![]() La 6ème Biennale |
Titre : | Les marionnettes au service de l'éducation |
Auteurs : | COL Sandrine |
Texte : |
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Les comportements anti-sociaux sont parmi les problèmes les plus complexes de notre société moderne. Face à ce problème et à ses conséquences dans les milieux éducatifs, nous nous sommes penché sur les réalités de la violence à l'école ou en institution, et nous avons constaté que beaucoup de ces enfants souffrent de carences affectives précoces liées à une absence ou à des inadaptations des interactions maternelles. Suite à ce constat nous nous sommes intéressé plus spécifiquement à cette population qui présente un tableau clinique chargé de troubles du comportement, d'échec scolaire, de détresse psychosomatique. Entre misère social et misère affective, l'enfant abandonnique, cet enfant ni franchement abandonné mais non désiré, n'a pu dans son histoire bénéficier d'interactions stables et sécurisantes. Nous avons mis en évidence les conséquences des divers traumatismes subit sur le narcissisme, l'image inconsciente du corps, les identifications ainsi que l'accès à l'Oedipe non effectué chez les abandonniques, et altération du moi dans ses différents rapports avec le registre symbolique. Le non-accès au registre dipien démontre l'aspect prédipien de la problématique abandonnique. Winnicott parle alors de "déprivation" afin de définir l'existence d'un investissement de la mère pour son enfant avant de le délaisser alors qu'il était lui-même en mesure de désirer. La non-reconnaissance de son désir génère en l'occurrence une béance narcissique difficile à combler. L'édification de l'objet interne se trouve ainsi altéré et endommage par la même l'accès et le dépassement de la position dépressive, l'édification de l'espace transitionnel et par la même l'accès au registre symbolique. Malgré ses défaillances la mère demeure mythique pour l'abandonnique qui tente de préserver et d'idéaliser cette bonne expérience primaire narcissique pour préserver l'objet maternel. Les déchirures narcissiques altèrent les images internes et la culpabilité conduit le sujet à s'attribuer la cause du désinvestissement maternel d'autant qu'aucune explication ne lui est fourni. L'enfant répond alors dans l'ensemble de ses comportements au fantasme de mauvais objet. Dans de telles conditions toute tentative de restauration d'une bonne image de lui-même est vouée à l'échec et l'enfant abandonnique se réfugie dans des conduites d'échec pour soulager sa culpabilité. La blessure narcissique se manifeste en l'occurrence par une affectivité à fleur de peau et toute tentative de réparation par une simple proposition d'amour est vécu avec une extrême ambivalence et reste insuffisante pour combler son manque d'amour primitif. Ainsi l'enfant abandonnique avorte toute réponse positive à sa demande affective par peur d'une souffrance affective ultérieure plus forte encore que celle qu'il est en train de connaître. L'abandonnique oscille alors entre une quête insatiable d'amour et un rejet destiné à détruire toute relation pouvant déboucher sur un éventuel abandon et mettre en péril cette mère idéale, seule personne susceptible de le combler. Le défaut de symbolisation, auquel s'associe un manque de mentalisation, conduit l'enfant vers une symptomatologie somatique, avec selon des différences interindividuelles, insuffisance staturo-pondérale, excitabilité, troubles du sommeil et des contrôles sphinctériens. A ces troubles somatiques s'ajoutent des troubles cognitifs à l'origine d'un échec scolaire massif en raison de l'incapacité de l'enfant à garder à l'intérieur de lui une partie de l'objet perdu et de chercher la complétude dans des actions symboliques. De plus le non-achèvement du deuil de la mère rend impossible le déplacement libidinal sur les activités scolaires. En d'autres termes, l'altération du narcissisme et de l'image du corps, résultat des trop nombreuses ruptures lui ferme l'accès aux apprentissages. Force est de constater le peu demoyen dont dispose l'enfant abandonnique pour exprimer sa souffrance. Face à cette difficulté, le jeu et plus particulièrement le jeu de marionnette nous a paru être une méthode privilégiée pour aider l'enfant à mentaliser et à verbaliser sa souffrance. C'est pourquoi l'autre scène peut être un lieu où le sujet projette son jeu intérieur. Il s'agit d'un espace transitionnel où l'enfant crée un cadre et des personnages, où il cherche sa vérité à partir et à l'aide du simulacre. C'est un espace où le sujet fait "comme si" et où il ne risque rien en s'engageant. Le jeu permet ainsi la projection des réalités pénibles vers l'extérieur. Ainsi l'activité ludique a-t-elle un pouvoir d'abréaction facilitant la transformation symbolique d'une situation déplaisante en une autre plus acceptable. Le processus de projection émane du jeu de marionnettes. Il s'agit alors d'amorcer une relation en proposant un médiateur, à partir duquel l'enfant va pouvoir parler de lui. Les images de notre monde intérieur se livrent ainsi à l'extérieur et tout devient possible, les gendarmes sont rossés, les morts ressuscitent...La marionnette exprime l'inexprimable et fait ressortir un sens qui dépasse le seule représentation manifeste, sa valeur symbolique permet de plus d'accéder plus facilement au registre de la parole. Dans la mesure où l'enfant projette les éléments de son monde intérieur sur la marionnette, celle-ci devient inévitablement le double du sujet, elle révèle sa face cachée, inconsciente, celle que personne ne perçoit mais qui pourtant coexiste avec la face consciente et visible. Double du sujet, la marionnette devient bientôt cet objet transitionnel, dans le sens d'un corps neutre contribuant à la mise en place progressive d'une relation à l'autre. Au sein d'un espace régulé, la relation transférentielle s'installe et génère la créativité à partir de laquelle le sujet prend conscience de lui-même et de ses émotions. Par ailleurs nous avons choisi d'étudier la marionnette au sein d'un groupe dans la mesure où une multiplicité des transferts évite à l'abandonnique l'enlisement d'un transfert libidinal. L'identification aux problèmes des autres membres du groupe favorise de plus la reconnaissance de ses propres difficultés. Notre étude, étalée sur deux ans à raison d'une séance hebdomadaire de deux heures, a permis d'observer très finement les comportements d'un certain nombre d'enfants. Pour ce faire, alors qu'A.Stern préconise le cloisonnement de l'atelier pour stimuler la créativité, nous nous sommes inspirés de l'uvre de S. Pain pour laquelle la clarté de la pièce évoque la sécurité et le calme et où "la lumière changeante aussi bien qu'un léger bruit de l'extérieur créent une continuité de vie." Nous avons choisi de travailler en groupe restreint, ainsi le nombre idéal de participants et de cinq à sept personnes afin qu'une dynamique de groupe puisse s'installer et qu'une meilleure observation de chacun puisse se mettre en place. Au-delà les conflits risquent d'apparaître du à une augmentation des idées et un cumul des frustrations. Ce type de groupe restreint permet à l'abandonnique de privilégier ses relations à l'autre et de ne pas s'enliser dans un grand groupe où il ne pourrait trouver sa place. Tout débordement d'anxiété, générateur d'angoisse et d'agressivité, est ainsi évité. Par ailleurs il faut veiller à un équilibre au sein du groupe et alterner des personnalités fortes avec d'autres plus inhibées afin de dynamiser les uns et de modérer les autres. Le groupe doit cependant rester fixe et homogène au niveau de l'âge et de la problématique psychique, de trop importants écarts peuvent être source de mal être et de tensions. L'adulte, quant à lui, observe davantage ce qui se déroule dans le groupe et garde toute sa disponibilité. L'espace de la marionnette de la construction à la mise en scène est un espace de liberté qui nécessite des caractéristiques spécifiques. Ainsi, il est capital pour que cette liberté puisse s'installer de laisser le sujet prendre ses marques, ce qui privilégiera le climat de confiance. En ce sens il est important de respecter la mise en place de rituels de début et de fin de séances. En début de séance ils ont pour fonction d'atténuer toute manifestation d'angoisse et d'excitation et permette à l'enfant de s'approprier plus facilement l'atelier. En fin de séance ils mettent fin au vécu de participation et permettent à l'enfant de se récupérer et de retrouver ses activités quotidiennes sans violence ni incompréhension. Le groupe a donc une durée déterminée et «doit mourir pour laisser vivre le sujet dans sa singularité ». Les corpus recueillis ont été analysés en binôme, par soucis de validité des observations, grâce à l'enregistrement vidéo. La vidéo a servi de base à notre réflexion. Elle a permis de recueillir une vue d'ensemble du groupe et d'appréhender certaines scènes qui échappent au regard (conflit, entraide). Elle permet de s'attarder sur les différentes productions d'un sujet en particulier ou du groupe dans son ensemble. La vidéo ne semble pas être un obstacle, même s'il apparaît parfois ce que Van Damme a appelé la «sidération groupale » c'est à dire une difficulté des enfants à se mobiliser. Cependant dans la plus part des cas les enfants oublient très vite la caméra qui parfois les stimule davantage dans leur mise en scène. L'atelier se déroule en différentes phases, en commençant par la construction. Celle-ci correspond au modelage de la tête, c'est une sorte de défit où le sujet doit vaincre la matière pour lui donner forme et sens. Il s'agit dès lors pour l'enfant de créer une marionnette à partir de matières informes tel que les bandes plâtrées, le papier mâché, ou encore la pâte à bois. Les matériaux sont alors choisis en fonction de leur facilité de manipulation et du bénéfice qu'ils donnent à être manipulées directement avec les mains. Quels qu'ils soient, ils permettent des expériences sensorielles où l'enfant se ressent en agissant et par la même exprime des émotions en se projetant. Comme nous l'avons mentionné, la marionnette dévoile la face inconsciente de l'individu et par la même renvoie au concept « d'image inconsciente du corps » L'image inconsciente du corps relève rappelons-le de l'histoire émotionnelle du sujet dans son sens symbolique et diffère donc de la notion de schéma corporel. Elle correspond à un lieu d'émission et de réception des émois et fonctionne comme une mémoire inconsciente, comme un «ça relationnel » avec les parents. Cette image est donc un substrat relationnel qui passe nécessairement par le corps, lieu de communication précoce et démarre ainsi de l'activité psychique précoce du nourrisson en relation. Pour Dolto, l'image inconsciente du corps rend ainsi compte des représentations précoces qui ne se révéleront que dans l'aprés coup, grâce au dessin et au modelage et de ce fait, aussi à la marionnette. Cette marionnette nous renseigne alors sur l'état d'âme dans lequel se trouve le sujet, elle n'a nul besoin de ressembler à son créateur mais sa singularité, sa dysharmonie relève bien de l'image inconsciente du corps, cette phase cachée et inconsciente. Suite à la construction vient le moment de la manipulation et du jeu scénique. Celui-ci fut très riche de signification et nous retrouvons dans les différentes des processus caractéristiques de l'abandonnisme. Nous avons donc relevé différents thèmes clé tels que les fantasmes de toute puissance, les bonnes et mauvaises images parentales, les images décoratrices ou réparatrices, ou encore la nostalgie de la mère présente notamment dans son incapacité d'un amour continu. Nous avons de même constaté que la plupart des enfants les enfants s'identifie à un personnage agressif pour attaquer mais aussi pour le rendre moins terrible. Il peuvent aussi faire des passages violents pour vaincre les dangers, comme c'est le cas de l'identification au héros. Il existe enfin le plaisir de voir chez les autres la peur qui chez soi fait honte en se transformant en sa cause. Ainsi le choix du personnage ne peut se comprendre qu'en fonction de l'histoire du sujet dans son ensemble. Si l'enfant nous dévoile comme nous venons de le présenter ses émotions et son histoire, il le fait dans un contexte particulier, dans une reconnaissance spécifique qui est celle du groupe. Comme le précise J.J.Poncelet ( ? ?) « Les groupes constituent des espaces sociaux où la violence prend parfois des formes extrêmes ». Il semble que les groupes thérapeutiques n'échappent guère à ce phénomène troublant et destabilisant. Nous en avons nous-même fait l'expérience au cours de nos ateliers. Ainsi avons-nous été troublé par l'émergence de violence lors des séances provoquant par là même le chaos, mais aussi l'impuissance des adultes à gérer cette souffrance agie Ceci étant malgré toutes ces inadaptations sociales, le groupe nécessite le respect des contraintes sociales. Il s'agit alors de s'écouter l'un l'autre, d'attendre son tour, d'observer, et de respecter les idées de chacun ainsi que leur création, leur sensation. L'ensemble de ces critère a permis à certains enfants de s'adapter aux autres par le biais de l'entraide, ou de l'identification. et de s'inscrire dans une attitude sociale. La marionnette par son mode d'expression libre permet à chacun de formuler son discours intérieur, qui sera représenté pour éviter l'acting out. Cette contribution peut nous amener a nous interroger sur le bénéfice des échanges entre les thérapeutes et les professionnels de l'éducation afin que chacun dans son champs de compétence puisse aider ses enfants à sortir du le chaos narcissique dans lequel ils se trouvent. |