La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Politiques éducatives : initiatives institutionnelles et/ou initiatives d'acteurs ?


Titre : Valider ses acquis pour reprendre une formation : le cas des enseignants souhaitant s'inscrire en licence de sciences de l'éducation
Auteurs : Proot Peyronnet Hélène

Texte :
I Contexte, problématique et méthodologie.

La validation des acquis apparaît comme la résultante d'une situation conjoncturelle nouvelle, elle traduit en effet une demande sociale qui provient à la fois des institutions de formation, de l'employeur et de l'individu. Sa problématique se situe donc à l'intersection de ces trois niveaux. L'individu constitue cependant le noyau de celle-ci puisque le parcours de l'individu n'est pas linéaire mais se forme au gré d'événements, d'expériences et de formations qui demandent à être pris en compte, reconnus. Entre l'individu, l'employeur et les lieux de formation se tissent donc de nouveaux liens. Cette évolution requiert de la part de l'individu un véritable travail réflexif sur son identité. Quels que soient les outils d'évaluation envisagés, la demande de validation d'acquis professionnels repose sur une situation de négociation qui implique de la part du demandeur un processus réflexif et l'amène à exposer sa maturation professionnelle face à une institution qui applique sa capacité de régulation. Nous avons choisi d'envisager ce travail réflexif par l'analyse des textes de demande de validation d'acquis d'enseignants souhaitant avoir accès à la licence de Sciences de l'Education de Lille 3.

Lorsque l'université institue une validation d'acquis professionnels, elle reconnaît que la formation de l'individu est plurielle. Le savoir apparaît aujourd'hui se construire à partir de trois dimensions. La première, la plus universellement reconnue est celle d'un savoir formel, théorique, abstrait ; savoir transmis et reçu principalement dans les institutions de formation. L'université en fait partie, et ce savoir s'articule à un savoir dire reconnu et labellisé ; il donne lieu à la délivrance de diplômes et ne présente aucune difficulté de reconnaissance puisque le socle du savoir s'établit sur une communauté de programmes, d'enseignements. Une seconde dimension est la formation expérientielle qui s'appuie sur la conceptualisation de savoirs issus de la pratique et l'expérimentation des savoirs théoriques reçus. L'activité professionnelle n'est pas seulement le domaine d'application de ces savoirs théoriques, ceux-ci doivent servir de cadre pour que se mette en place une réflexion en cours et sur l'action et l'on conçoit dès lors tout l'enrichissement auquel peut concourir ce va et vient, cette réflexion et interrogation constante de deux savoirs. La troisième dimension du savoir concerne quant à elle la nature existentielle de l'expérience humaine. Elle est le lieu au sein duquel va se construire le sens, les valeurs des actes du sujet et de l'acteur social. Cette troisième dimension, si difficile à appréhender pour autrui, paraît cependant participer au moins autant que les deux autres de la construction du savoir de la personne, du savoir de la profession qui résultent d'interactions dynamiques entre ces savoirs formels, expérientiels et existentiels. La validation d'acquis professionnels nous paraît assez représentative de ce triangle au sein duquel le sujet construit son savoir ; le texte de demande cristallise les attentes et les représentations d'un scripteur pour lequel cette page constitue le seul lieu d'inscription possible de sa motivation, de son unicité : nous avons choisi de l'interroger du point de vue de l'énonciation, de l'ancrage temporel et des choix organisationnels.

II Le texte de demande : un écrit ordinaire riche.

1. Reconnaissance sociale et interaction.

Adressé à l'institution qu'est l'université, le texte manuscrit qui clôt le dossier de demande a en charge la présentation ou la représentation d'un itinéraire de formation, la " monstration " d'expériences professionnelles et la mise en forme d'un projet au sein duquel la licence de Sciences de l'Education s'inscrit " nécessairement ". Envisager la posture d'écriture du scripteur du texte, c'est se rappeler que l'individu est pluriel. Acteur social, ses dispositions ne peuvent jamais être définies en une seule " situation " et les différentes "voix" présentes au sein d'un même texte mettent en exergue cette multiplicité du moi. De plus, parce qu'elle participe d'un choix de stratégie, l'écriture d'un texte de demande de validation d'acquis professionnels est le lieu d'inscription du scripteur dans un rôle au sein d'un discours à forte visée interactionnelle. Cette interaction s'opère dans le cadre d'une demande de reconnaissance sociale.

2. Reconnaissance sociale et reconstruction.

2.1 Ancrage temporel

Lors de l'étude de l'incipit, nous nous sommes intéressés à l'ancrage temporel effectué par le scripteur sachant que, sauf exception et il y en a une, le texte ne commence pas ex nihilo. Au contraire, le texte commence comme l'on découvre le parcours du scripteur, mais sous ce semblant d'invariant se cachent plusieurs types d'ancrages temporels, du relatif à l'absolu, du passé au présent. Plusieurs choix apparaissent ainsi au sein du corpus et, tandis que certains scripteurs choisissent la linéarité chronologique comme trame de leurs textes, d'autres la
refusent, proposent des incipit in medias res. Cet ancrage temporel peut prendre la forme de plusieurs types de mécanismes référentiels. En effet, le temps peut être envisagé de façon absolue, cotextuelle ou déictique et ces choix nous paraissent porteurs de sens.

De la même manière, en raison de la relative liberté que proposaient les consignes, le discours participait d'un choix en ce que chaque discours est un choix, celui de taire, d'éclairer certains événements. La façon dont ceux-ci se répondent, se lient les uns aux autres participe également d'un choix qui va permettre de donner à l'ensemble du texte un ton, une dominante, une idéologie particulière. Le rôle que joue le sujet au sein de son texte est certes déterminant dans la perception du lecteur mais de façon plus implicite les événements relatés et les relations qu'ils instaurent sont déterminants. Rien ne nous permet de supposer que
ces choix soient conscients mais lorsqu'il retrace son parcours professionnel au sein des textes de demande de validation d'acquis on peut considérer que le scripteur nous propose un schéma de vie résultant d'une solide représentation mémorielle.

2.2 Tentative de repérage de types de stratégies.

D'autres paramètres comme le choix des lexèmes utilisés, l'appartenance de ceux-ci à un champ sémantique particulier constituent des indices de la stratégie d'écriture, de l'image de soi que souhaite inscrire le scripteur au sein de son texte. Certains textes s'appuient sur un schéma argumentatif fort et leur stratégie discursive est nettement marquée par un souci de cohérence par le biais d'anaphores, de connecteurs logiques qui tendent à instaurer une parfaite cohérence entre les événements mentionnés ; chaque désir donne lieu à une réalisation, chaque investigation théorique oriente une pratique pédagogique et la demande de validation d'acquis professionnels pour l'entrée en licence de Sciences de l'Education subit la contagion de cette monstration d'une " logique naturelle " ou représentée comme telle par le scripteur. Par contre, et en raison du caractère éminemment social qu'il revêt, le texte de demande de validation d'acquis professionnels paraît parfois lié à un pathos, présent explicitement ou non au sein dudit texte. La validation d'acquis prend alors des allures de " réparation " et la reprise d'études celle d'une revendication que justifient des souffrances devenues intolérables.
Lorsqu'il s'agit de textes écrits par des enseignants, la difficulté ou la détérioration des conditions dans lesquelles le demandeur travaille participe de ce pathos.

2.3 Deux types de prises en charge de l'énonciation.

D'une part, le scripteur peut choisir d'employer le pronom personnel première personne du singulier "je " et l'on ne peut dès lors que constater l'émanation d'une parole singulière, fruit d'une identité, d'une histoire unique : celle de l'individu qui tente dans l'espace qui lui est assigné (le recto verso contenu dans le dossier de demande de validation d'acquis) de mettre en place un écrit dont il choisit la structure : chronologique ou non, elliptique ou non, plus ou moins appuyée par des connecteurs logiques. Le scripteur évoque son histoire dont le premier choix est celui du départ : à quel moment juge-t-il pertinent de la faire débuter ? Premier examen, première expérience professionnelle quelle qu'elle soit, premier poste ? Tout en ces lettres de demandes participe d'un choix. Plus encore que dans un CV, le candidat est libre d'évoquer, d'organiser les évènements, de réécrire plutôt que d'écrire son histoire. Notre premier travail est donc d'interroger ces écrits en sachant que tout ce qui les constitue fait sens parce qu'il est le résultat d'un choix, celui d'une image que donne le scripteur de lui et des autres. Que ces choix soient conscients ou non, objectivés ou non, nous n'avons ni les compétences, ni les moyens de l'établir et ceci ne participe pas de l'esprit de ce travail.

D'autre part, nous avons relevé l'emploi du pronom personnel première personne du pluriel "nous". Présent au sein d'un certain nombre de textes, il met en exergue l'existence d'un groupe dont le scripteur considère être membre. Il lui revient de lors de préciser ou non la nature de ce groupe (exemples), de le nommer, de le circonscrire mais quoi qu'il en soit, le scripteur n'est plus seul, il se propose comme le maillon d'une chaîne, l'élément d'un ensemble. On saisit dès lors le caractère rassurant que peut représenter une telle vision de soi-même.
S'identifier comme participant d'un groupe existant, reconnu : ici celui d'un corps de métier permet au scripteur d'échapper au caractère anxiogène de l'isolement si proche de l'exclusion. Se cristallise ainsi une particularité qui nous paraît particulièrement signifiante du métier d'enseignant : sa capacité à produire le sentiment d'une appartenance que l'on pourrait peut-être retrouver au sein d'autres corps de métiers de la fonction publique.

Conclusions

Le texte de demande de validation d'acquis pour l'entrée en licence de Sciences de l'Education nous semble participer d'une construction, ne serait-ce que parce qu'il impose au demandeur une mise en forme rédactionnelle. Contraint de s'inscrire dans le texte, le scripteur doit tout d'abord choisir une construction : celle de sa scénographie.
Construire un texte, c'est se construire au sein d'un texte ou plutôt construire une image de soi et la proposer au destinataire. Dans une certaine mesure, le texte de demande de VAP peut être considéré comme l'aboutissement d'un travail réflexif amenant l'individu, ici l'enseignant, à une demande d'ajustement de son statut à ses compétences ou à l'émission d'un souhait : celui de compléter les compétences acquises par une reprise d'étude et le passage d'un diplôme dont il considère qu'il permettra un apport théorique nécessaire à l'évolution de sa carrière.


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