Depuis quelques années, un gigantesque effort est fait pour équiper
les établissements scolaires en informatique et réseaux. Cet effort
d'équipement s'est accompagné d'une offre de formations variées,
allant de l'initiation dans les locaux du centre de formation jusqu'aux formations
spécifiques sur site (dans les établissements).
Malgré cela, à l'image des usages d'Internet dans la population
française, on constate que les usages pédagogiques restent le
fait d'une minorité. On constate cependant que la représentation
d'Internet évolue : ainsi, Internet est maintenant moins assimilé
à l'informatique et au courier électronique, mais reste fortement
associé au Web. Sans doute faut-il y voir la prégnance d'un discours
commun en passe de s'affiner. Toujours est-il que les fonctions de communication,
d'information (recherchée ou présentée) sont de plus en
plus clairement identifiées.
Les deux dernières recherches de l'équipe du département
Technologies Nouvelles et Education (INRP) à laquelle j'appartiens portent
sur le champ général de l'étude des modalités d'usages
éducatifs d'Internet et des TIC : la première (enseignement élémentaire)
concernait les services internet de l'opération "La main à
la pâte", la seconde, en association avec des équipes des
académies de Caen (Lycée Laplace de Caen, Pays d'Auge Nord et
Sud), Nice et Rennes (Pays du Roi Morvan), était consacrée aux
conditions d'usages d'Internet par les communautés scolaires (enseignement
élémentaire et secondaire).
Les représentations que se font les enseignants (et les acteurs du système
éducatif) des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC)
nous semblent être un élément d'explication prépondérant,
qui va bien au delà du discours mettant traditionnellement en cause la
formation et l'équipement. Questionnaires et entretiens non directifs
ont permis de mettre en évidence certaines constantes dans les attentes
et représentations des enseignants pouvant expliquer que l'intégration
d'Internet reste le fait d'une minorité.
Le rapport entre les TIC et le système éducatif est souvent vécu
sur le mode d'une confrontation. Alors qu'il faudrait considérer les
TIC, et donc Internet, comme des outils à la disposition de la communauté
éducative. Cette hypothèse se retrouve souvent dans le discours
des enseignants, mais beaucoup moins dans leurs actes. Et, passée sa
simple expression, l'analyse du discours laisse apparaître la faiblesse
de leur croyance en cette notion d'outil et de ressource.
Nombreuses sont les raisons de ne pas utiliser Internet.
Celle qui ressort en premier lieu est la crainte technologique. Même chez
ceux qui ont suivi des formations. Sans doute peut-on voir là une certaine
critique du contenu des formations, souvent beaucoup trop "techno-centrées",
ainsi que le décalage temporel entre la formation et l'équipement
de l'établissement (certains ont attendu 2 ans avant d'voir leur matériel!).
Mais apparaît très vite la notion de modification de la place et
du rôle de l'enseignant : c'est la relation élève-enseignant
qui semble changer alors totalement de dimension. Et, au delà, c'est
la remise en cause des pratiques pédagogiques habituelles qui semble
parfois être un obstacle insurmontable. Un peu comme si la mise en uvre
de cet outil dans une perspective éducative (et des réflexions
nécessaires qui sont alors générées) obligeait certains
enseignants à prendre un certain recul pour réfléchir à
leur rôle et à leur manière d'enseigner. Cette prise de
conscience est difficile pour certains, complètement enfermés
dans leur routine non technologique (ce qui ne les empêche pas souvent
d'être à l'écoute des évolutions sociales et d'en
tenir compte dans leurs pratiques pédagogiques). Ceux-là généralement
préfèrent le livre, refusent la calculatrice,
D'autres par
contre ont fait le choix de s'enfermer dans une forme d'enseignement qu'ils
ne remettront en cause pour rien au monde, préférant privilégier
un certain mode de vie, reléguant le métier au second plan, peu
enclins à s'investir même à titre privé dans l'apprentissage
de pratiques technologiques, à un engagement digne des "hussards
de la République" (nous avons eu la chance de trouver des réfractaires
à l'usage des technologies, catégorie d'enseignants qu'il est
particulièrement difficile à faire s'exprimer).
La technologie, utilisée en classe ou plus généralement
au CDI, est souvent considérée comme une intruse dans une relation
"privilégiée" (voire idéalisée) entre
l'enseignant et l'élève. Un peu comme si l'autonomie que pourrait
acquérir l'élève mettrait l'enseignant au second plan.
Si le côté affectif de la relation est souvent évoqué,
la crainte que l'enseignant a de ne plus être le puits de savoir unique
n'est que rarement signalée. Tout au plus est-il question de "copier-coller"
fait par les élèves, sans aucune analyse ni traitement des informations
récupérées, mais aussi de la quantité, de la pertinence
et de la validité de l'information et, parfois, du risque que l'élève
s'échappe du cadre dans lequel il est sensé travailler (en allant
surfer n'importe où par exemple). Toutefois, dès lors que le travail
s'inscrit dans un projet (ce qui implique une démarche pédagogique
pensée différemment), seules ces dernières questions pratiques
sont abordées.
Justement, quand il y a utilisation d'internet, quels sont les usages que nous
avons constatés?
Avant tout, Internet est utilisé pour la préparation des séquences
pédagogiques. Dans ce cas, seul l'enseignant y accède. C'était
en particulier le cas pour l'opération "La main à la pâte",
et continue de l'être avec la rénovation de l'enseignement des
sciences à l'école élémentaire.
Les reproches faits à Internet concernent le temps que représente
une recherche, la pléthore d'informations recueillies et leur validité.
Dans les entretiens apparaît la demande implicite de "certification"
des informations obtenues. Techniquement, il s'agit de l'idée de "portails
pédagogiques", permettant d'accéder à des informations
pertinentes, validées et cautionnées. Les serveurs LAMAP jouent
ce rôle. Et vont même au delà puisqu'ils proposent des séquences
pédagogiques réalisées par des enseignants et la possibilité
d'avoir recours à des consultants scientifiques ou pédagogiques
pour réaliser et comprendre des expérimentations. Il ne s'agit
pas d'avoir accès par le biais de ces consultants à un savoir
uniquement encyclopédique, mais bien de soutien à une pratique
pédagogique. Cette "béquille" est particulièrement
appréciée par les enseignants, même si ils sont peu (par
rapport au nombre de connexion) à l'utiliser. De plus, les questions
posées et les réponses apportées sont mises à la
disposition de tous sur le serveur.
Comme autre usage, on trouve la messagerie. Elle permet de tisser ou de conserver
des liens, mais aussi d'accéder à des informations et d'en diffuser
par le biais de listes de diffusions. Là encore, il s'agit d'usages liés
à la préparation des cours, voire d'usages privés.
En ce qui concerne les pratiques avec élèves, on note des différences
entre l'école élémentaire et le secondaire. La messagerie
semble plus utilisée dans l'élémentaire, en particulier
pour les correspondances entre classes. C'est souvent l'enseignant qui se charge
des procédures techniques liées à l'envoi des messages
et généralement un élève qui est chargé de
réceptionner les messages.
Dans les académies de Nice et de Caen, des projets de production pour
Internet (activités d'écriture) ont été mis en place
par les instances académiques. Si, pendant la période de présence
hiérarchique forte, ces projets ont assez bien fonctionné, on
ne peut pas dire qu'à l'issue de ces projets il y ait eu un réel
prolongement des usages. Seuls les enseignants qui avaient adhéré
à ces projets ont eu ensuite, forts de cette expérience, envie
de continuer à travailler sur un projet Internet. Mais nous manquons
de données sur ce qui s'est réellement passé alors.
Il y a aussi la réalisation de services (souvent portée à
bout de bras par l'enseignant) mais nous n'avons pas particulièrement
étudié cet aspect.
La recherche d'information dans le cadre d'un travail demandé est une
activité qui se répend peu à peu. Très souvent le
CDI est mis à contribution. La recherche d'information peut ne pas être
à caractère directement pédagogique : par exemple, consultation
du service de l'ONISEP pour les élèves désireux de préparer
leur orientation. La recherche d'information se fait rarement dans le cadre
du cours, pour des raisons liées au temps de recherche.
Il y a ensuite un travail sur le traitement des informations obtenues, ce qui
peut impliquer une collaboration étroite entre documentaliste et enseignant.
Ce travail sur les informations nécessite une évolution des pratiques
pédagogiques habituelles. Un enseignant déplorait ainsi que des
élèves lui remettaient des dossier ne contenant que des copier-coller,
mais ne disait rien sur la méthode de travail qu'il avait pu suggérer
aux élèves. Dans ce cas, l'utilisation de l'outil implique un
apprentissage méthodologique différent, consommateur de temps
qui, pour certains, risque de se faire au détriment du contenu et de
la réalisation du programme disciplinaire. On retrouve alors la crainte
que l'acquisition de pratiques non évaluables se fasse au détriment
de "savoirs fondamentaux".
Paradoxalement, l'évaluation du travail que les élèves
peuvent être amenés à faire avec Internet n'est jamais évoquée.
Alors que souvent l'efficacité (pédagogique?) de cet outil-ressource
est mise en doute.
Conclusion :
Il ne s'agit aucunement ici de donner des préconisations, le nombre d'entretiens
et de questionnaires n'étant pas suffisant pour tirer des conclusions
généralisables. Tout au plus, l'expression des obstacles cités
précédemment permet d'entrevoir certains facteurs qui seraient
à même de favoriser les usages pédagogiques d'Internet.
Concevoir Internet comme une ressource comme une autre est un de ces facteurs.
Ceci passe donc avant tout par une formation initiale ne marginalisant pas Internet,
mais ne le mettant pas non plus au centre des préoccupations des futurs
enseignants. Ceci passe aussi par la formation continue. Montrer des exemples
de séquences pédagogiques intégrant cette ressource, exemples
qui marchent ou ne marchent pas, mais qui sont expliqués et commentés,
est sans doute un bon moyen de convaincre. En tout cas, cela aurait le mérite
d'interpeller directement les enseignants concernés sur leurs propres
pratiques.
Le réseau et les machines doivent fonctionner sans que l'enseignant soit
amené à jouer au technicien. Il ne s'agit pas de donner une formation
technique (on "professionalise" l'enseignement, la polyvalence a donc
ses limites) mais d'offrir une maintenance permanente. Ainsi, les enseignants
qui craignent d'être en position de faiblesse face à leurs élèves
(ceux-ci sont souvent imaginés plus "aptes" dans la maîtrise
de l'outil informatique, surtout au collège ou au lycée) se verraient
déchargés de cette crainte.
Les enseignants, face à l'immensité du savoir disponible sur Internet,
aimeraient ne trouver que des informations "certifiées". La
mise en place de portails répondrait à cette demande. Et serait
sans doute encore plus efficace si elle s'accompagnait de services à
valeur ajoutée, comme des listes de diffusion thématiques, la
possibilité de contacter des consultants, la mise en place de forums,
Enfin, et surtout, la représentation que les enseignants ont de leur
métier est fondamentale. La notion de réseau (et donc de multitude)
se heurte à l'individualisme de l'enseignant dans sa classe face à
ses élèves. La gestion de ressources multiples ne s'improvise
pas. Les pratiques des enseignants se trouvent confrontées avec Internet
à une culture de réseau et à une culture de ressources.
Pour peu que la représentation qu'ils ont de leur métier n'accepte
pas ces deux cultures, la confrontation perdurera. Car pourquoi utiliser quelque
chose dont on ne voit pas quel intérêt il peut avoir.
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