La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Démarches de formation ? Jusqu'où et comment peut-on professionnaliser ?


Titre : Le dispositif d'insertion professionnelle : Une nouvelle façon de former les enseignants du secteur professionnel
Auteurs : Marc TARDIF / André BALLEUX / Clément BLANCHETTE / Université de SHERBROOKE QUÉBEC, CANADA

Texte :

   


Au Québec comme ailleurs, la formation du personnel enseignant prend en considération son insertion professionnelle. Des modalités de formation et des liens étroits avec les partenaires du monde scolaire facilitent l
'arrivée en emploi des nouveaux enseignants. Toutefois, la situation est radicalement différente quant à la préparation des enseignants du secteur professionnel.
Bien que les enseignants du secteur professionnel oeuvrent à l
'ordre d'enseignement secondaire, ils vivent une situation très particulière puisqu'ils ne suivent pas le même parcours vers l'emploi que les autres enseignants du primaire et du secondaire.  En effet, pour des raisons évidentes d'expertise et de compétences, les enseignants de la formation professionnelle sont principalement recrutés parmi les travailleurs en emploi et, sauf exception, ils n'ont pas de formation préalable à l'enseignement.  Aussi leur situation très particulière d'arrivée en enseignement explique le fait que la moyenne d'âge des enseignants de ce secteur est la plus élevée du système scolaire québécois (MEQ, 1999).  Dès leur engagement, ils doivent donc donner des cours  et, en même temps, acquérir très rapidement les bases en pédagogie en vue de mieux se préparer à enseigner et conserver leur emploi.  De plus, puisque la majorité est engagée à temps partiel ou à taux horaire, plusieurs conservent un lien d'emploi dans leur spécialisation: ils continuent d'exercer leur métier.  Conséquemment à cette insertion professionnelle atypique, nous constatons que plusieurs parmi eux abandonnent l'enseignement dans leur première année d'engagement (Tardif, 2001), le plus souvent sans avoir eu l'occasion de débuter leur formation pédagogique.
Fréquemment, la décision d'embrasser leur nouvelle profession d'enseignant se fait dans un délai très court. Ainsi, la transition entre l
'exercice d'un métier, d'une profession et celui de l'enseigner dans le cadre scolaire est généralement très abrupte.  Souvent sans aucune préparation, à quelques jours d'avis, le nouvel enseignant du professionnel est introduit dans une classe ou un atelier.  Son enseignement ne tient donc qu'à l'improvisation qu'il pourra alors déployer en référence aux modèles qu'il a lui même connus en tant qu'élève.
Il est dès lors évident que les modalités et les dispositifs utilisés dans les programmes traditionnels de formation à l
'enseignement pour faciliter l'insertion dans la profession enseignante ne peuvent être mobilisés. C'est pourquoi, nous proposons, dès l'entrée au programme de Baccalauréat en enseignement professionnel, une phase de formation portant sur l'insertion professionnelle dont l'objectif est précisément de permettre aux étudiants de répondre adéquatement aux fonctions qui leur sont dévolues et de développer la capacité de poser un regard critique sur leur enseignement.  Cette stratégie de formation nous apparaît d'autant plus nécessaire et impérieuse que la littérature révèle que les étudiants en formation dans un programme universitaire de formation des maîtres se laissent très peu influencer par les enseignements qu'ils reçoivent (Raymond, 1998).  Dans le même courant de pensée, McDiamid (1990, in Raymond, 1998) attribuerait ces résultats de recherche non seulement à l'ancrage précoce des perceptions et des conceptions des étudiants, mais aussi au caractère morcelé des programmes universitaires.
Bien que ces recherches portent exclusivement sur la formation des maîtres du secteur général, il y a tout lieu de penser que les étudiants en enseignement professionnel détiennent aussi des représentations de l
'enseignement qui sont durables et résistantes au changement surtout si, au moment de leur insertion dans la profession enseignante, on leur laisse croire qu'ils peuvent sur la reconnaissance de leur compétence du métier enseigner sans autres préalables que de suivre à chaque session un cours universitaire en psychopédagogie.  
L
'apprentissage expérientiel et la formation académique n'étant plus en opposition, mais bien en complémentarité, la dyade expérience-formation peut être vue comme une stratégie susceptible de modifier à la fois les pratiques et les conceptions qui les sous-tendent. Dans cette perspective, nous avons choisi d'ouvrir la formation sur une phase d'insertion professionnelle de neuf crédits, c'est-à-dire trois activités créditées dans le cadre d'un programme de formation pédagogique offert à l'Université de Sherbrooke.
Le plus tôt possible dans sa formation, l
'étudiant est associé à un mentor choisi parmi les enseignants de carrière dans le secteur professionnel concerné.  Le mentor a la responsabilité d'accompagner l'étudiant principalement pour lui soumettre un plan de lecture des principaux documents relatifs à l'enseignement en formation professionnelle.  Ainsi, le programme d'études, le guide d'apprentissage, l'approche par compétences, l'évaluation des compétences, etc. sont autant de domaines qui doivent être progressivement maîtrisés pour assurer un enseignement de qualité.  Le mentor demeure à la disponibilité de chaque étudiant qui lui est confié pour, le cas échéant, répondre à certaines difficultés de compréhension relatives à l'un ou l'autre des concepts de la documentation soumise.  Il doit aussi accompagner cette personne pour répondre à des difficultés rencontrées en classe ou en atelier, pour clarifier certaines notions psychopédagogiques plus difficiles à transférer dans la pratique et surtout pour lui permettre d'objectiver sa pratique et développer ainsi l'habitude de la pensée réflexive sur la pratique d'enseignement.
Afin d
'éviter, d'une part, le morcellement des contenus de formation de la phase d'insertion professionnelle et, d'autre part, le clivage entre la formation pratique et les enseignements plus théoriques transmis lors des rétroactions, le mentor invitera l'étudiant à l'un de ses cours pour démontrer une pratique jugée rigoureuse et efficace ou pour les inviter dans la classe ou l'atelier d'un collègue qui maîtrise particulièrement bien la conduite de sa classe ou encore qui procède selon une démarche pédagogique novatrice.  À ces périodes d'observation viendront s'ajouter des périodes où cette fois les étudiants seront observés par leur mentor qui, à la suite de leurs prestations, rendra compte de ses observations et rétroagira selon différentes modalités sur les pratiques qu'il aura sélectionnées.  Ces retours peuvent être tenus avec chacun des individus observés ou en petits groupes.  Il faut préciser que ces observations se font dans un authentique contexte de travail puisque les étudiants ont la responsabilité, selon leur contrat d'enseignement, d'un ou de plusieurs modules d'enseignement dans un secteur donné.
De plus, les nouvelles technologies de l'information et des communications sont mises à profit lors de cette phase d
'insertion professionnelle. Ces nouvelles technologies permettent, entre autres, l'accès à une documentation pertinente et aux outils disponibles concernant les sujets couverts dans les activités d'insertion.  Cet accès est possible grâce à l'utilisation d'un site Internet développé à cette fin.  Sur ce site, toutes les activités à compléter sont présentées au nouvel enseignant, elles lui sont expliquées et elles sont accompagnées des outils nécessaires à leur réalisation (grilles d'observation, textes, grilles de lecture, fiches thématiques, grilles d'évaluation, séquences filmées permettant l'appropriation et le développement de stratégies d'enseignement adaptées à l'enseignement professionnel, etc.).  De son côté, le mentor a accès aux mêmes documents que ceux présentés à l'enseignant débutant mais en plus, il reçoit des suggestions d'accompagnement, des renseignements supplémentaires, des méthodes proposées, bref un soutien pédagogique de base.
Le succès d
'une telle entreprise de mentorat repose sur la préparation qu'auront reçue les mentors.  Il importe donc de les réunir pour les initier à certaines démarches d'accompagnement et pour, en commun, procéder à l'analyse des pratiques qu'ils mettent en œuvre dans les situations d'accompagnement des étudiants.  Le lien entre ces personnes et les formateurs universitaires doit absolument être maintenu de manière à déterminer les attentes, les enjeux et le fonctionnement du mentorat, car peu de précédents existent pour déterminer de manière précise la tâche qu'exercent  les mentors.  Laissés à eux-mêmes, et malgré tout l'engagement qu'ils peuvent démontrer, ils risquent de devoir improviser devant des situations ou des demandes exprimées par les étudiants.  Il n'existe certes pas de réponses toutes faites aux problématiques qui leur seront soumises, mais il leur faut toutefois connaître certaines procédures telles les démarches spécifiques d'entrevue, les techniques d'animation de petits groupes, les analyses de pratiques, etc. pour s'assurer que l'accompagnement dépasse la situation binaire question-réponse, pour constituer une véritable occasion de réflexion sur la profession enseignante et sur les pratiques diversifiées qu'elle engendre.
Enfin, une autre dimension de la formation des mentors concerne l
'intégration des contenus de formation.  Non seulement il ne faut pas dissocier la formation de type cours de la formation pratique, mais il importe aussi de s'assurer que, dès la phase de l'insertion professionnelle, les étudiants connaissent les thématiques des activités pédagogiques qui seront données plus tard dans leur formation.  Il importe donc que le mentor connaisse ces contenus de manière à aviser les étudiants qui lui sont confiés qu'un approfondissement de certaines notions théoriques sera inclus dans les cours des phases suivantes.
Conclusion
L
'insertion professionnelle des enseignants est vue comme une période délicate. Fragiles dans leur processus d'adaptation, les enseignants du secteur professionnel vivent en plus le deuil de l'exercice du métier. Dans la perspective de cette problématique, le mentor est un des piliers du dispositif d'insertion professionnelle. Personne ressource, médiateur, le mentor est bien à la jonction des deux mondes, interface entre le monde scolaire où il est reconnu et le monde du métier d'où il est issu.
Références bibliographiques
Ministère de l
'Éducation du Québec (MEQ). (1999). Prévisions de l'effectif enseignant des commissions scolaires de 1996-1997 à 2008-2009. Bulletin statistique de l'éducation no 9. Québec: Gouvernement du Québec, ministère de l'Éducation, Direction des statistiques et des études quantitatives.
Raymond, D. (1998).
En formation à l'enseignement : des savoirs professionnels qui ont une longue histoire. Communication présentée au symposium ASavoirs professionnels et curriculum de formation de professionnels@, Sixièmes Rencontres du Réseau international de recherche en éducation et formation (REF) à Toulouse.
Tardif, M. (2001). Quelques indicateurs de l
'attrition des nouveaux enseignants de la formation professionnelle au Québec. In A. Beauchesne, S. Martineau et M. Tardif (dir.), La recherche en éducation et le développement de la pratique professionnelle en enseignement (p. 131-141). Sherbrooke: Éditions du CRP.

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