![]() La 6ème Biennale |
Titre : | Apport de la psychomotricité à la pédagogie de l'écriture |
Auteurs : | LE ROUX Yves |
Texte : |
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Les psychomotriciens constatent que le nombre de leurs consultations pour difficultés graphomotrices est élevé et certains d'entre eux affirment qu'il a augmenté ces dernières années. L'examen des enfants concernés montre que certains éléments qui devraient avoir fait l'objet d'un enseignement dans le cadre scolaire ne sont pas acquis. Ainsi en est-il du ductus et même parfois de la forme des lettres, de la tenue de l'outil scripteur. Les visites de stagiaires professeurs des écoles mettent en évidence que l'attention accordée à l'acte graphique est faible : certes, on fait écrire les enfants, mais on se préoccupe peu de la façon dont ils écrivent, même dans les séances spécifiques d'écriture. L'écriture s'enseigne et concerne donc la pédagogie. Mais, lorsque sa réalisation devient difficile, c'est le psychomotricien qui est consulté. Or, il y a eu aussi, à l'école primaire (maternelle et élémentaire), une éducation psychomotrice proposée par divers auteurs. D'où ma thèse de Doctorat Pédagogie de l'écriture et éducation psychomotrice - apport de la psychomotricité au fondement d'une pédagogie de l'écriture. L'examen, dans la première partie de mon travail, du contexte de la crise, des textes officiels et des manuels font émerger un certain nombre de questions. L'utilisation du stylo à bille interroge sur la pertinence de conserver les normes de préhension qui étaient adaptées à l'usage du porte-plume. L'évolution du rapport aux normes conduit à s'interroger sur la fonction de l'enseignement de l'écriture : s'agit-il de faire prendre de bonnes habitudes, de les imposer à l'enfant ? cela suppose-t-il une pédagogie du modèle ? Le souci du "sens" des apprentissages a donné la priorité à la production de texte ; cela signifie-t-il que l'enseignement des éléments de base du système graphique et du maniement des outils scripteurs est dénué d'intérêt ? Si les pratiques des enseignants ont été interrogées par les travaux des psychologues, sur quelles références une pédagogie de l'écriture va-t-elle pouvoir se construire ? Car l'enseignement de l'écriture a toujours été considéré comme important par le législateur. Mais les préconisations des textes officiels sont devenues beaucoup moins précises au fur et à mesure des réformes. L'enseignant, interrogé par les chercheurs en sciences humaines et moins dirigé par les textes officiels, se trouve ainsi démuni. Or, c'est bien lui qui doit enseigner l'acte d'écrire, ce qui suppose des éléments de réponse à ces différentes questions. Des travaux effectués par des chercheurs français en apportent quelques-uns qui sont particulièrement intéressants ; ils sont présentés dans la seconde partie de ma thèse. Une équipe de chercheurs, autour de J. de Ajuriaguerra, et L. Lurçat se montrent favorables à cet enseignement de l'acte d'écrire alors que deux autres, E. Charmeux et M.-T. Zerbato-Poudou le jugent inutiles. L'argumentation de des dernières me paraît moins solide que celle des chercheurs qui préconisent cet enseignement. Le fait que les psychomotriciens soient concernés par les problèmes d'écriture et que la psychomotricité ait connu le développement de tout un courant éducatif au sein même de l'institution scolaire interroge sur les rapports entre la psychomotricité et la pédagogie de l'écriture. D'où une troisième partie qui examine les écrits sur la remédiation aux troubles de l'écriture dans le cadre des thérapeutiques psychomotrices. Nous pouvons constater que les travaux de recherche entrepris sous l'égide de J. de Ajuriaguerra servent de point d'appui à l'élaboration d'une rééducation de l'écriture par cet auteur et M. Auzias, avec la collaboration de A. Denner ; ils considèrent que cette rééducation fait partie des thérapeutiques psychomotrices. La rééducation de l'écriture s'appuie, dans ce cas, sur des données génétiques et des repères quant à la pathologie. Des psychomotriciens se réfèrent à ces auteurs, d'autres s'appuient aussi sur les données de la psychologie cognitive, d'autres enfin se réclament d'une orientation psychanalytique. Les troubles de l'écriture sont compris comme s'intégrant dans un ensemble psychomoteur plus vaste et les remédiations portent sur la relation à l'écrit, sur la relation à l'environnement, sur les difficultés psycho-affectives et psychomotrices qui accompagnent le trouble de l'écriture, ainsi que directement sur celui-ci. Certains se préoccupent exclusivement de l'un ou l'autre de ces secteurs, d'autres en prennent plusieurs en compte, voire tous. Si la psychomotricité constitue un domaine professionnel, elle concerne aussi l'éducation à l'école depuis une cinquantaine d'années. C'est pourquoi la troisième partie de ma thèse présente les deux courants de cette éducation psychomotrice : la psychocinétique du Docteur Le Boulch et le courant psychopédagogique dans lequel plusieurs auteurs se sont impliqués. Bien entendu, je relève leurs propos relatifs à l'apprentissage et la pédagogie de l'écriture. Enfin une quatrième partie montre quelle contribution spécifique peut être apportée par la psychomotricité à la pédagogie de l'écriture. L'observation psychomotrice en devient un point d'appui essentiel, mais elle doit aussi prendre en compte les données génétiques et cognitives issues des travaux des chercheurs étudiés dans la seconde partie de la thèse. Dans cette quatrième partie, je montre d'abord ce que peut être une conception psychomotrice de la pédagogie. Le rejet du dualisme corps-esprit en est une composante essentielle. Mais il ne suffit pas de l'affirmer, de même qu'il ne suffit pas d'intégrer les références multiples et diversifiées de l'éducation psychomotrice pour approcher l'unité de l'être. Encore faut-il qu'elles soient intégrées dans une élaboration théorique cohérente. Trois tentatives ont été faites en ce sens : une par Le Boulch, une par Vayer, une par Lapierre et Aucouturier. Toutes considèrent que le corps est au cur du développement de l'enfant. C'est par le corps que l'enfant entre en relation avec son environnement. Les progrès de la sensorialité et de la motricité sont donc fondamentaux dans son développement, progrès qui dépendent de la maturation du système nerveux, de l'exercice fonctionnel et de la qualité de relation humaine. Cette dernière est, en effet, d'abord vécue corporellement, dans la fonction tonique. Or, la régulation du tonus musculaire conditionne l'efficacité motrice, praxique. Il est donc fondamental d'offrir à l'enfant un environnement humain qui favorise l'évolution tonico-motrice, laquelle s'effectue sur plusieurs années. Sur le plan pédagogique, il s'agit de proposer à l'enfant, dans un cadre relationnel sécurisant et encourageant, des activités qui prennent en compte le niveau de cette évolution pour lui permettre de la poursuivre au mieux. Une attitude compréhensive est à la base de la pédagogie psychomotrice, ce qui nécessite une connaissance du développement de l'enfant. L'observation psychomotrice facilite cette compréhension. Concrètement, il s'agit d'observer le tonus musculaire, la capacité d'inhibition motrice, la latéralité, l'équilibre, les coordinations, les dissociations, le schéma corporel, l'image du corps, l'organisation spatio-temporelle, le projet idéo-moteur. Bien entendu, cela suppose que ces termes recouvrent, pour l'enseignant, une réalité dont il connaisse le développement chez l'enfant ; car l'action pédagogique repose sur la capacité à observer et analyser les difficultés rencontrées par les enfants pour leur proposer ce qui est le plus favorable à leur développement. Il est évident que l'écriture est un acte complexe, à la fois praxie et langage, dont l'acquisition s'étale sur de nombreuses années. L'apport de l'enseignant diffère en fonction de l'âge de l'enfant, ou plutôt de son niveau de développement car la différenciation s'avère nécessaire. Si, d'un point de vue praxique, le dessin libre et les jeux moteurs ouvrent l'accès à l'écriture, l'éducation psychomotrice plus globale, en favorisant l'équilibre énergétique et affectif et en entretenant la disponibilité motrice, le fait tout autant. A partir de quatre ou cinq ans va se faire l'apprentissage du sens dextroverse (de gauche à droite) des tracés et du sens sénestrogyre (anti-horaire) des formes rondes, ainsi que l'apprentissage de la tenue des différents outils ; les travaux de Lurçat constituent, à cet égard, une référence. L'apprentissage systématique des lettres devient pertinent à partir de 5 ans et demi ou six ans, comme l'a montré l'équipe de J. de Ajuriaguerra. Les apports de l'éducation psychomotrice sont donc complétés par ceux des travaux relatifs à l'évolution de l'écriture chez l'enfant. En ce qui concerne l'évaluation, la recherche de Zerbato-Poudou ouvre une voie intéressante. L'éducation psychomotrice offre donc un cadre théorique et des propositions pratiques qui concernent la pédagogie dans son ensemble et, par conséquent, la pédagogie de l'écriture. Mais elle est fondamentalement ouverte à l'intégration de données relatives au fonctionnement humain et au développement de l'enfant. C'est la centration sur la corporéité qui constitue sa spécificité. A ce propos, on peut remarquer que plusieurs chercheurs qui se sont intéressés à l'écriture, acte qui est tout à fait corporel, se sont aussi impliqués dans la psychomotricité. La rééducation de l'écriture que certains d'entre eux ont élaborée a été considérée elle-même comme une thérapeutique psychomotrice. La proposition que je fais d'une orientation psychomotrice de la pédagogie de l'écriture inclut celle-ci dans une éducation psychomotrice dont les bases théoriques ont été posées par Le Boulch, Vayer, Lapierre et Aucouturier, auteurs qui ont aussi proposé des orientations pratiques. Les données génétiques issues des travaux présentés dans la seconde partie de ma thèse permettent de connaître l'évolution de l'écriture chez l'enfant, son acquisition progressive, donc de situer un enfant par rapport à cette évolution. L'observation psychomotrice, qui consiste en une adaptation de l'examen psychomoteur au cadre scolaire, déborde largement le cadre de l'écriture. Il s'agit de percevoir les acquis et les insuffisances dans chacun des domaines que j'ai cités précédemment ; cela suppose aussi connaître le développement psychomoteur de l'enfant. Le niveau d'acquisition de l'écriture se comprend par rapport à un niveau de développement psychomoteur, dans un ensemble psychomoteur sur lequel il est possible d'agir. Mais il est aussi nécessaire de dépasser la situation de l'enfant par rapport à des normes statistiques pour prendre en compte son vécu. Pour terminer, j'illustrerai par quelques exemples cette orientation psychomotrice de la pédagogie de l'écriture. Lorsqu'un enfant se trouve en difficulté dans cet apprentissage, l'enseignant peut se demander si, sur le plan scolaire, cette difficulté est isolée ou non : y a-t-il d'autres disciplines qui lui posent problème ? Il peut aussi s'interroger sur des difficultés comportementales conjointes éventuelles. L'image du corps se trouve nécessairement impliquée dans les difficultés rencontrées, et cela est d'autant plus évident lorsqu'elles concernent un apprentissage praxique qui, de plus, est en relation avec la communication. Comment un enfant vit-il de telles difficultés ? Comment ce vécu se manifeste-t-il dans son investissement de l'apprentissage ? Comment se traduit-il dans son organisation tonico-émotionnelle ? Comment celle-ci rejaillit-elle sur les apprentissages moteurs ? La relation de l'enseignant à l'élève et au groupe, comme les relations qu'il saura favoriser dans le groupe, seront de nature à favoriser ou non la régulation tonique. Des activités de détente, de contrôle moteur, peuvent aussi contribuer à son amélioration. L'écriture est une activité qui met en uvre la motricité fine digitale pour les mouvements d'inscription. Des difficultés dans son apprentissage interrogent donc sur les capacités motrices de la main et des doigts. Il se peut que la difficulté d'écriture ne soit qu'un exemple d'une difficulté plus globale de la motricité fine. Cela peut se traduire par une mauvaise tenue de l'outil scripteur, c'est-à-dire une tenue peu fonctionnelle et/ou par une mauvaise maîtrise du geste. La remédiation à une difficulté de motricité fine peut se faire, par exemple, par des activités d'arts plastiques. Mais une difficulté de motricité fine interroge aussi sur l'organisation de la motricité large du fait de la loi de développement proximo-distale. De plus, le mouvement de progression de l'écriture met en jeu l'articulation de l'épaule. Une mauvaise maîtrise de la motricité à ce niveau a donc des conséquences sur l'acte graphique. Il est possible d'envisager des remédiations en arts plastiques, en musique ou en éducation physique et sportive. Mais, si cette motricité large pose problème, cela peut avoir pour origine une mauvaise régulation tonique qui peut elle-même provenir de difficultés d'équilibre. La maturation du tonus musculaire s'étale sur plusieurs années. L'augmentation du tonus axial permet le redressement postural et l'indépendance des bras par rapport au tronc. L'enseignant peut faciliter la régulation tonique en s'appuyant sur les acquis liés à la maturation. C'est sur l'organisation asymétrique du tonus musculaire que repose la latéralité. Des difficultés graphomotrices peuvent être liées à une mauvaise latéralisation. Son observation sera importante bien au-delà de l'acte graphique. L'exercice moteur en musique, en arts plastiques, en éducation physique peut permettre de la renforcer. Une bonne intégration du schéma corporel est un élément important pour le contrôle gestuel. Il n'est pas rare que des enfants en difficulté dans l'apprentissage de l'écriture présentent des manques dans ce domaine, particulièrement au niveau de la main et des doigts. Tout exercice sensoriel favorise cette intégration, ainsi que les exercices de motricité (motricité manuelle entre autres). En fait, le constat de difficultés dans l'apprentissage de l'écriture conduit à une observation psychomotrice aussi complète que possible. Par conséquent, les domaines que je viens d'évoquer sont explorés avec attention, ainsi que ceux dont je n'ai pas montré ici le lien avec l'acte graphique : organisation spatio-temporelle, capacité d'inhibition motrice, projet idéo-moteur... J'ai signalé la question posée au début de ma thèse relative à la préhension de l'outil scripteur. Est-il pertinent d'apprendre à l'enfant à tenir cet outil comme on le faisait pour le porte-plume ? L'observation nous permet de répondre par l'affirmative parce que c'est une prise fonctionnelle qui permet la meilleure mobilité. L'argument est anatomique. Mais l'enseignant veillera à faire acquérir cette préhension fonctionnelle de l'instrument en prenant en compte les capacités de l'enfant et ses réactions affectives et émotionnelles face à cet apprentissage. L'argument biomécanique vient toujours rencontrer un argument psychomoteur. L'observation psychomotrice est un outil de compréhension de l'enfant afin que l'enseignant puisse adapter ses propositions pédagogiques. La pédagogie de l'écriture s'inclut ainsi dans une éducation psychomotrice qui s'appuie sur le développement de l'enfant. Cette éducation est transdisciplinaire, ce qui permet de proposer des remédiations aux difficultés graphomotrices et dans le travail technique d'apprentissage de l'écriture et dans d'autres disciplines scolaires. Le sujet apprenant se trouve donc considéré dans sa singularité puisqu'il s'agit pour l'enseignant de prendre en compte son niveau de développement afin de l'aider à le poursuivre au mieux. Le recours à la mesure peut intervenir pour situer l'enfant par rapport à sa classe d'âge, mais aussi pour donner des repères pour une progression et une programmation des apprentissages scolaires. Mais la pédagogie de l'écriture ne peut faire l'impasse sur le rapport de l'enfant à son corps, à l'autre, au monde, rapport qui singulier qui n'est pas mesurable. Lorsqu'il s'agit d'apprentissage praxique ou gnoso-praxique, corps fonctionnel et corps existentiel sont toujours concernés simultanément et dialectiquement. Corps-objet et corps-sujet sont indissociables pour l'apprenant ; il serait souhaitable qu'ils le soient aussi pour l'enseignant. |