![]() La 6ème Biennale |
Titre : | L'analyse des pratiques professionnelles en groupe de pairs : un processus d'auto formation collectif et un outil de professionnalisation |
Auteurs : | DEBRIS Sylvie |
Texte : |
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Des professionnels isolés dans leur pratique spécifique :
Confrontés à la souffrance, à l'exclusion, à la maladie, des professionnels de la santé et du social exercent le plus souvent leur métier isolément, sans avoir la possibilité d'échanger sur leur pratique. Or, travailler à partir et sur du " matériel humain " est un exercice complexe. Ce type de pratique, éloigné de la connotation commune liée à l'action matérielle, n'est pas transformateur du réel matériel en résultat matériel. C'est une pratique qui résiste à la rationalisation du schéma moyens/fins car elle s'exerce dans l'imprévisibilité de l'interaction. La pratique professionnelle, dans une acception large, tout en contenant l'aspect application (acte et action) comporte une dimension importante et intéressante correspondant aux procédés qui président à l'agir dans l'exercice d'un métier. Activité de transformation située dans des conditions économiques et sociales, elle comporte ainsi une double dimension, d'une part : la gestuelle, l'application de procédure, l'utilisation du langage, d'autre part : les règles, les objectifs, les stratégies qui déterminent l'action. Les pratiques professionnelles en général, sont complexes, difficiles à identifier et à formaliser, dans la mesure où elles intègrent : "- de l'action consciente, intentionnelle et rationnelle - de la mise en uvre de recettes réglées par des normes - de l'improvisation - du bricolage en cas de ressources inadéquates - de la routine pour une économie de fonctionnement - de la stratégie pour répondre aux enjeux identitaires - de la création " Pour les deux métiers évoqués, les professionnels sont souvent seuls, en situation, face aux actes professionnels dans lesquels ils s'engagent : que ce soit l'assistant de service lors d'un entretien ou le médecin généraliste lors d'une consultation. L'évaluation ou le diagnostic, fondement de la prise de décision qui permettra de s' " aventurer dans l'acte " professionnel s'effectue le plus souvent solitairement. Ce sentiment d'isolement est renforcé par celui de la conscience de la prise de risque dans l'acte professionnel . Cette conscience s'appuie plus particulièrement sur deux ressentis : - Le premier repose sur le fait que l'acte échappe à son auteur, ce qui représente potentiellement un risque d'échec face à la prévision, au projet d'action ; - Le deuxième confère à cette prévision une nature incomplète et imparfaite du fait de l'impossibilité d'envisager, à priori, l'ensemble des conséquences d'un acte. Cependant, les professionnels intègrent également, dans leur conception de la pratique, une orientation qui nuance ces ressentis : pour qu'un acte professionnel soit " digne de ce nom ", son aboutissement doit être conforme au projet initial construit à priori. Pour ce faire, il convient d'en maîtriser l'ensemble de ses paramètres, de ses conséquences, afin de réduire les défaillances et défauts, générateurs d'accidents ou incidents. L'idée est de viser le " risque zéro " ou le " zéro défaut ", orientation concrétisée par la " démarche qualité ". Les objectifs sont donc de réduire les risques liés au facteur humain et de pallier l'incomplétude de la prévision par la recherche théorique scientifique. Des règles et des procédures complexes en émergeront que le praticien devra suivre avec exactitude puisqu'ils constituent la parade aux risques pressentis dans l'acte. Les deux métiers évoqués ne peuvent faire abstraction du facteur humain, il est la matière et l'essence des actes professionnels. Cet aspect irréductible et les éléments développés ci-dessus permettent de saisir la tension générée par ces deux orientations et appelle le questionnement suivant : que font les professionnels lorsqu'ils sont confrontés à des problèmes qu'ils ne savent pas résoudre du fait de l'impossibilité de mobiliser dans la situation contextualisée une procédure ou une règle professionnelle ? Peuvent-ils se permettre de procéder par essais erreurs ? S'autorisent-ils à transgresser ces règles et à inventer d'autres dans une logique pragmatique ? Disposent-ils d'un cadre pour échanger leurs connaissances, leurs " trucs de métier ", leurs découvertes astucieuses ? Ces questions non exhaustives peuvent être résumées ainsi : la face cachée de la pratique professionnelle a-t-elle un lieu pour s'exprimer ? Dans quel cadre cette face cachée - expression des actes et actions réels qui sont parfois très éloignés des règles prescrites par la profession, des procédures issues de la démarche scientifique - est-elle avouable ? Le choix du groupe de pairs pour analyser sa pratique professionnelle Parler en confiance, parler en sachant que l'on va être compris et entendu,
se prêter au questionnement, consentir à la critique, accepter
les remarques, réfléchir sur soi, pour soi à partir d'autrui,
admettre ses erreurs, s'enrichir des expériences des autres, adhérer
à des propositions, se mettre en question sans perdre pied, construire
ensemble des savoirs professionnels au sein d'une ambiance conviviale
Cette
liste, déjà longue, pourrait être enrichie par les professionnels
qui se prêtent à l'exercice d'analyse de pratiques dans un groupe
de pairs. Cadre privilégié pour permettre une attitude réflexive
sur les actes professionnels, il favorise le partage des expériences.
Ce partage fertilise la pensée dans la mesure où il y a proposition
d'outils et non de recettes à appliquer, échanges de " lignes
forces " non tracées au préalable, apport d'offre de réflexion
non imposée. L'analyse des pratiques est alors une démarche qui
protège des certitudes et invite à s'extraire du prêt-à-penser,
du prêt-à-dire, du prêt-à-croire. Des professionnels
ont donc construit un cadre privilégié pour l'expression de leurs
pratiques, reste à savoir si cette expression favorise Un processus d'auto formation collectif dans des dispositifs autogérés. La réflexion qui structure cet article, prend ses références
au sein de deux recherches : l'une menée dans le champ du service social
dans le cadre d'un DSTS et l'autre dans le champ médical, plus précisément
dans l'exercice de la profession de médecine générale en
France . L'analyse des pratiques : un outil de professionnalisation Compte tenu des contraintes liées au cadre de cette publication, nous
examinerons le fonctionnement d'un dispositif d'analyse de pratiques dans un
groupe de pairs mis en place par une quinzaine d'assistantes sociales qui exercent
dans le champ de l'éducation spécialisée. Il repose sur
des réunions régulières (10 par an), le thème est
collectivement et librement choisi, l'animation est tournante, l'expression
non hiérarchique et la confrontation confiante. Ce dispositif fonctionne
depuis trente ans, hors du cadre " formalisé " de la formation
continue, les professionnelles y échangent sur leurs pratiques sans l'intervention
d'un formateur/expert. La longévité du fonctionnement, allié
à son aspect informel bien que structuré, a engagé un questionnement
à double niveau : celui des fonctions remplies par ces réunions,
et celui des effets sur le positionnement professionnel des participantes. Pour
effectuer cette recherche, la science action et l'approche constructiviste ont
servi de cadre pour interroger les notions de formation, savoirs, compétences
et identité. L'hypothèse étant : l'activité de ce
groupe qualifié d'analyse de pratique générait un processus
d'autoformation collective engageant les participantes à se repositionner
professionnellement. L'analyse des traces, des discours des acteurs, et de l'observation
des réunions ont permis de montrer que ce lieu unique et privilégié
dans l'exercice du métier favorise une expression libre qui engage des
changements de durables comportements rendus possibles par un processus d'identification
positive. Il constitue un espace d'échanges d'informations, de questionnements
sur les pratiques, d'interrogations sur la fonction et le rôle favorisant
la formalisation des pratiques professionnelles. L'analyse des pratiques en groupe de pairs : un modèle créé
par les professionnels pour les professionnels. Ces deux dispositifs, élaborés dans des champs d'activité
différents, le médical et le social, ne sont pas identiques mais
présentent des similitudes dans leur fonctionnement et dans leur intention
: informels, autogérés, mais structurés, ils ont été
construit par les professionnels eux-mêmes dans une visée formative.
Ces dispositifs " sur mesure " sont donc particulièrement adaptés
aux objectifs et aux besoins de professionnels qui souhaitent exercer leur métier
dans des conditions optimisées. |