La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Démarches de formation ? Jusqu'où et comment peut-on professionnaliser ?


Titre : Structure et évolution de diverses composantes de la motivation chez des apprentis de première année en formation alternée
Auteurs : MONNARD Isabelle, GORGA Adriana, GURTNER Jean-Luc - Département des Sciences de l'éducation, Université de Fribourg (Suisse)

Texte :

Introduction
En Suisse, à la fin de la scolarité obligatoire, 70% des élèves entrent dans une formation professionnelle principalement basée sur le modèle de l'alternance. La majorité d'entre eux visent l'obtention d'un certificat fédéral de capacité (CFC), les autres suivent le cursus du baccalauréat professionnel (BAC) qui permet d'accéder aux hautes écoles spécialisées. Cette seconde voie est caractérisé par un accroissement du temps passé en école professionnelle et un accent plus important sur les branches générales, ce qui devrait augmenter la qualité de la formation générale des apprentis (Tabin, 1989). L'objet de cette recherche est d'examiner la structure de la motivation des apprentis des deux types de filières pour les différentes dimensions de leur apprentissage (branches professionnelles, culture générale ou activité en entreprise) et son évolution durant la première année d'apprentissage. Cette année est assez déterminante pour la suite de la formation. Ainsi, dans la région de notre étude, à la fin de la première année environ 10% des apprentis abandonnent et 10% changent de place d'apprentissage ou de voie de formation. Si des recherches ont été réalisées pour mesurer l'effet de causes diverses comme l'origine scolaire ou le choix professionnel sur ces changements d'orientation (Amos, 1990), le lien avec la motivation des apprentis n'a pas été démontré.
Abordée dans une approche sociocognitive, la motivation est considérée comme une entité complexe résultant d'interaction entre les attentes des élèevs et des valeur accordée à la tâche (Viau, 1994). Du côté des attentes, on trouve les croyances des élèves quant aux causes de succès et d'échec (Weiner, 1992) et le concept de soi (Bandura, 1982). Deux composantes sont associées aux valeur : les buts poursuivis par les élèves (Pintrich, 2000, Lieury & Fenouillet, 1996) et la perception de l'importance des apprentissages (Wigfield, 1993, ). Autrement dit, l'engagement d'un individu dans une activité dépend de son sentiment de pouvoir réussir cette tâche et de l'intérêt, qu'il lui porte (Martin, 1994). Les croyances attributionnelles. Dans le prolongement des travaux de Boekaerts (Seegers et Boekaerts), nos précédentes recherches réalisés auprès d'élèves de fin de scolarité obligatoire ont mis en évidence l'influence directe de l'attrait, de l'utilité perçue de l'école et du sentiment de compétence sur la volonté d'apprendre, composante située au bout du processus motivationnel (Ntamakiliro, Monnard & Gurtner, 2000). Etant donné leur caractère déterminant, nous avons choisi d'étudier l'évolution de ces composantes plus loin dans la formation des jeunes, en nous intéressant cette fois à la formation professionnelle. Nos travaux ayant mis en évidence une différenciation de plus en plus fine des perceptions en fonction des disciplines scolaires (Gurtner, Monnard & Genoud, 2001), nous souhaitions étudier dans quelle mesure cette différenciation persiste et se structure cette fois en fonction non plus des disciplines, mais du type de domaine concerné.

L'objet de la recherche présentée ici est donc d'examiner la structure de la motivation des apprentis des filières CFC et BAC pour les différentes dimensions de leur apprentissage (branches professionnelles, culture générale ou activité en entreprise). Les questions suivantes sont en particulier examinées :
· Comment la motivation s'articule-t-elle en fonction des trois domaines d'activité ?
· Comment évolue la motivation durant la première année de formation ?
· Quel est l'effet du type de filière suivi ?
· Le caractère volontaire ou forcé du choix et/ou d'une profession a-t-il une influence sur la motivation ?

Méthode
Ces questions ont été appréhendées au moyen de plusieurs questionnaires, dont une échelle multidimensionnelle de motivation (adapté de l'EMMAS, échelle multidimensionnelle de motivation pour les apprentissages scolaires (Ntamakiliro, Monnard & Gurtner, 2000). Cette échelle évalue 8 composantes de la motivation (utilité perçue, attrait, sentiment de compétence, volonté d'apprendre, état d'anxiété, orientation vers la tâche, orientation vers soi, évitement de la tâche) pour chacun des domaines de formation (branches professionnelles, culture générale, travail en entreprise). Les questionnaires ont été soumis à deux reprises - début et milieu de première année - à 202 apprentis suivant une formation de type commercial (112) ou artisanal et industriel (90), engagés soit dans la filière CFC (127), soit dans la filière BAC (75).

Résultats
Des analyses de variance (multi et univariées, mesures répétées) ont été réalisées pour évaluer l'évolution de la motivation entre les deux passations et les effets du domaine de formation (branches générales ou professionnelles entreprise), du choix professionnel, de la filière (CFC ou BAC) et du type de profession (commercial ou artisanal et industriel). Seules les différences significatives sont considérées (p<.05). Les moyennes obtenues par les différents groupes sont données dans le tableau annexé.

Domaine de formation
Les apprentis sont plus motivés pour le travail en entreprise que pour les cours de l'école professionnelle, aussi bien au début qu'au milieu de la première année. Cela est vrai pour toutes les composantes sauf l'utilité perçue: s'ils considèrent le travail en entreprise comme plus utile pour leur avenir que les branches générales, par contre ils estiment que ce sont les branches professionnelles qui ont le plus de sens dans leur formation. Ils placent en deuxième position les branches professionnelles et en dernier seulement les branches générales. En ce qui concerne les orientations, les cours dans ces deux domaines font jeu égal, mais c'est à nouveau le travail en entreprise qui suscite le plus fort engagement et le moins d'évitement.
On observe quelques effets d'interaction avec la filière suivie par les étudiants, mais uniquement au début d'année. Il s'agit le plus souvent d'une inversion des positions dans les domaines scolaires: les CFC considèrent les branches professionnelles comme plus utiles que les MATU et c'est l'inverse pour les branches générales, même si celles-ci occupent la position la plus basse dans les deux cas. Pour l'attrait, si CFC et MATU apprécient pareillement les branches générales, les CFC sont nettement plus intéressés par les branches professionnelles que les MATU. Pour la volonté d'apprendre enfin, les MATU placent les branches générales devant les branches professionnelles et c'est l'inverse pour les CFC.

Evolution
Entre le début et le milieu de la première année de formation, l'évolution la plus importante concerne la motivation pour les branches générales. Les apprentis aiment moins ces branches qu'au début de l'année, ils les trouvent moins utiles pour leur avenir et leur volonté d'apprendre diminue; ils sont également moins orientés vers la tâche. Par contre ils se sentent plus compétents qu'au début de l'année. Pour les branches professionnelles et le travail en entreprise, la motivation évolue peu. L'attrait pour le travail en entreprise baisse légèrement; notons qu'en début d'année il affichait une valeur très élevée, à moins d'un point du maximum possible. Malgré cette baisse le travail en entreprise reste le domaine préféré des apprentis. Si les apprentis aiment de moins en moins les branches générales, par contre ils apprécient plus les branches professionnelles; leur état d'anxiété face aux examens dans ce domaine diminue tandis que leur sentiment de compétence augmente.

Filière CFC ou BAC
Le fait d'être engagé dans une filière certificat ou baccalauréat n'influence que peut la structure et l'évolution de la motivation. On observe un effet uniquement dans le domaine des branches professionnelles: Les apprentis de la filière CFC apprécient plus ces branches que les apprentis de filière MATU, ils sont plus anxieux et affichent une plus grande volonté d'apprendre. Toutefois, il semble que ces différences vont en s'atténuant, puisque l'évolution à la hausse du sentiment de compétence et de la volonté d'apprendre est plus forte chez les MATU que chez les CFC.

Type de formation
La motivation des apprentis varie assez nettement selon le type de formation suivie. D'une manière générale, ceux qui sont engagés dans des formations commerciales (COMMERCE) sont plus motivés que ceux qui se forment dans le domaine artisanal et industriel (ARTI-INDUS). Les COMMERCE apprécient plus les branches générales, ils ont plus d'envie d'apprendre et les trouvent plus utiles; ils se sentent plus compétents dans les branches professionnelles, même s'ils affichent aussi plus d'anxiété à l'égard de ce domaine. En entreprise également, les ARTI-INDUS sont moins motivés: orientation envers la tâche moins élevé, plus forte tendance à éviter la tâche et enfin, volonté d'apprendre moindre. Il faut noter toutefois que cette variable est peut-être confondue avec la variable sexe; on trouve en effet une forte majorité de filles dans les formations COMMERCE et une grande proportion de garçons dans les formations ARTI-INDUS. Ce point devra encore être analysé plus en détail.

Choix professionnel
Il était demandé aux apprentis s'ils effectuent leur formation dans la profession qu'ils souhaitaient exercé. La conformité avec les désirs joue un rôle non négligeable sur leur motivation. Les différences sont assez peu sensibles en début d'année, hormis pour le travail en entreprise que les apprentis satisfaits apprécient plus et qu'ils considèrent comme plus utile. Elles augmentent nettement durant l'année, les apprentis non satisfaits affichant alors une motivation globalement plus faible dans les trois domaines de formation. Leur volonté d'apprendre est moindre, ils aiment moins les branches professionnelles et le travail en entreprise et les considèrent comme moins utiles; sur tous ces indices, leur motivation baisse. Pour les autres élèves, la baisse est nettement plus faible et on observe même un accroissement de l'intérêt et de l'utilité des branches professionnelles.

Discussion
Les résultats ont mis en évidence la place privilégiée du travail en entreprise dans la motivation des apprentis. Au contraire, les branches générales paraissent les moins engageantes, la motivation déjà plus basse que pour les autres domaines en début d'année ayant même tendance à baisser encore au fil des mois.
Les apprentis ne se distinguent pas vraiment en fonction de la filière suivie; on peut imaginer que la possibilité de faire une maturité représente une opportunité supplémentaire pour les élèves avec de bonnes compétences scolaires plutôt qu'un choix axé sur une formation longue; la motivation reste la plus élevée pour le côté pratique de la formation en entreprise. Nos résultats semblent indiquer que les variables permettant d'expliquer des différences de motivation sont le choix professionnel et la nature de la profession. Une conformité entre la profession que l'on souhaite exercer et celle qu'on apprend soutient mieux la motivation qu'un choix "forcé"; les apprentis engagés dans des apprentissages de type commercial paraissent aussi plus motivés que ce soit pour leur travail ou pour les cours. Peut-être le caractère plus "manuel" des professions artisanales et industrielles explique-t-il ce désinvestissement dans la formation; les apprentis ayant choisi ce type de formation seraient alors les plus réfractaires au système scolaire traditionnel.

Références
MARTIN, L. (1994). La motivation à apprendre: plus qu'une simple question d'intérêt!. Montréal: La Commission des écoles catholiques de Montréal.
PINTRICH, P.R. (2000). Multiple goals, multiple pathways: the role of goal orientation in learning and achievement. Journal of Educational Psychology, 92(3), 544-555.
AMOS, J. (1990). Succès et échecs dans l'apprentissage. In R. GIROD, R. (Ed.) (1990). Problèmes actuels posés par la formation professionnelle en Suisse (pp. 77-93). Lausanne : Cahiers du Centre d'étude de la politique sociale.
TABIN, J.-P. (1989). Formation professionnelle en Suisse : Histoire et actualité. Lausanne : Réalités sociales.
VIAU, R. (1994). La motivation en contexte scolaire. Bruxelles: De Boeck.
WEINER, B. (1992). Human motivation. Newbury Park, CA: Sage.
BANDURA, A. (1982). Self-efficacy mechanism in human agency. American Psychologist, 37, 122-148.
WIGFIELD, A. (1993). Why schould I learn this? Adolescents' achievement values for different activities. In M.L MAEHR & P.R. PINTRICH (Eds.), Advances in motivation and achievement (vol. 8). Greenwich: J.A.I. Press.
SEEGERS, G., & BOEKAERTS, M. (1993). Task motivation and mathematics achievement in actual task situations. Learning and Instruction, 3, 133-150.
NTAMAKILIRO, L., MONNARD, I., & GURTNER, J.-L. (2000). Mesure de la motivation scolaire des adolescents: construction et validation de trois échelles complémentaires. L'orientation scolaire et professionnelle, 29(4), 673-693.
GURTNER, J.-L., MONNARD, I., & GENOUD, P. A. (2001). Towards a multilayer model of context and its impact on motivation. In S. Volet & S. Järvelä (Eds.), Motivation in learning contexts Theoretical advances and methodological implications (pp. 189-208). Amsterdam, London: Pergamon.
LIEURY, A., & FENOUILLET, F. (1996). Motivation et réussite scolaire. Paris: Dunod.

Annexe
Tableau 1 : Moyennes des apprentis pour les composantes de la motivation en fonction de la filière, du type de profession et de la conformité du choix professionnel avec les souhaits



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