Le travail de recherche que je présente ci-dessous est susceptible à
terme, d'apporter quelques éléments de réponse à
la question que pose l'atelier de la biennale, intitulé "Démarches
de formation : jusqu'où et comment peut-on professionnaliser ?"
Au stade actuel de ma réflexion (un an et demi d'études doctorales),
je me propose de faire part :
- des raisons qui m'ont poussée à m'intéresser à
ce sujet,
- de la définition de mes hypothèses de travail
- de l'ébauche de mon modèle d'analyse en construction.
1. Contexte de la Recherche
De ma place de chargée de mission en ingénierie de formation
continue en IUFM, j'observe un certain conservatisme au niveau des pratiques
de formation des enseignants (dominante d'intervention magistrale, lente évolution
vers l'individualisation des parcours
). Cette observation se voit confortée
par quelques explorations de la littérature existante sur le sujet (J.
Beillerot, M. Altet, Astolfi,
). Nous sommes en face d'un phénomène
qui se traduit de la manière suivante : " de bons élèves
ont aimé le mode sur lequel ils ont été enseignés,
ils passent le concours pour faire ce même métier, ils sont reçus,
entrent à l'IUFM où ils suivent un parcours sans faute. Ils sont
titularisés et reproduisent l'enseignement qu'ils ont connu en tant qu'élève,
puis stagiaire IUFM. " Et le système ainsi perdure sans bien se
rendre compte (ou accepter de regarder en face) qu'il n'est plus tout à
fait adapté et en phase avec le monde réel.
Sur la base de ce constat, mis en relation avec le résultat d'une recherche
précédente (DESS ) mettant en évidence l'évolution
du rapport à la formation des apprenants dans une situation de formation
à distance, je fais l'hypothèse qu'une modification de modèle
pédagogique, via l'introduction de la distance en formation des enseignants,
peut entraîner un changement significatif de leurs pratiques professionnelles.
Mon souci est de saisir ce phénomène incontournable de "mise
à distance de la formation" comme une opportunité de re-questionner
les pratiques de formation des enseignants du XXIème siècle. La
distance, introduite dans la relation pédagogique, vient déranger
les représentations et règles établies, essentiellement
ancrées dans le face à face pédagogique, tradition de nombreuses
années. Elle peut, de ce fait, être perçue comme un analyseur
de la reproduction sociale des pratiques professionnelles repérée.
C'est essentiellement sur la dynamique de changement provoquée par la
transformation spatiale et temporelle des modes d'intervention en formation
que je fais porter mon attention : voir ou ne pas voir le professeur, se laisser
porter par le groupe, se fondre en lui ou devoir se prendre en charge dans une
relation duale avec l'intervenant ou une relation coopérative avec les
autres apprenants, choisir ses temps de formation.
2. Hypothèse de travail
Plusieurs idées-forces participent à la construction de l'hypothèse
qui va guider ma recherche :
- La formation ouverte et à distance, en provoquant un changement au
niveau des postures des participants (ici : enseignants en formation et formateurs
d'enseignants), entraîne à l'issue de la formation, des effets
spécifiques sur les pratiques professionnelles
- L'ingénierie de formation (la forme que prend le dispositif) influence
la construction ou la modification de posture (la forme que prend la personne-apprenante)
- La variation de la relation pédagogique (relation synchrone et asynchrone,
travail collaboratif
) que permettent les technologies d'information communication
- élément souvent essentiel dans la construction des dispositifs
de formation ouverte et à distance - transforme la nature de la médiation
entre le formateur et l'enseignant en formation. Cette transformation provoque
un questionnement par rapport au processus d'apprentissage.
- Le changement opéré est supposé, transféré
dans les pratiques quotidiennes (effet sur la posture). Il est facilité
par la formation en double piste.
Le croisement de ces différents postulats m'a conduite à formuler
plus précisément mon hypothèse de recherche, de la manière
suivante " la médiatisation de la relation pédagogique dans
un dispositif de formation continue ouverte et à distance des enseignants
engendre des modifications de la posture enseignante "
3. Méthodologie
Après une première année d'exploration qui m'a permis
de valider près de différentes personnes-ressources, la pertinence
de l'idée qui sous-tend mon projet, je consacre cette deuxième
année de recherche à :
- tester près d'un échantillon de public enseignant, l'hypothèse
formulée selon laquelle la formation à distance peut entraîner
des changements de postures,
- caractériser les évolutions des postures, si elles existent,
- définir précisément mes variables, indépendante,
dépendante, médiatrice et modératrice,
- émettre des hypothèses explicatives (à mettre en relation
avec les spécificités de la variable indépendante)
- préciser mes modèles et cadres d'analyse.
Comme vous le constaterez, je ne suis pas arrivée tout à fait
au point imaginé lors de l'écriture de mon projet de communication
en début d'année. Je n'ai pas à ma disposition à
ce jour, l'exploitation des entretiens que je pensais conduire entre février
et juillet. L'une des raisons mérite d'être évoquée
car elle parle du public et du contexte auquel je m'intéresse. La plus
grande difficulté que prévue à trouver de réels
terrains d'exploration, peut s'expliquer par une appréhension des personnes
sollicitées par rapport à l'approfondissement d'un sujet avec
lequel le milieu enseignant n'est pas très à l'aise, doublée
du fait que les expériences de formation à distance ne sont pas
encore très nombreuses dans le champ de la formation des enseignants.
4. Définition des notions et concepts pour l'élaboration de
mon modèle d'analyse
Dispositif et Dispositif de formation ouverte et à distance
Afin de mieux appréhender la notion de dispositif de formation ouverte
et à distance et en spécifier les variables susceptibles d'influer
l'évolution des postures enseignantes, il m'a paru intéressant
de m'attarder d'abord sur la notion de " dispositif " sur laquelle
plusieurs patriciens et chercheurs se sont déjà penchés
.
La notion de dispositif est un concept en émergence dont l'utilisation
dans de multiples domaines (communication, médiation des savoirs, thérapie,
art, droit, technologie
) mérite d'être questionnée.
Aussi contradictoire que cela puisse paraître, le dispositif représente
une tentative d'instrumentation optimale de l'autonomie des acteurs. Deux facteurs
caractéristiques se dégagent de ce modèle émergent
:
- en permettant l'adaptation tout en balisant, il se fait nouvel instrument
de régulation du social,
- il peut être compris comme le cadre aménagé pour soutenir
cette fabrique d'individualité si sollicitée par la société.
Se questionner à partir de la notion de dispositif, c'est ré-interroger
notre place d'acteur et notre évolution dans les dichotomies inévitables
entre symbolique et technique, sujet et objet, humain et non humain, liberté
et détermination
C'est nous donner l'occasion d'approcher le changement
en cours du métier de formateur et les nouvelles compétences sollicitées.
Après cet examen de la tendance générale en matière
de définition de la notion de dispositif, je me centre plus particulièrement
sur les dispositifs de formation ouverte et à distance dont j'adopte
la définition élaborée par le consensus de Chasseneuil
(2000). "Une formation ouverte et à distance
- est un dispositif organisé, finalisé, reconnu comme tel par
les acteurs,
- qui prend en compte la singularité des personnes dans leur dimension
individuelle et collective
- et repose sur des situations d'apprentissage complémentaires et plurielles
en termes de temps, de lieux, de médiations pédagogiques humaines
et technologiques, et de ressources."
L'état des lieux des typologies ou modèles d'analyse existant
( B. Blandin, C. Dhalluin, B. Charlier, D. Peraya ) que j'ai formalisé
à l'occasion du séminaire sur l'autoformation de Montpellier en
septembre 2001 met en évidence l'idée que chacune des grilles
aborde la notion de dispositif avec sa sensibilité dominante à
un moment donné (économique, pédagogique, technique, communication
)
et est très dépendante des objectifs poursuivis.
Pour l'instant, je retiens la grille d'analyse globale d'un dispositif techno-sémio-pragmatique
proposée par D. Peraya qui me semble bien prendre en compte à
la fois les dimensions humaines et technologiques des dispositifs de formation
ouverte et à distance qui constituent mon terrain d'observation.
Au regard de mon questionnement centré sur la relation médiatisée
dans un dispositif de formation ouverte et à distance et ses possibles
effets sur l'adoption de postures différenciées en situation de
travail, je retiens essentiellement les critères qui ont plus spécifiquement
à voir avec la relation. Je propose de construire la grille de description
et analyse des dispositifs dans lesquels sont investis les enseignants en formation
auxquels je m'intéresse, à partir des critères relatifs
à la communication médiatisée :
- contexte et pratiques de production de la communication
- modalités de la communication
- contexte et pratiques de réception de la communication.
Médiatisation et médiation
La notion de médiatisation est entendue chez D.Peraya, au sens de processus
de scénarisation de contenus à travers un artefact technique,
un dispositif médiatique. Dans ce sens, elle s'oppose à la médiation
mais en constitue l'indispensable complément.
Les processus de médiatisation et de médiation - portant respectivement
sur les contenus et la relation - sont une conséquence de la rupture
spatio-temporelle propre à l'enseignement à distance et de la
désynchronisation fondamentale entre les activités d'enseignement
et le processus d'apprentissage.
Mon intérêt pour la médiatisation de la relation pédagogique
dans un dispositif de formation ouverte et à distance me conduit à
poser comme variable indépendante, la dimension évolutive de la
médiation en relation avec (sous l'effet de) la médiatisation
des dispositifs de formation ouverte et à distance. Pour en faciliter
l'opérationnalisation, je reprends la typologie de la médiation
de la communication et de la construction des significations établie
par D. Peraya , et je structure ma variable, selon les catégories suivantes
:
- médiation technologique, celle propre à l'outil, à l'objet
technique qui prolonge nos actions,
- médiation sensori-motrice qui fait que nos concepts s'élaborent
à partir de notre insertion corporelle dans le monde et de l'expérience
pré-conceptuelle qui en découle, (réf. à Piaget,
Lakoff et Jonhson)
- médiation sociale qui permet que le processus de validation des significations
se fasse dans l'interaction sociale (réf. à Piaget, Vigotsky,
Bronckart)
- médiation socio-cognitive qui concerne le rapport entre la pensée
et ses opérations d'une part et les signes externes - analogiques et
digitaux - de la culture.
Postures et/ou attitudes
Je me suis longuement interrogée sur l'emploi ou non du mot "posture".
Je l'ai mis en relation avec la notion d'attitude qui parfois se confond dans
les définitions. Posture me semble être un terme intéressant
dans le sens où il traduit un positionnement dans l'espace, ce qui n'est
peut-être pas sans lien avec la question de la distance, qui a à
voir avec le positionnement spatial
En contrepartie, il souligne essentiellement
l'aspect statique, ce qui n'est peut-être pas suffisant pour parler des
changements dont je postule l'existence chez les enseignants, à l'issue
de la formation à distance.
Un regard porté du côté de la littérature relative
à la notion de posture ou des notions proches : attitudes, comportement,
modèles professionnels
me permet d'identifier à ce jour,
quatre typologies (G.Leclercq, M.Lesne, M.Altet, D.Pratt) à partir desquelles
j'envisage de construire ma variable dépendante.
L'approche de D . Pratt m'intéresse bien en raison de la prise en compte
de trois dimensions importantes pour la définition des postures : la
croyance (ce que l'enseignant croit qu'il fait en enseignant), l'intention (ce
qu'il a l'intention de faire), l'action (ce qu'il fait). Dans l'ouvrage dont
il est le principal auteur "Five Teaching Perspectives ", il dégage
cinq perspectives d'enseignement - la perspective d'une personne est une expression
de croyance personnelle et de valeurs liées à la formation et
à l'enseignement - qui sont les suivantes :
- perspective de transmission
- perspective d'apprentissage
- perspective développementale
- perspective de consolidation
- perspective sociale de réforme.
Chaque perspective se compose d'ensemble d'actions, intentions et croyances
liés à la connaissance, à l'apprenant et au rôle
d'un professeur, d'un tuteur ou d'un professionnel dont le rôle implique
d'instruire d'autres. Les questions du TPI (Teaching Perspectives Inventory),
outil qui a été mis au point pour identifier la perspective dominante,
portent sur les actions, les intentions et les croyances relatives à
l'enseignement. Les réponses fournies indiquent également quelque
chose des expériences comme parent, entraîneur, ami, directeur
ou comme étudiant - élément auquel je suis sensible car
il me permettra peut-être de faire des ponts avec quelques-unes unes des
planètes de l'autoformation (sociale et existentielle), constitutives
de la galaxie de l'autoformation telle que l'a décrite Philippe Carré
-.
Double piste et transfert
L'hypothèse que je formule, se fonde sur la confiance en un effet de
congruence entre formation et méthodes pour la formation, phénomène
défini comme " double piste " par D. Poisson , lui-même
s'inspirant de B. Schwartz. La formation en double piste consiste à placer
le formateur en situation réelle d'apprenant en utilisant les moyens
pédagogiques que l'on souhaite analyser. Il s'agit de s'analyser en tant
qu'apprenant et d'analyser la situation pour comprendre de l'intérieur
la relation apprenant-formateur. Ce double regard caractérise la double
piste. Cette situation de formation est censée inverser les tendances
à la régression pédagogique, à la condition qu'un
travail collectif animé par une personne-ressource aboutisse à
une nouvelle stabilisation, permettant ainsi que les déstabilisations
créées par la formation - notamment la formation à distance
- soient sources d'innovation et non dé-structurantes pour les formateurs.
La notion de transfert me reste à approfondir car elle intervient, en
l'état actuel de mes travaux, comme variable médiatrice entre
mes deux variables principales (médiatisation de la relation pédagogique
et évolution de posture).
A ce jour, mon schéma d'analyse peut se représenter sous la forme
suivante.

5. Perspective de déroulement de ma recherche
Du fait de sa réalisation en cours d'activité professionnelle,
j'envisage de mener ce projet de recherche sur quatre ans, ce qui me conduit
à espérer une production formalisée dans le courant de
l'année scolaire 2003-04. Pour des questions de facilité de réalisation,
mes principaux terrains d'observation sont pour l'instant situés sur
l'académie. J'ai pris plusieurs contacts avec d'autres IUFM qui me laissent
espérer des observations possibles en d'autres lieux (Lille, Nancy, Nantes).
Un contact pris à l'occasion du séminaire de Montpellier, avec
l'école de l'ENESAD me permet d'envisager une possible extension de mon
terrain de recherche à un autre contexte (milieu agricole).
Au-delà de la formation personnelle à laquelle participe ma démarche
de recherche, elle contribuera, je le souhaite, à une meilleure compréhension
des phénomènes à l'uvre en formation des enseignants
ainsi qu'à une meilleure appréhension de l'influence de l'ingénierie
de formation sur les changements de pratiques professionnelles. Cette recherche
apportera ainsi sa part de contribution à la question posée du
" jusqu'où et comment la formation participe à la professionnalisation
". Elle éclairera en cela, les orientations à donner et les
mesures à prendre en matière de formation dans les organismes
de formation des enseignants et formateurs.
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