La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Démarches de formation ? Jusqu'où et comment peut-on professionnaliser ?


Titre : L'accès à l'enseignement au Québec : quelle formation pour quelle insertion ?
Auteurs : MUKAMURERA Joséphine

Texte :
Depuis à peu près une quinzaine d'années, la profession enseignante est traversé e par le courant de la professionnalisation. Ce mouvement est au coeur de plusieurs réformes dans la formation des maîtres surtout en Amérique du Nord et en Europe (Tardif, Lessard et Gauthier, 1998) et qui tentent de pré parer des enseignants aptes à faire face aux multiples exigences d'un travail de plus en plus spécialisé et complexe (Tardif, Lessard et Mukamurera, 2001).
Au Québec, le discours de la professionnalisation existe depuis le Rapport Parent, donc depuis le milieu des années 1960. Durant ces années, un règlement sur le permis et le brevet d'enseignement a été mis en place pour réglementer l'accès à la profession enseignante. Parallèlement, la formation des maîtres a été transférée des écoles normales aux universités (programmes de baccalauréat de trois ans). Ces changements s'inscrivent dans une réforme éducative et scolaire plus globale visant à hausser les standards et la qualité de la formation à l 'enseignement ainsi qu'à assurer une meilleure qualité de l'école (Lessard, 1998). Mais c'est véritablement avec la réforme de 1992 que le Québec a marqué un point tournant dans le processus de professionnalisation de la formation et de l'enseignement. En effet, cette réforme reposait sur la reconnaissance du fait que l'acte d'enseigner est un acte professionnel et que la formation à l'enseignement doit être considérée comme une formation à caractère professionnel orientée vers la maîtrise d'un ensemble de compétences particulières que seule une solide formation permet d'acquérir. Dans le cadre de cette réforme, le Québec a opté entre autres pour un allongement de la formation initiale des maîtres (passant de 3 à 4 ans), pour un accroissement du temps accordé aux stages de formation pratique (passant de 200 h à un minimum de 700 h) ainsi que pour une meilleure intégration des composantes psychopédagogiques et disciplinaires de la formation (Gouvernement du Québec, 1992
a,b). Cette réforme est venue ré pondre aux besoins et préoccupations de l'époque que nous ne reprendrons pas ici mais qui sont bien étayés dans Lessard (1998). Depuis 2001, les programmes de formation des maîtres issus de cette ré forme de 1992 sont rappelés par le ministère de l'Éducation du Québec qui a défini de nouvelles orientations et révisé les compé tences et les profils de sortie pour la formation initiale à l'enseignement (MEQ, 2001). Les Facultés d'éducation sont donc aujourd'hui occupées à une opération de refonte de leurs programmes de formation et ces derniers seront en implantation dès l'automne 2003. De façon sommaire, cette réforme vise d'abord l'arrimage de la formation des maî tres aux objectifs de la réforme du curriculum de l'enseignement primaire et secondaire amorcée depuis la fin des années 1990 (implantation progressive au primaire depuis 2000-2001 et prochainement au secondaire dè s 2003-2004). Elle est axée aussi sur la formation d'un "cultivé2001).
Certes, ces différentes réformes apparaissent nécessaires pour adapter la formation initiale aux nouvelles réalités sociales, à l'évolution de la connaissance et aux nouveaux exigences du m étier. Cependant, si professionnalisante qu'elle soit, la formation initiale n'est pas garante d'une insertion professionnelle plus facile ou mieux réussie. En témoignent les ré sultats de nos recherches sur l'insertion professionnelle des enseignants, recherches qui ont été conduites selon une méthodologie qualitative alliant entrevues semi-structurées, analyse de calendrier d'activités et analyse des politiques et règles d'embauche, d'affectation et de répartition de tâches. La réforme de la formation des maîtres en cours depuis le début de la dé cennie saura-t-elle réussir là où les précédentes ont échoué en terme d'insertion professionnelle des jeunes eneseignantsÀ quelles conditions et qu'est-ce qu'on peut raisonnablement attendre de la formation initiale? Dans les lignes qui suivent, nous présentons quelques résultats de nos recherches ainsi que des ré flexions et questionnements qui en sont issus et qui pourraient alimenter des discussions sur une vision de la formation à l'enseignement en lien avec l'insertion dans le métier.
Depuis plusieurs années, les écrits décrivent les débuts dans l'enseignement comme un moment d'exploration caractérisé surtout par la survie qui traduit le "de la ré alitéà l'existence d'un écart important entre la formation et la pratique du métier. Nos résultats vont dans le même sens, bien qu'apporta nt des spécificités propres à la population étudiée, au milieu et au contexte à l'étude. En effet, en dépit d'une formation professionnalisante de trois ans pour certains et de quatre pour d'autres, les nouveaux enseignants connaissent une insertion professionnelle difficile voire traumatisante.
Premièrement, le parcours est souvent long et difficile avant l'accès à la permanence et à une certaine stabilité dans la tâche. Les débutants sont dès le dé part inscrits dans des trajectoires d'emplois précaires, chaotiques, discontinues et instables. Ils connaissent des changements fréquents de tâche et d'écoles, on leur confie les mêmes responsabilit és que les enseignants d'expérience et même les pires tâches d'une école (tâche résiduelle, éclatée, difficile, etc.). Ils sont engagés à la dernière minute et parfois ils doivent accepter des tâches qui n'ont rien à voir avec leur formation, ou encore ils doivent occuper des emplois en dehors de l'enseignement. (Mukamurera, 2002). Cette situation contribue à alourdir ou rendre complexe la tâche du débutant et a une incidence sur l'implication et l'intégration dans les projets au sein de l'école, sur le développement d'un sentiment d 'appartenance et d'une identité professionnelle, sur l'intervention pédagogique et les interactions en classe, bref sur son insertion au sens large. D'ailleurs, quelques jeunes enseignants interviewé s songeaient à abandonner définitivement et à court terme le métier.
Deuxièmement, au niveau de l'intervention pédagogique en classe, les nouveaux enseignants diplômés des programmes de formation des maîtres de 1994 vivent des problèmes de diffé rents ordres et en particulier ceux touchant la gestion de classe, la motivation des élèves, l'intervention auprès des élèves en difficulté, la maîtrise de la matière enseigné e. D'ailleurs, plusieurs se sentent incompétents sur certains aspects en début de carrière et considèrent que la maîtrise du métier- si maîtrise il y a- est une affaire de temps et de long terme suite à l'expérience, à l'apprentissage sur le tas et à la formation continue. Dans l'ensemble, ces jeunes enseignants considèrent que les dé buts dans l'enseignement constituent un moment d'apprentissage """reprendre leurs expressions, un apprentissage q ui se fait non seulement sur le plan pédagogique, didactique et disciplinaire, mais aussi sur le planrelationnel ainsi qu'à celuide l'organisation administrative et pé dagogique au sein de l'école, y compris la culture implicite. Interrogés sur leur perception de la formation reçue à l'université, les nouveaux enseignants la considèrent certes pertinente à plusieurs égards, mais aussi insuffisante en ce qui concerne la gestion de classe, l'intervention auprès des élèves en difficultés et les
"iques. En outre, la formation est jugéedétachée de la réalité des conditions d'entrée dans le métiersuppléance, classes difficiles, manque de motivation chez les él èves, précarité d'emploi et du travail, lourdeur de la tâche, enseignement dans un champ ou une matière autre que sa formation, etc. En ce qui concerne l'aspect positif de la formation, ils apprécient surtout les stages en milieux scolaires, en particulier en ce qu'ils permettent de découvrir la réalité du métier, d'appliquer les connaissances acquises, d'ê tre stimulé et d'avoir le sentiment d'être impliqué réellement dans l'enseignement.
Troisièmement, malgré l'allongement de la formation et le renforcement quantitatif et qualitatif du stage de formation pratique, les nouveaux enseignants du secondaire, tout comme leurs prédé cesseurs des programmes de trois ans, considèrent que le soutien en début de carrière (presque inexistant actuellement) et la formation continue sont nécessaires et même fondamentaux pour plusieurs raisons (insécurité du débutant, besoin d'être supporté, milieu nouveau = culture nouvelle, mise à jours des connaissances et des compétences, réformes, etc.) et qu'ils devraient, non seulement être accessibles mais aussi tenir compte des vrais besoins et conditions de travail des débutants.
Bien sûr, tous ces éléments sont imbriqués et l'insertion professionnelle apparaît comme un phénomène complexe où l'insertion dans l'emploi, l'insertion dans le m étier et l'insertion dans l'organisation sont imbriquées et interdépendantes.
À la lumière de nos résultats et ce en dépit d'une formation renforcée et des stages accrus, on constate que les phénomènes de "de "de la r éalitéencore d'actualité chez les débutants. Cependant, la formation initiale n'est pas la seule responsable des difficultés d'insertion à l'enseignement, car la qualité et la durée de l'insertion sont aussi et sinon plus tributaires des conditions d'entrée dans le métier, de l'environnement de travail, du mode d'organisation du travail enseignant et de gestion du personnel et de leur carrière. C'est tous ces éléments qui font que la transition sera vécue de façon plus ou moins problématique et é prouvante.
Enfin, une discussion plus pousséepourrait être engagée autour des deux interrogations suivantesLa formation initiale doit-elle être basée sur le présent ou devrait-elle ê tre tournée vers le futur et comment? Serait-il fondé de croire que la formation initiale à l'enseignement, aussi professionnalisante qu'elle puisse être, pourraitprévenir toutes les difficultés que pourrait susciter ce métier considéré comme un "impossibleun travail aux contours imprécis, un travail flou et composite et qui s'exerce dans des contextes sociaux, économiques et pédagogiques en perpétuelles transformations? Pour notre part, nous considérons que la formation initiale, bien que devant assumer sa part de responsabilité certes, ne devrait pas être critiquée à tout bout de champ comme si elle était terminale ou devait résoudre tous les maux dont peut souffrir une profession et ses acteurs. Elle devrait plutôt ê tre pensée comme une étape du longprocessus du développement professionnel de l'enseignant. Dans ce sens, les réformes ne devraient pas seulement mettre l'accent sur la formation initiale mais de voir à une approche globale qui serait fondée sur une harmonisation de la formation initiale avec l'insertion dans le métier et la formation continue, de façon à permettre une meilleure transition du statut d'étudiant à celui d'enseignant et à favoriser le développement professionnel et identitaire ainsi que l'engagement personnel dans le métier.
Références citées
Gouvernement du Québec (1992a). La formation à l'enseignement secondaire général. Orientations et compétences attendues. Qué becMEQ.
Gouvernement du Québec (1992b).
Faire l'école aujourd'hui et demainun défi de maître. Renouvellement et valorisation de la profession. QuébecMEQ.
Gouvernement du Québec (2001).
La formation à l'enseignement. Les orientations et les compétences professionnelles. QuébecMEQ.
Lessard, C. (1998). La réforme de la formation des maîtres au Québecpremier bilan des apprentissages en voie de réalisation en milieu universitaire. Dans Maurice Tardif, Claude Lessard et Clermont Gauthier (1998).  
Formation des maîtres et contextes sociaux.perspectives internationales. (p. 105-151). ParisPresses Universitaires de France.
Mukamurera, J. (2002). Insertion professionnelle et carrière dans un contexte de précarité d'emploi. Dans Tardif, M. et Lessard, C. (dir.), La profession d'enseignant aujourd'hui: é volutions et perspectives internationales.Québec/Belgique: Presses de l'Université Laval/de Boeck. (à paraître).
Tardif, M., Lessard, C. et Gauthier, C. (1998
). Formation des maîtres et contextes sociaux.perspectives internationales. ParisPresses Universitaires de France.
Tardif, M., Lessard, C., et Mukamurera, J. (2001).Continuités et ruptures dans l'évolution actuelle du métier d'enseignant. Dans Tardif, M., Lessard, C. et Mukamurera, J. (dir.), Le renouvellement de la profession enseignantetendances et défis des années 2000
Éducation et Francophonie, XXIX(1). Numéro thématique, téléaccessible à l'adresse suivantehttp://www.acelf.ca/revue/XXIX-1/ <http://www.acelf.ca/revue/XXIX-1/%7D%7D%7D%7B>.

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