Contribution recherchée

Atelier no 12 : Quelles approches pour faciliter le développement des personnes dans les organisations d'éducation et de formation ?

Titre Rapport au savoir et au langage : quand une enseignante invite un élève à se taire
Auteur(s) COSTANTINI Chantal

Texte

On pourrait penser que face aux enfants qui ne parlent pas à l'école, le rapport au savoir de l'enseignant soit interrogé. Quand au niveau institutionnel (Bulletin officiel, 1999, 2002) on présente la maîtrise de la langue orale comme une priorité et donc un outil indispensable à la réussite scolaire l'obligation serait faite pour l'enfant de parler pour apprendre. La maîtrise de la langue constituant la base de tous les apprentissages, le silence de l'enfant considéré comme un obstacle à l'acquisition des savoirs, devrait remettre en cause l'action pédagogique de l'enseignant car venant perturber son rapport au savoir. Le rapport au savoir ( Beillerot et all., 1989, 1996, 2000) se définit comme étant «un processus par lequel un sujet conscient et inconscient, à partir de savoirs acquis, produit de nouveaux savoirs singuliers qui lui permettent de penser, de transformer et de sentir le monde naturel et social». Mais bien que la langue instrumentalise tout (Hagège, 2001), la langue orale à l'école occupe une place complexe parce qu'elle est à la fois objet et moyen d'enseignement. En tant qu'objet, la langue orale doit être enseignée et pour cela modélisée (Dolz et Schneuwly, 1998) ; en tant que moyen, une question s'impose du côté de l'enseignant pour comprendre ce qui facilite ou empêche la mise en oeuvre de modalités pédagogiques différentes qui favoriseraient l'apprentissage de la langue orale à l'école. Lacan peut nous aider à comprendre la difficulté à enseigner l'oral en nous rappelant que «le schéma traditionnel d'une parole transmission-message, d'un langage instrument s'effondre, puisque la propriété de la parole est de faire entendre ce qu'elle ne dit pas, qu'on n'y communique rien mais qu'on y recherche en écho la réponse de l'autre...».
La thèse que je développe s'appuie sur des travaux en cours menés dans le cadre d'une recherche clinique d'inspiration psychanalytique en Sciences de l'éducation sous la direction de Claudine Blanchard-Laville( 1997,1999) dans laquelle je me propose d'apporter quelques résultats à partir de matériel déjà recueilli où je tente de montrer à travers l'analyse clinique d'entretiens auprès d'enseignantes d'école maternelle quels rapports celles-ci entretiennent avec la langue. Se pose ainsi la nécessité de prendre en compte la place occupée par l'enseignant en tant que sujet divisé par son inconscient afin d'appréhender les difficultés à enseigner la langue orale à l'école. A partir de l'étude de ces entretiens, s'est construite peu à peu l'hypothèse de l'existence d'un lien entre la manière dont l'enseignante a effectué «son entrée dans le langage» (Dolto, 1984) et sa capacité à faciliter ou non le langage chez l'enfant. A la suite de la consigne suivante proposée aux enseignantes «j'aimerais bien que vous me disiez d'après votre expérience personnelle comment vous faites dans votre classe avec des enfants qui ne parlent pas», j'ai pu mettre à jour quelques mécanismes psychiques en jeu actualisés en situation pédagogique. L'analyse d'un des entretiens dévoile notamment que le symptôme du silence chez l'enfant est entretenu car susceptible de menacer l'équilibre de l'appareil psychique d'une enseignante, nous faisant ainsi pressentir un rapport au savoir construit sur le mode défensif. Aussi l'éclairage qu'apportent les quelques éléments qui se révèlent à travers mes élaborations, sans prétendre à la généralisation de ces résultats, nous renseigne un peu plus sur la complexité de l'acte que représente l'enseignement de l'oral à l'école, parce que précisément «les pratiques et les normes de l'oral renvoient autant aux compétences discursives et cognitives qu'aux façons d'être de l'enseignant et des élèves» (Nonnon, 1999), et qu'à ce titre, la langue orale lieu de complexité linguistique (Gadet, 1993), apparaît aussi comme lieu de complexité psychique (Laplanche, 1986).