![]() La 6ème Biennale |
Titre : | L'enseignement des systèmes automatisés au collège : entre prescription et proposition, une étude qualitative de l'opinion des enseignants de technologie |
Auteurs : | GINESTIE Jacques : Professeur des Universités, IUFM Aix-Marseille / BRES : Eric Doctorant, IUFM Aix-Marseille 1 |
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Introduction L'éducation technologique met en avant dans ses finalités la compréhension du monde des objets techniques dans les relations que nous entretenons avec notre environnement (Andreucci, Ginestié. 2002). Dans ce monde, les systèmes automatisés constituent une catégorie d'objets qui occupe une place particulière, justifiant par conséquent leur étude dans cet enseignement. Omniprésents dans notre environnement quotidien (parking, alarme, ascenseur, distributeurs, robotique...) ils suscitent soit une indifférence totale qui les rend complètement transparents (on utilise un ascenseur, par exemple, sans se poser aucune question de leurs fonctionnalités), soit une fascination distante qui les rend opaques à notre entendement. En ce sens, la compréhension de l'environnement technologique vise à dépasser la simple relation d'usage pour aider à construire des connaissances sur les principes de fonctionnement des systèmes automatisés et sur les méthodes d'analyses fonctionnelles qui permettent d'établir ces principes. Il ne s'agit pas d'entraîner les élèves à répertorier les différents systèmes automatisés, un peu à la manière des botanistes ou des entomologistes, mais de changer leurs rapports au monde des objets techniques en leur permettant de construire des outils d'analyse de ce monde et de ces rapports. Le recours à des technologies sophistiquées, la possibilité de jouer sur des analyses descendantes qui réorganisent l'étude de ces systèmes dans un empilement gigogne de boîtes noires successives et la faculté de traiter aisément des systèmes d'une grande complexité sont autant de raisons qui éclairent la place non-négligeable qu'occupe cet enseignement dans l'éducation technologique au collège. Au-delà des disparités d'équipements, un observateur attentif de cet enseignement au collège relèverait de très grandes disparités dans cet enseignement. Ces disparités se relèvent aussi bien dans l'organisation des enseignements mis en uvre par les enseignants que dans leurs pratiques ou dans les contenus même de ces enseignements. Le but de cette communication est de présenter quelques éléments de qualification de ces disparités qui témoignent de la distance entre le curriculum tel qu'il est prescrit et celui qui est réellement mis en uvre par l'enseignant. 2 Les systèmes automatisés, épistémologie, concepts et impacts De tout temps, le développement des sociétés humaines s'inscrit dans un rapport à l'outil qui prolonge le geste de l'homme en l'allégeant, en le facilitant, en le démultipliant (Leroi-Gourhan, 1989 ; Haudricourt, 1988). Ce rapport est largement fondé sur des observations empiriques et des modélisations successives de ce geste. Ainsi, il s'agit d'une action par anticipation qui va faciliter les actions à venir. Utiliser un levier, c'est anticiper sur le rapport entre la force humaine disponible et la force nécessaire pour déplacer un rocher en pensant une organisation qui va démultiplier la force humaine. Le prolongement du geste s'est également doublé d'un développement des engins et machines capables de reproduire ou de remplacer le geste. C'est dans cette dynamique que se place l'évolution des automates qui depuis les machines de Héron d'Alexandrie dans l'antiquité grecque jusqu'aux robots actuels constituent une branche importante dans l'évolution du monde des objets techniques. Cette évolution peut se décrire en trois phases et deux grandes ruptures, si l'on s'en tient à l'évolution des quatre derniers siècles. Le lien entre geste et pensée et donc entre pensée et outil n'est plus à faire (Rabardel, 1995 ; Leroi-Gourhan, 1988 ; Perrin, 1988) et donc les fonctionnalités, les formes, les structures et les mécanismes des automates sont intimement liés au développement de la pensée et sont significatifs de la logique qui préside à leur existence (Sigaut, 1985 ;Simondon, 1989). Dans un premier temps, fondé sur des mécanismes d'horlogerie, les automates imitent le geste des êtres vivant pour en donner l'illusion. Les machines prennent formes d'animaux ou d'humains et on met en scène leur fonctionnement dans des activités familières, joueurs de musique ou joueurs de jeux de société (parfois au prix de quelques tricheries). La machine à tisser de Jacquard marque la première rupture et le passage au temps des automates qui remplacent le geste mécanique de l'homme en le démultipliant (réaliser plusieurs opérations simultanément) et en se substituant à lui dans les tâches difficiles et répétitives. Cette période connaîtra son apogée avec la mise en uvre de la rationalité technique décrite par Taylor dans les usines Ford (Spengler, 1969). La seconde rupture intervient au début du XX e siècle et avec le développement des travaux sur la cybernétique qui va conduire à la théorie des systèmes (Latour, Lemonnier, 1994). Ce n'est plus le geste que l'on s'efforce de remplacer ou d'imiter mais ce sont les processus qui contrôlent et pilotent le geste que l'on essaie de modéliser afin d'en optimiser leur imitation et leur remplacement. D'automates qui singeaient l'homme, on est passé à des automates qui remplacent l'intelligence du geste humain en lui associant des opérations de contrôles, de modulations, de gestion de la précision. De mécanismes compliqués fondés sur des principes d'horlogerie, nous sommes passés à des gestions d'ensembles de plus en plus complexes qui intègrent des paramètres de plus en plus nombreux dans le but d'un contrôle de l'action permanent. L'intégration de la complexité dans la machine rend leur conception de plus en plus sophistiquée en même temps qu'elle simplifie la relation avec l'usager. L'accroissement de la complexité s'accompagne d'une simplification de l'usage et c'est cette double logique qui éloigne la compréhension que l'on peut avoir de ces objets en même temps qu'elle nous en facilite l'usage et donc qu'elle nous les rend plus familier. Tout l'enjeu d'une éducation technologique repose donc bien sur cette construction de significations de notre environnement. Pour autant, cette construction ne saurait se limiter à la simple compréhension du fonctionnement des systèmes automatisés mais bien évidemment elle doit s'inscrire en relation avec ce que cette recherche permanente qui vise à substituer la machine à l'homme en optimisant sa force, sa rapidité, sa capacité de traitement, a comme impact sur les organisations sociales (Ginestié, 1998, 2001 ; Deforge, 1993 ; de Vries, 1995). 3 L'enseignement des SA au collège L'unité « systèmes automatisés » est enseignée en classes de 5 e et 3 e et elle a pour but de « familiariser l'élève avec les automatismes pilotés par micro-ordinateur. On mobilisera les élèves autour de l'étude et du pilotage de maquettes reproduisant des situations de leur environnement habituel (monte-charge, feux de carrefour, barrière automatique...) ». Les compétences à atteindre par les élèves visent l'identification des différents constituants d'un SA (partie opérative, partie commande, capteurs et actionneurs) et l'utilisation de la représentation graphique d'un programme de fonctionnement d'un SA. L'évaluation de cette unité précise qu'il «il s'agit de construire des schémas de pensée et d'action en élargissant les points de vues afin de comprendre les liens entre la technique et la culture d'une société ». 3.1 Tâches proposées aux élèves Le faible nombre de maquettes par établissement nécessite d'organiser les activités des élèves en ateliers tournants qui permettent d'optimiser l'utilisation de tous les postes de travail tout en fournissant une tâche à chaque élève. Cette organisation repose pour partie sur le travail « autonome » des élèves : chaque tâche est accompagnée d'un dossier descriptif du travail à faire, des ressources disponibles et des conditions de réalisation. Cette exigence d'autonomisation et de non-simultanéité des activités des élèves requiert une importante organisation de l'enseignement et un aménagement de l'environnement scolaire particulièrement rigoureux. De fait, dans de nombreux cas et devant les difficultés d'organisation, les tâches se réduisent à la lecture des documents fournis et à la réalisation des activités décrites selon des procédures très rigoureuses et complètement fermées (Ginestié, 2002). 4 L'étude qualitative Pour essayer de mieux cerner les disparités de cet enseignement, nous avons interrogé des enseignants de technologie à travers des entretiens. Le questionnement est orienté de manière à appréhender les difficultés pour la mise en uvre du curriculum actuel du moins tel qu'ils l'entendent, le comprennent et l'interprètent. Nous retenons trois variables afin de constituer notre échantillon : le genre, l'ancienneté dans le métier et le type de formation initiale. Le corps des enseignants de technologie est un corps mixte avec une répartition assez équilibrée entre femmes et hommes. L'évolution récente de cet enseignement et du concours de recrutement privilégie l'approche industrielle au dépend d'une approche tertiaire. Il est donc intéressant de voir si cette variable a une incidence sur la manière d'appréhender l'étude des systèmes automatisés. La variable ancienneté dans le métier est intéressante à observer car le fait d'avoir vécu tout ou partie des réformes qui émaillent le passé récent peut induire des approches différentes dans cet enseignement. Les principales évolutions majeures se sont déroulées dans les dix dernières années et c'est ce seuil que nous retenons pour qualifier l'ancienneté. Par ailleurs, une part non-négligeable des connaissances manipulées par les enseignants est directement liée à leur formation d'origine. Ainsi, selon leur formation initiale, les enseignants vont faire des lectures très différentes des programmes et vont donc les mettre en uvre de manière fort différenciée. Une formation technique privilégierait beaucoup plus une analyse centrée sur les registres structurels et sur l'observation des mécanismes en jeu. Afin de croiser ces différentes variables dans nos entretiens, nous avons interrogé huit enseignants : quatre hommes et quatre femmes, répartis de moitié de jeunes et de moins jeunes ayant des formations initiales différentes. Nous avons, dans un premier temps, conduit un entretien libre sur leur manière d'aborder les SA dans leurs classes. Dans un second temps, nous leur avons demandé, après relecture des programmes, de s'exprimer sur leur propre pratique. Dans un troisième temps, nous leur avons proposé une organisation curriculaire construite par nos soins et mettant en avant de manière beaucoup plus forte les enjeux épistémologiques sous-tendus et les savoirs de référence possibles. 5 Résultats des entretiens 5.1 Premier entretien la question « Traitez-vous les automatismes ? », les quatre enseignants qui ont une formation technique répondent oui alors que les autres ne les traitent pas. La variable formation d'origine joue réellement dans la décision de traiter ou non les automatismes. À la question « Pourquoi ne les traitez-vous pas ? », les enseignants concernés invoquent le manque de fiabilité du matériel, la complexité de mise en uvre des maquettes ou les trop faibles budgets. Ce sont des raisons matérielles qui semblent être à l'origine de leur non-traitement. À la question « Comment organisez-vous votre enseignement ? », les enseignants concernés privilégient l'observation, l'identification des éléments et la manipulation des maquettes. Les tâches proposées sont organisées au travers de fiches qui guident l'élève vers l'obtention du résultat de manière autonome. Ces fiches sont essentiellement centrées sur l'exécution de procédures opératoires qui ramènent l'élève à un rôle d'exécutant, sans qu'il rencontre de réelles difficultés ni de problèmes à résoudre et tout cela dans un déroulement linéaire préétabli. À la question « Qu'auriez-vous aimé traiter ? », les enseignants font largement référence à une confrontation à la réalité des SA que ce soit au travers des supports utilisés ou à l'occasion de sorties pédagogiques. Ainsi, il s'agirait de diminuer les contraintes matérielles et techniques qui pèsent, selon eux, sur cet enseignement. En tout état de cause, le point de vue de l'utilisateur est exagéré. 5.2 Deuxième entretien Après relecture des finalités de l'éducation technologique, à la question « Pensez-vous que l'orientation donnée à ce module d'enseignement permet de répondre aux finalités des programmes ? », les enseignants interrogés mettent en avant le fait que cela relève plutôt d'un enseignement technique que technologique, que les maquettes sont trop figées et qu'elles laissent peu de place à l'initiative et qu'il est difficile de faire les liens avec la réalité. Ainsi, l'approche par activités des programmes conduit à des difficultés de signification de ces activités et donne l'impression d'une dichotomie entre le monde de la technique qui serait hermétique et rigide, et le monde de la compréhension qui permettrait de donner du sens aux choses. Sur ce qui serait pertinent pour un tel enseignement, les professeurs interrogés propose de s'éloigner d'une organisation trop ancrée sur la maîtrise des outils au travers des techniques pour se déplacer vers une approche d'utilisation de ces outils comme éléments de signification de la technologie. Ceci s'inscrit dans une perspective d'élargissement des points de vue. 5.3 Troisième entretien La proposition d'une autre organisation curriculaire (Bres, 2001) qui s'appuie plus largement sur cinq pôles, historique, économique, social, technique, créatif, sert de prétexte à un réexamen des pratiques. Les commentaires relevés portent sur la possibilité d'autres entrées pour enseigner les SA. Cette ouverture leur fait comparer leur enseignement à ce qui se passe en classe technologique de lycée ou de lycée professionnel et met en évidence, à leurs yeux, le peu de liens fait entre technique et culture. Bien évidemment, cette proposition rencontre un écho favorable (Bres, 2002) mais ne doutons pas que la nouveauté, l'exposition des faiblesses des programmes actuels et le registre uniquement déclaratif sans plus de temps consacré à la faisabilité d'une telle proposition sont autant de facteurs qui joueraient un rôle de sédimentation des pratiques scolaires si un tel curriculum était mis en uvre. 6 Conclusion Ces entretiens pointent les difficultés rencontrées par les enseignants, difficultés qui peuvent les conduire à ne pas appliquer les programmes. D'une part, les connaissances requises ne sont pas largement partagées par les enseignants. D'autre part, l'utilisation de maquettes et la forte dépendance induite dans les organisations mises en uvre conduisent à proposer aux élèves de réaliser des tâches décrites selon des procédures fermées, dans lesquelles les difficultés sont aplanies et se révèlent pauvre du point de vue des apprentissages (Weill-Fassina, 1979). Dans ces tâches très guidées, l'autonomie apparente de l'élève relève davantage d'une illusion car le déroulement linéaire et organisé de procédures modifie sensiblement le rapport des élèves au savoir (Bres, 2002) : « il suffit de faire ce que l'on nous demande et jamais on ne nous demande de comprendre ! ». Le simple rôle d'exécutant qui leur est conféré enlève tout attrait aux tâches proposées. Par ailleurs, nos résultats montrent l'influence de l'épistémologie privée des enseignants sur les enseignements qu'ils mettent en uvre. L'évolution de leur discours en fonction des informations dont ils disposent, est très significatif de ce rapport particulier qu'ils entretiennent aux savoirs sur les SA. D'une part, ils semblent tous, y compris ceux qui ne les enseignent pas, avoir des connaissances suffisantes pour apprécier l'enjeu, l'apport et les limites de l'introduction des SA. D'autre part, cette réflexion n'apparaît pas spontanément ce qui conduit à penser qu'ils ont une vision prescriptive très forte des programmes (il n'y a pas de remise en cause réelle de ces programmes ni de leur manière de les mettre ou de ne pas les mettre en uvre) et que leur épistémologie privée ne les conduit pas spontanément à une analyse forte de leurs pratiques afin de les faire évoluer. Cela nous renvoie bien sûr aux questions liées aux organisations curriculaires et notamment au degré d'ouverture des curriculums (Ginestié, 2001). L'articulation technique technologie dans la forme descriptive d'une organisation curriculaire peut conduire dans un curriculum fermé à ne pas considérer les deux termes articulés, à réduire l'enseignement de la technologie à une succession de techniques qui ne prennent pas sens dans une technologie. 7 Bibliographie Andreucci C., Ginestié J. (2002). Un premier aperçu sur l'extension du concept d'objet technique chez les collégiens, Didaskalia, n°20. Bres, E. (2001). Une approche systémique dans l'enseignement des systèmes automatisés au collège : une proposition curriculaire. Mémoire de DEA en sciences de l'éducation. Aix-en-Provence Université de Provence. Bres, E. (2002). Les systèmes automatisés au collège : l'écho favorable d'une proposition de curriculum. Actes XXIV es Journées Internationales sur la communication, l'éducation et la culture scientifiques et industrielles. Deforge Y. (1993). De l'éducation technologique à la culture technique. Collection pédagogies, Paris, ESF éditeur. De Vries M. (1995). L'enseignement de la technologie aux Pays-Bas et autres pays européens. Skholê, n° 3, Marseille, IUFM Aix-Marseille, pp. 63-84. Ginestié J. (2002). The industrial project method in French industry and in French school, International Journal of Technology and Design Education, n° 12-2. Ginestié J. (2001). Interés y perspectivas por una educación tecnológica para todos. In Benson C., De Vries M., Ginestié J., Mena F., Educación tecnológica, Santiago, LOM Ediciones, pp. 19-30. Ginestié J. (1998). L'objet, l'homme et l'enfant, Quelques éléments pour une éducation technologique. Clés à venir, n°16, Nancy, CRDP Nancy - Metz. Haudricourt A-G. (1988). La Technologie science humaine : recherches d'histoire et d'ethnologie des techniques. Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'Homme. Latour B., Lemonnier P., (sous la direction de). (1994). De la préhistoire aux missiles balistiques. L'intelligence sociale des techniques. Paris, éditions de la Découverte.Leroi-Gourhan A. (1989). Le geste et la parole. Collection sciences d'aujourd'hui, Paris, Albin Michel. Perrin J. (1988). Comment naissent les techniques : la production sociale des techniques. Paris, éditions Publisud. Rabardel P. (1995). Les hommes et les technologies ; approche cognitive des instruments contemporains. Paris, Armand Colin Éditeurs. Sigaut F. (1985). More (and enough) on Technology! History and Technology, n° 2, vol. 2, pp. 115-132. Simondon G. (1989). Du mode d'existence des objets techniques. Réédition, Collection l'invention philosophique, Paris, Aubier. Spengler O. (1969). L'homme et la technique. Réédition du texte en allemand de 1936, Paris, Éditions Gallimard. |