Dans le cadre d'un programme de deuxième cycle de formation à
l'enseignement supérieur que nous décrivons, nous avons voulu
vérifier si une certaine intégration des apprentissages pouvait
être constatée à court terme dans l'évolution des
conceptions sur l'apprentissage et l'enseignement chez nos étudiants
futurs enseignants. Nous avons également retracé les questions
que se posent les étudiants au fil du trimestre et d'une année
à l'autre. Cette démarche a permis de saisir les acquis et d'isoler
les noyaux de résistance. Notre expérience a le mérite
d'apporter des exemples concrets à un parcours de formateurs préoccupés
par l'intégration et le transfert des apprentissages, dans le domaine
peu exploré de la formation à l'enseignement supérieur.
Le programme court de deuxième cycle en pédagogie de l'enseignement
supérieur (PCPES)
Ce programme, que nous avons conçu en 1998, vise à développer
les habiletés des futurs et actuels professeurs et chargés de
cours à enseigner au niveau postsecondaire en tenant compte du contexte
institutionnel, des besoins des étudiants, des développements
en cours dans les nouvelles technologies, ainsi que des principes et des méthodes
caractéristiques d'un enseignement efficace. Il s'agit globalement de
faire acquérir une culture professionnelle de base de l'enseignement
supérieur. Alors que la première cohorte comptait 18 étudiants,
130 étudiants constituent la cohorte pour l'année 2001-2002 :
ce programme répond donc à un réel besoin. S'y retrouvent
des étudiants de 2e et 3e cycles, issus de toutes les disciplines et
qui n'ont, pour la plupart, aucune expérience d'enseignement. Ils viennent
chercher une formation à titre " gratuit " puisque, pour le
secteur de l'enseignement supérieur au Québec qui inclut les cégeps
et les universités, aucune qualification pédagogique n'est exigée.
Le PCPES s'inscrit dans une philosophie de la transparence et de la cohérence
en regard des principes véhiculés. Or, il est bien connu que les
professeurs (comme les étudiants) sont profondément imprégnés
du modèle de pédagogie centrée sur l'enseignant auquel
ils ont été confrontés durant toutes leurs années
d'études. Cette imprégnation est presqu'impossible à extirper
des habitus des professionnels de l'enseignement qui s'y retrouvent dans une
zone de sécurité. Comme il est évident que les professeurs
responsables des cours du PCPES n'en sont pas exempts, ils se sont donc donné
comme mot d'ordre d'enseigner "en miroir", c'est-à-dire en
reflétant le plus possible les principes et les méthodes mêmes
qui sont mis de l'avant dans le contenu proposé (par exemple, l'enseignement
stratégique sert à la fois de contenu livré et de méthode
utilisée, voir Tardif, 1992). Le PCPES est également un programme
où le professeur ne doit pas craindre de pointer du doigt ses propres
lacunes ou de souligner des incidents de la classe, et d'y réfléchir
avec les étudiants pour leur refléter un exemple de la pratique
réflexive et de la réflexion sur l'action. Le mot cohérence
prend ici tout son sens !
Étant donné que le PCPES s'adresse à des professionnels
ou à de futurs professionnels de l'enseignement, la formule adoptée
tente le plus possible de favoriser le réinvestissement dans le milieu
d'enseignement ou du moins dans l'enseignement envisagé d'une discipline
précise. Les activités d'apprentissage sont conçues en
vue de développer chez les participants une pratique réflexive
(Schön, 1994) dans laquelle les apprentissages sont transférés
dans l'action concrète, observés, analysés, évalués
et rajustés dans un processus de recherche du meilleur produit possible.
De plus, les travaux sont personnalisés afin que chaque étudiant
puisse répondre à ses besoins réels et devienne désireux
de toujours progresser dans la connaissance, la compétence et la réflexion
en se dotant de moyens délibérément choisis.
L'évolution des conceptions sur l'apprentissage et l'enseignement
Comme nous nous demandions comment nos étudiants évoluaient sous
l'influence d'un premier cours, nous avons soumis un questionnaire à
57 d'entre eux nouvellement inscrits à l'automne 2001 au cours "
Les stratégies d'enseignement au cégep et à l'université
". Entre autres questions, ils devaient compléter les phrases "
apprendre c'est
" et " enseigner c'est
), et nous livrer
ainsi spontanément leurs définitions de ces deux actions centrales
dans leur futur métier. Les mêmes questions leur ont été
proposées en fin de trimestre. Nos répondants ont sans doute un
préjugé favorable envers l'enseignement, puisqu'ils ont choisi
de suivre une formation qui n'est aucunement obligatoire pour enseigner au post-secondaire.
S'ils ne représentent pas l'ensemble des étudiants de deuxième
cycle, ils sont peut-être représentatifs des futurs enseignants
du supérieur. Dans ce groupe, on compte trois fois plus de femmes que
d'hommes, le quart a déjà une maîtrise dans une spécialisation,
plus de ma moitié sont âgés entre 20 et 29 ans et proviennent
des sciences humaines, et les trois quarts n'ont aucune expérience en
enseignement.
Voici les réponses obtenues le plus fréquemment en début
et en fin de cours, et les différences constatées dans les conceptions
de ces futurs enseignants du supérieur.
1-Avant le cours, apprendre pour eux c'est
" assimiler ", terme
utilisé plus de 20 fois et auquel nous avons associé les termes
" intégrer " et " s'approprier un savoir ". Le terme
" acquérir " est utilisé 15 fois et celui de "
développer " n'est mentionné que 5 fois.
Après les cours, apprendre pour eux c'est
surtout acquérir
des connaissances (33 fois) et les appliquer (11 fois). Apparaissent ici les
notions de " développer des compétences " (9 fois),
de s'outiller, de " bâtir un réseau de connaissances en lien
avec les connaissances antérieures " et de " démontrer
des habiletés cognitives ", chacune étant citée 5
fois.
On constate les éléments nouveaux suivants : appliquer ; développer
des compétences ; réseau de connaissances ; habiletés cognitives.
Les conceptions ont pris une tournure plus orientée vers l'utilisation
des connaissances qui doivent être reliées pour servir et devenir
des compétences. On conçoit davantage le fait d'apprendre sous
l'angle des finalités.
2-Avant le cours, enseigner pour eux c'est
" transmettre ",
verbe utilisé à 26 reprises, alors que celui de " partager
" ne sort que 9 fois, suivi de " outiller " et " favoriser
" qui apparaissent 6 fois chacun.
Après le cours, enseigner pour eux c'est
transmettre des connaissances
(24 fois) ; outiller ou aider à apprendre (15 fois) ; transmettre une
passion (7 fois) ; utiliser des stratégies variées, rendre la
matière accessible, transmettre des compétences et partager (6
fois chacun) ; guider l'apprenant (5 fois).
On constate les éléments nouveaux suivants : enseigner consiste
à aider à apprendre, à guider ; transmettre une passion
; utiliser des techniques et des stratégies variées ; rendre la
matière accessible ; transmettre des compétences. Le sens de "
enseigner " évolue vers la médiation (au sens de Legendre)
entre deux pôles (étudiant/contenu) par le recours à des
moyens (la pédagogie).
En somme, les étudiants inscrits dans un premier cours au programme de
formation à l'enseignement évoluent dans certaines de leurs conceptions,
sans doute sous l'influence des notions vues en cours, des discussions et des
activités pratiques. Leur regard sur l'apprentissage tient compte des
finalités plus qu'avant alors que le mot " compétence "
apparaît avec ceux de liens et de réseau de connaissances, trois
produits des enseignements du cours. L'enseignement devient aussi plus complexe
à la suite de leur formation, prenant la forme d'une médiation
entre deux pôles. Ce premier cours constitue une première étape
dans un processus visant à ébranler leurs conceptions pour les
amener à concevoir l'enseignement comme une communication dynamique et
interactive. Que se passe-t-il sur le plan réflexif, alors, dans un autre
cours, soit celui de " La communication dans la classe " ? Pour le
savoir, nous avons analysé leurs questions.
Questions des étudiants
Au-delà du constat de l'évolution des conceptions de nos étudiants
à court terme, nous avons voulu savoir comment leur réflexion
évoluait lors d'un cours qui venait pour plusieurs en 2e ou 3e trimestre,
cours portant sur la communication en classe auprès d'une clientèle
pré-universitaire et universitaire. Pour y parvenir, nous avons retracé
les questions posées par les étudiants au moyen d'une observation
de plus de 20 heures d'enseignement, étalées sur une période
de six semaines. De type atelier, ce cours comporte un volet " théorique
" pour aborder les grands courants pédagogiques qui exercent une
influence sur la pratique pédagogique contemporaine et un volet "
pratique " de type micro-enseignement, lieu d'actualisation des grands
principes abordés au préalable. Chaque étudiant doit donc,
au cours de la session, préparer deux extraits de leçon de 15
minutes sur un aspect particulier de sa discipline, tout en respectant les "
habiletés du jour " proposées comme indicateurs d'une pratique
pédagogique axée sur l'intégration et le transfert des
apprentissages et comme outil de réflexion sur la pratique.
L'inventaire des questions est à l'image du cours (cours atelier) et
soulève essentiellement trois grands types de préoccupations :
le contenu, la gestion de classe, l'identité professionnelle, soit des
questions pour apprendre, des questions pour enseigner.
En recoupant le contenu de chacune des questions, on obtient la classification
suivante :
1-Questions d'information sur le contenu du cours et sa pertinence. Ces questions
sont plus abondantes au début de la session : elles sont reliées
aux connaissances déclaratives (les faits, les notions, les concepts,
le vocabulaire).
2- Questions d'information sur la démarche de travail. Ces questions
précèdent la résolution de tâches en classe ou la
préparation des travaux, elles dirigent l'étudiant et le rassurent
dans sa démarche de travail. Elles sont associées aux connaissances
procédurales (comment faire).
3-Questions de compréhension. Il s'agit ici de questions ouvertes effectuées
pour élaborer de nouveaux liens, faire évoluer ses conceptions
de l'enseignement, de l'apprentissage, du rôle et de la tâche d'un
enseignant à l'université ou au cégep. Voici un exemple
: " Comment puis-je montrer à l'étudiant comment je traite
l'information au tableau, sur le transparent ? ".
4-Questions de réflexion sur la pratique pédagogique et sur la
position de l'étudiant. Ces questions sont reliées à la
construction de l'identité professionnelle, à l'éthique,
à la dimension socio-culturelle de l'éducateur. Voici des exemples
: " Comment puis-je évaluer le changement chez un étudiant?
Est-ce seulement au niveau des connaissances? "; " Comment expliquer
qu'on puisse obtenir une faible note pour un cours et avoir le sentiment d'avoir
beaucoup appris? "; " Comment puis-je reconnaître la résistance
d'un étudiant? "
5-Questions sur la gestion du groupe et de l'apprentissage. Ces questions sont
reliées à la pratique pédagogique en soi, à la compétence
de stratège et de guide de l'apprentissage. Voici des exemples: "Comment
gérer les questions posées en classe?" ; "Comment je
sais qu'une activité est réussie?"; "Pouvons-nous demander
à nos étudiants la réalisation d'un arbre de concepts ?
"
6-Questions sur la gestion de l'évaluation des apprentissages. Ces questions
concernent l'éthique et l'identité professionnelle (statut et
pouvoir de l'enseignant en classe). Par exemple : " Est-ce que je dois
évaluer l'effort de l'étudiant? " ; " Est-ce qu'on doit
concevoir un examen final pour que tous réussissent? "
7-Questions d'auto-évaluation et d'auto-formation. Ces questions surviennent
plus tard dans la session lorsque l'étudiant adopte plus " naturellement
" une attitude réflexive par rapport à ses choix et ceux
de ses collègues lors des micro-enseignements.
Stratégies émergentes
Si les questions posées par les étudiants nous informent de ce
qui les préoccupe, de l'évolution de leurs apprentissages et de
leurs conceptions de l'enseignement et de l'apprentissage, elles constituent
pour le praticien réflexif, préoccupé par l'intégration
et le transfert des apprentissages, une source d'inspiration pour planifier,
diriger et évaluer les apprentissages. Plusieurs stratégies d'enseignement-apprentissage
ont ainsi été mises en place dans le cadre de ce cours. Ces modifications
ont agi sur le contenu du cours et son organisation ainsi que sur la façon
de diriger l'attention des étudiants et de les amener à poser
des questions de plus en plus " constructives " de sens et de liens.
Deux composantes ont guidé nos choix : l'approche réflexive comme
pivot de la communication, l'enseignement explicite et l'enseignement stratégique
comme principes d'action et d'intervention en classe. Ainsi, plusieurs stratégies
ont été développées ou explicitées qui ont
donné lieu à un enseignement non seulement plus interactif, mais
plus " manifeste " des exigences que représente un projet de
formation axé sur l'intégration et le transfert des apprentissages.
Les mots pour préciser l'enjeu de l'apprentissage, son fonctionnement,
le déroulement de la tâche, le traitement du contenu, son organisationet
sa finalité se sont précisés avec, pour résultats,
une participation plus active, plus motivée, plus interactive, plus efficace
sur le plan de la gestion du travail et performante sur celui de l'apprentissage.
Voici, en rafale, les stratégies d'enseignement-apprentissage qui ont
guidé l'apprentissage et la création d'un climat de travail participatif.
Le groupe de lecture : au début de la session, des équipes de
lecture sont formées pour la session. Les lectures sont attribuées
à chaque groupe en préparation au cours suivant. Chaque équipe
doit, selon le cas, s'entendre et isoler trois grandes idées, pour les
présenter ensuite en cinq minutes au groupe classe.
La capsule lecture : en début de cours et à sa convenance, un
étudiant présente brièvement au groupe un ouvrage qui a
été significatif dans l'avancement de sa réflexion et de
ses travaux.
Le journal de pratique : outil de réflexion pour aider l'étudiant
à faire le point sur son apprentissage et poursuivre sa réflexion
sur sa formation disciplinaire et sa formation pédagogique. Le journal
se construit autour des liens à faire avec son objectif de travail, avec
ses connaissances antérieures en précisant ce qui se confirme
et se modifie, avec les lectures, les expériences. Préciser les
questions persistent et les moyens qu'on se donne pour y répondre.
La conversation réflexive : à deux, échanger sa compréhension
d'un concept, d'un contenu, isoler les questions qui restent et les amener au
groupe.
Les jeux de rôles : ce peut être de mettre en scène une situation
de vie de professeur permettant de faire ressortir les ressources disponibles,
les acquis et ce qui demande apprentissage ou approfondissement. Il peut s'agir
aussi de jouer des rencontres de sélection où le candidat doit
répondre aux questions du comité : une équipe anticipe
les questions, une autre conçoit sans les diffuser à l'avance
les questions à poser, une autre se charge des critères de sélection.
L'étude de cas : proposer aux étudiants divers cas liés
aux réalités d'un enseignant pour mettre au jour ses connaissances
et effectuer une intégration des apprentissages.
La résolution de problèmes : expérimentation des étapes
de résolution de problèmes par une approche divergente amenant
les étudiants à élaborer des hypothèses de solutions
et de travail.
Conclusion
L'évolution des conceptions des étudiants, comme celles des professeurs,
peut être constatée, non seulement à court terme par un
questionnaire pré et post-formation, mais elle transparaît dans
les questions, initiatrices et révélatrices de la pensée.
C'est ainsi que les questions du professeur évoluant, celles des étudiants
aussi se sont transformées : des questions de type " coquille vide
", telle " avez-vous compris? ", on passe plus naturellement
à des questions qui poussent à faire des liens (ex : " Si
je vous dis que tout n'a pas la même valeur dans un cours, sur l'ensemble
du contenu à quels constats cela nous mène- t -il? ", ou
"Comment le fait de réfléchir sur les représentations
des étudiants nous amène-t-il à réfléchir
à notre planification, à nos modes d'intervention et d'évaluation
? ").
Dans le cadre de notre PCPES, nous touchons directement les conceptions, les
nôtres qui sont en jeu et celles de nos étudiants, car nous savons
que les conceptions sous-tendent les pratiques. Or, sans mise au jour et sans
évolution des conceptions, il n'y a pas de pratiques enseignantes réfléchies
et renouvelées. Les deux termes sont indissociables, quel que soit, d'ailleurs,
l'ordre dans lequel on les aborde. Nous constatons donc une évolution
dans le contexte des cours du PCPES, mais le transfert dans la pratique à
moyen et long termes de nos étudiants comporte encore pour nous un point
d'interrogation. |