La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : En quoi la 'maƮtrise' de l'information est-elle au service de la connaissance ?


Titre : Quelques facteurs pouvant contribuer au développement des usages pédagogiques d'Internet
Auteurs : CLAIR Jean-François

Texte :

Depuis quelques années, un gigantesque effort est fait pour équiper les établissements scolaires en informatique et réseaux. Cet effort d'équipement s'est accompagné d'une offre de formations variées, allant de l'initiation dans les locaux du centre de formation jusqu'aux formations spécifiques sur site (dans les établissements).
Malgré cela, à l'image des usages d'Internet dans la population française, on constate que les usages pédagogiques restent le fait d'une minorité. On constate cependant que la représentation d'Internet évolue : ainsi, Internet est maintenant moins assimilé à l'informatique et au courier électronique, mais reste fortement associé au Web. Sans doute faut-il y voir la prégnance d'un discours commun en passe de s'affiner. Toujours est-il que les fonctions de communication, d'information (recherchée ou présentée) sont de plus en plus clairement identifiées.
Les deux dernières recherches de l'équipe du département Technologies Nouvelles et Education (INRP) à laquelle j'appartiens portent sur le champ général de l'étude des modalités d'usages éducatifs d'Internet et des TIC : la première (enseignement élémentaire) concernait les services internet de l'opération "La main à la pâte", la seconde, en association avec des équipes des académies de Caen (Lycée Laplace de Caen, Pays d'Auge Nord et Sud), Nice et Rennes (Pays du Roi Morvan), était consacrée aux conditions d'usages d'Internet par les communautés scolaires (enseignement élémentaire et secondaire).
Les représentations que se font les enseignants (et les acteurs du système éducatif) des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) nous semblent être un élément d'explication prépondérant, qui va bien au delà du discours mettant traditionnellement en cause la formation et l'équipement. Questionnaires et entretiens non directifs ont permis de mettre en évidence certaines constantes dans les attentes et représentations des enseignants pouvant expliquer que l'intégration d'Internet reste le fait d'une minorité.
Le rapport entre les TIC et le système éducatif est souvent vécu sur le mode d'une confrontation. Alors qu'il faudrait considérer les TIC, et donc Internet, comme des outils à la disposition de la communauté éducative. Cette hypothèse se retrouve souvent dans le discours des enseignants, mais beaucoup moins dans leurs actes. Et, passée sa simple expression, l'analyse du discours laisse apparaître la faiblesse de leur croyance en cette notion d'outil et de ressource.
Nombreuses sont les raisons de ne pas utiliser Internet.
Celle qui ressort en premier lieu est la crainte technologique. Même chez ceux qui ont suivi des formations. Sans doute peut-on voir là une certaine critique du contenu des formations, souvent beaucoup trop "techno-centrées", ainsi que le décalage temporel entre la formation et l'équipement de l'établissement (certains ont attendu 2 ans avant d'voir leur matériel!). Mais apparaît très vite la notion de modification de la place et du rôle de l'enseignant : c'est la relation élève-enseignant qui semble changer alors totalement de dimension. Et, au delà, c'est la remise en cause des pratiques pédagogiques habituelles qui semble parfois être un obstacle insurmontable. Un peu comme si la mise en œuvre de cet outil dans une perspective éducative (et des réflexions nécessaires qui sont alors générées) obligeait certains enseignants à prendre un certain recul pour réfléchir à leur rôle et à leur manière d'enseigner. Cette prise de conscience est difficile pour certains, complètement enfermés dans leur routine non technologique (ce qui ne les empêche pas souvent d'être à l'écoute des évolutions sociales et d'en tenir compte dans leurs pratiques pédagogiques). Ceux-là généralement préfèrent le livre, refusent la calculatrice,… D'autres par contre ont fait le choix de s'enfermer dans une forme d'enseignement qu'ils ne remettront en cause pour rien au monde, préférant privilégier un certain mode de vie, reléguant le métier au second plan, peu enclins à s'investir même à titre privé dans l'apprentissage de pratiques technologiques, à un engagement digne des "hussards de la République" (nous avons eu la chance de trouver des réfractaires à l'usage des technologies, catégorie d'enseignants qu'il est particulièrement difficile à faire s'exprimer).
La technologie, utilisée en classe ou plus généralement au CDI, est souvent considérée comme une intruse dans une relation "privilégiée" (voire idéalisée) entre l'enseignant et l'élève. Un peu comme si l'autonomie que pourrait acquérir l'élève mettrait l'enseignant au second plan. Si le côté affectif de la relation est souvent évoqué, la crainte que l'enseignant a de ne plus être le puits de savoir unique n'est que rarement signalée. Tout au plus est-il question de "copier-coller" fait par les élèves, sans aucune analyse ni traitement des informations récupérées, mais aussi de la quantité, de la pertinence et de la validité de l'information et, parfois, du risque que l'élève s'échappe du cadre dans lequel il est sensé travailler (en allant surfer n'importe où par exemple). Toutefois, dès lors que le travail s'inscrit dans un projet (ce qui implique une démarche pédagogique pensée différemment), seules ces dernières questions pratiques sont abordées.
Justement, quand il y a utilisation d'internet, quels sont les usages que nous avons constatés?
Avant tout, Internet est utilisé pour la préparation des séquences pédagogiques. Dans ce cas, seul l'enseignant y accède. C'était en particulier le cas pour l'opération "La main à la pâte", et continue de l'être avec la rénovation de l'enseignement des sciences à l'école élémentaire.
Les reproches faits à Internet concernent le temps que représente une recherche, la pléthore d'informations recueillies et leur validité. Dans les entretiens apparaît la demande implicite de "certification" des informations obtenues. Techniquement, il s'agit de l'idée de "portails pédagogiques", permettant d'accéder à des informations pertinentes, validées et cautionnées. Les serveurs LAMAP jouent ce rôle. Et vont même au delà puisqu'ils proposent des séquences pédagogiques réalisées par des enseignants et la possibilité d'avoir recours à des consultants scientifiques ou pédagogiques pour réaliser et comprendre des expérimentations. Il ne s'agit pas d'avoir accès par le biais de ces consultants à un savoir uniquement encyclopédique, mais bien de soutien à une pratique pédagogique. Cette "béquille" est particulièrement appréciée par les enseignants, même si ils sont peu (par rapport au nombre de connexion) à l'utiliser. De plus, les questions posées et les réponses apportées sont mises à la disposition de tous sur le serveur.
Comme autre usage, on trouve la messagerie. Elle permet de tisser ou de conserver des liens, mais aussi d'accéder à des informations et d'en diffuser par le biais de listes de diffusions. Là encore, il s'agit d'usages liés à la préparation des cours, voire d'usages privés.
En ce qui concerne les pratiques avec élèves, on note des différences entre l'école élémentaire et le secondaire. La messagerie semble plus utilisée dans l'élémentaire, en particulier pour les correspondances entre classes. C'est souvent l'enseignant qui se charge des procédures techniques liées à l'envoi des messages et généralement un élève qui est chargé de réceptionner les messages.
Dans les académies de Nice et de Caen, des projets de production pour Internet (activités d'écriture) ont été mis en place par les instances académiques. Si, pendant la période de présence hiérarchique forte, ces projets ont assez bien fonctionné, on ne peut pas dire qu'à l'issue de ces projets il y ait eu un réel prolongement des usages. Seuls les enseignants qui avaient adhéré à ces projets ont eu ensuite, forts de cette expérience, envie de continuer à travailler sur un projet Internet. Mais nous manquons de données sur ce qui s'est réellement passé alors.
Il y a aussi la réalisation de services (souvent portée à bout de bras par l'enseignant) mais nous n'avons pas particulièrement étudié cet aspect.
La recherche d'information dans le cadre d'un travail demandé est une activité qui se répend peu à peu. Très souvent le CDI est mis à contribution. La recherche d'information peut ne pas être à caractère directement pédagogique : par exemple, consultation du service de l'ONISEP pour les élèves désireux de préparer leur orientation. La recherche d'information se fait rarement dans le cadre du cours, pour des raisons liées au temps de recherche.
Il y a ensuite un travail sur le traitement des informations obtenues, ce qui peut impliquer une collaboration étroite entre documentaliste et enseignant. Ce travail sur les informations nécessite une évolution des pratiques pédagogiques habituelles. Un enseignant déplorait ainsi que des élèves lui remettaient des dossier ne contenant que des copier-coller, mais ne disait rien sur la méthode de travail qu'il avait pu suggérer aux élèves. Dans ce cas, l'utilisation de l'outil implique un apprentissage méthodologique différent, consommateur de temps qui, pour certains, risque de se faire au détriment du contenu et de la réalisation du programme disciplinaire. On retrouve alors la crainte que l'acquisition de pratiques non évaluables se fasse au détriment de "savoirs fondamentaux".
Paradoxalement, l'évaluation du travail que les élèves peuvent être amenés à faire avec Internet n'est jamais évoquée. Alors que souvent l'efficacité (pédagogique?) de cet outil-ressource est mise en doute.
Conclusion :
Il ne s'agit aucunement ici de donner des préconisations, le nombre d'entretiens et de questionnaires n'étant pas suffisant pour tirer des conclusions généralisables. Tout au plus, l'expression des obstacles cités précédemment permet d'entrevoir certains facteurs qui seraient à même de favoriser les usages pédagogiques d'Internet.
Concevoir Internet comme une ressource comme une autre est un de ces facteurs. Ceci passe donc avant tout par une formation initiale ne marginalisant pas Internet, mais ne le mettant pas non plus au centre des préoccupations des futurs enseignants. Ceci passe aussi par la formation continue. Montrer des exemples de séquences pédagogiques intégrant cette ressource, exemples qui marchent ou ne marchent pas, mais qui sont expliqués et commentés, est sans doute un bon moyen de convaincre. En tout cas, cela aurait le mérite d'interpeller directement les enseignants concernés sur leurs propres pratiques.
Le réseau et les machines doivent fonctionner sans que l'enseignant soit amené à jouer au technicien. Il ne s'agit pas de donner une formation technique (on "professionalise" l'enseignement, la polyvalence a donc ses limites) mais d'offrir une maintenance permanente. Ainsi, les enseignants qui craignent d'être en position de faiblesse face à leurs élèves (ceux-ci sont souvent imaginés plus "aptes" dans la maîtrise de l'outil informatique, surtout au collège ou au lycée) se verraient déchargés de cette crainte.
Les enseignants, face à l'immensité du savoir disponible sur Internet, aimeraient ne trouver que des informations "certifiées". La mise en place de portails répondrait à cette demande. Et serait sans doute encore plus efficace si elle s'accompagnait de services à valeur ajoutée, comme des listes de diffusion thématiques, la possibilité de contacter des consultants, la mise en place de forums,…
Enfin, et surtout, la représentation que les enseignants ont de leur métier est fondamentale. La notion de réseau (et donc de multitude) se heurte à l'individualisme de l'enseignant dans sa classe face à ses élèves. La gestion de ressources multiples ne s'improvise pas. Les pratiques des enseignants se trouvent confrontées avec Internet à une culture de réseau et à une culture de ressources. Pour peu que la représentation qu'ils ont de leur métier n'accepte pas ces deux cultures, la confrontation perdurera. Car pourquoi utiliser quelque chose dont on ne voit pas quel intérêt il peut avoir.


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