Cette contribution par un binôme de praticiens chercheurs s'inscrit
dans le cadre plus large de la recherche du pôle 6 de l'INRP et nous avons,
dans cette communication, choisi de traiter plus particulièrement l'impact
des interactions sur l'organisation et l'articulation des connaissances chez
les élèves, lors des entretiens menés par les enseignants
encadrant les TPE.
Pour étudier comment les élèves construisent et structurent
leurs connaissances dans le cadre des TPE, nous avons privilégié
une situation d'interlocution spécifique et particulièrement paradigmatique
d'une dimension intersubjective, des processus d'étayage et de coordination
interpersonnelle: c'est celle qui constitue la situation d'entretien. Nous faisons
l'hypothèse que c'est dans cette situation d'entretien que peuvent se
révéler avec le plus d'acuité les transactions entre les
différents partenaires et qu'on peut repérer les transformations
des connaissances de départ, des concepts quotidiens en concepts scientifiques
et les diverses étapes de la démarche de conceptualisation. Par
structuration, nous entendons la mise en relation des concepts par des liens
logiques de subordination, d'inclusion, ou d'exclusion, de telle sorte que cette
configuration hiérarchisée tienne compte des attributs essentiels
ou des qualités secondes propres à chaque notion: cette cohérence
interne du champ notionnel renvoie à ce que Bachelard appelait dans Le
rationalisme appliqué l'organisation interconceptuelle. A contrario,
l'absence de structuration des connaissances se caractérise par une juxtaposition
des notions sans établir de liens entre elles, une présentation
statique des définitions qui résulte d'une compilation d'éléments
d'origines diverses sans regard critique ni réflexion épistémologique.
La situation d'entretien mise en place auprès des groupes d'élèves
par les enseignants encadrant des TPE a été retenue comme condition
particulièrement favorable pour mettre en évidence les différentes
étapes de ces démarches de structuration des connaissances par
les élèves en partant du degré zéro de structuration
des connaissances pour aller vers une opérationnalisation effective des
concepts.
Cadre théorique et principes méthodologiques.
Le choix de cette situation d'entretien, pour recueillir les données
de terrain appropriés à notre objet de recherche justifie cette
option méthodologique par les références théoriques
suivantes:
- notion d'intersubjectivité;
- prise de conscience des savoirs procéduraux et des connaissances déclaratives
par la verbalisation.
1) L'intersubjectivité présuppose le détour indispensable
par le discours de l'autre et la prise en compte de la pensée d'autrui
dans l'élaboration des connaissances du sujet: C'est dans l'interlocution
et dans les processus de coordinations linguistiques, verbales, et non-verbales,
que se construisent les coordinations logiques et cognitives; c'est ainsi que
Mina Verba, dans une perspective vygotskienne, pour expliquer la transition
du plan inter-psychique au plan intra-psychique, rapproche la notion d'intersubjectivité
"centrale dans la transmission-appropriation des savoirs" de l'acte
de partage par lequel les interlocuteurs communiquent et échangent leurs
idées.
L'entretien est alors défini comme l'occasion pour les élèves
d'échanger des informations, de faire le point de ce qu'ils ont recueilli,
et de s'engager dans des négociations pour décider d'une position
commune tant en ce qui concerne la délimitation de leur thème
que la formulation de leur problématique et le choix de la nature de
leur production. Il s'agit de montrer comment la structuration des connaissances
d'un individu est tributaire d'une co-construction des savoirs où les
coordinations inter-individuelles rendent particulièrement manifestes
les liens et les coordinations cognitives effectuées par l'individu.
Les entretiens menés lors des TPE ne remplissent évidemment ces
fonctions que si les enseignants qui mènent ces entretiens les ont explicitement
posées comme faisant partie de leurs objectifs affichés. C'est
ce que nous appelons le cadrage de l'entretien. La qualité des coordinations
intersubjectives dépend des modalités de ce cadrage.
De ce cadrage dépend donc la nature des relations horizontales entre
les élèves composant chaque petit groupe. Mais une autre dimension
de l'intersubjectivité concerne la nature des relations verticales, enseignants-élèves:
cette situation d'intersubjectivité se caractérise par les positions
dissymétriques des interlocuteurs par rapport aux discours; l'entretien
n'est ni un interrogatoire, qui serait perçu comme inquisiteur, ni une
interrogation orale, mais une relation d'aide qui permettrait de guider les
élèves dans leur travail de recherche . Le recours à l'entretien
présuppose de la part des enseignants une conception de l'accompagnement
des élèves qui privilégie une attitude d'écoute
active:
- pour les aider à choisir et à formuler leur thématique;
- pour les aider à délimiter leur sujet et formuler leur problématique;
- pour les aider à cerner en quoi consiste leur production .
Une telle écoute contribue à leur reconnaître un statut
de sujet, de sujet acteur de ses apprentissages, définissant l'objet
de leur recherche.
2) La seconde caractéristique de cette situation d'entretien concerne
l'impact de la verbalisation tant des connaissances déclaratives
que des connaissances procédurales: nous faisons l'hypothèse qu'une
telle verbalisation facilite une prise de conscience par les élèves
de leurs propres démarches et leur permet d'introduire des liens entre
différents niveaux de savoirs:
- connaissances initiales tirées des représentations et de l'expérience
vécue des élèves;
- savoirs savants issus des recherches documentaires dans l'école et
hors l'école;
- savoirs en acte recueillis auprès des professionnels;
En quoi les situations d'entretien leurs ont permis de modifier leurs attitudes
par rapport à leurs connaissances initiales et de construire de nouvelles
connaissances?
En faisant l'hypothèse que ces entretiens ont des effets métacognitifs,
c'est-à-dire permettent aux élèves de prendre conscience
de ce qu'ils savent, de ce qu'ils ne savent pas et veulent trouver, d'anticiper
ce qu'ils vont faire, nous voulons montrer en quoi ces temps de régulations
relationnelles et cognitives mettent en évidence une réorganisation
des savoirs: en quoi la verbalisation facilite ou non le passage de savoirs
d'usage non conscientisés, qu'ils soient des savoirs théoriques
ou procéduraux, à des savoirs conscientisés et formalisés?
En quoi la verbalisation des questions que les élèves se posent,
des différentes étapes parcourus ou à parcourir, des tâtonnements
et des sélections qu'ils opèrent, leur permet peu à peu
de s'auto-réguler? L'auto-régulation, telle que la définit
Varela, est en effet un autre aspect de la métacognition.
Il s'agit de montrer comment l'articulation conjointe des interactions entre
élèves, et entre élèves et enseignants sous-tend
la dynamique des coordinations intra- et inter-individuelles dans les processus
d'acquisition de nouvelles connaissances. Une telle conception fait de la cognition
une activité distribuée , et en situation, et de la connaissance
un produit des transactions interpersonnelles.
Corpus de terrain et méthode d'analyse.
Nous disposons de la retranscription de deux séries d'entretiens, menés
l'un en début de parcours, l'autre à mi-parcours, dans le cadre
des TPE, auprès de deux groupes d'élèves, l'un travaillant
sur les troubles visuels, l'autre sur les rayons X, par deux enseignants, un
professeur de physique et un professeur de mathématiques. Nous disposons
également des documents de cadrage distribués, par les enseignants,
aux élèves avant la première série d'entretiens
(20 Décembre 2001), et ceux distribués avant la seconde série
(Janvier 2002).
Les objectifs pédagogiques, explicitement affichés par les enseignants
pour chaque série d'entretiens, fournissent les grandes rubriques qu'on
retrouve dans le déroulement des entretiens, et permettent de découper
les grands épisodes à analyser pour montrer l'articulation des
différents niveaux de connaissances. Ce repérage des épisodes
dans les interactions fournit la macro-organisation de l'entretien, et à
l'intérieur de chaque épisode, une micro-analyse séquentielle
permet de dégager les catégories de connaissances auxquelles se
réfèrent les élèves.
Le découpage séquentiel s'appuie sur la présence d'interventions
coordonnées des partenaires à propos d'un même référent
et témoigne d'une cohérence d'intentions en vue de résoudre
un même problème: chaque séquence se caractérise
par une même centration des préoccupations.
L'enjeu de la problématisation et de la production: moments déterminants
dans la structuration des connaissances.
Nous avons fait l'hypothèse que les deux facteurs décisifs,
les deux moments saillants qui révèlent plus particulièrement
les remaniements notionnels et les réorganisations des liens entre différents
savoirs étaient la démarche de problématisation et la question
de la production. Des entretiens d'explicitation , menés en fin de TPE
auprès des élèves concernés, ont confirmé
cette hypothèse. Mais on doit croiser ce point de vue subjectif des élèves
avec les éléments objectifs de la situation: car c'est dans la
mesure où le cadrage des entretiens mis en place par les enseignants
privilègie ces deux entrées que nous retrouvons dans notre analyse
les moments stratégiques de problématisation et de production
comme étant les démarches paradigmatiques de mise en relation
des notions faisant l'objet des apprentissages.
a) le moment de la problématisation.
L'analyse du corpus des entretiens, et plus particulièrement celui du
groupe travaillant sur les troubles visuels, nous permet de dégager trois
niveaux de structuration des connaissances :
1) Passage d'une juxtaposition d'éléments à une mise en
relation de notions qui permet de formuler une question de départ: partant
d'une liste de termes isolés, ( la vision, les problèmes de vision,
les causes de la myopie, un problème de réfraction etc... ), le
groupe va s'approprier la formulation du problème que l'enseignant a
synthétisé: "regarder comment une lentille synthétise
les défauts de vision".
Les relations de coopération entre les deux élèves, l'un
poursuivant la pensée de l'autre en reprenant ses termes, en terminant
ses phrases, en développant son idée, sont étayées
par les reformulations des enseignants, leurs relances où ils demandent
des précisions, où ils opèrent un déplacement, en
remplaçant le questionnement sur les causes par le problème des
dysfonctionnements et en généralisant, en élargissant le
cas particulier de la myopie au problème général des défauts
de la vision. Cette fonction d'instrumentation des enseignants consiste à
fournir aux élèves les termes adéquats pour exprimer leur
pensée, tout en respectant leur visée et en les accompagnant dans
l'élaboration de leurs idées.
2) Cette mise en relation génère une étape intermédiaire,
qui permet de combiner trois niveaux de connaissances. Cette transformation
progressive des énoncés discursifs mis en scène dans l'entretien
s'opère grâce aux reprises jamais à l'identique, mais avec
des déplacements minimes dans les reformulations tant du côté
des élèves que des enseignants; ces trois niveaux de connaissances
sont les suivants:
- des concepts quotidiens ("corriger la vue"),
- des savoirs savants ( les effets des lentilles sur les troubles de la vision
et le phénomène de la réfraction),
- des principes épistémologiques, en l'occurence le principe de
causalité.
3) Construction d'un plan en énonçant l'ordre dans lequel étudier
les notions; l'énoncé procédural qui rend compte de cette
démarche de hiérarchisation est suscité par la délimitation
du problème grâce à la synthèse partielle de l'enseignante
qui reformule la question de départ: une telle question enclenche chez
les élèves une capacité à planifier; voici l'ordre
logique, et chronologique de la manière d'aborder les notions qu'ils
instaurent: "Avant, au tout début, on va étudier les troubles
visuels: la myopie, la presbytie, l'astigmatie; et ensuite, après, on
va étudier avec la lentille comment ça peut être corrigé".
Par la suite, au cours de l'année, il y aura des remaniements d'un tel
plan, mais l'important dans cette verbalisation est de fournir aux élèves
une idée directrice qui leur permettra tout au long de leur démarche
de s'auto-réguler, de trier et d'ordonnancer leurs documents par rapport
à cet axe, et d'y rattacher d'autres idées en compléxifiant
ce plan initial.
Les modifications importantes vont être effectivement apportées
quand il s'agira de concevoir la production.
b) Rôle déterminant de la production dans la structuration
des connaissances.
La notion de production recouvre différentes acceptions: l'entretien
va permettre de prendre conscience de ces interprétations différentes
en confrontant les représentations respectives qu'en ont les élèves
et les enseignants. Tous sont d'accord sur un point: il s'agit d'une prestation
orale de 20 minutes, devant un public qui doit comprendre de quoi il retourne;
les élèves ont le sentiment de devoir assumer une mission pédagogique
forte face à leur auditoire. Mais il ne s'agit pas de produire des connaissances
nouvelles, comme dans une démarche de véritable recherche scientifique.
La divergence entre les attentes des enseignants et les représentations
que les élèves se font de la production porte sur l'évident
intérêt de recourir à une démarche expérimentale
pour les uns, et sur le fait de s'en tenir à un exposé classique,
pour les autres. L'entretien s'avère alors décisif pour élucider
cette divergence de conception: on assiste peu à peu chez les élèves
à une transformation de leurs conceptions des rapports entre savoirs
théoriques et savoirs en acte, et à l'élaboration progressive
d'une situation expérimentale.
Là encore on peut repérer plusieurs étapes:
1) On assiste d'abord à un clivage entre théorie/pratique, exposé
des connaissances/ mise en acte des savoirs par une réalisation expérimentale.
La posture que les élèves s'assignent à eux-mêmes
est celle d'une présentation statique des savoirs livresques, en alignant
les définitions dans leurs dossiers, en présentant tout au plus
des schémas, des panneaux explicatifs, mais sans jamais oser s'aventurer
dans une expérimentation: son maniement apparaît comme l'apanage
des enseignants. Cette rupture entre savoirs théoriques, discursifs,
et savoirs en acte met en jeu les positions respectives des élèves
et des enseignants dans leurs rapports aux savoirs où la manipulation
expérimentale est réservé aux enseignants dans la mesure
où ceux-ci conçoivent également les contenus disciplinaires
et les élèves se vivent comme de simples exécutants dans
les TD des situations expérimentales. Ainsi le point de vue théorique,
disent les élèves est facile, car il s'agit de "parler"
(de lentilles), mais réaliser "quelque chose qui pourrait modifier
l'image par rapport à l'objet qu'on mettra", "c'est compliqué".
La lentille n'est pour l'instant pas perçue comme instrument physique
matérialisant une théorie des lois de l'optique.
2) Les enseignants en suggérant aux élèves de manipuler
le matériel et de concevoir et réaliser une expérimentation
vont remettre en question les représentations que les élèves
se font de la place que chacun occupe dans l'univers scolaire, et des attributions
spécifiques de chacun: la démarche TPE semble bouleverser la distribution
des rôles, et autoriser les élèves à adopter d'autres
attitudes, à condition que les enseignants eux-mêmes les y incitent!
Quand l'enseignante de physique leur propose l'accès au matériel
de laboratoire, ils ne laissent pas d'être étonnés tout
en étant enthousiastes: un telle attitude confirmerait cette interprétation
de pudeur, d'une timidité à envisager s'identifier à l'enseignant
de physique et à prendre la posture de l'expérimentateur. De même
l'autre groupe sera surpris et émerveillé d'avoir été
reçu par un professionnel, ici le radiologue, qui leur a consacré
un long entretien en répondant à leurs questions et en acceptant
de réaliser leur expérience. Cela sera confirmé dans l'entretien
d'explicitation.
Ce second groupe d'élèves, travaillant sur les rayons X, avait
envie de faire une expérience, indépendamment même de l'incitation
des enseignants, mais au départ leur représentation de l'expérience
s'apparente à un "show", à une mise en scène
spectaculaire où la fascination du matériel de radiographie révèle
une attitude magique, préscientifique vis-à-vis des pouvoirs et
des effets de la technologie. Il s'agit pour l'instant de montrer, de donner
à voir et non de démontrer. Une longue négociation au sein
du groupe, du fait d'un désaccord sur ce que recouvre l'idée d'expérience,
permet de remanier les savoirs théoriques en intégrant mieux les
liens entre numéro atomique des matériaux utilisés, phénomène
d'absorption par les rayons X et effets visibles sur la radio-support: ce stade
intermédiaire dans la structuration des connaissances tirées des
définitions recopiées indique une démarche de différenciation
des classes d'objets selon des paramétres quantifiables et s'appuie sur
un discours argumentatif. Il contribue à faire évoluer la notion
d'expérimentation en amorçant une démarche d'appropriation
des concepts qui deviennent opérationnels grâce à l'instauration
de corrélations entre plusieurs notions et la capacité de mettre
en oeuvre ces savoirs théoriques dans des procèdures de vérification.
Cette transformation des représentations de la situation expérimentale
s'est opérée conjointement par les mises au point et les demandes
de précision et d'argumentation des enseignants et par les régulations
socio-cognitives entre élèves qui ont longtemps campé sur
des points de vue divergents et ont échangé de nombreuses objections
et contre-arguments; la possibilité de concevoir et de réaliser
une expérience apparaît ainsi comme un moment d'appropriation,
déterminant pour les élèves, en articulant de nouveaux
liens logiques entre les notions grâce à l'introduction d'une variation
systématique des paramétres: l'idée centrale de l'expérimentation
viendra de la comparaison entre ce qu'il en est de l'absorption par les rayons
X du magnésium par rapport au cuivre. On assiste là également
à un véritable transfert des connaissances, puisque, étant
partis de l'opposition entre les tissus et les os, ils transposent la différence
de visibilité de ces milieux sur les radios à d'autres corps choisis
pour leur différence de numéro atomique.
3) Le moment de la conception de la situation expérimentale appréhendée
comme modèle pédagogique pour expliquer un phénomène
aux autres et se l'expliquer à soi-même.
La question de la nature de la production est centrale dans l'examen de ce passage
au niveau 3 d'appropriation effective des concepts car elle mobilise les compétences
procédurales puisqu'il s'agit de manipuler les concepts en les contextualisant
et en sachant utiliser et combiner les variables. Penser une situation problème
mettant en oeuvre le réseau notionnel implique non seulement d'articuler
savoirs théoriques et savoirs d'action, mais d'être aussi au clair
sur ce qu'apporte de plus l'expérimentation du point de vue de la manipulation
mentale des concepts. En effet concevoir une situation expérimentale
présuppose intériorisation et appropriation des concepts, mais
en jouant sur des différences dans le maniement systématique des
variables pour produire des effets de vérification, ici il s'agit de
jouer sur les différents numéros atomiques pour rendre compte
des différences d'opacité des matériaux sur la radio.
Concevoir une situation expérimentale comme ayant une valeur démonstrative
et explicative des relations entre la nature des rayons X, le numéro
atomique des éléments radiographiés et la radio effectuée,
c'est anticiper les effets, manier des hypothèses et produire des inférences.
Si on reprend l'analyse des représentations de la situation-problème
proposée par M. Fabre, qui applique implicitement l'opposition piagétienne
entre réussir et comprendre, on distingue une pédagogie du problème
et une pédagogie de la problématisation; la première se
réfère à une conception fonctionnelle du savoir: l'élève
ne peut s'approprier le savoir qu'en résolvant les problèmes,
problèmes dont il reçoit la formulation de l'enseignant. La seconde
se réfère à une pédagogie de la problématisation:
il s'agit certes aussi d'agir, et de manipuler des concepts, mais non pas d'abord
au niveau de la solution des problèmes, mais de leur construction; l'élève
occupe ici la même position que l'enseignant, il s'agit bien de formuler
une question de départ, de construire une problématique et d'imaginer
une situation-problème. A une conception fonctionnelle du savoir s'ajoute
une conception opérationnelle du savoir, puisqu'il ne s'agit pas seulement
de réussir, mais de comprendre: "Comprendre consiste à dégager
la raison des choses, tandis que réussir ne revient qu'à les utiliser
avec succès" . La "prise de conscience" de l'action consiste
à passer d'un savoir faire à un savoir, c'est-à-dire à
une conceptualisation proprement dite, "à une transformation des
schèmes d'action en notions et en opérations" .
Cette conception opérationnelle du savoir où l'opération
n'est pas la représentation d'une action, mais une action intériorisée,
" une action "signifiante" et non plus physique, en ce que les
liens qu'elle utilise sont de nature implicatrice et non plus causale"
, fait appel à des coordinations conceptuelle, de nature inférentielle:
c'est ce que Piaget nomme implication signifiante; les inférences se
rapportent au futur, à l'espace lointain, au possible alors que les coordinations
de l'action sont tributaires du présent, du donné. "Les coordinations
de la pensée parviennent à réunir les données multiples
et successives en tableaux d'ensemble simultanées" . Le système
des coordinations opératoires transforme les objets de la pensée
par le moyen d'instruments sémiotiques courants ( langage, images, divers
supports, dans notre exemple la radio comme support à commenter). L'implication
est donc une connexion entre significations, elle met en relation non pas seulement
des concepts mais des opérations sur ces concepts par le biais des instruments
sémiotiques.
Demander aux élèves une production requiert cette prise de conscience:
les différentes étapes de la problématisation sont extériorisées
lors des entretiens par la verbalisation des différents niveaux de savoirs
dont nous avons donné des échantillons: verbalisation des sources
d'informations, de la mise en relation des définitions et des notions,
travail sur les représentations et modification des représentations
et des postures.
En conclusion, on peut se demander jusqu'à quel point cette situation
d'entretien, et le type de relances et d'interventions opérées
par les enseignants favorise ces démarches métacognitives. On
peut repérer une prise de conscience progressive des liens effectués
entre les concepts et une explicitation des opérations et des inférences
effectuées sur les notions, ils prennent conscience de ce qu'ils savent
et de ce qu'ils cherchent, à découvrir, et à démontrer,
mais ils ne vont pas jusqu'à prendre conscience de la manière
dont ils cherchent et dont ils anticipent la situation expérimentale.
Telle est la limite de la métacognition: mais l'objectif des entretiens
n'était pas explicitement d'amener à une conscience réflexive
sur ses propres démarches, il était d'aider les élèves
à progresser dans la construction du problème et de la production.
En fin d'entretien, le groupe travaillant sur les rayons X a remercié
les enseignants parce que cela les avait aidé à clarifier ce qu'ils
voulaient faire, et cette élucidation leur a fourni l'impulsion décisive
pour poursuivre et affiner la conception de la situation expérimentale,
puis sa réalisation; ils avaient pris conscience que quelque chose s'était
passé, sans pouvoir ni vouloir identifier qu'est-ce qui s'était
passé et comment. Par contre, les entretiens d'explicitation qui ont
lieu en fin d'année permettent d'amorcer ce travail de conscientisation
de la démarche. Mais on y découvre des oublis ou des occultations
surprenantes.
Le second enseignement qu'on peut tirer de ces entretiens concerne le nouveau
type de rapport au savoir qu'instaure cette manière de concevoir et de
gérer le dispositif TPE, non pas en général, mais avec
ce binôme d'enseignants et cette manière qu'ils ont eu de mener
les entretiens: le élèves se sont sentis maîtres de décider
de leur sujet, de se poser le problème qu'ils voulaient travailler et
surtout de concevoir l'expérimentation, les enseignants étant
là pour reformuler, fournir des aides matérielles ou méthodologiques.
Cette posture d'identification aux enseignants est renforcée par le temps
de la production, pensée comme démonstration pédagogique,
ce qui rejoint le "learning through teaching". Un questionnaire de
fin d'année présenté aux élèves par l'enseignante
de physique leur a permis de souligner l'importance pour eux de cet accompagnement:
"vos aides ont été indispensables", "faire plus
de bilan car cela a été très profitable", "il
faut aider les élèves à ne pas aller vers des sujets trop
vastes en essayant de poser des questions de "guidage", faire des
réunions groupes-profs plus souvent", etc... Ils trouvent cependant
que deux séries d'entretien ne suffisent pas et en demandent plus: "peut-être
qu'il faudrait faire des séances de bilan régulières et
obligatoires pour voir où en sont les élèves".
C'est là le troisième et dernier point qu'on peut tirer de cette
analyse: les répercussions pédagogiques qu'une telle situation
d'entretien induise chez les enseignants. Ele permet aux enseignants de découvrir
les représentations que les élèves ont de la démarche
expérimentale, des cloisonnements disciplinaires, de ce que les élèves
entendent par matière enseignée, etc...Les enseignants apprennent
à entendre ce que les élèves ont à dire quand ils
ont le sentiment d'être écoutés.
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Alain BLANCHET, Dire et faire dire. L'entretien, Colin, 1991.
Michel. FABRE , Situations-problèmes et savoirs scolaires, PUF 1999.
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de Nancy, 1999
GUITTET, André, L'entretien, Colin, 1983.
PIAGET, J , Réussir et comprendre, PUF. 1974.
Pierre VERMERSCH, L'entretien d'explicitation, ESF, 1994.
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