La professionnalité des acteurs de la formation est au cur de la réflexion portant sur
les formations de formateurs d'adultes. Professionnalité, professionnalisation
, développement des compétences, le modèle est prégnant
mais les valeurs sous-jacentes sont souvent laissés dans l'ombre .
C'est dans ce contexte , qui touche tous les secteurs d'activités, que
la communication écrite et orale sur ses pratiques , dans ses pratiques
a pris sa lace au sein des compétences attendues, souhaitées,
nécessaires à l'exercice professionnel., se posant ainsi comme
un allant de soi.
Ecrire sur ses pratiques professionnelles, parler de sa pratique sont deux dimensions
de l'activité langagière, au cur de la professionnalisation
des formateurs, mais sont également au coeur de la reconnaissance des compétences
professionnelles pour tout acteur s'engageant dans le processus de la validation
des acquis (Validation des Acquis Professionnels / Validation des acquis de l'expérience).
Cette contribution articule deux recherches simultanées, l'une conduite
auprès d'acteurs intervenant dans la formation de jeunes adultes, en
situation de décrochage du système scolaire, l'autre conduite
auprès d'acteurs intervenant dans l'identification des compétences
acquises par tout type de professionnels, dans le cadre de la VAP. En effet,
" parler sur " et " écrire sur " sont devenus indispensables
dès lors que s'engage un travail en équipe, lui-même constitutif
de la professionnalité ; la parole est utile à la construction
de tout projet, à sa mise en uvre, à sa planification, à
l'harmonisation des interprétations, à son évaluation,
elle participe à la construction d'une identité collective. Ces
deux dimensions de l'activité langagière sont au cur de
l'évolution de la fonction de formateur, de sa professionnalisation.
En effet, puisque l'on apprend à parler comme on apprend à marcher,
on pourrait penser que cette pratique est dégagée de tout enjeu
social, et qu'elle est, lorsqu'il s'agit de parler de sa pratique ou sur sa
pratique, le reflet d'une certaine réalité. Ce serait oublier
que parler ou écrire sur est aussi une pratique sociale en soi, et qu'elle
s'inscrit donc dans des rapports sociaux contradictoires.
Les prises de parole ou les écrits et la manière dont ils s'effectuent
sont quelques-unes des manifestations des rapports sociaux qui unissent les
acteurs dans une situation dialogique par définition. On considère
les prises de parole, comme la production d'écrit comme la résultante
de choix effectués au sein d'un espace délimité par les
positions sociales des acteurs. Une action, un comportement est toujours le
fait d'un être social, toujours déjà pris dans une structure
de relations d'interdépendances et donc de dépendance et de pouvoir.
Ainsi que le dit F. Flahaut : " Chacun accède à son identité
à partir et à l'intérieur d'un système de place
qui le dépasse et qui implique qu'il n'est pas de parole émise
d'une place et convoque l'interlocuteur à une place corrélative
; soit que cette parole présuppose seulement que le rapport de places
est en vigueur, soit que le locuteur en attende la reconnaissance de sa propre
place ou oblige son interlocuteur à s'inscrire dans le rapport "
(Presse MC, 2000).
Penser que " l'écriture sur " ou le " parler sur "
ses pratiques professionnelles engagent d'emblée les deux interlocuteurs
dans un " agir communicationnel ", orienté vers le même
but serait donc oublier que les systèmes de valeurs qui portent chacun
des acteurs président à l'action et que cet agir communicationnel
n'est possible que lorsqu'il y a, sinon partage des valeurs, du moins explicitation
des valeurs de chacun. Et pourtant Ainsi dans un numéro d'AFP on peut
lire : " formaliser les pratiques conduisent ceux qui écrivent à
développer de nouvelles compétences, cela contribue à transformer
l'action tout en produisant des effets sur les lecteurs
C'est par l'écriture
professionnelle des acteurs concernés que de nouvelles compétences
acquises en situation s'inscrivent dans une dynamique professionnalisante et
se stabilisent ".
Les sous entendus transparents de la communication traversent les pratiques
d'identification des compétences professionnelles, réalisés
à travers l'écoute et la lecture des récits professionnels
dans le cadre du dispositif de validation d'acquis.
Ces deux recherches, en cours d'achèvement (!), avaient pour objectif
de faire apparaître le poids des valeurs dans la production qu'elle soit
écrite ou orale. Les résultats ont permis de monter un dispositif
de formation, qui articule oral et écrit (GOODY, J.1994), au sein duquel
les formateurs d'adultes suivant une formation en sciences de l'éducation
peuvent prendre conscience des difficultés qu'il y a à tenir une
place d'écrivant sur ses pratiques, a été mis en place,
un dispositif de formation, permettant au locuteur de communiquer sur ses pratiques,
mais également à l'écoutant de prendre conscience que l'écoute
est déterminée par le rapport social existant entre les locuteurs
au sein duquel se confrontent les manières sociales de voir les choses
(BAKTHINE 1977, BOURDIEU, P. 1982. PRESSE, M.C.1999, DELCAMBRE, 1998, De GAULMYN,
2001).
ANALYSER SES PRATIQUES
Un premier travail de recherche a donc porté sur l'analyse des pratiques
d'une équipe de professionnels (ouvriers, assistances sociales, médecins,
infirmières), intervenant sur la prévention des situations de
décrochage de jeunes adultes.
L'analyse des pratiques a donc été effectuée par oral et
par écrit par les acteurs eux-mêmes d'une part, sous la direction
de chercheur, et par ce même chercheur par observation participante et
entretien a posteriori de l'action et analyse des productions écrites
.
Le contexte de la recherche mérite d'être décrit. En effet,
ce travail d'analyse des pratiques de cette équipe s'est effectué,
sur le terrain professionnel et hors terrain professionnel , lors de séminaires
permettant la confrontation de différentes équipes engagées
dans des pratiques portées par des valeurs proches.
Le travail d'écriture et d'oralisation s'inscrit donc dans un long processus
qui a conduit à faire avancer les pratiques sur le terrain, à
accompagner les transformations dans la pratique, clarifier les valeurs qui
les sous-tendent sans pour autant transformer ces dernières
L'analyse plus extérieure du chercheur a permis de mettre en évidence
les rapports de force, entre l'équipe du terrain et le terrain professionnel.,
et entre les membres de l'équipe.
Ces rapports de force sont déterminants dans les production. En effet,
dans tous les cas il y a une mise en jeu de soi, en tant que personne dans l'équipe,
de soi collectif en tant qu'équipe parmi d'autres équipes. Alors
on ne donne à voir que ce qui semble utile (discernement) mais on se
donne à voir en perdant le contrôle de l'interprétation.
Le langage utilisé pour parler de sa pratique n'est pas simplement un
moyen de parler de sa pratique, il renvoie à l'inscription de l'écrivant
dans un monde structuré et à la place qu'il occupe dans ce monde.
Il est révélateur de sa position sociale, et des rapports sociaux
qui conditionne l'activité professionnelle, objet de cette écriture
(et du rapport à l'interlocuteur qui conditionne l'acte d'écrire).
Ainsi écrire pour ses pairs est différent d'écrire pour
la hiérarchie, ou pour un ouvrage qui doit être diffusé.
Le sens de l'écrit et de l'oral se construisent dans l'espace entre le
locuteur et l'interlocuteur. La différence entre écrit et oral
réside dans le fait que la communication écrite est différée,
elle conduit l'écrivant à anticiper sur ce que l'autre, les autres
aux statuts différents et lecteurs potentiels peuvent comprendre.
L'analyse des communications écrites et orales issues de séminaires
d'analyse de pratique professionnelles a permis de faire le constat suivant
: lorsque les formateurs d'adultes en activité ou en formation communiquent
sur les pratiques professionnelles c'est à travers un regard subjectif
construit à partir de leur système de valeurs de référence,
que se structurent leur propos, définis par les formateurs comme des
savoirs de la pratique (Weisser, Marc, 1998).
Ces communications écrites et orales contribuent davantage à enrichir
les significations que ces mêmes acteurs accordent à ces pratiques
professionnelles (BARBIER, J.M, 2000) plutôt qu'à produire des
connaissances sur les pratiques pour soi et pour autrui. En effet il s'agit
d'avantage de faire reconnaître la légitimité de ses pratiques,
et donc d'entrer dans un processus de justification, argumentation qui peut
conduire à la légitimation de ces pratiques et au-delà
à la reconnaissance de leurs compétences professionnelles.
A quelles conditions, alors, l'écriture sur sa pratique peut-elle permettre
de se "professionnaliser" de prendre une distance critique par rapport
à sa propre pratique, permettant de mettre à jour les conflits
sous-jacents qui sont tûs mais qui font freins, pour "faire avancer
cette pratique". Comment opérer le passage entre un "parler
ou un écrit de sa pratique" à un "parler ou un écrit
sur sa pratique" ?
ANALYSER LES PRATIQUES DES AUTRES
Les formateurs, exerçant une fonction d'accompagnateur dans le cadre
de la validation des acquis, sont chargés d'identifier les savoirs de
la pratique à partir des activités langagières des candidats.
Dans ce processus, il n'y a nécessité impérative de parler
sur son travail, de formaliser les compétences mises en uvre et
d'être capables de les restituer par écrit.
Cette recherche, en cours actuellement, s'articule à une étude
réalisée pour un groupe d'expérimentation Péry dans
le cadre de la mise en uvre de la validation des acquis de l'expérience
(loi de modernisation sociale).
Il s'agit de permettre à toute personne de se former tout au long de
sa vie en s'impliquant personnellement dans un projet professionnel, qui devrait
répondre aux besoins économiques (BERGER, PINEAU, LAINE). Les
compétences développées peuvent être reconnues, selon
différentes procédures à condition que les personnes s'engagent
dans le processus de validation et achèvent la démarche.
On peut s'interroger sur les raisons qui conduisent ces personnes à s'arrêter
en cours de processus.
Dans ce processus, il n'y a nécessité impérative de parler
sur son travail, de formaliser les compétences mises en uvre et
d'être capables de les restituer par écrit. Or si les activités
langagières envahissent le champ du travail (BORZEIX, FRAENKEL, BOUTET,
LACOSTE, FAÏTA etc
.), au point de devenir une des composantes notamment
dans le tertiaire, toutes les activités professionnelles ne conduisent
pas à formaliser sur ses pratiques professionnelles, ni à écrire
sur ses pratiques.
Certes, l'organisation de la Vap comprend un accompagnement. Mais quelle place
occupe cet accompagnateur, qui est par statut formateur, dans le processus ?
Que signifie, pour une personne, tenir une parole sur son travail et l'adresser
à un autre qu'il ne connaît pas ? Quelle sont les valeurs qui sous-tendent
ces deux logiques ?
On fait l'hypothèse que le rapport social entre l'accompagnateur et l'accompagné
joue le rôle de déterminant majeur dans l'aboutissement du processus,
au sein du quel se confrontent les manières sociales de voir les choses
(BAKTHINE ).
Cette recherche, en cours, s'appuie sur des données recueillies par entretiens
auprès de personnes s'étant engagées dans la démarche
et auprès des personnes participant à l'accompagnement.
Des propos émis retiennent déjà notre attention : "
Il ne faut qu'ils croient qu'il suffit de signer pour valider ", "
Quand ils me disent je suis compétent en...., alors je leur pose cette
question là et je vois bien ce qu'ils me répondent
".
Cette recherche fait apparaître qu'encore une fois la parole sur ses
pratiques professionnelles et dans un deuxième temps l'écrit sur
les pratiques sont supposés transparents, sont supposés s'inscrire
dans un agir communicationnel et supposés dénués d'enjeux
sociaux. Convictions portées par les accompagnateurs " elle le fait
mais elle ne l'a pas décrit, c'est de sa faute si le jury ne l'a pas
validé " .
L'enjeu ici est le diplôme et parmi les repères de la valeur sociale
d'un individu , le diplôme occupe une place prépondérante
en France.
Comment alors le candidat à la reconnaissance-validation peut-il faire
abstraction de cet enjeu, lorsque tout le dispositif est construit comme un
dispositif de contrôle, de conformité à une norme établie
: le référentiel du diplôme ( Résultats de l'étude
à paraître )
Tout se joue alors dans le rapport entre l'accompagné et l'accompagnateur
qui devrait, pour permettre l'émergence des savoirs enfouis, être
moteur d'une co-action et d'une co-évaluation. Accompagner n'est ce pas
faire un morceau de chemin avec quelqu'un et non pas juger de la trajectoire
de quelqu'un. Mais cette posture interroge le rapport social entre l'accompagnateur
qui a toute légitimité sociale pour " distribuer " des
diplômes et par la même est le garant de ce " papier "
hautement symbolique, et l'accompagné qui dans de nombreux cas ne bénéficie
d'aucune reconnaissance sociale. Or dans ce rapport entre ces deux partenaires,
écrit et oral jouent le rôle d'interface.
Comment alors développer chez les formateurs cette distance critique
par rapport à un langage supposé transparent ? Ici encore les
valeurs qui président au choix des pratiques des accompagnateurs ne sont-elles
pas déterminantes dans le choix de la posture adoptée ?
UN ESSAI DE DISPOSITIF
Toutes ces questions ont conduit à construire un dispositif de formation
de formateurs d'adultes en sciences de l'éducation , qui articule production
écrite et production orale à partir de données issues de
données issues de pratiques de formation observées.
Mots clefs : pratiques professionnelles/ compétences professionnelles/
validation d'acquis/ activités langagières/ système de
valeurs.
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