un chantier qu'il faut continuer à creuser...

 Les objets de recherche choisis par les écoles de l'échantillon

Nous vous proposons, à partir des informations que nous avons collectées, les principaux thèmes qui retiennent l'attention des écoles et des exemples de questions que se posent les enseignants.

Des équipes ont voulu travailler sur les contenus d'enseignement afin de créer les conditions nécessaires à toute appropriation. Les questions suivantes illustrent ce thème :

  • Des moments langagiers formels sont-ils utiles pour la construction de l'expression langagière ?
  • Les actions d'éducation à la santé et à la citoyenneté influent-elles sur le regard que l'élève porte à l'école ?
  • La co- intervention sur différents contenus disciplinaires modifie-t-elle le rapport de l'élève à la discipline ?
  • Les ateliers multi-disciplinaires menés par des parents à l'école modifient-ils le regard que l'élève porte sur les savoirs scolaires ?

Un autre thème a été retenu pour éprouver des dispositifs qui permettent de mieux cerner le rapport à l'école entretenu par les élèves ; on retrouve là la problématique du travail personnel et des liens à tisser afin de développer des compétences ou des attitudes requises face aux apprentissages scolaires. Des exemples de questions :

  • Une heure banalisée non disciplinaire modifie-t-elle les rapports de l'élève à l'école ?
  • Le classeur "je grandis" permet-il à l'élève de maternelle de développer une réflexivité sur son cheminement scolaire ?
  • L'introduction de l'allemand dans une école en REP contribue-t-elle au changement de regard que l'enfant porte sur le monde contemporain ?
  • Des situations pédagogiques spécifiques visant la communication entre les élèves et les parents contribuent-elles aux développement d'attitudes face aux apprentissages chez les élèves ?

D'autres réflexions portent sur les dispositifs, les outils ou les activités qui favorisent le développement de compétences ou l'émergence d'attitudes liées à un champ disciplinaire. Il s'agit de construire un travail à dominante didactique dans un contexte d'enseignement déterminé. Les questions sont alors :

  • La BCD permet-elle de développer les attitudes de l'apprenti lecteur ?
  • Les ateliers décloisonnés contribuent-ils à la lecture autonome ?
  • L'écriture du Livre de tous facilite-t-elle l'accès à la lecture autonome ?

Enfin, nous pouvons retenir un réflexion portant sur l'organisation des temps et des espaces en conservant le souci de régulation de l'activité pédagogique qui s'illustre par des questions comme :

  • Les temps d'interclasses peuvent-ils s'offrir comme des temps favorisant la disponibilité des élèves ?
  • Des formes de collaboration spécifiques permettent-elles d'identifier et de développer les stratégies cognitives des élèves ?
  • Une nouvelle organisation du temps d'enseignement influe-t-elle sur l'activité de l'élève et sa disponibilité face aux apprentissages scolaires.