La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Savoir de la pratique et distanciation : conditions pour une action nouvelle ?


Titre : Pédagogie de la présence
Auteurs : RUNTZ-CHRISTAN Edmée

Texte :

"Nul n'enseigne sans l'espoir ou l'intention que les élèves apprennent". Cependant, il est rare que les étudiants se souviennent des cours suivis l'année précédente ! Passé l'épreuve des examens, les savoirs se dissipent. Des études ont montré, par exemple, que les langues ne s'acquéraient pas à l'école. Pourtant tout élève sait qu'il va à l'école pour apprendre. Mais y apprend-il ce qui est enseigné ? Lorsqu'on interroge les professeurs, chacun est conscient des lacunes et des oublis des élèves. Certains font comme si leur enseignement échappait à cette règle, d'autres essaient de réagir en modifiant leur rôle d'enseignant. Ils passent, selon Philippe Meirieu, d'une logique de l'intention à une logique de compétences. Seulement, comme il ne suffit pas de souhaiter que ses élèves apprennent pour que réellement ils acquièrent un savoir, il est illusoire d'imaginer que la possession d'outils pédagogiques implique leur application. Aucun enseignement, aucune didactique, aucun mode relationnel ne permet à celui qu'on éduque de faire l'économie du passage à l'acte. Et là, l'enseignant joue un rôle considérable : il transmet l'envie d'apprendre.

Tout en gardant pour acquis l'indispensable savoir à posséder pour le professer, et la recherche de la meilleure didactique pour le faire apprendre, il serait bon d'identifier ce qui provoque le désir d'apprendre chez les adolescents. Il est évident que la motivation, aussi bien intrinsèque qu'extrinsèque, est capitale. Cette motivation n'est probablement pas le seul déclencheur du désir d'apprendre, mais elle en est un important dans la mesure où nous avons une prise sur elle. En effet, nous ne saurions agir sur des éléments comme l'histoire personnelle de l'apprenant qui, elle aussi, influence grandement le besoin d'étude.
Bien souvent, et plus encore à l'adolescence, cette motivation est liée à la personne qui permet de construire le savoir. C'est parce que les jeunes admirent leur professeur, qu'ils souhaitent lui ressembler, qu'il vont s'intéresser à ce qu'il enseigne. Et c'est souvent à cette condition-là qu'ils vont chercher des informations supplémentaires, se documenter et comprendre ce qui leur était resté obscur.
Faute de pouvoir transmettre un savoir, on peut communiquer une passion qui permettra d'aborder le savoir et de le construire, et cela à n'importe quel moment de la vie. Pour transmettre une passion, il ne suffit pas d'être passionné. Encore faut-il savoir manifester son enthousiasme, le diffuser, en un mot : avoir la présence nécessaire qui fait que les élèves demeurent attentifs et se passionnent à leur tour. La relation positive que les étudiants entretiennent alors avec le professeur doit être nourrie.
Si la formation académique et didactique des futurs professeurs est assurée tant bien que mal par l'université et les instituts de formation, il semble que l'apprentissage du savoir-être demeure le parent pauvre de la situation pédagogique. Bien que de nombreux chercheurs plaident pour une intégration des facteurs affectifs, personnels ou relationnels dans la pédagogie, rares sont ceux qui ont proposé des modèles permettant aux futurs enseignants de se former à ce troisième savoir. On préfère imaginer que ce dernier est le fruit d'un don ou de l'expérience. Seulement, les mystères et les secrets du savoir-être sont indissociables d'une science concrète et détaillée, acquise par des entraînements précis.

Dans Enseignant et comédien même métier ? , j'ai eu l'occasion de montrer que le savoir-être était fortement lié aux concepts de présence, d'absence et de représentation, concepts qui ont une racine étymologique identique : esse, être. Bien que d'essence métaphysique, cette racine, dans chacun des cas, se conjugue avec un préfixe qui nous indique comment nous pouvons penser un travail concret qui permette au esse de jaillir ou de grandir, pour savoir être. Ces concepts nous renvoient donc aux notions de temps, d'espace et d'énergie. Ils posent également la question de la distance. Quelle est la bonne inter esse pour d'une part intéresser son interlocuteur et d'autre part trouver son propre intérêt ?
Tout ce qui se rapporte à la présence peut et doit être utilisé pour entretenir la relation maître-élève. Par une recherche-action, je tente actuellement, dans un premier temps, de mettre en évidence auprès de futurs enseignants l'importance de ce concept. Pour ce faire, j'utilise un Q-sort élaboré à partir des variables de la théorie présentée dans Théâtralité de l'enseignement , variables rédigées pour prendre en compte les principaux descripteurs de la présence (composantes, caractéristiques, effets, ambiguïté, relativité et intensité). La lecture des propositions permet de prendre rapidement connaissance de divers éléments de la théorie, puis de se situer personnellement face à ces a priori en répartissant les cartes d'un jeu de soixante propositions en sept groupes (3 - 7 - 12 - 16 - 12 - 7 - 3) afin de décrire la conception qu'on se fait de la présence de l'enseignant en classe, en plaçant à gauche une première pile de traits décrivant le mieux la représentation que l'on s'en fait. La deuxième pile contient les items qui la décrivent la plupart de temps ; la troisième pile contient ceux qui la décrivent assez bien et ainsi de suite jusqu'à placer dans la septième ceux qui ne la décrivent pas du tout. Cette classification impose une courbe gaussienne à la description, ce qui permet d'en faire ressortir les extrémités et de déterminer à partir de là les priorités à donner à la formation.
A la fin du cours-séminaire consacré à la " pédagogie de la présence ", le Q-sort est à nouveau proposé aux participants qui peuvent ainsi mesurer, de manière nuancée, l'évolution de leurs conceptions en comparant les données obtenues avant et après le cours. Mais la valeur de ce travail consiste davantage à se créer, à partir des items retenus a priori ou en fin de séminaire, une sorte d'échelle de la présence pour mettre en évidence ses forces et ses manques, pour développer les unes et remédier aux autres.

Après avoir travaillé sur le concept de présence, il importe dans un deuxième temps de travailler sur celui d'absence. En effet, si ténue soit-elle, il y a toujours une distance entre le moi (intériorité de l'être) et le je (extériorité de l'individu). Ce passage du dedans au dehors se concrétise par une sorte de théâtralité, dans la mesure où il réclame du bon enseignant une certaine distanciation vis-à-vis de soi-même et de la situation pédagogique, assurant ainsi la maîtrise du comportement comme moyen de parvenir à une fin pédagogique déterminée consciemment, et de ce fait reproductible. Toutes présentations renouvelées ou représentations exigent cette théâtralité, donc cette distance entre le je et le moi.

Il peut sembler superflu de souligner que, face à des élèves adolescents - voire adultes - le professeur peut se trouver aux prises avec des sentiments, des affects, des désirs, mais rappelons que ces attirances enseignant-enseigné font "partie intégrante du processus de formation dont elles sont un catalyseur notable" . Il faut donc apprendre la juste distance afin de respecter les élèves et d'être respecté par eux. Compte tenu qu'il représente une institution, un savoir, le professeur doit en premier garder une distance dans le rapport avec les élèves, pour juguler rivalités amoureuses, jalousies et autres troubles affectifs qui seraient à l'origine de difficultés d'apprentissage. Trop souvent, pour éviter ces éventuels dérapages, les enseignants se "distancent" des élèves en faisant montre de leur savoir. Cependant, cette manière de faire comporte un risque : le découragement des étudiants pour qui le savoir devient inaccessible. Il semble donc urgent de travailler cette notion de distance, distance avec la matière enseignée, distance avec la fonction professorale, distance avec les élèves.

Pour conclure, il me semble capital de rappeler que si la présence et la distance sont plus directement liées au savoir-être, elles s'appliquent également aux concepts de savoir et de savoir-faire. Ce n'est que lorsqu'on aura compris l'importance primordiale de faire jouer toutes les relations du " triangle pédagogique ", c'est-à-dire sans en privilégier l'une ou l'autre selon les modes, les époques ou les courants, qu'on augmentera peut-être les chances d'apprendre des élèves.

Mots-clé : présence, théâtralité, formation, attitudes.


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