Définie en mathématiques par Y. Chevallard (Chevallard 1991),
la théorie de la transposition didactique étudie les processus
qui à partir d'un objet de savoir savant conduisent à un objet
enseigné relativement à un projet social d'enseignement. À
partir de la définition d'un objet à enseigner, l'enseignant va
élaborer un objet d'enseignement qui deviendra objet enseigné
dans la classe. Notre étude porte sur un moment de ce processus quand,
dans un IUFM, on participe à l'élaboration de ce qui sera un objet
d'enseignement à l'école élémentaire. L'analyse
de l'introduction de la tectonique des plaques à l'école élémentaire
montre que certains n'hésitent pas à en faire un " objet
public de savoir " appartenant à une culture scientifique générale
(CRDP ; IUFM Aix-Marseille 1994). À l'école élémentaire,
la tectonique des plaques doit être enseignée comme modèle
explicatif de la répartition des séismes et volcans (Ministère
de l'Éducation Nationale/Direction des Écoles 1985).
L'IUFM dans lequel cette étude a été réalisée,
montre la volonté d'enseigner aux futurs professeurs des écoles,
la maîtrise des grands concepts de la discipline (Document interne Académie
d'AIX-MARSEILLE Année scolaire 1995-1996).
Nous nous sommes intéressés, par le biais d'une analyse des conceptions,
à la manière dont des étudiants de première année
d'IUFM, futurs professeurs des écoles, mettaient en relation les phénomènes
géologiques à enseigner à l'école élémentaire
: volcans, séismes et tectonique des plaques. Ces conceptions s'accorderaient
elles avec la définition de l'objet à enseigner ?
Une " mosaïque " de conceptions est apparue, montrant chez les
sujets, un cloisonnement de ces objets scientifiques, rendant difficilement
exploitable leur utilisation à des fins didactiques dans le cadre de
la formation. Ces éléments définissent les pistes d'une
réflexion qu'il faudrait conduire dans le cadre de la formation des futurs
professeurs d'école et plus largement dans l'enseignement des Sciences
de la Terre dans le système éducatif français.
Problématique
En vertu du principe de "vigilance épistémologique (Chevallard
1991), l'objet de savoir de référence, s'il présente une
distance, doit se reconnaître dans l'objet d'enseignement construit à
partir de la définition de l'objet à enseigner. En l'occurrence,
l'objet d'enseignement relatif aux phénomènes géologiques,
que devront construire les futurs professeurs des écoles, nécessitera
de prendre en compte la dimension globale de la tectonique des plaques pour
rendre compte de la répartition géographique des volcans et séismes.
L'analyse des conceptions des étudiants de première année
d'IUFM doit montrer si pour les étudiants, la tectonique des plaques
explique l'origine et le fonctionnement des volcans et séismes, et participe
à leurs constructions de la structure de la terre.
Hypothèse
Ces phénomènes apparaissent comme des objets publics de savoir,
les conceptions des étudiants de l'IUFM devraient donc être proches
et répondre aux attentes de l'IUFM.
Méthodologie
Un questionnaire a été proposé à 77 étudiants
(3 groupes) de première année de l'IUFM d'Aix-Marseille. Le même
questionnaire a été proposé cinq semaines après
les séances de formation, afin de mesurer "l'impact" de celles-ci
sur les conceptions des étudiants.
Nous allons chercher et recenser dans les questionnaires, les réponses
(avant la séance de formation), dans lesquelles il est fait état
de la tectonique des plaques pour expliquer l'origine et le fonctionnement d'un
volcan. La même démarche sera utilisée pour les questions
relatives aux séismes et à la structure de la terre.
Nous verrons alors par recoupements, si la tectonique des plaques est utilisée
dans des proportions identiques ou pas, pour des phénomènes différents.
Résultats
Les résultats sont récapitulés dans le tableau suivant
:
La tectonique des plaques est évoquée pour expliquer La tectonique
des plaques n'est pas évoquée pour expliquer Feuilles blanches
volcans 21 51 5
séismes 60 14 3
structure de la terre 8 52 17
Tableau 1
|
La tectonique des plaques est évoquée pour expliquer |
La tectonique des plaques n'est pas évoquée pour expliquer |
Feuilles blanches |
volcans |
21 |
51 |
5 |
séismes |
60 |
14 |
3 |
structure de la terre |
8 |
52 |
17 |
Ces chiffres montrent que le modèle explicatif "tectonique des
plaques" auquel il est fait majoritairement référence pour
les séismes, n'est plus utilisé pour les volcans et moins encore
pour la structure de la terre. À l'instar des manuels, les phénomènes
géologiques apparaissent chez la plupart des étudiants comme disposés
en chapitres isolés les uns des autres, puis un chapitre consacré
à la tectonique des plaques propose le modèle explicatif des phénomènes.
Les phénomènes volcaniques sont moins associés que les
séismes à la tectonique des plaques.
L'une de nos interrogations initiales était de voir comment la tectonique
des plaques était prise en compte. Le terme de tectonique des plaques
est connu par la plupart des sujets, nous l'avons constaté dans les paragraphes
relatifs aux séismes. À l'inverse, il est peu fait référence
à la tectonique des plaques dans les paragraphes relatifs aux volcans
et à la structure de la terre. Nous arrivons à la conclusion que
: la tectonique des plaques n'est pas, pour les sujets, une théorie liant
les différents phénomènes géologiques, chacun semblant
avoir " sa vie propre ". Le modèle unificateur de la sphère
savante ne fonctionne pas comme tel chez les futurs enseignants de l'école
élémentaire, même pour ceux ayant suivi un enseignement
scientifique durant leur scolarité secondaire.
Cette impossibilité d'établir de grandes classes de conceptions
va compliquer leur utilisation didactique. Les savoirs relatifs à la
tectonique des plaques, mis en jeu par les conceptions d'étudiants de
première année d'IUFM, montrent une incompatibilité avec
le rapport institutionnel relatif à cet objet de savoir à l'école
élémentaire. Loin d'être un modèle intégrateur
des phénomènes géologiques étudiés : volcans
et séismes, la tectonique des plaques des étudiants s'applique
de façon différente à ces deux phénomènes.
L'effet conjugué d'un enseignement, surtout pour les étudiants
ayant suivis un cursus scientifique, et d'un objet de savoir fortement médiatisé,
ne permet pas aux futurs Professeurs des Écoles de maîtriser les
grands concepts de cette discipline permettant son enseignement à l'école
élémentaire.
Le rapport institutionnel fixé par l'IUFM : " maîtrise des
grands concepts de la discipline " n'est donc pas respecté. Comment
le système didactique peut-il fonctionner ?
Les entretiens révèlent tant chez les étudiants que chez
les enseignants, que l'objectif de la première année de l'IUFM
est avant tout la réussite au concours. L'étude des annales des
sujets montre alors qu'il s'agit plus de maîtriser les compétences
nécessaires à l'analyse de documents que des concepts liés
aux phénomènes géologiques.
Des entretiens avec des sujets ayant suivi une première S, au cours de
laquelle ils auraient dû rencontrer les objets volcans, séismes
et tectonique des plaques, montre une sorte d'amnésie collective de cette
partie du programme. Pourtant, les souvenirs de l'enseignement de géologie
de la classe de quatrième sont eux présents. L'étude du
rapport de l'Inspection Générale de 1993 pour l'année scolaire
1990-91 nous apporte des éléments de réponses. Il semble
que, dans une grande majorité des cas, l'enseignement de la géologie
n'était pas réalisé en 1ère S pour des raisons diverses
: le programme de biologie est très lourd, la géologie n'est pas
présente au baccalauréat, certains professeurs pensent que les
élèves n'ont pas les compétences nécessaires, et
enfin peu de professeurs se sentent eux-mêmes compétents pour dominer
l'ensemble de ce programme. Nous trouvons, peut-être, dans ce non-enseignement
de la géologie une explication aux écarts parfois importants constatés
entre les savoirs des séances de formation et le savoir savant.
Conclusion
Les savoirs présents dans le manuel de référence et les
séances de formation (qui montrent quelques écarts avec le savoir
savant), ne sont pas pris par les étudiants dans leurs dimensions conceptuelles.
Il existe des obstacles conceptuels dans l'enseignement du volcanisme à
l'IUFM. Cependant, on observe aussi un décalage entre les rapports "légaux"
qui fixent les rôles des objets de savoir au sein de l'IUFM (enseignement
des grands concepts de la discipline), et les rapports à ces mêmes
objets développés par les enseignants et par les étudiants
(enseignement et apprentissage pour la réussite au concours).
Il est nécessaire de connaître les rapports établis entre
sujets et objets au sein d'une institution avant de conclure sur la pertinence
des obstacles observés. Les conclusions tirées d'une analyse des
conceptions d'étudiants d'IUFM seront différentes selon, qu'ils
ont rencontré ou non, au cours de leur scolarité, les objets étudiés.
Les obstacles ne sont en quelque sorte pas "intrinsèques "
aux objets, mais peuvent êtres déterminés par les rapports
institutionnels à un objet, établis à un moment du cursus
des sujets. Si des obstacles conceptuels inhérents aux objets de savoir
peuvent entraver leur apprentissage, leur rôle et leur statut dans l'institution
d'enseignement (rapport institutionnel au savoir de Chevallard) jouent un rôle
prépondérant.
Bibliographie
CHEVALLARD, Y. (1991) : La transposition didactique, La pensée sauvage.
Grenoble.
MINISTERE DE L'ÉDUCATION NATIONALE/DIRECTION DES ÉCOLES (1985b).
École élémentaire, compléments aux programmes et
instructions du 15 mai 1985.
MINISTERE DE L'ÉDUCATION NATIONALE. (1994). Épreuves d'admission
à l'IUFM. Épreuves écrites de biologie et de géologie.
Bulletin Officiel n°43. 24 novembre 1994. pp 3130-3131.
Documents internes IUFM
"Propositions des modalités d'évaluation des PE2 95-96"IUFM
Académie d'AIX-MARSEILLE Année scolaire 1995-1996 PE1-- Formation
en Biologie-Géologie.
CRDP ; IUFM Aix-Marseille (1994) : "Concours de recrutement de professeurs
des écoles, juin 1994, rapport du jury".
Transposition didactique - Sciences de la terre- Formation des maîtres |