Contribution recherchée

Atelier n� 11 : Violences, conflits et discriminations ; l’éducation à la citoyenneté est-elle une des réponses ?

Titre Violence, subjectivité et idéologies
Auteur(s) ERNST Sophie

Texte
Dès le début des années 90, les violences urbaines ont occasionné des enquêtes de grande ampleur, réalisées par des sociologues et des psychosociologues, qui permettent de saisir un idéal type des jeunes auteurs de violences urbaines. Ces travaux mettent tous en avant un certain nombre de dimensions caractérisant globalement une population défavorisée : le caractère enclavé des banlieues, les familles immigrées, la pauvreté, les familles nombreuses, le chômage, l’échec scolaire… c’est-à-dire, systématiquement des « explications », voire les justifications des violences, par des facteurs économiques et sociaux. Analyses qui ont leur limite quand on sait que ces jeunes sont très difficilement « employables » (comme ils étaient difficilement scolarisables).
Ce qui n’est jamais mis en exergue, c’est un portrait cognitif et subjectif de ces acteurs. Les études psychologiques, sur cette petite partie de la population qui passe à l’acte, révèlent des êtres qui sont bien moins immoraux ou intrinsèquement violents que perturbés et gravement immatures, au sens où ils n’ont pas intégré des apprentissages minimaux de maîtrise de l’émotivité, de l’impulsivité et ne sont pas à même de se poser comme « sujets » si peu que ce soit autonomes (analyse à nuancer en ce qui concerne les meneurs). La lecture par un éducateur offre le portrait en négatif de ce que vise normalement l’éducation à l’autonomie. On a affaire à des individus dont la subjectivité est en grave souffrance, notamment du point de vue de la liaison du temps vécu : pas de sens du lien de cause à conséquence, enfermement dans le présent et l’impulsivité, difficulté à réaliser les conséquences d’un acte, encore moins à l’anticiper, une chaîne temporelle dangereusement hachée. Faire tourner son regard en changeant de point de vue sur une situation est impossible. Toute situation est structurée de façon binaire : territoire / étranger au territoire, eux/nous, gagnant/perdant, fort/faible… Ce sont des apprentissages premiers qui se sont mal réalisés et toute prévention devrait d’abord concentrer ses efforts sur la petite enfance et l’enfance, à l’école, dans l’encadrement éducatif péri-scolaire et dans le soutien aux familles.
La situation actuelle se radicalise en raison de l’influence de certaines idéologies, abondamment diffusées par les médias, Internet et certains groupes associatifs et politiques. Ainsi, à cette immaturité subjective se superpose une posture d’ex-colonisé, indigène de la République, victime du néo-colonialisme républicain, victime du racisme et des discriminations, par là-même condamné au chômage. Ces idéologies, qui sont d’autant plus propagées et facilement intégrées qu’elles reposent sur une base de vérité, permettent de donner une illusion de subjectivité, mais compromettent les prises de conscience, aussi bien du côté des jeunes eux-mêmes, que des éducateurs et des responsables politiques. Tout au contraire, en déréalisant la vision de soi et du monde, elles entretiennent des erreurs graves d’adaptation, dont on se sort que par une spirale de haine de plus en plus violente. C’est cette rencontre entre subjectivités immatures et idéologies « victimistes » que je souhaite analyser.