La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Quel sens les savoirs de la pratique donnent-ils à la formation ?


Titre : Le directeur d'école, un chef d'équipe ?
Auteurs : DUCHAUFFOUR Hervé

Texte :
Depuis de nombreuses années, les directeurs d'école primaire font état de leur malaise dans la profession réclamant de nouveaux moyens en fonction de leurs nouvelles charges de travail. Pour essayer de comprendre cette réalité, poser un regard sur le contexte institutionnel, sur les conditions d'exercice ainsi que sur la manière dont un certain nombre d'entre eux vivent au quotidien la pratique de leur fonction, s'est avéré nécessaire. Ainsi, les textes officiels et des entretiens avec une soixantaine de directeurs ont constitué le corpus dont l'analyse a permis de tirer ces réflexions, rapportées ici sur le point précis de l'animation d'équipe.

De quelle équipe parle-t-on ?
Parmi les missions confiées aux directeurs d'école primaire, celle d'animer l'équipe pédagogique apparaît en son article 3 du décret qui définit ses fonctions : "Le directeur d'école assure la coordination nécessaire entre les maîtres et anime l'équipe pédagogique". Cette mission est précisée, d'autre part, dans une série d'instructions officielles parues depuis 1990 où le directeur apparaît comme personnage central. Animer l'équipe signifie de principe l'existence d'équipes pédagogiques. L'organisation de l'école en cycles ou en encore le développement de partenariats (classes à parcours culturel…) engagent chacun à travailler avec l'autre. Des mesures ont accompagné cette demande : la création des conseils de cycle comme instance de réflexion de régulation, en est une. Malgré cela, le travail d'équipe ne semble pas vivace et est régulièrement mis en doute (MARTY 1997 , PAIR …). Les propos des directeurs sur le projet d'école confirment cette suspicion : le projet est vécu comme un pensum car il est encore souvent le fruit de leur seul travail.

La raison principale de cette existence virtuelle semble reposer sur la constitution même de l'équipe. Il existe un malentendu certain sur la genèse de l'équipe. Les textes officiels instituent l'ensemble des maîtres d'une même école ou de mêmes cycles (le cycle deux comporte des maîtres de grande section de maternelle et les maîtres de CP et CE1, donc souvent d'écoles différentes) comme équipe. Celle-ci est première. Mais, la lecture attentive des psychosociologues qui se sont intéressés aux phénomènes de groupes montre qu'un groupe d'individus (ici, les maîtres nommés dans une école) pour devenir une équipe doit répondre à un certain nombre de critères. L'équipe ne précède pas le groupe, elle en est l'émanation.

LAFON (1962) a défini l'équipe comme un ensemble de personnes travaillant dans le même sens. Cette première définition, guère suffisante pour être opérationnelle, a été retravaillée par MUCCHIELLI (1996) qui propose de définir l'équipe comme un "groupe primaire" (COOLEY ) incluant la dimension "action". Ainsi, au-delà de la connaissance de tous par chacun, de la qualité du lien interpersonnel, de l'engagement personnel, de la cohésion, de l'intentionnalité commune vers un but collectif consenti et désiré, de l'acceptation des contraintes et du respect de l'organisation -c'est-à-dire des caractéristiques censées fonder l'équipe (MUCHIELLI)-, la synergie de tous ces éléments pour donner naissance à une équipe ne peut être tangible que si le but que s'est assigné le groupe est suivi d'actions efficientes. L'équipe n'existe que si sa communauté s'attelle à une tâche. L'action, telle qu'elle est définie par MUCCHIELLI, est l'action de l'équipe et exclus donc la définition d'un travail de groupe ; le travail de groupe étant déterminé par "une structure à l'intérieur de laquelle se trouvent réunis des travailleurs de même profession, et où chacun réalise de la même façon le même travail" alors qu'un travail d'équipe est défini par "la multidisciplinarité" (JACOBSON, MONELLO, 1970) . Dans ces conditions, l'équipe dans l'école peut-elle exister ? Les maîtres du premier degré sont recrutés sur la base de la polyvalence et non de la disciplinarité. Cependant, avec le recrutement après la licence, ce sont des maîtres avec des parcours divers qui entrent dans le système et il s'agirait aujourd'hui d'en tirer toute la richesse. Plus indiciblement, le travail en équipe semble voir le jour dans les situations de partenariats avec l'extérieur où les compétences recherchées sont celles que ne possèdent pas les membres de l'équipe d'enseignants.

Pour comprendre la difficulté d'instituer une équipe, un autre élément de définition est aussi à prendre en compte, il s'agit des distinctions entre "groupes orientés vers le groupe" et "groupes orientés vers la tâche" (ARGYRIS , BION ). En effet, l'équipe telle qu'elle est définie répond à une double contrainte : celle d'un groupe qui est autant centré sur lui-même (les conditions de son fonctionnement, les relations internes) que sur la tâche en opposition aux "groupes centrés sur le groupe" ou aux "groupes centrés sur la tâche". Dans ces conditions, il s'agit de trouver un point d'équilibre entre plusieurs positions possibles.

Fonder une équipe : les entraves
Les notions d'équipe et de travail en équipe rapportées au contexte de l'école laissent entrevoir les difficultés de leur existence. Le directeur au centre de ce processus doit faire face à des écueils.
Le principal est que l'équipe n'existe pas en soi. Il doit mettre en œuvre les conditions de son existence, et ensuite celles pour qu'elle vive.
Travailler en équipe, c'est travailler sur la complémentarité, cela implique pour le directeur de recenser les compétences spécifiques de chacun de ses collègues pour que tous puissent trouver leur place au sein de l'équipe.
A la base, les enseignants ne se choisissent pas et choisissent ce métier plus pour son individualisme que pour son caractère collectif. Il lui faudra créer le climat qui permettra des affinités, "des relations interpersonnelles".
Il lui faudra créer le consensus autour d'objectifs communs (à supposer déjà que tous les enseignants aient intégré les buts assignés à l'école explicités dans la Loi d'orientation de 1989 et autres textes officiels).
Il lui faudra aussi mettre en œuvre les conditions mobilisatrices pour que tous soient en condition d'atteindre les objectifs fixés.
Ce sera à lui aussi de trouver le point d'équilibre du groupe pour que celui-ci fonctionne en équipe et ne soit ni trop centré sur lui-même, ni trop centré sur la tâche.
Et peut-être aussi à lutter contre les habitudes institutionnelles, comme les inspections individuelles. A ce jour, peu d'inspecteurs (IEN) pratiquent les inspections d'équipe et par la même laissent planer le doute, non pas sur l'existence des équipes mais sur leur bien-fondé 'idéologique'. MARTY (1997) le souligne, le travail en équipe n'est pas encouragé et elle voit dans cette réticence une volonté délibérée. Elle se demande si face à une équipe soudée, l'IEN n'aurait pas moins de poids que face à des individus isolés. L'équipe serait vécue comme un danger pour l'inspecteur.

Qui mène l'équipe et comment ?
Tous les travaux menés sur le travail en équipe renvoient à son organisation et à la place particulière de ses membres. La nature de la tâche induit un type d'organisation de l'équipe (FAUCHEUX, MOSCOVICI, 1960 ). Il y a une relation univoque entre la nature de la tâche et la structure. Un travail commun synchronisé selon des règles, engendrant et nécessitant une communication entre tous les membres aboutira à une structure centralisée réclamant à sa tête un leader. Des tâches originales produites par ses divers membres, allant dans des directions différentes et dont la mise en commun sera le point final aboutiront plutôt à une structure non-centralisées (MUCCHIELLI). L'équipe d'une école s'inscrit dans le schéma d'une structure centralisée en ce qu'elle répond à des critères précis et des attentes spécifiques qui au départ n'émanent pas d'elle. Pour fonctionner l'équipe a donc besoin d'un leader, d'un chef, quel que soit le nom qu'on lui donne d'une personne qui représente l'unité du groupe, le symbolise et régule son action : "le besoin de chef apparaît dès qu'il y a conscience d'une action commune. Il symbolise l'existence du groupe. Il permet au groupe d'exister. Son rôle n'est pas discuté" (HUGONNIER). De fait pour fonctionner, elle ne peut souffrir le bicéphalisme. C'est une figure charismatique émanant du groupe qui tient ce rôle : "celui qui sera reconnu comme tel par les membres du groupe" (JARDILLIER, 1971) . Nouvel écueil à surmonter en ce qui concerne l'équipe pédagogique, elle ne choisit pas son représentant, l'institution le nomme. Cela suppose que le directeur devra être assez habile pour qu'au-delà de sa fonction et grâce à son action, il soit reconnu comme le leader incontesté de l'équipe. Cela signifie que son autorité sera reconnue en rapport à sa manière d'habiter son rôle et non pas à cause de son statut.

Mais qu'attend-on d'un chef d'équipe ? Pour HUGONNIER le chef est celui qui "représente le groupe à l'intérieur et à l'extérieur ; il est le gardien des objectifs, assure la convergence des efforts, assume les risques, lève les obstacles, organise, fait régner l'ordre et les règles qui assurent la vie du groupe, tranches les différents qui peuvent surgir". Il évacue l'idée de sanction vis-à-vis des équipiers (MUCCHIELLI) et la remplace par un pouvoir de décision permettant de trancher quand un différent surgit. Pour lui, le pouvoir de sanction n'a pas de sens. Si les membres du groupe adhèrent à l'esprit de l'équipe, le repérage et l'analyse des erreurs (la régulation) sont le moyen de les réparer. Ce point semble fondamental car il révèle l'état d'esprit sur lequel se fonde l'équipe et sur ce qu'on autorise ou non à son représentant. C'est le signe aussi que c'est l'équipe elle-même qui a défini son mode de fonctionnement en dehors de toute autre instance. Cela s'inscrit dans l'idée d'une structure liée aux objectifs. Concrètement, il s'agit de variations pratiques qui sont générées suivant le type de situation.

Pour préciser cette définition de chef d'équipe, MUCCHIELLI a exposé une série de tâches qui lui incombent et de toute évidence les missions exposées par le texte sur la fonction de directeur d'école n'en sont pas éloignées. On y retrouve l'aspect représentation : "il préside le conseil des maîtres et le conseil d'école…il représente l'institution… est l'interlocuteur des autorités locales…il prend part aux actions destinées à assurer la continuité de la formation des élèves entre l'école maternelle et l'école élémentaire et entre l'école et le collège" ; l'aspect convergence et coordination : "il assume la coordination nécessaire entre les maîtres' ; l'aspect organisateur : 'il répartit les moyens d'enseignement… il arrête le service des instituteurs, fixe les modalités d'utilisation des locaux scolaires… il organise le travail des personnels communaux… il organise les élections des délégués des parents d'élèves" ; l'aspect facilitateur : "il aide au bon déroulement des enseignements" ; l'aspect mobilisateur : "en suscitant au sein de l'équipe pédagogique toutes initiatives destinées à améliorer l'efficacité de l'enseignement" ; l'aspect régulateur et d'autorité : "il prend toute disposition utile pour que l'école assure sa fonction de service public…il aide au bon déroulement… dans le cadre de la réglementation" ; l'aspect communicateur : "il veille à la diffusion auprès des maîtres de l'école des instructions et programmes officiels". Hormis le pouvoir de sanction qui relève institutionnellement de l'IEN, voilà en d'autres termes les missions définies d'un chef d'équipe. Le directeur n'usurperait pas ce titre s'il le revendiquait. A cela, il faut ajouter une autre mission déjà évoquée, indispensable, et qui n'apparaît pas dans le texte, c'est fédérer le groupe d'individus réunis institutionnellement pour que celui-ci devienne une équipe. Ce n'est pas la moindre des missions pour les raisons déjà entrevues (indépendance du corps enseignant, culture individualiste…).

Pourquoi pas "chef d'équipe" ?
Grâce aux missions qui lui sont confiées par l'institution, tout est fait pour que le directeur soit un chef d'équipe. Cependant, ce terme n'est jamais employé, et on comprend pourquoi. L'idée de chef, renvoie premièrement plus au monde de l'entreprise qu'à celui de l'éducation. Il est rejeté par une grande majorité des enseignants. En second, et en lien avec le point précédent, le terme chef renvoie souvent à une notion d'autorité institutionnelle et de hiérarchie (ce qui n'a aucun fondement quand il s'agit d'être chef d'équipe dans les conditions de constitution classique d'une équipe ; mais nous l'avons aussi démontré, l'équipe pédagogique n'est pas une équipe classique). Or, à l'école, si chef il y a, c'est l'inspecteur de la circonscription qui joue ce rôle. Les directeurs ne le contestent pas : "l'inspecteur, c'est notre chef". Il est -et est reconnu- comme le supérieur hiérarchique : "le chef d'établissement de l'école élémentaire, c'est l'inspecteur". On comprend les réticences à utiliser ce terme pour le directeur du fait même de la répartition des rôles. On comprend aussi la difficulté à exister en tant que chef d'équipe pour le directeur. Tout est fait pour que ce rôle soit rendu flou. Il dirige l'école, mais n'est pas chef d'établissement. Il anime une équipe mais l'équipe est à fonder. Et grande subtilité lexicale, il anime cette équipe pédagogique mais ne la dirige pas. Malgré cela, comme nous l'avons vu, le directeur a toutes les missions d'un chef d'équipe ! Quand il est fait mention du directeur, c'est en tant que responsable de l'école, représentant de l'équipe et garant de l'application des instructions données. La direction d'école en France est en ce sens une entité particulière. Poste singulier où tour à tour, les missions de natures différentes qui vous sont confiées vous obligent à changer de rôle sans changer de fonction.

Une formation en devenir
Pour conclure, un autre élément rend difficile ce changement de posture : la question de la formation. La formation initiale des directeurs reste à ce jour beaucoup plus centrée sur des questions administratives que sur l'apprentissage de techniques de management. C'est donc au directeur d'inventer les moyens de son action, de rechercher les outils ou les personnes ressources qui lui permettront d'assurer au mieux ces nouvelles missions. Il s'agit d'actualiser sa posture en fonction des textes législatifs ; la pratique semble précéder la formation. A ce jeu, ceux qui par leur investissement syndical, politique ou associatif se sont fourbis des armes semblent les mieux à mêmes à remplir leur nouveau rôle.


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