La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : En quoi la 'maîtrise' de l'information est-elle au service de la connaissance ?


Titre : Représentation(s) d'Internet chez les enseignants du secondaire
Auteurs : RATINAUD Pierre : Université Toulouse Le-Mirail

Texte :
Nous présentons ici quelques résultats d'une recherche portant sur l'étude de la représentation d'Internet chez les enseignants des lycées d'enseignement général et technologique. Le cadre général est celui de la théorie des représentations sociales (Moscovici, 1961), entendues comme des « principes générateurs de prises de position » (Doise, Palmonari, 1986) et plus précisement celui de l'étude des représentations professionnelles et de leur rapport supposé avec des formulations de nature utopique ou contre-utopique. « Ni savoir scientifique, ni savoir de sens commun, [les représentations professionnelles] sont élaborées dans l'action et l'interaction professionnelle, qui les contextualisent, par des acteurs dont elles fondent les identités professionnelles correspondant à des groupes du champ professionnel considéré, en rapport avec des objets saillants pour eux dans ce champ » (Bataille et al., 1997). Suivant cette définition, nous chercherons ici à savoir si Internet est bien un objet professionnel saillant pour une partie des enseignants, c'est-à-dire si l'image de cet objet fait partie d'un réseau de représentations professionnelles ou s'il est encore considéré comme un objet social utilisé dans l'enseignement. Nous décrirons donc les conditions méthodologiques de cette enquête et nous nous livrerons à l'analyse des résultats permettant de conclure à la professionnalisation d'Internet dans la population étudiée.

Méthodologie :

Pour cette étude, un questionnaire a été construit à partir de l'analyse de 15 entretiens menés auprès d'enseignants sur le thème d'Internet (Ratinaud, 2000). Puisque nous ne souhaitions interroger que des utilisateurs du web (la condition « pratique » est généralement admise comme un gage de « concernement » permettant la genèse de représentations), le recueil des données a pu s'effectuer par l'intermédiaire d'Internet. Différentes solutions techniques existent pour de telles enquêtes (envoi de mails avec fichier joint pour impression et retours par courrier, envoi de mails avec fichier joint et retours par mail...). Nous avons choisi celle consistant à héberger le questionnaire sur un site web (www.univ-tlse2.fr <http://www.univ-tlse2.fr>) et à le relier à une base de données MySQL en utilisant le langage de programmation PHP. Le principal avantage de cette technique est d'être « plus simple » pour le sujet que les autres. En effet, elle ne nécessite aucune manipulation particulière de la part de l'utilisateur (pas d'impression ou de phase d'enregistrement...) et la connaissance d'un navigateur Internet est l'unique compétence technique requise (compétence présente chez tous les utilisateurs d'Internet). Le questionnaire se présente alors sous la forme d'un site web sur lequel le sujet coche ou remplit des cases pour répondre aux questions (présentation proche de celle d'un questionnaire papier), puis clique sur le bouton  « valider » positionné en fin de questionnaire. La population a été contactée par l'intermédiaire des listes de diffusion des sites disciplinaires des différentes académies ou par l'envoi direct de courriers électroniques aux gestionnaires de ces sites. Les sujets recevaient un mail contenant les explications relatives à notre démarche et un lien hypertexte menant au site du questionnaire. Normalement, le simple fait de cliquer sur ce lien ouvre le navigateur à la page voulue. Le message les invitait également à transférer ce mail à leurs collègues enseignants des lycées d'enseignement général et technologique (53% des répondants ont été directement contactés et 34% par un de leur collègue). Cette solution technique offre aussi d'autres avantages :
L'utilisation du PHP permet de procéder au contrôle des réponses avant enregistrement, ce qui peut, par exemple, rendre obligatoire les réponsesà certaines questions (dans notre cas, la plupart des questions devaient être renseignées, les sujets ayant toujours la possibilité de ne pas se prononcer ; si le sujet cliquait sur le bouton « valider » sans avoir rempli ces champs, le questionnaire se ré-affichait avec l'ensemble des réponses et un message indiquant « Vous n'avez pas répondu à la question X » ; le sujet cliquait alors sur ce message pour être directement conduit à la question X). Cette solution est à notre avis nécessaire dans le cas de questionnaires longs présentés sur une seule page web car la re-lecture est difficile dans ces conditions et les oublis seraient nombreux (ils seraient alors interprétés comme des non-réponses...).
        Le duo PHP/MySQL permet une grande souplesse dans le format d'enregistrement des réponses. Dans notre cas, nous avons prévu l'ensemble pour être compatible avec les logiciels Statview et Alceste. Il n'y a pas alors de phase de saisie des données et leur traitement informatique est pratiquement immédiat.
        Bien sûr, nous avons profité du principal avantage de l'enquête par Internet qui est de pouvoir toucher des populations très éloignées géographiquement pratiquement instantanément. Ainsi, nous avons pu interroger 299 enseignants provenant des 31 académies françaises sur les mois de décembre 2001 et de janvier 2002. Il faut noter ici que la courte durée de la phase d'enquête participe, avec le non-référencement du site hébergeant le questionnaire et une diffusion très ciblée des mails, à la lutte contre d'éventuels piratages.
Nous nous focaliserons sur deux questions : une question ouverte qui proposait aux sujets de décrire à l'aide de cinq mots ou expressions différentes ce qu'ils pensaient d'Internet et une question fermé dans laquelle les sujets devaient choisir les cinq termes les plus représentatifs d'Internet parmi une liste de quinze (Accessibilité, Communication, Danger, Découverte, Diversité, Information, Liberté, Mondialisation, Outil de travail, Rapidité, Superficiel, Rencontre, Education, Discrimination, Formation). Pour le traitement, les propositions de la première question ont été catégorisées en une liste de 41 termes.

Description de la population :

    Sur les 299 enseignants qui ont répondu au questionnaire, 150 étaient des hommes et 149 des femmes. Cette répartition semble différente de celle des internautes, généralement décrite comme un peu plus masculine (à 53%). Cette population utilise Internet depuis au moins 2 ans à 94% et tous les jours ou presque à 83%. 95% des enseignants interrogés possèdent un ordinateur connecté à Internet et 82% utilisent le web avec leurs élèves (47% depuis plus de deux ans). Pour 58% d'entre eux, l'usage d'Internet est principalement professionnel. Enfin, dans notre échantillon, 82% des sujets enseignent dans un lycée public et toutes les disciplines sont représentées.


Un outil de travail implicité :

    Voici les effectifs des réponses aux deux questions:

1-Outil de travail 2-Communication 3-Information 4-Rapidité 5-Diversité 6-Découverte 7-Accessibilité 8-Formation 9-Mondialisation 10-Education 11-Danger 12-Liberté 13-Superficiel 14-Rencontre 15-Discrimination
Items de la question fermée: Effectifs Items de la question ouverte: Effectifs
2391-Information 112
229 2-Communication 103
216 3-Immensité 99
119 4-Rapidité 97
118 5-Echange 90
100 6-Attractif 70
97 7-Pratique 56
77 8-Fouillis 50
74 9-Utile 45
65 10-Ouverture 44
45 11-Education 44
39 12-Mondialisation 38
30 13-Temps (négatif) 36
2614-Outil de travail 32
21 15-Innovation 31

    Lorsque l'on soumet à cette population une liste de 15 termes, l'item "outil de travail" est choisi par 239 sujets sur 299. Nous n'avons retrouvé que 32 items susceptibles d'entrer dans cette catégorie pour la question ouverte. Cette évidence n'est que rarement verbalisée et il faut la soumettre pour la voir devenir saillante. On peut supposer que cette notion est centrale (Abric, 1994) dans cette population. Implicitée par ces enseignants (Bataille, 2000), elle apparaît dans notre catégorisation « dans l'ombre » d'autres items comme échange (« travail coopératif », « travail en groupe », « échange de pratiques »), éducation (« ressources pédagogiques à domicile »), utile (« utile pour les cours », « utile mais insuffisant pour enseigner »), aide (« outil d'aide à la préparation des cours ») etc...Cette lecture en fait un élément qui paraît structurer les items moins saillants, ce qui est une des propriétés des éléments centraux. Ce n'est pas le cas pour les deux autres items très saillants que sont "information" et "communication". Ces éléments normatifs sont polysémiques. Ils pourraient presque être étudiés comme des objets de représentation dans cette population. Ils sont sûrement communs à l'ensemble des groupes susceptibles d'avoir développé une représentation de cet objet, mais il paraît difficile d'affirmer que tous les sujets mettent le même sens derrière ces termes. Les éléments évaluatifs comme « pratique » ou « utile » sont le fruit de l'objectivation d'une pratique réelle que nous savons largement professionnelle. Enfin, l'item « attractif », qui est au 6éme  rang, est sans conteste un signe d'implication presque affective de la part de ces enseignants. Il regroupe des superlatifs comme « passionnant », « génial », « fabuleux », « captivant » ainsi que d'autres notions positives.

Conclusion :

    Au vue de ces résultats, on peut affirmer qu'Internet est un objet de représentation professionnelle pour notre échantillon. Il le considère d'abord comme un outil de travail, d'information et de communication décrit comme rapide, pratique et utile. Largement utilisé par ces enseignants, y compris avec leurs élèves, Internet ne semble les décevoir que par la difficulté d'y trouver des informations et la perte de temps qui en résulte (items « fouillis » et « temps »). Cette population semble donc majoritairement conquise part le web. Pourtant, il existe des différentiations fortes sur la vision de l'avenir d'Internet et sur les conséquences qu'il pourrait avoir sur le système éducatif ou sur la société. Nous pensons que ces positionnements sont corrélés à des appréciations différentes des items polysémiques et qu'ils correspondent à des attitudes différentes.

Bibliographie :

Abric
, (1994), Pratiques sociales et représentations, Paris : P.U.F..
BATAILLE M. et al., (1997), Représentations sociales, représentations professionnelles, système des activités professionnelles dans L'Année de la recherche en Sciences de l'éducation, Paris : P.U.F.
BATAILLE M., (2000), Représentation, Implicitation, Implication, Des représentations sociales aux représentations professionnelles dans GARNIER C., ROUQUETTE M.L., Les Représentations en éducation et formation, Montréal : Editions nouvelles.
DoisePalmonari, (1986), Les représentations sociales : définition d'un concept, Lausanne : Delachaux et Niestlé.
MOSCOVICI S., (1961), La psychanalyse, son image, son public, Paris : P.U.F.
RATINAUD P., (2000), Utopie et contre-utopie dans la représentation sociale d'Internet des enseignants du secondaire, Mémoire de D.E.A. Education, Formation, Insertion, Université Toulouse Le-Mirail.


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