La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Démarches de formation ? Jusqu'où et comment peut-on professionnaliser ?


Titre : ENTRE LE DIRE ET L'ECRIRE : LA PLACE DES VALEURS
Auteurs : PRESSE Marie-Christine

Texte :
La professionnalité des acteurs de la formation est au cœur de la réflexion portant sur les formations de formateurs d'adultes. Professionnalité, professionnalisation , développement des compétences, le modèle est prégnant mais les valeurs sous-jacentes sont souvent laissés dans l'ombre .
C'est dans ce contexte , qui touche tous les secteurs d'activités, que la communication écrite et orale sur ses pratiques , dans ses pratiques a pris sa lace au sein des compétences attendues, souhaitées, nécessaires à l'exercice professionnel., se posant ainsi comme un allant de soi.
Ecrire sur ses pratiques professionnelles, parler de sa pratique sont deux dimensions de l'activité langagière, au cœur de la professionnalisation des formateurs, mais sont également au coeur de la reconnaissance des compétences professionnelles pour tout acteur s'engageant dans le processus de la validation des acquis (Validation des Acquis Professionnels / Validation des acquis de l'expérience).

Cette contribution articule deux recherches simultanées, l'une conduite auprès d'acteurs intervenant dans la formation de jeunes adultes, en situation de décrochage du système scolaire, l'autre conduite auprès d'acteurs intervenant dans l'identification des compétences acquises par tout type de professionnels, dans le cadre de la VAP. En effet, " parler sur " et " écrire sur " sont devenus indispensables dès lors que s'engage un travail en équipe, lui-même constitutif de la professionnalité ; la parole est utile à la construction de tout projet, à sa mise en œuvre, à sa planification, à l'harmonisation des interprétations, à son évaluation, elle participe à la construction d'une identité collective. Ces deux dimensions de l'activité langagière sont au cœur de l'évolution de la fonction de formateur, de sa professionnalisation.
En effet, puisque l'on apprend à parler comme on apprend à marcher, on pourrait penser que cette pratique est dégagée de tout enjeu social, et qu'elle est, lorsqu'il s'agit de parler de sa pratique ou sur sa pratique, le reflet d'une certaine réalité. Ce serait oublier que parler ou écrire sur est aussi une pratique sociale en soi, et qu'elle s'inscrit donc dans des rapports sociaux contradictoires.
Les prises de parole ou les écrits et la manière dont ils s'effectuent sont quelques-unes des manifestations des rapports sociaux qui unissent les acteurs dans une situation dialogique par définition. On considère les prises de parole, comme la production d'écrit comme la résultante de choix effectués au sein d'un espace délimité par les positions sociales des acteurs. Une action, un comportement est toujours le fait d'un être social, toujours déjà pris dans une structure de relations d'interdépendances et donc de dépendance et de pouvoir. Ainsi que le dit F. Flahaut : " Chacun accède à son identité à partir et à l'intérieur d'un système de place qui le dépasse et qui implique qu'il n'est pas de parole émise d'une place et convoque l'interlocuteur à une place corrélative ; soit que cette parole présuppose seulement que le rapport de places est en vigueur, soit que le locuteur en attende la reconnaissance de sa propre place ou oblige son interlocuteur à s'inscrire dans le rapport " (Presse MC, 2000).

Penser que " l'écriture sur " ou le " parler sur " ses pratiques professionnelles engagent d'emblée les deux interlocuteurs dans un " agir communicationnel ", orienté vers le même but serait donc oublier que les systèmes de valeurs qui portent chacun des acteurs président à l'action et que cet agir communicationnel n'est possible que lorsqu'il y a, sinon partage des valeurs, du moins explicitation des valeurs de chacun. Et pourtant Ainsi dans un numéro d'AFP on peut lire : " formaliser les pratiques conduisent ceux qui écrivent à développer de nouvelles compétences, cela contribue à transformer l'action tout en produisant des effets sur les lecteurs… C'est par l'écriture professionnelle des acteurs concernés que de nouvelles compétences acquises en situation s'inscrivent dans une dynamique professionnalisante et se stabilisent ".
Les sous entendus transparents de la communication traversent les pratiques d'identification des compétences professionnelles, réalisés à travers l'écoute et la lecture des récits professionnels dans le cadre du dispositif de validation d'acquis.

Ces deux recherches, en cours d'achèvement (!), avaient pour objectif de faire apparaître le poids des valeurs dans la production qu'elle soit écrite ou orale. Les résultats ont permis de monter un dispositif de formation, qui articule oral et écrit (GOODY, J.1994), au sein duquel les formateurs d'adultes suivant une formation en sciences de l'éducation peuvent prendre conscience des difficultés qu'il y a à tenir une place d'écrivant sur ses pratiques, a été mis en place, un dispositif de formation, permettant au locuteur de communiquer sur ses pratiques, mais également à l'écoutant de prendre conscience que l'écoute est déterminée par le rapport social existant entre les locuteurs au sein duquel se confrontent les manières sociales de voir les choses (BAKTHINE 1977, BOURDIEU, P. 1982. PRESSE, M.C.1999, DELCAMBRE, 1998, De GAULMYN, 2001).

ANALYSER SES PRATIQUES

Un premier travail de recherche a donc porté sur l'analyse des pratiques d'une équipe de professionnels (ouvriers, assistances sociales, médecins, infirmières), intervenant sur la prévention des situations de décrochage de jeunes adultes.
L'analyse des pratiques a donc été effectuée par oral et par écrit par les acteurs eux-mêmes d'une part, sous la direction de chercheur, et par ce même chercheur par observation participante et entretien a posteriori de l'action et analyse des productions écrites .
Le contexte de la recherche mérite d'être décrit. En effet, ce travail d'analyse des pratiques de cette équipe s'est effectué, sur le terrain professionnel et hors terrain professionnel , lors de séminaires permettant la confrontation de différentes équipes engagées dans des pratiques portées par des valeurs proches.
Le travail d'écriture et d'oralisation s'inscrit donc dans un long processus qui a conduit à faire avancer les pratiques sur le terrain, à accompagner les transformations dans la pratique, clarifier les valeurs qui les sous-tendent sans pour autant transformer ces dernières
L'analyse plus extérieure du chercheur a permis de mettre en évidence les rapports de force, entre l'équipe du terrain et le terrain professionnel., et entre les membres de l'équipe.

Ces rapports de force sont déterminants dans les production. En effet, dans tous les cas il y a une mise en jeu de soi, en tant que personne dans l'équipe, de soi collectif en tant qu'équipe parmi d'autres équipes. Alors on ne donne à voir que ce qui semble utile (discernement) mais on se donne à voir en perdant le contrôle de l'interprétation. Le langage utilisé pour parler de sa pratique n'est pas simplement un moyen de parler de sa pratique, il renvoie à l'inscription de l'écrivant dans un monde structuré et à la place qu'il occupe dans ce monde. Il est révélateur de sa position sociale, et des rapports sociaux qui conditionne l'activité professionnelle, objet de cette écriture (et du rapport à l'interlocuteur qui conditionne l'acte d'écrire). Ainsi écrire pour ses pairs est différent d'écrire pour la hiérarchie, ou pour un ouvrage qui doit être diffusé.
Le sens de l'écrit et de l'oral se construisent dans l'espace entre le locuteur et l'interlocuteur. La différence entre écrit et oral réside dans le fait que la communication écrite est différée, elle conduit l'écrivant à anticiper sur ce que l'autre, les autres aux statuts différents et lecteurs potentiels peuvent comprendre.
L'analyse des communications écrites et orales issues de séminaires d'analyse de pratique professionnelles a permis de faire le constat suivant : lorsque les formateurs d'adultes en activité ou en formation communiquent sur les pratiques professionnelles c'est à travers un regard subjectif construit à partir de leur système de valeurs de référence, que se structurent leur propos, définis par les formateurs comme des savoirs de la pratique (Weisser, Marc, 1998).
Ces communications écrites et orales contribuent davantage à enrichir les significations que ces mêmes acteurs accordent à ces pratiques professionnelles (BARBIER, J.M, 2000) plutôt qu'à produire des connaissances sur les pratiques pour soi et pour autrui. En effet il s'agit d'avantage de faire reconnaître la légitimité de ses pratiques, et donc d'entrer dans un processus de justification, argumentation qui peut conduire à la légitimation de ces pratiques et au-delà à la reconnaissance de leurs compétences professionnelles.

A quelles conditions, alors, l'écriture sur sa pratique peut-elle permettre de se "professionnaliser" de prendre une distance critique par rapport à sa propre pratique, permettant de mettre à jour les conflits sous-jacents qui sont tûs mais qui font freins, pour "faire avancer cette pratique". Comment opérer le passage entre un "parler ou un écrit de sa pratique" à un "parler ou un écrit sur sa pratique" ?

ANALYSER LES PRATIQUES DES AUTRES

Les formateurs, exerçant une fonction d'accompagnateur dans le cadre de la validation des acquis, sont chargés d'identifier les savoirs de la pratique à partir des activités langagières des candidats. Dans ce processus, il n'y a nécessité impérative de parler sur son travail, de formaliser les compétences mises en œuvre et d'être capables de les restituer par écrit.
Cette recherche, en cours actuellement, s'articule à une étude réalisée pour un groupe d'expérimentation Péry dans le cadre de la mise en œuvre de la validation des acquis de l'expérience (loi de modernisation sociale).
Il s'agit de permettre à toute personne de se former tout au long de sa vie en s'impliquant personnellement dans un projet professionnel, qui devrait répondre aux besoins économiques (BERGER, PINEAU, LAINE). Les compétences développées peuvent être reconnues, selon différentes procédures à condition que les personnes s'engagent dans le processus de validation et achèvent la démarche.
On peut s'interroger sur les raisons qui conduisent ces personnes à s'arrêter en cours de processus.
Dans ce processus, il n'y a nécessité impérative de parler sur son travail, de formaliser les compétences mises en œuvre et d'être capables de les restituer par écrit. Or si les activités langagières envahissent le champ du travail (BORZEIX, FRAENKEL, BOUTET, LACOSTE, FAÏTA etc….), au point de devenir une des composantes notamment dans le tertiaire, toutes les activités professionnelles ne conduisent pas à formaliser sur ses pratiques professionnelles, ni à écrire sur ses pratiques.
Certes, l'organisation de la Vap comprend un accompagnement. Mais quelle place occupe cet accompagnateur, qui est par statut formateur, dans le processus ? Que signifie, pour une personne, tenir une parole sur son travail et l'adresser à un autre qu'il ne connaît pas ? Quelle sont les valeurs qui sous-tendent ces deux logiques ?
On fait l'hypothèse que le rapport social entre l'accompagnateur et l'accompagné joue le rôle de déterminant majeur dans l'aboutissement du processus, au sein du quel se confrontent les manières sociales de voir les choses (BAKTHINE ).
Cette recherche, en cours, s'appuie sur des données recueillies par entretiens auprès de personnes s'étant engagées dans la démarche et auprès des personnes participant à l'accompagnement.
Des propos émis retiennent déjà notre attention : " Il ne faut qu'ils croient qu'il suffit de signer pour valider ", " Quand ils me disent je suis compétent en...., alors je leur pose cette question là et je vois bien ce qu'ils me répondent… ".

Cette recherche fait apparaître qu'encore une fois la parole sur ses pratiques professionnelles et dans un deuxième temps l'écrit sur les pratiques sont supposés transparents, sont supposés s'inscrire dans un agir communicationnel et supposés dénués d'enjeux sociaux. Convictions portées par les accompagnateurs " elle le fait mais elle ne l'a pas décrit, c'est de sa faute si le jury ne l'a pas validé " .
L'enjeu ici est le diplôme et parmi les repères de la valeur sociale d'un individu , le diplôme occupe une place prépondérante en France.
Comment alors le candidat à la reconnaissance-validation peut-il faire abstraction de cet enjeu, lorsque tout le dispositif est construit comme un dispositif de contrôle, de conformité à une norme établie : le référentiel du diplôme ( Résultats de l'étude à paraître )
Tout se joue alors dans le rapport entre l'accompagné et l'accompagnateur qui devrait, pour permettre l'émergence des savoirs enfouis, être moteur d'une co-action et d'une co-évaluation. Accompagner n'est ce pas faire un morceau de chemin avec quelqu'un et non pas juger de la trajectoire de quelqu'un. Mais cette posture interroge le rapport social entre l'accompagnateur qui a toute légitimité sociale pour " distribuer " des diplômes et par la même est le garant de ce " papier " hautement symbolique, et l'accompagné qui dans de nombreux cas ne bénéficie d'aucune reconnaissance sociale. Or dans ce rapport entre ces deux partenaires, écrit et oral jouent le rôle d'interface.

Comment alors développer chez les formateurs cette distance critique par rapport à un langage supposé transparent ? Ici encore les valeurs qui président au choix des pratiques des accompagnateurs ne sont-elles pas déterminantes dans le choix de la posture adoptée ?

UN ESSAI DE DISPOSITIF

Toutes ces questions ont conduit à construire un dispositif de formation de formateurs d'adultes en sciences de l'éducation , qui articule production écrite et production orale à partir de données issues de données issues de pratiques de formation observées.

Mots clefs : pratiques professionnelles/ compétences professionnelles/ validation d'acquis/ activités langagières/ système de valeurs.


Menu