![]() La 6ème Biennale |
Titre : | La formation des enseignants dans la Revue française de pédagogie, évolution d'une thématique |
Auteurs : | BOUTHORS Mathilde |
Texte : |
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Réalisée dans le cadre d'une thèse en cours sous la direction de Jacky Beillerot, cette communication a pour objectif de faire ressortir en quoi la Revue française de pédagogie a exprimé l'évolution de la thématique de la formation des enseignants pendant une trentaine d'années depuis sa création en 1967 à 1999. Le choix de la Revue française de pédagogie se justifie dans la mesure où les résultats de l'enquête nationale sur les revues de référence en sciences humaines et sociales ont montré que la communauté des Sciences de l'éducation reconnaît la RFP comme première revue de référence . Par ailleurs elle est référencée dans l'enquête sur les revues de référence de sociologie comme "revue n'étant pas au cur de la discipline mais publiant des articles de sociologie" et dans le répertoire des revues de référence élaboré par la Société française de psychologie . On peut donc penser que la Revue française de pédagogie, revue généraliste, est le passeur d'une expression importante du milieu de la recherche en éducation sur l'évolution de la formation des enseignants. Il est donc intéressant d'observer la thématique de la formation et plus spécifiquement de la formation des enseignants dans la Revue. Cette étude s'effectue à partir d'une analyse lexicale des titres puis du retour aux contextes et aux textes dans les différentes rubriques. On fait en effet l'hypothèse que les titres se situent à la jonction entre la désignation d'un objet et d'une thématique . L'analyse a été effectuée au moyen du logiciel Lexico, logiciel d'analyse lexicale. Le corpus compte 2265 titres répartis entre les quatre rubriques de la RFP : Articles, Note de synthèse, Carrefour Chercheurs -Praticiens, Notes critiques. Les titres des Notes Critiques ont la particularité d'être les titres des ouvrages dont il est rendu compte dans les normes universitaires de la raison critique. Ils appartiennent donc à l'environnement de la Revue mais ne font pas moins partie intégrante de son univers dans la mesure où les Notes critiques constituent un corpus original de questionnement sur ces publications. C'est pourquoi, ils méritent d'être intégrés dans l'ensemble des titres et d'être également examinés. La périodisation se fait par année et également en trois périodes: 1967-1977 ; 1978-1988 ; 1989-1999. L'étude s'arrête dans un souci de cohérence au dernier numéro de la Revue de l'année 1999, date à partir de laquelle un nouveau rédacteur en chef fut chargé de la revue. L'analyse de Lexico fait ressortir que le terme "formation" arrive au 4° rang des mots pleins de l'ensemble du corpus des titres de la RFP avec un indice de fréquence de 135. Le terme est précédé par éducation, école et enseignement mais il arrive avant pédagogie. L'importance du terme varie selon les rubriques. On dénombre 57 occurrences de formation dans les Articles, qui se situe ici au 4° rang des mots pleins pour 760 titres ; dans les Notes critiques, formation figure 65 fois pour environ 1395 titres et arrive au cinquième rang des mots pleins de cette rubrique contrairement aux résultats du corpus global. En effet, formation est ici devancée par pédagogie. Quant à son utilisation dans les 89 titres des Notes de synthèse, la notion apparaît onze fois et se situe au deuxième rang, après éducation. En outre, avec 6 occurrences dans les 20 titres de Carrefour Chercheurs - Praticiens, rubrique éphémère de la RFP, il apparaît que formation y a un emploi spécifique. Par ailleurs, l'observation des proximités lexicales de formation fait apparaître que sur 135 occurrences, "la formation initiale ou continue des enseignants, la formation des maîtres", concernent plus de 55 occurrences. En effet, la formation ne concerne pas que les enseignants. Elle peut concerner également la formation des adultes, la formation professionnelle, la formation de l'élève et la formation au sens de système d'éducation et de formation. Autour de la thématique de la formation des enseignants, les 10 occurrences de "profession" concernent les enseignants terme attesté en 1976, 1989-90, 1994 et 1998. Enfin, "professionnalisation" comporte 3 occurrences et paraît seulement dans la troisième période. De la formation des maîtres à la formation des enseignants Une première approche du corpus a consisté à analyser l'emploi du syntagme "formation des enseignants" et de le comparer avec celui de "formation des maîtres" En effet, la première période (1967-1977) se situe dans l'aura du colloque d'Amiens dont le titre des Actes, dans la Note critique de Guy Avanzini est emblématique de la position du problème : Pour une école nouvelle : formation des maîtres et recherche en éducation, actes du colloque d'Amiens, n°10, 1970. La formation des maîtres y est abordée explicitement dans sa relation à la recherche en éducation, ce qui est une façon nouvelle d'aborder cette question. Or, dans le corpus global, le syntagme "formation des enseignants" est attesté 18 fois et celui de formation des maîtres 12 fois. De plus, formation des maîtres apparaît dans les Articles (9 occurrences) et dans les Notes critiques (3 occurrences) seulement. Si la formulation "formation des enseignants" est absente des Carrefours chercheurs - praticiens au même titre que "formation des maîtres", elle figure en revanche, outre dans les Notes critiques (6 occurrences) et dans les Articles (9 occurrences), 3 fois dans les Notes de synthèse, alors que "formation des maîtres" n'apparaît pas dans cette dernière rubrique. Dans la mesure où on a posé par ailleurs que les Notes de synthèse représentent l'armature épistémologique de la RFP, on pouvait émettre l'hypothèse, dans une perspective évolutive, que la "formation des enseignants" désigne à la fois la formation des enseignants du secondaire, préoccupation plus récente et concomitante des questionnements de la recherche, et la formation des enseignants du primaire, et tend ainsi à remplacer l'emploi de "formation des maîtres", limitée au primaire. Dans ce sens, on a repéré entre 1971 et 1977, dans les Notes critiques, la formulation "formation d'enseignements", n° 16, 1971, "formation des professeurs", n° 35, 1976, ce qui signifie que la formation concerne le second degré. Cependant, ces deux formulations séparent le second degré du premier et peuvent être considéré comme des tâtonnements linguistiques pour désigner une nouvelle réalité. La formulation "formation des enseignants" semble donc s'imposer en désignant globalement les enseignants. Cependant, si l'assimilation des enseignants du premier et du deuxième degrés dans la formulation "formation des enseignants" est confirmé par l'analyse qui va suivre, le rythme de l'emploi des deux syntagmes diffère totalement de l'hypothèse de départ et n'est pas équivalent selon les rubriques. En effet, dans les Articles l'emploi de "formation des enseignants" connaît un pic au début de la première période entre 1967 et 1971 et au début de la deuxième entre 1979 et 1981, puis en 1983, pour disparaître jusqu'en 1999 où il est utilisé 1 fois. Quant à la "formation des maîtres", elle encadre la première période au début et à la fin pour réapparaître en 1983 et en 1985. Lors de la troisième période, on retrouve le syntagme en 1992, 1993 et en 1997. Son emploi est donc réparti de façon plus régulière sur l'ensemble du corpus. On assiste au même phénomène dans les Notes critiques où "formation des enseignants" attesté à la fin de la première période et au début de la deuxième, réapparaît en 1985 avant de disparaître définitivement sous la forme du syntagme figé tandis que les 4 occurrences de "formation des maîtres" sont réparties sur l'ensemble du corpus (1970, 1973, 1989, 1999). Quant aux Notes de synthèse, "formation des enseignants" y est attesté en 1980 et 1981. On constate ainsi une montée en puissance du syntagme "formation des enseignants" dans la deuxième période dans l'ensemble des rubriques où figure le syntagme qui est renforcé à l'inverse par un numéro thématique intitulé "Les enseignants et leur formation", n° 75, 1986. Le syntagme "formation des maîtres" quant à lui connaît un emploi plus restreint, certes, mais plus diffus sur les trois périodes. Quant à la troisième période, elle voit apparaître le terme "professionnalisation" deux fois en 1991 et 1993 dans les Notes de synthèse, et une fois en 1999 dans les articles. Cette répartition chronologique correspond à des inflexions et à des événements autour de la formation des enseignants dont on peut dégager un principe de déconstruction critique dans un premier temps puis de construction de l'objet, voire de co-construction dans la deuxième période. Avant d'avancer une tentative d'explication sur les raisons de la disparition éventuelle de "formation des enseignants" lors de la troisième période, il convient au préalable d'analyser le contenu des titres. Intégrer la formation des enseignants dans les transformations des connaissances Examinée comme on l'a vu dans la continuité du colloque d'Amiens, la formation des enseignants est d'emblée située par rapport à la recherche, (cf. supra, RFP, n° 10, 1970). André de Peretti, dans un des premiers numéros de la RFP pose dans son article "La formation des enseignants", n° 6, 1969, la problématique de la formation en la considérant non par rapport à un niveau scolaire mais par rapport à la nécessité d'intégrer les nouveaux modes de diffusion des savoirs et l'accélération du renouvellement des connaissances. Désormais, les enseignants ne sont plus les dépositaires permanents d'un savoir. Dans l'ensemble des rubriques, d'acteurs de la connaissance, les enseignants deviennent, avec leurs pratiques, objets de science, d'analyse, d'interventions, en un mot ceux qui détenaient le savoir sont perfectibles et ne se distinguent plus des maîtres du primaire. Si la psychologie du travail semble être une des disciplines les plus souvent requises à lecture des titres, à travers l'utilisation des techniques de la dynamique de groupe et des études comportementales, l'approche de la formation se fait sous l'angle de l'observation et des méthodes des sciences de la nature. L'audiovisuel est durant cette période le moyen privilégié pour introduire l'innovation. Epistémologique, technique, pratique, le regard est prégnant durant cette période. André de Peretti quant à lui invoque la communication comme discipline déterminante à développer sur les questions de la formation. La référence aux sciences de la communication, est cependant rarement reprise dans l'ensemble de la RFP si ce n'est dans les 2 synthèses qui vont être évoquées plus bas. Emergence et construction d'un nouveau modèle Deux ouvrages fondamentaux ouvrent la deuxième période dans les Notes critiques, Fonction et formation des enseignants, le tome 7 du Traité des sciences pédagogiques de Maurice Debesse et Gaston Mialaret et le rapport d'André de Peretti, La formation des personnels de l'Éducation nationale. Parallèlement, le problème de la formation et de la formation continue des enseignants est posé dans une perspectives comparative dans les Notes de synthèse au début des années 1980. Dans la synthèse de Pierre Laderrière à partir d'une étude de l'OCDE : "Tendances dans le domaine de la formation des enseignants, n° 53, 1980, et Tendances dans le domaine de la formation des enseignants : la formation en cours de service, n° 55, 1981, l'auteur décrit les tendances de la formation des enseignants centrée sur la notion de compétence dont il critique les aspects mécanistes. Il distingue deux sciences connexes aux sciences de l'éducation, les sciences de la communication à l'instar d'André de Peretti et les sciences de la gestion. La réflexion collective des Articles de la RFP se situe dans un premier temps sous l'éclairage de ce qui se fait à l'étranger. Qu'ils contiennent le syntagme "formation des enseignants", ou que celui-ci soit entrecoupé d'un adjectif, les titres des Articles se rapportant à la formation des enseignants ouvrent la deuxième période sur des études provenant d'autres lieux ou d'autres champs destinés à alimenter la réflexion. Il s'agit d'études relatives au systèmes de formation des enseignants à l'étranger, "le Portugal, l'Angleterre". Figurent également des études venant du champ de la formation des adultes comme Problématiques et pratiques de l'éducation des adultes : quelques points de repère pour la formation des enseignants, Gilles Ferry, n° 50, 1980, destinées à ensemencer le nouveau champ qu'est celui de la formation des enseignants. En outre, deux numéros spéciaux, le n° 61, 1982, et le n° 7, 1986, sont centrés sur la question de la formation. La formation des enseignants est abordée en creux dans le numéro 61, Nouveaux modes de formation. Le parti est pris ici de détailler les autres lieux de formation. Non seulement les enseignants ne sont plus les dépositaires permanents de la connaissance, mais d'autres qu'eux le sont également. Quatre articles détaillent ainsi les contextes professionnels, l'alternance, et la muséologie comme autant de procès de formation. Comme en réponse à ce constat vient en écho le numéro 75, 1986, Les Enseignants et leur formation, dont les différents articles vont décliner les différentes approches possibles et leur arrière-plan épistémologique pour construire une nouveau modèle dans le cadre de l'innovation. Sont convoquées la systémique, la psychologie, l'ethnologie, l'histoire et la psychanalyse. Outre l'aspect épistémologique, les pratiques de la formation sont également traitées dans la RFP. Certains titres sont en effet centrés plus spécifiquement sur les techniques de formation dans la continuité de la première période comme la formation à l'audiovisuel mais aussi "les limites de l'autoscopie", "la formation par les techniques d'observation". Quant à la relation entre la formation et l'évaluation elle est signalée dans des titres spécifiques au second degré et au supérieur. Le thème de la formation continue est abordé dans la continuité de la formation, comme on l'a vu dans la synthèse de l'OCDE. Le syntagme "formation permanente" laisse la place à la "formation continue" entre la première et la deuxième période. L'approche y est essentiellement psychologique à travers les techniques de groupe ou l'étude des comportements. Lorsque formation des maîtres est utilisé lors de cette période, il est abordé dans une perspective historique et relié à la laïcité. Par ailleurs, lorsque les différents degrés sont traités dans leur spécificité, on peut rencontrer des formulations comme "formation des enseignants du second degré", "formation des professeurs des écoles" La formation des enseignants et la recherche : une co-construction La rubrique Carrefour Chercheurs-Praticiens a la particularité de n'avoir paru qu'au cours de la deuxième période. Des 20 titres de Carrefour Chercheurs-Praticiens, 6 contiennent le terme formation, 2 le terme formateurs. Ils ont l'originalité d'avoir tous partie liée avec la recherche. Ces huit articles dénotent une forte volonté d'articuler la recherche à la pratique, et de réfléchir aux conditions non pas tant du transfert de la recherche, terme ambigu, mais de son appropriation par les praticiens à travers la formation. Axée sur la relation chercheur-praticien, la production d'outils de formation s'effectue dans un dialogue entre les deux parties, y compris dans l'acte d'enseigner. A l'inverse, le chercheur est éclairé par le praticien. La réciprocité de la relation est explicite comme dans le titre de l'article de Christine Barré de Miniac : Chercheurs et praticiens : construire ensemble des instruments de formation à la pédagogie différenciée, n°65, 1983 ou induite dans le titre de Jean?Pierre Astolfi, Produire des connaissances didactiques fiables et/ou des outils de formation, 69, 1984. Ainsi la recherche est requise pour fournir des outils de formation dans une sorte de continuum avec les praticiens. Quant à la formation à la recherche, les titres formulent une série de questionnements tendant vers son intégration dans la formation des enseignants et donnant lieu à des expérimentations pour aboutir à la notion de formation-recherche. Ainsi la recherche est un processus de réflexion et d'action aussi bien pour la formation continue que pour la formation initiale. De la formation des enseignants à la professionnalisation Alors que le syntagme "formation des enseignants" disparaît quasiment des titres de la RFP, le terme "professionnalisation" apparaît au début de la troisième période dans les Notes de synthèse. Dix ans après celles de l'OCDE, et au moment de la création des IUFM, dans "La professionnalisation des enseignants : analyses sociologiques anglaises et américaines, La fascination des professions", n°94, 1991, et la Professionnalisation des enseignants : les limites d'un mythe, n° 105, 1993, Raymond Bourdoncle analyse les courants de la sociologie des professions. Alors que cet aspect de la sociologie est développé avant tout dans les pays anglo-saxons, la notion est récente en France, surtout lorsqu'elle s'applique aux enseignants. Elle remet en effet en cause la représentation de l'enseignant comme clerc pour en faire un professionnel dans le cadre d'un champ de compétences bien définies, à l'instar des autres professions. Le thème de la "professionnalisation" revient dans un article de 1999, n°127, à propos de la professionnalisation des documentalistes. Lorsque la formation des enseignants est abordée lors de cette période, il s'agit de leur "formation professionnelle" tandis que le terme "profession" est attesté avec le terme enseignant à la fin de cette période. Une Note de synthèse n° 123, 125, de 1998 situe quant à elle la "formation des enseignants" dans le cadre de l'interdisciplinarité. Conclusion en forme d'hypothèses Pour s'essayer à une tentative d'explication sur la quasi disparition du syntagme "formation des enseignants" lors de la troisième période, tandis que "formation des maîtres" bien que peu employé, conserve un usage régulier, plusieurs hypothèses peuvent être proposées, complémentaires les unes des autres. Au plan conjoncturel, et c'est sans doute une des raisons également de la disparition de la rubrique Carrefour Chercheurs-Praticiens, la recherche sur la formation des enseignants est devenue un domaine assez important pour rendre nécessaire la création d'une revue spécifique "Recherche et formation", créée en 1987. Les articles relevant de la recherche en ce domaine, qu'il s'agisse des pratiques ou de la rencontre entre les praticiens et les chercheurs sont désormais destinés à cette revue dont la fonction est de strucurer le nouveau domaine face aux institutions. La construction de la formation et la co-construction formation recherche n'a plus lieu de tenir une telle place dans la RFP. En cela, la RFP a une fonction de révélateur de champ et une fonction de modèle de diffusion de la recherche. Un deuxième événement est la création des Instituts universitaires de formation des maîtres, dont l'emploi de l'intitulé introduit forcément le mot maîtres d'un point de vue formel. Mais d'un point de vue signifiant, son emploi n'est pas neutre. Il atteste que, désormais, ce qui relève du scolaire, primaire ou secondaire, peut être désigné par le terme "maître". L'enseignant du secondaire, professionnalisé, ne professe plus, c'est à dire que la parole n'est plus le primat de son office ; parallèlement, l'instituteur devenu professeur des écoles accède au monde savant. La troisième hypothèse est que la formation des enseignants se dilue dans le continuum des professions de l'éducation, de la formation, et des professions en général, chaque profession ayant un savoir à transmettre. L'ouverture des lieux de formation décrite dans le n° 61 de 1982, Nouveaux modes de formation, annonce cette évolution. Au plan chronologique, le continuum concerne la formation tout au long de la vie. Ainsi, dans la société de la connaissance, la circulation des savoirs tend à redéfinir les frontières des différents espaces et acteurs de formation dans un mouvement incessant. Une étude de l'emploi de formation et de ses contextes permettra de vérifier cette hypothèse. |