La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Démarches de formation ? Jusqu'où et comment peut-on professionnaliser ?


Titre : L'introduction de la distance en formation des enseignants, un levier de changement pour les pratiques professionnelles
Auteurs : Lameul Geneviève

Texte :

Le travail de recherche que je présente ci-dessous est susceptible à terme, d'apporter quelques éléments de réponse à la question que pose l'atelier de la biennale, intitulé "Démarches de formation : jusqu'où et comment peut-on professionnaliser ?"
Au stade actuel de ma réflexion (un an et demi d'études doctorales), je me propose de faire part :
- des raisons qui m'ont poussée à m'intéresser à ce sujet,
- de la définition de mes hypothèses de travail
- de l'ébauche de mon modèle d'analyse en construction.

1. Contexte de la Recherche

De ma place de chargée de mission en ingénierie de formation continue en IUFM, j'observe un certain conservatisme au niveau des pratiques de formation des enseignants (dominante d'intervention magistrale, lente évolution vers l'individualisation des parcours…). Cette observation se voit confortée par quelques explorations de la littérature existante sur le sujet (J. Beillerot, M. Altet, Astolfi, …). Nous sommes en face d'un phénomène qui se traduit de la manière suivante : " de bons élèves ont aimé le mode sur lequel ils ont été enseignés, ils passent le concours pour faire ce même métier, ils sont reçus, entrent à l'IUFM où ils suivent un parcours sans faute. Ils sont titularisés et reproduisent l'enseignement qu'ils ont connu en tant qu'élève, puis stagiaire IUFM. " Et le système ainsi perdure sans bien se rendre compte (ou accepter de regarder en face) qu'il n'est plus tout à fait adapté et en phase avec le monde réel.
Sur la base de ce constat, mis en relation avec le résultat d'une recherche précédente (DESS ) mettant en évidence l'évolution du rapport à la formation des apprenants dans une situation de formation à distance, je fais l'hypothèse qu'une modification de modèle pédagogique, via l'introduction de la distance en formation des enseignants, peut entraîner un changement significatif de leurs pratiques professionnelles.
Mon souci est de saisir ce phénomène incontournable de "mise à distance de la formation" comme une opportunité de re-questionner les pratiques de formation des enseignants du XXIème siècle. La distance, introduite dans la relation pédagogique, vient déranger les représentations et règles établies, essentiellement ancrées dans le face à face pédagogique, tradition de nombreuses années. Elle peut, de ce fait, être perçue comme un analyseur de la reproduction sociale des pratiques professionnelles repérée.
C'est essentiellement sur la dynamique de changement provoquée par la transformation spatiale et temporelle des modes d'intervention en formation que je fais porter mon attention : voir ou ne pas voir le professeur, se laisser porter par le groupe, se fondre en lui ou devoir se prendre en charge dans une relation duale avec l'intervenant ou une relation coopérative avec les autres apprenants, choisir ses temps de formation.

2. Hypothèse de travail

Plusieurs idées-forces participent à la construction de l'hypothèse qui va guider ma recherche :

- La formation ouverte et à distance, en provoquant un changement au niveau des postures des participants (ici : enseignants en formation et formateurs d'enseignants), entraîne à l'issue de la formation, des effets spécifiques sur les pratiques professionnelles
- L'ingénierie de formation (la forme que prend le dispositif) influence la construction ou la modification de posture (la forme que prend la personne-apprenante)
- La variation de la relation pédagogique (relation synchrone et asynchrone, travail collaboratif…) que permettent les technologies d'information communication - élément souvent essentiel dans la construction des dispositifs de formation ouverte et à distance - transforme la nature de la médiation entre le formateur et l'enseignant en formation. Cette transformation provoque un questionnement par rapport au processus d'apprentissage.
- Le changement opéré est supposé, transféré dans les pratiques quotidiennes (effet sur la posture). Il est facilité par la formation en double piste.
Le croisement de ces différents postulats m'a conduite à formuler plus précisément mon hypothèse de recherche, de la manière suivante " la médiatisation de la relation pédagogique dans un dispositif de formation continue ouverte et à distance des enseignants engendre des modifications de la posture enseignante "

3. Méthodologie

Après une première année d'exploration qui m'a permis de valider près de différentes personnes-ressources, la pertinence de l'idée qui sous-tend mon projet, je consacre cette deuxième année de recherche à :
- tester près d'un échantillon de public enseignant, l'hypothèse formulée selon laquelle la formation à distance peut entraîner des changements de postures,
- caractériser les évolutions des postures, si elles existent,
- définir précisément mes variables, indépendante, dépendante, médiatrice et modératrice,
- émettre des hypothèses explicatives (à mettre en relation avec les spécificités de la variable indépendante)
- préciser mes modèles et cadres d'analyse.
Comme vous le constaterez, je ne suis pas arrivée tout à fait au point imaginé lors de l'écriture de mon projet de communication en début d'année. Je n'ai pas à ma disposition à ce jour, l'exploitation des entretiens que je pensais conduire entre février et juillet. L'une des raisons mérite d'être évoquée car elle parle du public et du contexte auquel je m'intéresse. La plus grande difficulté que prévue à trouver de réels terrains d'exploration, peut s'expliquer par une appréhension des personnes sollicitées par rapport à l'approfondissement d'un sujet avec lequel le milieu enseignant n'est pas très à l'aise, doublée du fait que les expériences de formation à distance ne sont pas encore très nombreuses dans le champ de la formation des enseignants.

4. Définition des notions et concepts pour l'élaboration de mon modèle d'analyse

Dispositif et Dispositif de formation ouverte et à distance

Afin de mieux appréhender la notion de dispositif de formation ouverte et à distance et en spécifier les variables susceptibles d'influer l'évolution des postures enseignantes, il m'a paru intéressant de m'attarder d'abord sur la notion de " dispositif " sur laquelle plusieurs patriciens et chercheurs se sont déjà penchés .
La notion de dispositif est un concept en émergence dont l'utilisation dans de multiples domaines (communication, médiation des savoirs, thérapie, art, droit, technologie…) mérite d'être questionnée. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, le dispositif représente une tentative d'instrumentation optimale de l'autonomie des acteurs. Deux facteurs caractéristiques se dégagent de ce modèle émergent :
- en permettant l'adaptation tout en balisant, il se fait nouvel instrument de régulation du social,
- il peut être compris comme le cadre aménagé pour soutenir cette fabrique d'individualité si sollicitée par la société.
Se questionner à partir de la notion de dispositif, c'est ré-interroger notre place d'acteur et notre évolution dans les dichotomies inévitables entre symbolique et technique, sujet et objet, humain et non humain, liberté et détermination… C'est nous donner l'occasion d'approcher le changement en cours du métier de formateur et les nouvelles compétences sollicitées.

Après cet examen de la tendance générale en matière de définition de la notion de dispositif, je me centre plus particulièrement sur les dispositifs de formation ouverte et à distance dont j'adopte la définition élaborée par le consensus de Chasseneuil (2000). "Une formation ouverte et à distance…
- est un dispositif organisé, finalisé, reconnu comme tel par les acteurs,
- qui prend en compte la singularité des personnes dans leur dimension individuelle et collective
- et repose sur des situations d'apprentissage complémentaires et plurielles en termes de temps, de lieux, de médiations pédagogiques humaines et technologiques, et de ressources."

L'état des lieux des typologies ou modèles d'analyse existant ( B. Blandin, C. Dhalluin, B. Charlier, D. Peraya ) que j'ai formalisé à l'occasion du séminaire sur l'autoformation de Montpellier en septembre 2001 met en évidence l'idée que chacune des grilles aborde la notion de dispositif avec sa sensibilité dominante à un moment donné (économique, pédagogique, technique, communication…) et est très dépendante des objectifs poursuivis.
Pour l'instant, je retiens la grille d'analyse globale d'un dispositif techno-sémio-pragmatique proposée par D. Peraya qui me semble bien prendre en compte à la fois les dimensions humaines et technologiques des dispositifs de formation ouverte et à distance qui constituent mon terrain d'observation.

Au regard de mon questionnement centré sur la relation médiatisée dans un dispositif de formation ouverte et à distance et ses possibles effets sur l'adoption de postures différenciées en situation de travail, je retiens essentiellement les critères qui ont plus spécifiquement à voir avec la relation. Je propose de construire la grille de description et analyse des dispositifs dans lesquels sont investis les enseignants en formation auxquels je m'intéresse, à partir des critères relatifs à la communication médiatisée :
- contexte et pratiques de production de la communication
- modalités de la communication
- contexte et pratiques de réception de la communication.

Médiatisation et médiation

La notion de médiatisation est entendue chez D.Peraya, au sens de processus de scénarisation de contenus à travers un artefact technique, un dispositif médiatique. Dans ce sens, elle s'oppose à la médiation mais en constitue l'indispensable complément.
Les processus de médiatisation et de médiation - portant respectivement sur les contenus et la relation - sont une conséquence de la rupture spatio-temporelle propre à l'enseignement à distance et de la désynchronisation fondamentale entre les activités d'enseignement et le processus d'apprentissage.
Mon intérêt pour la médiatisation de la relation pédagogique dans un dispositif de formation ouverte et à distance me conduit à poser comme variable indépendante, la dimension évolutive de la médiation en relation avec (sous l'effet de) la médiatisation des dispositifs de formation ouverte et à distance. Pour en faciliter l'opérationnalisation, je reprends la typologie de la médiation de la communication et de la construction des significations établie par D. Peraya , et je structure ma variable, selon les catégories suivantes :
- médiation technologique, celle propre à l'outil, à l'objet technique qui prolonge nos actions,
- médiation sensori-motrice qui fait que nos concepts s'élaborent à partir de notre insertion corporelle dans le monde et de l'expérience pré-conceptuelle qui en découle, (réf. à Piaget, Lakoff et Jonhson)
- médiation sociale qui permet que le processus de validation des significations se fasse dans l'interaction sociale (réf. à Piaget, Vigotsky, Bronckart)
- médiation socio-cognitive qui concerne le rapport entre la pensée et ses opérations d'une part et les signes externes - analogiques et digitaux - de la culture.

Postures et/ou attitudes

Je me suis longuement interrogée sur l'emploi ou non du mot "posture". Je l'ai mis en relation avec la notion d'attitude qui parfois se confond dans les définitions. Posture me semble être un terme intéressant dans le sens où il traduit un positionnement dans l'espace, ce qui n'est peut-être pas sans lien avec la question de la distance, qui a à voir avec le positionnement spatial… En contrepartie, il souligne essentiellement l'aspect statique, ce qui n'est peut-être pas suffisant pour parler des changements dont je postule l'existence chez les enseignants, à l'issue de la formation à distance.
Un regard porté du côté de la littérature relative à la notion de posture ou des notions proches : attitudes, comportement, modèles professionnels… me permet d'identifier à ce jour, quatre typologies (G.Leclercq, M.Lesne, M.Altet, D.Pratt) à partir desquelles j'envisage de construire ma variable dépendante.

L'approche de D . Pratt m'intéresse bien en raison de la prise en compte de trois dimensions importantes pour la définition des postures : la croyance (ce que l'enseignant croit qu'il fait en enseignant), l'intention (ce qu'il a l'intention de faire), l'action (ce qu'il fait). Dans l'ouvrage dont il est le principal auteur "Five Teaching Perspectives ", il dégage cinq perspectives d'enseignement - la perspective d'une personne est une expression de croyance personnelle et de valeurs liées à la formation et à l'enseignement - qui sont les suivantes :
- perspective de transmission
- perspective d'apprentissage
- perspective développementale
- perspective de consolidation
- perspective sociale de réforme.

Chaque perspective se compose d'ensemble d'actions, intentions et croyances liés à la connaissance, à l'apprenant et au rôle d'un professeur, d'un tuteur ou d'un professionnel dont le rôle implique d'instruire d'autres. Les questions du TPI (Teaching Perspectives Inventory), outil qui a été mis au point pour identifier la perspective dominante, portent sur les actions, les intentions et les croyances relatives à l'enseignement. Les réponses fournies indiquent également quelque chose des expériences comme parent, entraîneur, ami, directeur ou comme étudiant - élément auquel je suis sensible car il me permettra peut-être de faire des ponts avec quelques-unes unes des planètes de l'autoformation (sociale et existentielle), constitutives de la galaxie de l'autoformation telle que l'a décrite Philippe Carré -.

Double piste et transfert

L'hypothèse que je formule, se fonde sur la confiance en un effet de congruence entre formation et méthodes pour la formation, phénomène défini comme " double piste " par D. Poisson , lui-même s'inspirant de B. Schwartz. La formation en double piste consiste à placer le formateur en situation réelle d'apprenant en utilisant les moyens pédagogiques que l'on souhaite analyser. Il s'agit de s'analyser en tant qu'apprenant et d'analyser la situation pour comprendre de l'intérieur la relation apprenant-formateur. Ce double regard caractérise la double piste. Cette situation de formation est censée inverser les tendances à la régression pédagogique, à la condition qu'un travail collectif animé par une personne-ressource aboutisse à une nouvelle stabilisation, permettant ainsi que les déstabilisations créées par la formation - notamment la formation à distance - soient sources d'innovation et non dé-structurantes pour les formateurs.

La notion de transfert me reste à approfondir car elle intervient, en l'état actuel de mes travaux, comme variable médiatrice entre mes deux variables principales (médiatisation de la relation pédagogique et évolution de posture).

A ce jour, mon schéma d'analyse peut se représenter sous la forme suivante.


5. Perspective de déroulement de ma recherche

Du fait de sa réalisation en cours d'activité professionnelle, j'envisage de mener ce projet de recherche sur quatre ans, ce qui me conduit à espérer une production formalisée dans le courant de l'année scolaire 2003-04. Pour des questions de facilité de réalisation, mes principaux terrains d'observation sont pour l'instant situés sur l'académie. J'ai pris plusieurs contacts avec d'autres IUFM qui me laissent espérer des observations possibles en d'autres lieux (Lille, Nancy, Nantes). Un contact pris à l'occasion du séminaire de Montpellier, avec l'école de l'ENESAD me permet d'envisager une possible extension de mon terrain de recherche à un autre contexte (milieu agricole).
Au-delà de la formation personnelle à laquelle participe ma démarche de recherche, elle contribuera, je le souhaite, à une meilleure compréhension des phénomènes à l'œuvre en formation des enseignants ainsi qu'à une meilleure appréhension de l'influence de l'ingénierie de formation sur les changements de pratiques professionnelles. Cette recherche apportera ainsi sa part de contribution à la question posée du " jusqu'où et comment la formation participe à la professionnalisation ". Elle éclairera en cela, les orientations à donner et les mesures à prendre en matière de formation dans les organismes de formation des enseignants et formateurs.


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