Je propose un témoignage réflexif à propos des expériences innovantes de débats philosophiques à l'école élémentaire. À partir de mes différentes expériences de conduite de débats philosophiques je m'interroge sur les conditions d'émergence d'une parole et d'une pensée philosophiques pour les enfants. Lors des débats philosophiques, l'objectif est de penser, de s'affirmer comme sujet parlant, pensant pour élaborer, faire vivre, faire évoluer une pensée. Penser passe par le langage et penser s'apprend. Penser n'est pas seulement une activité spontanée, la réflexion s'élabore par les interactions : interactions avec le monde, les objets, le réel, interactions avec les autres, leurs pensées, leurs émotions (leurs paroles, leurs écrits) et aussi interactions avec soi- même (grande importance du questionnement personnel, du dialogue intérieur et de l'écriture comme forme de dialogue avec soi). Si le rôle du débat semble important pour faire l'expérience de ces interactions, à quelles conditions le permet-il ? Suivant la si belle formule de Paul Ricoeur « Soi-même comme un autre », le débat philosophique peut être envisagé comme un moyen pour aider les élèves à se parler dans le sens de se dire et de dire à soi, parler à soi- même de soi-même comme à un autre, comme d'un autre ; se dire pour être, pour exister comme sujet qui  ense, se dire comme à un autre. Notre hypothèse est que la mise à distance de soi nécessaire aux apprentissages suppose d'abord de se saisir de soi-même et du monde à travers ce qu'on peut en dire et en entendre des autres. Les récits, les émotions, les préjugés ont non seulement leur place mais aussi leur rôle. Les expliciter, leur donner une forme permet d'élaborer toujours davantage des analyses et de la réflexion. Alors, comment leur donner place, sens et rôle dans le débat philosophique ? Notre contribution présentera la manière dont ces questions apparaissent dans quelques débats conduits dans des classes d'école primaire.