De nombreux chercheurs se sont intéressés, en France, au champ de la formation des adultes et ont produit une masse impressionnante de travaux. Cette production reste malheureusement très largement invisible. En effet, morcellement, dispersion, hétérogénéité, marginalité semblent les qualificatifs les plus appropriés pour décrire cette production de recherche. Toute tentative de capitalisation des savoirs apparaît dès lors comme une entreprise quasi insurmontable. Que sait-on, qu'a-t-on appris, sur quoi peut-on s'appuyer pour aller chercher plus loin ?

A partir du catalogue des thèses françaises édité sur CD Rom par le Ministère chargé de l'enseignement supérieur, et plus précisément de l'édition 2000/2 du catalogue sur CD ROM Doc-Thèses, ABES, Bibliopolis, 2000, j'ai entrepris de recenser les thèses s'inscrivant dans le champ de la formation des adultes. J'ai ainsi recensé 432 thèses constituant un corpus certainement incomplet (cf. problèmes méthodologiques rencontrés), mais néanmoins intéressant à analyser.

Il est bien évident que les thèses ne représentent qu'une partie des travaux de recherche universitaires, et que ces travaux ne sont pas nécessairement les plus représentatifs de la production globale. Elles n'en sont pas pour autant coupées de toute réalité sociale, l'étude de l'évolution des thématiques explorées au fil des années vient le confirmer.

Faire un bilan des thèses produites s'inscrit dans la lignée et en complément d'autres études menées sur les thèses, notamment celles sur les thèses en sciences de l'éducation (BEILLEROT, 1993 ; BEILLEROT, DEMORI, 1998) entreprises par le Centre de recherche éducation et formation de l'Université de Paris X-Nanterre. La démarche s'inspire également en partie de travaux menés dans un autre champ et dans le cadre d'un projet européen, celui de la capitalisation des travaux de recherche dans le champ du travail social (DUGUE, 1998, 2000 ; LAOT-ETSUP, 1999, 2000).

Une description " à plat " du corpus ayant été proposée au Congrès de l'AECSE à Lille en septembre 2001, mon intervention à la Biennale consistera à interroger ce corpus de thèses : que nous apprend-il sur les questions de recherche explorées dans le champ de la formation des adultes ?

Une première manière de faire consiste à repérer l'évolution du vocabulaire dans les titres. Bien entendu, les titres ne sont pas toute la thèse, mais on peut imaginer qu'ils condensent ce que les auteurs considèrent comme prioritaire dans leur travail. Ces mots sont donc des indicateurs pertinents, même si des biais existent du fait même des méthodes de sélection des thèses dans le corpus.

Le mot formation tout d'abord n'apparaît pas dans tous les titres, loin de là (puisque la sélection s'est voulue bien plus large), mais dans à peu près deux tiers des titres. La répartition par discipline n'est pas ici significative. Si l'on regarde l'évolution au fil des ans, celle-ci apparaît stable, malgré un léger fléchissement temporaire au début des années 90. On n'assisterait donc pas (encore ?) à une progressive disparition du terme au profit d'autres tels gestion ou développement des compétences, comme certains en ont fait l'hypothèse. Il faudrait cependant nuancer car de nombreuses thèses de gestion traitant de gestion des ressources humaines ou d'apprentissage organisationnel n'ont justement pas été retenues dans le corpus car rien dans le résumé ne laissait apparaître explicitement un intérêt pour la " formation " (sous différents vocables). Un autre mode de sélection pourrait donc inverser la tendance, mais augmenterait également significativement la progression du nombre de thèses soutenues au cours des dernières années.

Fait étonnant, l'adjectif permanente après formation ou éducation a complètement disparu des titres depuis 1993, tandis que l'adjectif continue apparaît de manière stable sur toutes les périodes. Les pressions pour faire ajouter les termes " dans le cadre de l'éducation permanente " au titre de la loi de 1971 sur la formation professionnelle continue ont fait long feu… Ce pourrait être le signe qu'une partie du projet a bien été largement détournée au fil des ans et que le champ de la formation des adultes s'est laissé " formater " par l'histoire juridique et institutionnelle. L'expression entière formation professionnelle continue apparaît, elle, 26 fois. On la retrouve principalement (près des ¾ des emplois) dans les thèses de droit, de sciences économiques et de sociologie (et dans 4 thèses de sciences de l'éducation).

Quant à l'expression éducation des adultes (23 titres) le tiers des emplois apparaît avant 1980. Après cette date, sauf 4 exceptions, on ne trouve cette expression que dans les thèses traitant d'histoire, de situations étrangères (Brésil, Mexique, Gabon, Venezuela, Liverpool) ou de situations bien particulières : éducation de base des adultes, éducation des adultes vieillissants…

Quelques expressions apparaissent dans les titres à partir du début des années 90 : compétences, situation de travail, ressources humaines, autoformation (en sciences de l'éducation et en linguistique), apprenants (chez les économistes ! et les linguistes), tandis que le terme organisation fait un retour en force depuis 1993, après une quasi-absence depuis la fin des années 70…

Pas de trace dans les titres de validation des acquis, d'e-learning ou de formations ouvertes (Multimédia apparaissant dans 6 titres, et téléformation ou formation à distance, dans 4 titres). Mais on sait que les travaux de thèse sont faiblement réactifs et qu'il existe un temps de décalage incompressible avec l'actualité… Il faudrait consulter les titres déposés des travaux en cours pour avoir une image plus actualisée des préoccupations des chercheurs.

Une analyse lexicographique des résumés des thèses permettrait sans doute de faire apparaître d'autres tendances de fond, de confirmer ou d'infirmer certaines hypothèses, comme l'assujettissement du champ de recherche au tout-utile-emploi ou à la demande sociale immédiate. Ce pourrait être la suite de ce premier travail de débroussaillage. En attendant, nous allons tenter ici, à titre exploratoire, un autre type d'analyse, plus modeste et moins rigoureux.

Reprenant et étoffant la classification des thématiques des travaux de l'INFA (Institut National pour la formation des adultes) afin d'en faire une grille de lecture, j'ai tenté une répartition des thèses du corpus dans chacune des catégories. D'un point de vue méthodologique, cette démarche devrait par la suite être consolidée, ne serait ce que par une confrontation de l'indexation par un panel de juges.

Quatre grands thèmes ont donc été retenus :
1- l'analyse du milieu,
2- l'accompagnement, l'évaluation, l'analyse d'actions de formation,
3- l'acte de formation (centration sur le formateur ou sur le groupe),
4- l'acte d'apprendre (centration sur l'apprenant).
Chacun de ces thèmes pouvant être décliné de manière plus détaillée.

Les résultats laissent apparaître de grands déséquilibres (cf. tableau 1 et 2).

La priorité donnée à la connaissance des systèmes et à l'analyse du milieu en général ne constitue pas une réelle surprise, mais la très faible part des travaux portant sur l'acte d'apprendre ou encore sur les effets de la formation sur la personne n'est pas sans interroger. De même, la question de l'évaluation en général (celle des actions ne représente qu'une faible part de la catégorie 20) apparaît singulièrement sous-représentée. On peut encore pointer un très faible intérêt pour la question de la relation formateur/apprenant…

En les croisant avec les données précédentes, les résultats obtenus laissent apparaître de grands écarts entre les disciplines (cf. tableau 3).

Le thème 1 (analyse du milieu) est traité dans la majorité des thèses de sociologie, d'économie, de gestion et de droit et dans près de la moitié des thèses de sciences de l'éducation, tandis que le thème 4 (acte d'apprendre) est majoritairement traité en psychologie et, c'est à noter également, dans près de la moitié des thèses de linguistique.

En ce qui concerne les thèses de sciences de l'éducation, il est frappant de constater une sous-représentation de certains thèmes, par exemple :
- à l'intérieur du thème 1, analyse du milieu, le sous-thème analyse des systèmes et des organisations : moins d'1/5 des thèses qui traitent de ce thème sont de sciences de l'éducation (ce taux est à comparer avec le taux de 45,8 % de thèses en sciences de l'éducation dans l'ensemble du corpus),
- à l'intérieur du thème 4, acte d'apprendre, les sous-thèmes aspects cognitifs et aspects socio-affectifs de l'acte d'apprendre) sont, dans une moindre mesure, également sous-représentés (respectivement 34,8 % et 27,3% de thèses qui traitent de ce thème sont de sciences de l'éducation).
En revanche, d'autres thèmes sont sur-représentés dans les thèses de sciences de l'éducation, il s'agit :
- des effets de la formation sur la personne (63,6 % de thèses traitant de ce thème sont de sciences de l'éducation),
- de la relation formateur/apprenant (60 % sont des thèses de sciences de l'éducation),
- et surtout des pratiques et les modèles de formation, pédagogie… (71,7 % sont des thèses de sciences de l'éducation).

(Tableau 1) Thématiques explorées à travers les thèses