Contribution recherchée

Atelier no 8 : Questions de société et questions de formation et d'éducation. Quelles intersections ?

Titre Foulard islamique à l'université : conflits internes du processus de couvrement
Auteur(s) TRIKI-YAMANI Amina

Texte
Dans notre contribution de recherche, nous présentons une partie de nos travaux de thèse (en cours) portant sur les savoirs et le rapport aux savoirs de jeunes femmes musulmanes, d'origine maghrébine, revêtant le foulard islamique et fréquentant l'université et la mosquée. Nous avons recueilli vingt entretiens non-directifs dans lesquels nous avons repéré deux formes de conflits engendrés par la coexistence entre des savoirs laïques et religieux : des conflits interpersonnels confrontant l'étudiante musulmane enfoulardée à l'institution laïque et des conflits internes vécus par la jeune femme elle-même. Nous avons opté pour le terme "enfoulardée" afin de qualifier les jeunes femmes de notre recherche portant le foulard islamique car le terme «voilée» pourrait porter à confusion si l'on considère la manière de porter le voile traditionnel par certaines femmes dans les sociétés musulmanes.
Dans notre communication, nous nous intéressons plus particulièrement aux conflits internes relatifs au processus de couvrement des étudiantes musulmanes en nous appuyant sur le concept de Moi-peau développé par Didier Anzieu. Nous distinguons deux groupes : un premier groupe de jeunes femmes ayant porté le foulard pour la première fois au collège (cinq étudiantes) et un second groupe l'ayant porté pour la première fois à l'université (cinq étudiantes). Le processus de couvrement, appelé processus de «la prise du hijab» par Nadine B. Weibel, fait partie du cheminement spirituel emprunté par les étudiantes enfoulardées. Nous considérons que le cheminement spirituel comporte trois paliers importants : la prière, le ramadan et le port du foulard. Le troisième palier se divise à son tour en trois étapes : la séparation, l'attente et l'agrégation.
Après l'analyse des dix entretiens, nous pouvons avancer que les conflits internes dûs couvrement sont distincts selon qu'ils concernent les étudiantes du premier groupe ou celles du second. En effet, le cheminement spirituel des sujets du premier groupe a sérieusement été entravé suite au refus du port du foulard au collège par l'institution scolaire. Le conflit interpersonnel a pu être géré lorsque l'adolescente musulmane a accepté de troquer son foulard contre un autre vêtement (bonnet, bandana, foulard africain...) ou de l'enlever définitivement pour ne pas encourir de sanctions. Cependant ce compromis consenti par les collégiennes s'est régulièrement accompagné de conflits internes parfois douloureux à vivre.
Alors que le foulard est à l'origine quasi-systématique du déclenchement du conflit interpersonnel, il peut constituer un mode de gestion du conflit interne des savoirs comme c'est le cas pour les étudiantes du second groupe. En effet, le cheminement spirituel de ces dernières beaucoup plus long (6,6 ans contre 1,4 an pour les sujets du premier groupe, en moyenne) comprend une période de réflexion et de maturation spirituelle relative au processus du port du foulard. C'est au cours de cette période d'attente que le besoin d'un rééquilibre psychique se fait ressentir chez la jeune femme. Nous croyons que le Moi-peau ne contrôle plus ses fonctions essentielles de contenance et de protection au moment de la remise en question de la jeune femme. Le foulard devient ainsi une enveloppe textile de renforcement ayant pour rôle essentiel de contenir les cheveux et le crâne et de protéger l'étudiante musulmane de tout regard extérieur.