Les années 70 et 80 ont été ressenties par les Argentins comme les plus sanglantes de leur histoire contemporaine : la société vit sous l’empire du terrorisme d’état et connaît la disparition systématique de personnes pour raisons politiques. En 1983 la démocratie constitutionnelle devient à nouveau le régime de gouvernement, mais plus de 20 ans après on constate que le poids du passé dessine le présent : ; les disparus « sont » disparus. Depuis 1974, surtout à partir du coup d’État militaire du 24 mars 1976, cette société vit aux marges de l’expérience concentrationnaire. L’enseignement du passé récent et le choix des sources pour le présenter devient un enjeu autant disciplinaire et pédagogique que politique, un enjeu de pouvoir et de contre pouvoir. L’écriture de l’histoire loin d’être soumise aux normes et procédures méthodologiques des historiens, exprime la lutte de diverses subjectivités pour imposer une lecture unique du passé. La représentation de ce passé peut-elle lui être fidèle ? De quelle transmission s’agit-il ? De quelle façon se rétablit la continuité générationnelle lorsqu’une génération a été quasiment anéantie ?
Divers aspects doivent être pris en compte : les sources et outils pédagogiques, la formation des enseignants, les acteurs intervenants dans la classe, l’action de l’État en politique éducative et commémorative. Nous avons d’abord travaillé le premier avec l’hypothèse suivante : dans les manuels scolaires, les enjeux mémoriels autour de la disparition prennent le pas sur les essais d’établir une ou des histoires du temps présent et la vérité des faits cède sa place à la mémoire officielle sur ces faits.
Le corpus a été construit sur trois sources : une sélection représentative des textes d’histoire utilisés au lycée à partir de 1983 (construction, contexte, finalité) ; les mots utilisés pour caractériser le terrorisme d’état, la violation des droits, la violence politique et les différents régimes de gouvernement ; les outils pédagogiques subventionnés par l’État pour commémorer l’anniversaire du coup d’état et sa commémoration à Buenos-Aires.