![]() La 6ème Biennale |
Titre : | Crise d'identité et professionnalisation des enseignants au Québec |
Auteurs : | DESAULNIERS Marie-Paule Université du Québec à Trois-Rivières, Québec, Canada JUTRAS France, LEGAULT Georges.A. Université de Sherbrooke, Québec, CANADA |
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Le mouvement de professionnalisation des enseignants du Québec entend faire d'un ancien métier une nouvelle profession au sens social et légal du terme. Dans cette optique, la récente réforme des programmes d'enseignement du primaire et du secondaire exige des enseignants l'acquisition de nouvelles compétences amenant une modification importante de leurs rôles; leur formation initiale est repensée dans une optique professionnalisante. Ce mouvement de professionnalisation s'incrit dans le contexte très particulier de la reconnaissance d'un ordre professionnel des enseignantes et enseignants dans le cadre du système professionnel québécois. Question de recherche Notre question de recherche est la suivante: dans quelle mesure l'identité professionnelle des enseignants se construit-elle en regard de celle qui est proposée par le système professionnel québécois encadré par la loi du Code des professions ? Méthodologie et échantillonnage Pour répondre à cette question, la perception que les enseignants ont de leur pratique éducative a été investiguée par une enquête par questionnaire effectuée à l'automne 2001 auprès de 5906 d'entre eux. Le nombre total de répondants est de 2301 soit un taux de réponses de 39% avec 68,3% de femmes et 30,9% d'hommes, 16,8% enseignants de moins de 30 ans, 7,9% qui ont entre 30 et 44 ans, 38,2% de 45 à 55 ans et 6,1% de plus de 56 ans. Les enseignants du préscolaire-primaire représentent 51,7% de l'échantillon et ceux du secondaire 47,5%, répartis dans le Québec de la façon suivante; 46,8% dans Montréal et sa région, 17,7% dans Québec et sa région et 33,8% dans les autres régions du Québec. Les enseignants ont des expériences professionnelles différentes: 18,3% sont de nouveaux enseignants avec moins de 5 ans d'expérience, 45,3% ont entre 6 à 20 ans d'expérience, 35,3% ont 21 ans et plus d'expérience; ils sont francophones ou parlant courammenent le français.à 98,5%. Notre échantaillon est donc composé pour une bonne partie de femmes de moins de 30 ans ou de 45 à 55 ans venant de la région de Montréal et comptant plus de 6 années d'expérience dans l'enseignement. Nous vous présentons les données préliminaires concernant les deux questions suivantes 1-Est-ce que les personnes interrogées sont en faveur de la création d'un ordre professionnel et pourquoi? 2-Est-ce que ces personnes se comparent à des professions reconnues par l'Office des professions du Québec et si oui, lesquelles? Dans la mesure où nos données sont préliminaires, il importe de souligner que les résultats quantitatifs concernant la première question et qui vous sont présentés correspondent à l'ensemble de l'échantillon. Pour leur part, les résultats concernant la seconde question sont de nature qualitative et ne correspondent qu'à l'analyse d'une partie des questionnaires, soit ceux de 694 répondants originaires de Montréal pour le secondaire et de Québec pour le préscolaire-primaire. Ces résultats sont encore provisoires et plus indicatifs que descriptifs. Nos répondants sont-ils en faveur de la création d'un ordre professionnel des enseignants et pourquoi? En ce qui concerne la création d'un ordre professionnel des enseignants, les répondants sont à 70% en faveur de sa création. Les raisons qu'ont donné les répondants, classées par ordre décroissant d'importance, sont les suivantes: la valorisation de la profession enseignante (81%), la reconnaissance (67.7%), l'accès à une formation continue (44,6%), la responsabilité professionnelle (39,2 %), l'évaluation par les pairs (25,2%), l'autonomie (22,3 %) et le contrôle de la pratique opérée par l'ordre (14,4%). Dans les autres raisons évoquées, quelques répondants indiquent l'éthique professionnelle et la déontologie (n=4) mais les raisons «autres» n'apportent pas, pour le moment, de contenu significatif. Nos répondantes et répondants se comparent-ils aux professions reconnues par l'Office des professions du Québec, si oui lesquelles? Une section de ce questionnaire demandait aux enseignants de comparer leur pratique à celle d'une autre profession reconnue, en indiquant la profession reconnue qui leur paraîssait la plus proche de leur pratique et celle qui leur en paraîssait la plus éloignée. Les répondants pouvant indiquer plusieurs professions: 66,06% des répondants de l'échantillon ont mentionné des professions et 58,45% des répondants ont mentionné des métiers. Au total, 83,62% des répondants s'identifient par comparaison soit à un métier, soit à une profession. Les sept (7) professions considérées comme les plus rapprochées de l'enseignement ont été mentionnées par 58,45 % des répondants; ce sont, en ordre décroissant: les psychologues (44,5% ), les infirmières et infirmiers (24%), les médecins (16,3%), les travailleurs sociaux (13,4%), les psychoéducateurs (7.9%), les avocats (4,3%) et les conseillers d'orientation (3,2%). Par contre les sept (7) professions considérées par les répondants comme les plus éloignées de la pratique enseignante ont été mentionnées par 33, 20% des répondants et sont, par ordre décroissant: les comptables agrées (33%), les avocats (23,7%), les ingénieurs (16,8), les médecins (10,6%), les notaires (7.9%) les dentistes (5%) et les architectes (3,5%) . En ce qui concerne les métiers, 59, 32% des répondants les ont mentionnés: 33,33% ont indiqué les métiers rapprochés et 47,89% ont mentionné les métiers les plus éloignés de leur pratique. Les caractéristiques que les répondants attribuent aux métiers et ne reconnaissent pas pour eux-mêmes comme enseignants sont essentiellement la routine, le manque d'engagement, le temps limité de travail et le travail supplémentaire rémunéré. Si l'on considère exclusivement les professions mentionnées qui sont reconnues par l'Office des professions, ce sont alors les psychologues qui viennent en premier rang (40,3%), puis les infirmières (22,4 %), les médecins (19,8%), les avocats (15,75), les comptables agrées (16,8%), les travailleurs sociaux (12%) et les ingénieurs (10,7%). .Pour savoir si les réponses des enseignants correspondent au sens légal d'une profession telle que reconnue par la loi et gérée par l'Office des professions, il importe de rappeler les critères relatifs à la reconnaissance d'un ordre professionnel de l'article 25 du Code des professions. Le premier critère concerne les connaissances spécialisées qui sont celles de tout professionnel. Le deuxième critère précise l'autonomie et le jugement professionnel. Le troisième critère établit la relation professionnelle comme une relation de confiance. Le quatrième critère précise la gravité des préjudices et dommages possibles et le cinquième porte sur la confidentialité. Eléments d'interprétation A la lecture de ces résultats, une première remarque s'impose; la distinction entre métier et profession ne semble pas claire aux enseignants puisque lorsqu'on leur demande d'indiquer une profession connexe, ils sont seulement un peu plus nombreux à se référer à une profession qu'à un métier. D'autre part, la notion de profession reconnue semble, elle aussi, floue pour une grande partie des enseignants. La reconnaissance sociale d'une profession ne semble pas distinguée de sa reconnaissance légale. L'aspect légal d'une profession, sa règlementation par un ordre professionnel, ses caractéristiques délimitées par le législateur; tous ces éléments ne semblent pas avoir présidé aux choix des réponses obtenues. Pourtant le mouvement de professionnalisation tend à distinguer nettement une approche technique de l'enseignement d'une approche professionnelle et le débat sur la création d'un ordre professionnel des enseignants est autant social que légal et politique. D'autre part, les professions indiquées comme étant les plus proches de l'enseignement sont toutes liés à la relation d'aide, aux soins de la personne. Cette insistance sur l'aspect relationnel de l'enseignement et sur lafonction d'aide de l'enseignant vont dans le sens de la réforme québécoise des programmes d'enseignement et des programmes de formation des maîtres qui considère l'enseignant comme un intervenant qui aide au développement des compétences. D'une façon surprenante de prime abord, les répondants ont indiqué les professions de médecin et d'avocat à la fois comme des professions proches et des professions éloignées de leur pratique. Les raisons évoquées par les répondants correspondent à certains critères légaux de reconnaissance des professions comme l'exigence de connaissances spécialisées car «tout comme le médecin, notre travail exige une mise à jour continue des connaissances et des moyens face aux nombreux programmes proposés et aux budgets sans cesse réduits», et le jugement professionnel nécessaire pour «poser un diagnostic» et «prescrire à chacun ce qu'il doit faire pour régler ses faiblesses». Par contre, la profession médicale est considérée par certains répondants comme une profession éloignée de l'enseignement parce qu'elle est valorisée et reconnue et parce que la relation médecin-patient est individuelle et peu centrée sur l'affectivité. Les comparaisons fréquentes avec les psychologues mettent de l'avant la nécessité d'évaluer de façon individualisée, de faire preuve d'écoute, de s'adapter, de manifester un degré élevé d'autonomie professionnelle mais surtout d'établir une relation de confiance. Cependant la relation d'aide est davantage évoquée par les répondants que la relation de confiance. La gravité des préjudices qu'un enseignant pourrait occasionner est évoquée de façon imagée, parfois dramatique en indiquant des «cicatrices» ou des «blessures» en ce qui concerne à la fois la santé physique et la santé mentale des élèves. L'obligation de rendre des comptes est aussi présente dans les réponses des enseignants. Cependant, nous avons remarqué qu'aucun répondant n'a fait référence au critère de la confidentialité. Quelles seraient nos conclusions provisoires? Nous avons obtenu un bon taux de réponses malgré un contexte politique difficile, ce qui démontre un intérêt des enseignants pour la question de leur identité professionnelle. Nous pouvons remarquer un écart entre leur représentation de la pratique enseignante et les critères de reconnaissance d'un agir professionnel, une identification avec les professions centrées sur la relation d'aide et parfois une double identification négative et positive à la même profession reconnue (médecins et notaires) alors que l'identification aux professions relatives à la santé physique ou mentale est toujours positive. Une formation professionnalisante qui tiendrait compte de l'identité professionnelle actuelle des enseignants pourrait insister sur des éléments qui n'ont pas été indiqués par les enseignants comme relevant de leur pratique mais qui constituent des éléments d'une profession dans le systéme légal des professions, comme les valeurs professionnelles, la mission sociale des enseignants et l'éthique professionnelle. Annexe: liste des 50 professions reconnues par l'office des professions du Québec 1. acupuncteurs 2. administrateurs agréés 3. agronomes 4. architectes 5. arpenteurs-géométres 6. audiologistes 7. audioprothésistes 8. avocats 9. chimistes 10. chiropraticiens 11. comptables agréés 12. comptables en management accrédités 13. comptables généraux licenciés 14. conseillers en relations industrielles agréés 15. conseillers en ressources humaines 16. conseillers et conseilléres d'orientation 17. dentistes 18. denturologistes 19. diététistes 20. ergothérapeutes 21. évaluateurs agréés 22. géologues 23. huissiers de justice 24. hygiénistes dentaires 25. infirmiers et infirmiéres 26. infirmiers et infirmiéres auxiliaires 27. ingénieurs 28. ingénieurs forestiers 29. inhalothérapeutes 30. interprétes 31. médecins 32. médecins vétérinaires 33. notaires 34. opticiens d'ordonnances 35. optométristes 36. orthophonistes 37. pharmaciens 38. physiothérapeutes 39. podiatres 40. psychoéducateurs et psychoéducatrices 41. psychologues 42. sages-femmes 43. techniciens et techniciennes dentaires 44. technologistes médicaux 45. technologues en radiologie 46. technologues professionnels 47. terminologues 48. traducteurs 49. travailleurs sociaux 50. urbanistes |