La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Savoir de la pratique et distanciation : conditions pour une action nouvelle ?


Titre : Fonction métacognitive des entretiens menés, dans le cadre des TPE, par les enseignants auprès des groupes d'élèves, et structuration des connaissances
Auteurs : MONTANDON Christiane, Maître de conférences en sciences de l'éducation, / Université Paris XII / PEYROTTE Claudine, Professeur de physique au lycée / Voltaire -

Texte :

Cette contribution par un binôme de praticiens chercheurs s'inscrit dans le cadre plus large de la recherche du pôle 6 de l'INRP et nous avons, dans cette communication, choisi de traiter plus particulièrement l'impact des interactions sur l'organisation et l'articulation des connaissances chez les élèves, lors des entretiens menés par les enseignants encadrant les TPE.

Pour étudier comment les élèves construisent et structurent leurs connaissances dans le cadre des TPE, nous avons privilégié une situation d'interlocution spécifique et particulièrement paradigmatique d'une dimension intersubjective, des processus d'étayage et de coordination interpersonnelle: c'est celle qui constitue la situation d'entretien. Nous faisons l'hypothèse que c'est dans cette situation d'entretien que peuvent se révéler avec le plus d'acuité les transactions entre les différents partenaires et qu'on peut repérer les transformations des connaissances de départ, des concepts quotidiens en concepts scientifiques et les diverses étapes de la démarche de conceptualisation. Par structuration, nous entendons la mise en relation des concepts par des liens logiques de subordination, d'inclusion, ou d'exclusion, de telle sorte que cette configuration hiérarchisée tienne compte des attributs essentiels ou des qualités secondes propres à chaque notion: cette cohérence interne du champ notionnel renvoie à ce que Bachelard appelait dans Le rationalisme appliqué l'organisation interconceptuelle. A contrario, l'absence de structuration des connaissances se caractérise par une juxtaposition des notions sans établir de liens entre elles, une présentation statique des définitions qui résulte d'une compilation d'éléments d'origines diverses sans regard critique ni réflexion épistémologique.
La situation d'entretien mise en place auprès des groupes d'élèves par les enseignants encadrant des TPE a été retenue comme condition particulièrement favorable pour mettre en évidence les différentes étapes de ces démarches de structuration des connaissances par les élèves en partant du degré zéro de structuration des connaissances pour aller vers une opérationnalisation effective des concepts.

Cadre théorique et principes méthodologiques.
Le choix de cette situation d'entretien, pour recueillir les données de terrain appropriés à notre objet de recherche justifie cette option méthodologique par les références théoriques suivantes:
- notion d'intersubjectivité;
- prise de conscience des savoirs procéduraux et des connaissances déclaratives par la verbalisation.

1) L'intersubjectivité présuppose le détour indispensable par le discours de l'autre et la prise en compte de la pensée d'autrui dans l'élaboration des connaissances du sujet: C'est dans l'interlocution et dans les processus de coordinations linguistiques, verbales, et non-verbales, que se construisent les coordinations logiques et cognitives; c'est ainsi que Mina Verba, dans une perspective vygotskienne, pour expliquer la transition du plan inter-psychique au plan intra-psychique, rapproche la notion d'intersubjectivité "centrale dans la transmission-appropriation des savoirs" de l'acte de partage par lequel les interlocuteurs communiquent et échangent leurs idées.
L'entretien est alors défini comme l'occasion pour les élèves d'échanger des informations, de faire le point de ce qu'ils ont recueilli, et de s'engager dans des négociations pour décider d'une position commune tant en ce qui concerne la délimitation de leur thème que la formulation de leur problématique et le choix de la nature de leur production. Il s'agit de montrer comment la structuration des connaissances d'un individu est tributaire d'une co-construction des savoirs où les coordinations inter-individuelles rendent particulièrement manifestes les liens et les coordinations cognitives effectuées par l'individu.
Les entretiens menés lors des TPE ne remplissent évidemment ces fonctions que si les enseignants qui mènent ces entretiens les ont explicitement posées comme faisant partie de leurs objectifs affichés. C'est ce que nous appelons le cadrage de l'entretien. La qualité des coordinations intersubjectives dépend des modalités de ce cadrage.
De ce cadrage dépend donc la nature des relations horizontales entre les élèves composant chaque petit groupe. Mais une autre dimension de l'intersubjectivité concerne la nature des relations verticales, enseignants-élèves: cette situation d'intersubjectivité se caractérise par les positions dissymétriques des interlocuteurs par rapport aux discours; l'entretien n'est ni un interrogatoire, qui serait perçu comme inquisiteur, ni une interrogation orale, mais une relation d'aide qui permettrait de guider les élèves dans leur travail de recherche . Le recours à l'entretien présuppose de la part des enseignants une conception de l'accompagnement des élèves qui privilégie une attitude d'écoute active:
- pour les aider à choisir et à formuler leur thématique;
- pour les aider à délimiter leur sujet et formuler leur problématique;
- pour les aider à cerner en quoi consiste leur production .
Une telle écoute contribue à leur reconnaître un statut de sujet, de sujet acteur de ses apprentissages, définissant l'objet de leur recherche.

2) La seconde caractéristique de cette situation d'entretien concerne l'impact de la verbalisation tant des connaissances déclaratives que des connaissances procédurales: nous faisons l'hypothèse qu'une telle verbalisation facilite une prise de conscience par les élèves de leurs propres démarches et leur permet d'introduire des liens entre différents niveaux de savoirs:
- connaissances initiales tirées des représentations et de l'expérience vécue des élèves;
- savoirs savants issus des recherches documentaires dans l'école et hors l'école;
- savoirs en acte recueillis auprès des professionnels;
En quoi les situations d'entretien leurs ont permis de modifier leurs attitudes par rapport à leurs connaissances initiales et de construire de nouvelles connaissances?
En faisant l'hypothèse que ces entretiens ont des effets métacognitifs, c'est-à-dire permettent aux élèves de prendre conscience de ce qu'ils savent, de ce qu'ils ne savent pas et veulent trouver, d'anticiper ce qu'ils vont faire, nous voulons montrer en quoi ces temps de régulations relationnelles et cognitives mettent en évidence une réorganisation des savoirs: en quoi la verbalisation facilite ou non le passage de savoirs d'usage non conscientisés, qu'ils soient des savoirs théoriques ou procéduraux, à des savoirs conscientisés et formalisés? En quoi la verbalisation des questions que les élèves se posent, des différentes étapes parcourus ou à parcourir, des tâtonnements et des sélections qu'ils opèrent, leur permet peu à peu de s'auto-réguler? L'auto-régulation, telle que la définit Varela, est en effet un autre aspect de la métacognition.
Il s'agit de montrer comment l'articulation conjointe des interactions entre élèves, et entre élèves et enseignants sous-tend la dynamique des coordinations intra- et inter-individuelles dans les processus d'acquisition de nouvelles connaissances. Une telle conception fait de la cognition une activité distribuée , et en situation, et de la connaissance un produit des transactions interpersonnelles.

Corpus de terrain et méthode d'analyse.
Nous disposons de la retranscription de deux séries d'entretiens, menés l'un en début de parcours, l'autre à mi-parcours, dans le cadre des TPE, auprès de deux groupes d'élèves, l'un travaillant sur les troubles visuels, l'autre sur les rayons X, par deux enseignants, un professeur de physique et un professeur de mathématiques. Nous disposons également des documents de cadrage distribués, par les enseignants, aux élèves avant la première série d'entretiens (20 Décembre 2001), et ceux distribués avant la seconde série (Janvier 2002).
Les objectifs pédagogiques, explicitement affichés par les enseignants pour chaque série d'entretiens, fournissent les grandes rubriques qu'on retrouve dans le déroulement des entretiens, et permettent de découper les grands épisodes à analyser pour montrer l'articulation des différents niveaux de connaissances. Ce repérage des épisodes dans les interactions fournit la macro-organisation de l'entretien, et à l'intérieur de chaque épisode, une micro-analyse séquentielle permet de dégager les catégories de connaissances auxquelles se réfèrent les élèves.
Le découpage séquentiel s'appuie sur la présence d'interventions coordonnées des partenaires à propos d'un même référent et témoigne d'une cohérence d'intentions en vue de résoudre un même problème: chaque séquence se caractérise par une même centration des préoccupations.

L'enjeu de la problématisation et de la production: moments déterminants dans la structuration des connaissances.
Nous avons fait l'hypothèse que les deux facteurs décisifs, les deux moments saillants qui révèlent plus particulièrement les remaniements notionnels et les réorganisations des liens entre différents savoirs étaient la démarche de problématisation et la question de la production. Des entretiens d'explicitation , menés en fin de TPE auprès des élèves concernés, ont confirmé cette hypothèse. Mais on doit croiser ce point de vue subjectif des élèves avec les éléments objectifs de la situation: car c'est dans la mesure où le cadrage des entretiens mis en place par les enseignants privilègie ces deux entrées que nous retrouvons dans notre analyse les moments stratégiques de problématisation et de production comme étant les démarches paradigmatiques de mise en relation des notions faisant l'objet des apprentissages.
a) le moment de la problématisation.
L'analyse du corpus des entretiens, et plus particulièrement celui du groupe travaillant sur les troubles visuels, nous permet de dégager trois niveaux de structuration des connaissances :
1) Passage d'une juxtaposition d'éléments à une mise en relation de notions qui permet de formuler une question de départ: partant d'une liste de termes isolés, ( la vision, les problèmes de vision, les causes de la myopie, un problème de réfraction etc... ), le groupe va s'approprier la formulation du problème que l'enseignant a synthétisé: "regarder comment une lentille synthétise les défauts de vision".
Les relations de coopération entre les deux élèves, l'un poursuivant la pensée de l'autre en reprenant ses termes, en terminant ses phrases, en développant son idée, sont étayées par les reformulations des enseignants, leurs relances où ils demandent des précisions, où ils opèrent un déplacement, en remplaçant le questionnement sur les causes par le problème des dysfonctionnements et en généralisant, en élargissant le cas particulier de la myopie au problème général des défauts de la vision. Cette fonction d'instrumentation des enseignants consiste à fournir aux élèves les termes adéquats pour exprimer leur pensée, tout en respectant leur visée et en les accompagnant dans l'élaboration de leurs idées.
2) Cette mise en relation génère une étape intermédiaire, qui permet de combiner trois niveaux de connaissances. Cette transformation progressive des énoncés discursifs mis en scène dans l'entretien s'opère grâce aux reprises jamais à l'identique, mais avec des déplacements minimes dans les reformulations tant du côté des élèves que des enseignants; ces trois niveaux de connaissances sont les suivants:
- des concepts quotidiens ("corriger la vue"),
- des savoirs savants ( les effets des lentilles sur les troubles de la vision et le phénomène de la réfraction),
- des principes épistémologiques, en l'occurence le principe de causalité.
3) Construction d'un plan en énonçant l'ordre dans lequel étudier les notions; l'énoncé procédural qui rend compte de cette démarche de hiérarchisation est suscité par la délimitation du problème grâce à la synthèse partielle de l'enseignante qui reformule la question de départ: une telle question enclenche chez les élèves une capacité à planifier; voici l'ordre logique, et chronologique de la manière d'aborder les notions qu'ils instaurent: "Avant, au tout début, on va étudier les troubles visuels: la myopie, la presbytie, l'astigmatie; et ensuite, après, on va étudier avec la lentille comment ça peut être corrigé". Par la suite, au cours de l'année, il y aura des remaniements d'un tel plan, mais l'important dans cette verbalisation est de fournir aux élèves une idée directrice qui leur permettra tout au long de leur démarche de s'auto-réguler, de trier et d'ordonnancer leurs documents par rapport à cet axe, et d'y rattacher d'autres idées en compléxifiant ce plan initial.
Les modifications importantes vont être effectivement apportées quand il s'agira de concevoir la production.

b) Rôle déterminant de la production dans la structuration des connaissances.
La notion de production recouvre différentes acceptions: l'entretien va permettre de prendre conscience de ces interprétations différentes en confrontant les représentations respectives qu'en ont les élèves et les enseignants. Tous sont d'accord sur un point: il s'agit d'une prestation orale de 20 minutes, devant un public qui doit comprendre de quoi il retourne; les élèves ont le sentiment de devoir assumer une mission pédagogique forte face à leur auditoire. Mais il ne s'agit pas de produire des connaissances nouvelles, comme dans une démarche de véritable recherche scientifique.
La divergence entre les attentes des enseignants et les représentations que les élèves se font de la production porte sur l'évident intérêt de recourir à une démarche expérimentale pour les uns, et sur le fait de s'en tenir à un exposé classique, pour les autres. L'entretien s'avère alors décisif pour élucider cette divergence de conception: on assiste peu à peu chez les élèves à une transformation de leurs conceptions des rapports entre savoirs théoriques et savoirs en acte, et à l'élaboration progressive d'une situation expérimentale.
Là encore on peut repérer plusieurs étapes:
1) On assiste d'abord à un clivage entre théorie/pratique, exposé des connaissances/ mise en acte des savoirs par une réalisation expérimentale. La posture que les élèves s'assignent à eux-mêmes est celle d'une présentation statique des savoirs livresques, en alignant les définitions dans leurs dossiers, en présentant tout au plus des schémas, des panneaux explicatifs, mais sans jamais oser s'aventurer dans une expérimentation: son maniement apparaît comme l'apanage des enseignants. Cette rupture entre savoirs théoriques, discursifs, et savoirs en acte met en jeu les positions respectives des élèves et des enseignants dans leurs rapports aux savoirs où la manipulation expérimentale est réservé aux enseignants dans la mesure où ceux-ci conçoivent également les contenus disciplinaires et les élèves se vivent comme de simples exécutants dans les TD des situations expérimentales. Ainsi le point de vue théorique, disent les élèves est facile, car il s'agit de "parler" (de lentilles), mais réaliser "quelque chose qui pourrait modifier l'image par rapport à l'objet qu'on mettra", "c'est compliqué". La lentille n'est pour l'instant pas perçue comme instrument physique matérialisant une théorie des lois de l'optique.
2) Les enseignants en suggérant aux élèves de manipuler le matériel et de concevoir et réaliser une expérimentation vont remettre en question les représentations que les élèves se font de la place que chacun occupe dans l'univers scolaire, et des attributions spécifiques de chacun: la démarche TPE semble bouleverser la distribution des rôles, et autoriser les élèves à adopter d'autres attitudes, à condition que les enseignants eux-mêmes les y incitent! Quand l'enseignante de physique leur propose l'accès au matériel de laboratoire, ils ne laissent pas d'être étonnés tout en étant enthousiastes: un telle attitude confirmerait cette interprétation de pudeur, d'une timidité à envisager s'identifier à l'enseignant de physique et à prendre la posture de l'expérimentateur. De même l'autre groupe sera surpris et émerveillé d'avoir été reçu par un professionnel, ici le radiologue, qui leur a consacré un long entretien en répondant à leurs questions et en acceptant de réaliser leur expérience. Cela sera confirmé dans l'entretien d'explicitation.
Ce second groupe d'élèves, travaillant sur les rayons X, avait envie de faire une expérience, indépendamment même de l'incitation des enseignants, mais au départ leur représentation de l'expérience s'apparente à un "show", à une mise en scène spectaculaire où la fascination du matériel de radiographie révèle une attitude magique, préscientifique vis-à-vis des pouvoirs et des effets de la technologie. Il s'agit pour l'instant de montrer, de donner à voir et non de démontrer. Une longue négociation au sein du groupe, du fait d'un désaccord sur ce que recouvre l'idée d'expérience, permet de remanier les savoirs théoriques en intégrant mieux les liens entre numéro atomique des matériaux utilisés, phénomène d'absorption par les rayons X et effets visibles sur la radio-support: ce stade intermédiaire dans la structuration des connaissances tirées des définitions recopiées indique une démarche de différenciation des classes d'objets selon des paramétres quantifiables et s'appuie sur un discours argumentatif. Il contribue à faire évoluer la notion d'expérimentation en amorçant une démarche d'appropriation des concepts qui deviennent opérationnels grâce à l'instauration de corrélations entre plusieurs notions et la capacité de mettre en oeuvre ces savoirs théoriques dans des procèdures de vérification.
Cette transformation des représentations de la situation expérimentale s'est opérée conjointement par les mises au point et les demandes de précision et d'argumentation des enseignants et par les régulations socio-cognitives entre élèves qui ont longtemps campé sur des points de vue divergents et ont échangé de nombreuses objections et contre-arguments; la possibilité de concevoir et de réaliser une expérience apparaît ainsi comme un moment d'appropriation, déterminant pour les élèves, en articulant de nouveaux liens logiques entre les notions grâce à l'introduction d'une variation systématique des paramétres: l'idée centrale de l'expérimentation viendra de la comparaison entre ce qu'il en est de l'absorption par les rayons X du magnésium par rapport au cuivre. On assiste là également à un véritable transfert des connaissances, puisque, étant partis de l'opposition entre les tissus et les os, ils transposent la différence de visibilité de ces milieux sur les radios à d'autres corps choisis pour leur différence de numéro atomique.
3) Le moment de la conception de la situation expérimentale appréhendée comme modèle pédagogique pour expliquer un phénomène aux autres et se l'expliquer à soi-même.
La question de la nature de la production est centrale dans l'examen de ce passage au niveau 3 d'appropriation effective des concepts car elle mobilise les compétences procédurales puisqu'il s'agit de manipuler les concepts en les contextualisant et en sachant utiliser et combiner les variables. Penser une situation problème mettant en oeuvre le réseau notionnel implique non seulement d'articuler savoirs théoriques et savoirs d'action, mais d'être aussi au clair sur ce qu'apporte de plus l'expérimentation du point de vue de la manipulation mentale des concepts. En effet concevoir une situation expérimentale présuppose intériorisation et appropriation des concepts, mais en jouant sur des différences dans le maniement systématique des variables pour produire des effets de vérification, ici il s'agit de jouer sur les différents numéros atomiques pour rendre compte des différences d'opacité des matériaux sur la radio.
Concevoir une situation expérimentale comme ayant une valeur démonstrative et explicative des relations entre la nature des rayons X, le numéro atomique des éléments radiographiés et la radio effectuée, c'est anticiper les effets, manier des hypothèses et produire des inférences. Si on reprend l'analyse des représentations de la situation-problème proposée par M. Fabre, qui applique implicitement l'opposition piagétienne entre réussir et comprendre, on distingue une pédagogie du problème et une pédagogie de la problématisation; la première se réfère à une conception fonctionnelle du savoir: l'élève ne peut s'approprier le savoir qu'en résolvant les problèmes, problèmes dont il reçoit la formulation de l'enseignant. La seconde se réfère à une pédagogie de la problématisation: il s'agit certes aussi d'agir, et de manipuler des concepts, mais non pas d'abord au niveau de la solution des problèmes, mais de leur construction; l'élève occupe ici la même position que l'enseignant, il s'agit bien de formuler une question de départ, de construire une problématique et d'imaginer une situation-problème. A une conception fonctionnelle du savoir s'ajoute une conception opérationnelle du savoir, puisqu'il ne s'agit pas seulement de réussir, mais de comprendre: "Comprendre consiste à dégager la raison des choses, tandis que réussir ne revient qu'à les utiliser avec succès" . La "prise de conscience" de l'action consiste à passer d'un savoir faire à un savoir, c'est-à-dire à une conceptualisation proprement dite, "à une transformation des schèmes d'action en notions et en opérations" .
Cette conception opérationnelle du savoir où l'opération n'est pas la représentation d'une action, mais une action intériorisée, " une action "signifiante" et non plus physique, en ce que les liens qu'elle utilise sont de nature implicatrice et non plus causale" , fait appel à des coordinations conceptuelle, de nature inférentielle: c'est ce que Piaget nomme implication signifiante; les inférences se rapportent au futur, à l'espace lointain, au possible alors que les coordinations de l'action sont tributaires du présent, du donné. "Les coordinations de la pensée parviennent à réunir les données multiples et successives en tableaux d'ensemble simultanées" . Le système des coordinations opératoires transforme les objets de la pensée par le moyen d'instruments sémiotiques courants ( langage, images, divers supports, dans notre exemple la radio comme support à commenter). L'implication est donc une connexion entre significations, elle met en relation non pas seulement des concepts mais des opérations sur ces concepts par le biais des instruments sémiotiques.
Demander aux élèves une production requiert cette prise de conscience: les différentes étapes de la problématisation sont extériorisées lors des entretiens par la verbalisation des différents niveaux de savoirs dont nous avons donné des échantillons: verbalisation des sources d'informations, de la mise en relation des définitions et des notions, travail sur les représentations et modification des représentations et des postures.

En conclusion, on peut se demander jusqu'à quel point cette situation d'entretien, et le type de relances et d'interventions opérées par les enseignants favorise ces démarches métacognitives. On peut repérer une prise de conscience progressive des liens effectués entre les concepts et une explicitation des opérations et des inférences effectuées sur les notions, ils prennent conscience de ce qu'ils savent et de ce qu'ils cherchent, à découvrir, et à démontrer, mais ils ne vont pas jusqu'à prendre conscience de la manière dont ils cherchent et dont ils anticipent la situation expérimentale. Telle est la limite de la métacognition: mais l'objectif des entretiens n'était pas explicitement d'amener à une conscience réflexive sur ses propres démarches, il était d'aider les élèves à progresser dans la construction du problème et de la production. En fin d'entretien, le groupe travaillant sur les rayons X a remercié les enseignants parce que cela les avait aidé à clarifier ce qu'ils voulaient faire, et cette élucidation leur a fourni l'impulsion décisive pour poursuivre et affiner la conception de la situation expérimentale, puis sa réalisation; ils avaient pris conscience que quelque chose s'était passé, sans pouvoir ni vouloir identifier qu'est-ce qui s'était passé et comment. Par contre, les entretiens d'explicitation qui ont lieu en fin d'année permettent d'amorcer ce travail de conscientisation de la démarche. Mais on y découvre des oublis ou des occultations surprenantes.
Le second enseignement qu'on peut tirer de ces entretiens concerne le nouveau type de rapport au savoir qu'instaure cette manière de concevoir et de gérer le dispositif TPE, non pas en général, mais avec ce binôme d'enseignants et cette manière qu'ils ont eu de mener les entretiens: le élèves se sont sentis maîtres de décider de leur sujet, de se poser le problème qu'ils voulaient travailler et surtout de concevoir l'expérimentation, les enseignants étant là pour reformuler, fournir des aides matérielles ou méthodologiques. Cette posture d'identification aux enseignants est renforcée par le temps de la production, pensée comme démonstration pédagogique, ce qui rejoint le "learning through teaching". Un questionnaire de fin d'année présenté aux élèves par l'enseignante de physique leur a permis de souligner l'importance pour eux de cet accompagnement: "vos aides ont été indispensables", "faire plus de bilan car cela a été très profitable", "il faut aider les élèves à ne pas aller vers des sujets trop vastes en essayant de poser des questions de "guidage", faire des réunions groupes-profs plus souvent", etc... Ils trouvent cependant que deux séries d'entretien ne suffisent pas et en demandent plus: "peut-être qu'il faudrait faire des séances de bilan régulières et obligatoires pour voir où en sont les élèves".
C'est là le troisième et dernier point qu'on peut tirer de cette analyse: les répercussions pédagogiques qu'une telle situation d'entretien induise chez les enseignants. Ele permet aux enseignants de découvrir les représentations que les élèves ont de la démarche expérimentale, des cloisonnements disciplinaires, de ce que les élèves entendent par matière enseignée, etc...Les enseignants apprennent à entendre ce que les élèves ont à dire quand ils ont le sentiment d'être écoutés.

BIBLIOGRAPHIE.

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Alain BLANCHET, Dire et faire dire. L'entretien, Colin, 1991.
Michel. FABRE , Situations-problèmes et savoirs scolaires, PUF 1999.
GILLY, M., ROUX, J.P., TROGNON, A. : Apprendre dans l'interaction, Presses Universitaires de Nancy, 1999
GUITTET, André, L'entretien, Colin, 1983.
PIAGET, J , Réussir et comprendre, PUF. 1974.
Pierre VERMERSCH, L'entretien d'explicitation, ESF, 1994.


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