Introduction
En Suisse, à la fin de la scolarité obligatoire, 70% des élèves
entrent dans une formation professionnelle principalement basée sur le
modèle de l'alternance. La majorité d'entre eux visent l'obtention
d'un certificat fédéral de capacité (CFC), les autres suivent
le cursus du baccalauréat professionnel (BAC) qui permet d'accéder
aux hautes écoles spécialisées. Cette seconde voie est
caractérisé par un accroissement du temps passé en école
professionnelle et un accent plus important sur les branches générales,
ce qui devrait augmenter la qualité de la formation générale
des apprentis (Tabin, 1989). L'objet de cette recherche est d'examiner la structure
de la motivation des apprentis des deux types de filières pour les différentes
dimensions de leur apprentissage (branches professionnelles, culture générale
ou activité en entreprise) et son évolution durant la première
année d'apprentissage. Cette année est assez déterminante
pour la suite de la formation. Ainsi, dans la région de notre étude,
à la fin de la première année environ 10% des apprentis
abandonnent et 10% changent de place d'apprentissage ou de voie de formation.
Si des recherches ont été réalisées pour mesurer
l'effet de causes diverses comme l'origine scolaire ou le choix professionnel
sur ces changements d'orientation (Amos, 1990), le lien avec la motivation des
apprentis n'a pas été démontré.
Abordée dans une approche sociocognitive, la motivation est considérée
comme une entité complexe résultant d'interaction entre les attentes
des élèevs et des valeur accordée à la tâche
(Viau, 1994). Du côté des attentes, on trouve les croyances des
élèves quant aux causes de succès et d'échec (Weiner,
1992) et le concept de soi (Bandura, 1982). Deux composantes sont associées
aux valeur : les buts poursuivis par les élèves (Pintrich, 2000,
Lieury & Fenouillet, 1996) et la perception de l'importance des apprentissages
(Wigfield, 1993, ). Autrement dit, l'engagement d'un individu dans une activité
dépend de son sentiment de pouvoir réussir cette tâche et
de l'intérêt, qu'il lui porte (Martin, 1994). Les croyances attributionnelles.
Dans le prolongement des travaux de Boekaerts (Seegers et Boekaerts), nos précédentes
recherches réalisés auprès d'élèves de fin
de scolarité obligatoire ont mis en évidence l'influence directe
de l'attrait, de l'utilité perçue de l'école et du sentiment
de compétence sur la volonté d'apprendre, composante située
au bout du processus motivationnel (Ntamakiliro, Monnard & Gurtner, 2000).
Etant donné leur caractère déterminant, nous avons choisi
d'étudier l'évolution de ces composantes plus loin dans la formation
des jeunes, en nous intéressant cette fois à la formation professionnelle.
Nos travaux ayant mis en évidence une différenciation de plus
en plus fine des perceptions en fonction des disciplines scolaires (Gurtner,
Monnard & Genoud, 2001), nous souhaitions étudier dans quelle mesure
cette différenciation persiste et se structure cette fois en fonction
non plus des disciplines, mais du type de domaine concerné.
L'objet de la recherche présentée ici est donc d'examiner la
structure de la motivation des apprentis des filières CFC et BAC pour
les différentes dimensions de leur apprentissage (branches professionnelles,
culture générale ou activité en entreprise). Les questions
suivantes sont en particulier examinées :
· Comment la motivation s'articule-t-elle en fonction des trois domaines
d'activité ?
· Comment évolue la motivation durant la première année
de formation ?
· Quel est l'effet du type de filière suivi ?
· Le caractère volontaire ou forcé du choix et/ou d'une
profession a-t-il une influence sur la motivation ?
Méthode
Ces questions ont été appréhendées au moyen de plusieurs
questionnaires, dont une échelle multidimensionnelle de motivation (adapté
de l'EMMAS, échelle multidimensionnelle de motivation pour les apprentissages
scolaires (Ntamakiliro, Monnard & Gurtner, 2000). Cette échelle évalue
8 composantes de la motivation (utilité perçue, attrait, sentiment
de compétence, volonté d'apprendre, état d'anxiété,
orientation vers la tâche, orientation vers soi, évitement de la
tâche) pour chacun des domaines de formation (branches professionnelles,
culture générale, travail en entreprise). Les questionnaires ont
été soumis à deux reprises - début et milieu de
première année - à 202 apprentis suivant une formation
de type commercial (112) ou artisanal et industriel (90), engagés soit
dans la filière CFC (127), soit dans la filière BAC (75).
Résultats
Des analyses de variance (multi et univariées, mesures répétées)
ont été réalisées pour évaluer l'évolution
de la motivation entre les deux passations et les effets du domaine de formation
(branches générales ou professionnelles entreprise), du choix
professionnel, de la filière (CFC ou BAC) et du type de profession (commercial
ou artisanal et industriel). Seules les différences significatives sont
considérées (p<.05). Les moyennes obtenues par les différents
groupes sont données dans le tableau annexé.
Domaine de formation
Les apprentis sont plus motivés pour le travail en entreprise que pour
les cours de l'école professionnelle, aussi bien au début qu'au
milieu de la première année. Cela est vrai pour toutes les composantes
sauf l'utilité perçue: s'ils considèrent le travail en
entreprise comme plus utile pour leur avenir que les branches générales,
par contre ils estiment que ce sont les branches professionnelles qui ont le
plus de sens dans leur formation. Ils placent en deuxième position les
branches professionnelles et en dernier seulement les branches générales.
En ce qui concerne les orientations, les cours dans ces deux domaines font jeu
égal, mais c'est à nouveau le travail en entreprise qui suscite
le plus fort engagement et le moins d'évitement.
On observe quelques effets d'interaction avec la filière suivie par les
étudiants, mais uniquement au début d'année. Il s'agit
le plus souvent d'une inversion des positions dans les domaines scolaires: les
CFC considèrent les branches professionnelles comme plus utiles que les
MATU et c'est l'inverse pour les branches générales, même
si celles-ci occupent la position la plus basse dans les deux cas. Pour l'attrait,
si CFC et MATU apprécient pareillement les branches générales,
les CFC sont nettement plus intéressés par les branches professionnelles
que les MATU. Pour la volonté d'apprendre enfin, les MATU placent les
branches générales devant les branches professionnelles et c'est
l'inverse pour les CFC.
Evolution
Entre le début et le milieu de la première année de formation,
l'évolution la plus importante concerne la motivation pour les branches
générales. Les apprentis aiment moins ces branches qu'au début
de l'année, ils les trouvent moins utiles pour leur avenir et leur volonté
d'apprendre diminue; ils sont également moins orientés vers la
tâche. Par contre ils se sentent plus compétents qu'au début
de l'année. Pour les branches professionnelles et le travail en entreprise,
la motivation évolue peu. L'attrait pour le travail en entreprise baisse
légèrement; notons qu'en début d'année il affichait
une valeur très élevée, à moins d'un point du maximum
possible. Malgré cette baisse le travail en entreprise reste le domaine
préféré des apprentis. Si les apprentis aiment de moins
en moins les branches générales, par contre ils apprécient
plus les branches professionnelles; leur état d'anxiété
face aux examens dans ce domaine diminue tandis que leur sentiment de compétence
augmente.
Filière CFC ou BAC
Le fait d'être engagé dans une filière certificat ou baccalauréat
n'influence que peut la structure et l'évolution de la motivation. On
observe un effet uniquement dans le domaine des branches professionnelles: Les
apprentis de la filière CFC apprécient plus ces branches que les
apprentis de filière MATU, ils sont plus anxieux et affichent une plus
grande volonté d'apprendre. Toutefois, il semble que ces différences
vont en s'atténuant, puisque l'évolution à la hausse du
sentiment de compétence et de la volonté d'apprendre est plus
forte chez les MATU que chez les CFC.
Type de formation
La motivation des apprentis varie assez nettement selon le type de formation
suivie. D'une manière générale, ceux qui sont engagés
dans des formations commerciales (COMMERCE) sont plus motivés que ceux
qui se forment dans le domaine artisanal et industriel (ARTI-INDUS). Les COMMERCE
apprécient plus les branches générales, ils ont plus d'envie
d'apprendre et les trouvent plus utiles; ils se sentent plus compétents
dans les branches professionnelles, même s'ils affichent aussi plus d'anxiété
à l'égard de ce domaine. En entreprise également, les ARTI-INDUS
sont moins motivés: orientation envers la tâche moins élevé,
plus forte tendance à éviter la tâche et enfin, volonté
d'apprendre moindre. Il faut noter toutefois que cette variable est peut-être
confondue avec la variable sexe; on trouve en effet une forte majorité
de filles dans les formations COMMERCE et une grande proportion de garçons
dans les formations ARTI-INDUS. Ce point devra encore être analysé
plus en détail.
Choix professionnel
Il était demandé aux apprentis s'ils effectuent leur formation
dans la profession qu'ils souhaitaient exercé. La conformité avec
les désirs joue un rôle non négligeable sur leur motivation.
Les différences sont assez peu sensibles en début d'année,
hormis pour le travail en entreprise que les apprentis satisfaits apprécient
plus et qu'ils considèrent comme plus utile. Elles augmentent nettement
durant l'année, les apprentis non satisfaits affichant alors une motivation
globalement plus faible dans les trois domaines de formation. Leur volonté
d'apprendre est moindre, ils aiment moins les branches professionnelles et le
travail en entreprise et les considèrent comme moins utiles; sur tous
ces indices, leur motivation baisse. Pour les autres élèves, la
baisse est nettement plus faible et on observe même un accroissement de
l'intérêt et de l'utilité des branches professionnelles.
Discussion
Les résultats ont mis en évidence la place privilégiée
du travail en entreprise dans la motivation des apprentis. Au contraire, les
branches générales paraissent les moins engageantes, la motivation
déjà plus basse que pour les autres domaines en début d'année
ayant même tendance à baisser encore au fil des mois.
Les apprentis ne se distinguent pas vraiment en fonction de la filière
suivie; on peut imaginer que la possibilité de faire une maturité
représente une opportunité supplémentaire pour les élèves
avec de bonnes compétences scolaires plutôt qu'un choix axé
sur une formation longue; la motivation reste la plus élevée pour
le côté pratique de la formation en entreprise. Nos résultats
semblent indiquer que les variables permettant d'expliquer des différences
de motivation sont le choix professionnel et la nature de la profession. Une
conformité entre la profession que l'on souhaite exercer et celle qu'on
apprend soutient mieux la motivation qu'un choix "forcé"; les
apprentis engagés dans des apprentissages de type commercial paraissent
aussi plus motivés que ce soit pour leur travail ou pour les cours. Peut-être
le caractère plus "manuel" des professions artisanales et industrielles
explique-t-il ce désinvestissement dans la formation; les apprentis ayant
choisi ce type de formation seraient alors les plus réfractaires au système
scolaire traditionnel.
Références
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d'intérêt!. Montréal: La Commission des écoles catholiques
de Montréal.
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AMOS, J. (1990). Succès et échecs dans l'apprentissage. In R.
GIROD, R. (Ed.) (1990). Problèmes actuels posés par la formation
professionnelle en Suisse (pp. 77-93). Lausanne : Cahiers du Centre d'étude
de la politique sociale.
TABIN, J.-P. (1989). Formation professionnelle en Suisse : Histoire et actualité.
Lausanne : Réalités sociales.
VIAU, R. (1994). La motivation en contexte scolaire. Bruxelles: De Boeck.
WEINER, B. (1992). Human motivation. Newbury Park, CA: Sage.
BANDURA, A. (1982). Self-efficacy mechanism in human agency. American Psychologist,
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WIGFIELD, A. (1993). Why schould I learn this? Adolescents' achievement values
for different activities. In M.L MAEHR & P.R. PINTRICH (Eds.), Advances
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SEEGERS, G., & BOEKAERTS, M. (1993). Task motivation and mathematics achievement
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complémentaires. L'orientation scolaire et professionnelle, 29(4), 673-693.
GURTNER, J.-L., MONNARD, I., & GENOUD, P. A. (2001). Towards a multilayer
model of context and its impact on motivation. In S. Volet & S. Järvelä
(Eds.), Motivation in learning contexts Theoretical advances and methodological
implications (pp. 189-208). Amsterdam, London: Pergamon.
LIEURY, A., & FENOUILLET, F. (1996). Motivation et réussite scolaire.
Paris: Dunod.
Annexe
Tableau 1 : Moyennes des apprentis pour les composantes de la motivation
en fonction de la filière, du type de profession et de la conformité
du choix professionnel avec les souhaits
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