La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Dispositifs et instrumentalisation des apprentissages. Quels bénéfices et quelles limites ?


Titre : Technologies de l'information et de la communication (TIC) et enseignement/apprentissage des langues vivantes : quelles pratiques innovantes ?
Auteurs : BRODIN Elisabeth

Texte :
Avant de rappeler les caractéristiques et étapes essentielles de la recherche-action proprement dite à laquelle nous nous référons et d'analyser ses effets en termes de pratiques d'enseignement innovantes, nous commencerons par faire le point sur les relations qu'entretient l'enseignement des langues avec les artefacts depuis longtemps.

1) Enseignement des langues et instruments technologiques

Vues dans une perspective diachronique, les langues vivantes constituent une discipline instrumentée depuis les années cinquante. Les méthodes qui se sont succédées dans l'enseignement institutionnel, jusqu'au milieu des années quatre-vingt, méthodes audio-orales puis méthodes audiovisuelles (déjà multi-médias), se sont appuyées fortement sur une technologie quasi indispensable à leur mise en oeuvre. Dans le cas du laboratoire de langues, il s'agissait même d'une technologie inventée pour cet usage spécifique d'apprentissage, allant de pair avec une innovation pédagogique qui s'appuyait sur une théorie linguistique (structuralisme) et psychologique (comportementalisme). Ces méthodes successives fournissaient d'ailleurs l'illusion d'une parfaite cohérence scientifique entre les théories de référence, les technologies et les matériaux linguistiques.
Les ordinateurs sont apparus au début des années quatre-vingt dans ce contexte, sans qu'il y ait de convergence directe avec une théorie et en décalage avec le courant communicatif qui se développait alors rapidement. Ce vide théorique a été compensé par un retour du béhaviorisme à travers des programmes proposant, à quelques exceptions près, des activités mécaniques répétitives sans contextualisation (dont il reste des traces dans les logiciels du marché) confirmant ainsi la remarque selon laquelle " souvent les nouveaux dispositifs technologiques se sont accompagnés d'une réactualisation de modèles pédagogiques dépassés ". (Jacquinot, 1996)
L'approche communicative qui a fait florès depuis et l'approche actionnelle (orientation prônée par le Conseil de l'Europe dans laquelle " les activités langagières s'inscrivent à l'intérieur d'actions en contexte social qui, seules, leur donnent leur pleine signification ") qui est en vogue actuellement ne s'appuient plus sur une technologie précise mais utilisent tous les instruments accessibles pour enrichir les situations pédagogiques.

2) Les étapes essentielles de la recherche-action prise en compte

Nous tenterons de mettre en relation la définition de l'innovation donnée par le Conseil National de l'Innovation pour la Réussite Scolaire (CNIRS) et les aspects correspondants de la recherche-action dont nous rendons compte.
" L'innovation résulte d'une intention et met en œuvre une ou des actions visant à changer ou modifier " quelque chose " (un état, une situation, une pratique, des méthodes, un fonctionnement), à partir d'un diagnostic d'insuffisance, d'inadaptation ou d'insatisfaction par rapport aux objectifs à atteindre, aux résultats, aux relations de travail ". L'innovation est de l'ordre de la créativité, de l'inventivité, de l'initiative par le renouvellement des méthodes, de l'organisation ou des contenus. Elle se situe explicitement dans une visée de changement pour améliorer fa réussite scolaire, perfectionner ou rendre plus efficace l'existant : elle est un travail quotidien d'adaptation à l'évolution et ne se satisfait pas des résultats de l'organisation existants, de la routine, de l'imitation ".
La recherche-action avait pour but l'amélioration de l'enseignement des langues au niveau d'une académie. Elle reposait sur le volontariat des enseignants qui ont répondu à un appel d'offres académique les engageant, sur une année minimum, à définir un projet local pour leur établissement. Ce dispositif qui dura le temps d'un contrat de plan Etat-région proposait équipement, formation et accompagnement dans la mise en œuvre de pratiques pédagogiques nouvelles.
Dans un premier temps les formations répondant aux besoins et aux demandes des enseignants furent partagées par l'ensemble des enseignants qui se créèrent ainsi une culture commune dans les domaines de l'acquisition des langues secondes, de l'innovation, des technologies.
A partir de l'analyse de leurs problèmes professionnels au quotidien, les enseignants sont parvenus peu à peu à passer à des problématiques, évolution du particulier au général, du concret à l'abstrait, du pratique au conceptuel, du simple au complexe par le biais de la réflexion didactique, de la conceptualisation des pratiques et de la formation. (Galisson & Puren, 1999)
Rapidement aussi la création de matériaux pédagogiques s'avéra nécessaire pour disposer des ressources nécessaires au travail individualisé de " re-médiation ". Organisée sous la forme d'un travail collaboratif en groupe cette élaboration de tâches permit aussi d'opérationnaliser, d'ajuster ou d'affiner les acquis de la formation théorique.
La recherche-action nécessita également l'élaboration d'outils de suivi des projets d'établissements et de fiches d'évaluation des tâches créées qui étaient immédiatement testés par des collègues d'autres établissements.


3) L'innovation organisationnelle

Beaucoup des projets définis par les établissements reposaient sur l'utilisation des TIC dans les pratiques quotidiennes. Une question se posa rapidement suite à l'installation des équipements fournis à la demande :
· Comment favoriser l'intégration réelle des TIC dans les pratiques quotidiennes en gérant au mieux les contraintes institutionnelles de l'enseignement et les contraintes de l'apprentissage d'une langue (de la compréhension à l'expression, à l'oral comme à l'écrit) en tenant compte des dimensions cognitives (individualisation, différences individuelles etc.) mais aussi affectives et sociocognitives de cet apprentissage. ?
Les dispositifs, d'abord appelés " espaces-langues " puis centres de ressources qui ont constitué un premier élément de réponse à cette question, apparaissent comme une innovation organisationnelle qui correspond à un premier niveau de définition de l'innovation scolaire :
" L'innovation scolaire comporte du nouveau tout à fait relatif (parfois une recombinaison de choses ancIennes) ; elle est un changement intentionnel, volontaire et délibéré ; son déroulement relève d'un processus et elle poursuit des valeurs hautement défendues en décalage par rapport à celles existantes. " (Cros, 2001)
Tous les équipements aboutirent à des configurations personnelles de salles hétérogènes mais toujours dédiées à l'enseignement des langues et donc accessibles chaque fois que nécessaire, regroupées dans une zone de l'établissement. Ces salles multimédias permettent de faire usage de tous les instruments disponibles et utilisables en langues : ceux, déjà anciens, pour lesquels les enseignants disposent de schèmes d'usage éprouvés (télévision et magnétoscope notamment qui permettent d'exploiter des documents télévisuels et filmiques, souvent dans des situations d'activités collectives instrumentées) et les technologies numériques dont les schèmes d'utilisation ne sont pas stabilisés ou restent encore à inventer.
On peut faire l'hypothèse que tous les aspects de cet enseignement peuvent être " assistés " par les technologies qui permettent la prise en compte de l'aspect individuel de l'apprentissage autant que le développement de sa dimension sociale d'échanges entre pairs et avec des natifs, selon les principes de "l'integrative CALL " (Warschauer & Kern, 1999). Cette hypothèse se vérifiera en questionnant la diversité des pratiques.


4) Quelles pratiques innovantes ?

La seconde question que nous aborderons concerne les changements perceptibles dans les pratiques :
· Dans quelle mesure ces dispositifs ont-ils permis le développement de pratiques nouvelles (plus ou moins innovantes) ?
Peut-on vérifier l'hypothèse selon laquelle l'enseignement actuel des langues atteste d'un passage du structuralisme au cognitivisme-constructionnisme, puis au sociocognitivisme, qui se traduirait notamment par le fait que l'accent a d'abord été mis sur le produit, résultat de l'activité langagière des apprenants, puis s'est déplacé sur les processus cognitifs et sociaux, mis en œuvre dans cette activité ? (Warschauer & Kern, 1999)

Notre réflexion s'appuie sur le postulat de la nécessaire prépondérance du modèle pédagogique sur l'utilisation de la technologie : ce qui fait l'intérêt pédagogique d'une technologie, c'est avant tout la pertinence des modèles d'apprentissage qu'elle permet de mettre en œuvre, modèles qui eux-mêmes supposent une certaine conception de la connaissance.
" Le choix ne se situe pas dans le fait d'opter pour telle technologie mais bien dans la décision de concevoir une séquence ou un environnement d'apprentissage selon un modèle pédagogique conforme aux effets attendus sur l'apprenant […] C'est par le biais de ces modèles et de leur évolution que nous saisirons le mieux la dynamique qui conduira, à travers l'usage des technologies, au renouvellement des pratiques éducatives. " (Depover, 2000)
Un modèle d'apprentissage des langues suppose aussi une conception du sujet, de la langue et de la culture (consubstantielle).

Nous proposons des modèles de conceptualisation des pratiques observées et/ou décrites par les enseignants, qu'il convient de questionner sur leur caractère innovant au regard des principales théories de l'apprentissage citées et des modèles de référence que fournissent les théories de l'activité située et de l'apprentissage contextualisé et socialement distribués. (Linard, Engeström)


5) Les données empiriques

Nous avons étudié six établissements représentatifs des filières proposées aux lycéens de cette Académie.
A partir d'une réflexion sur les pratiques professionnelles observées et de l'analyse des discours produits au cours d'une vingtaine d'entretiens nous avons répertorié six catégories de pratiques et proposons des modèles d'action centrés sur le rôle des TIC dans la situation pédagogique à laquelle on se réfère (du modèle des TIC-satellites au modèle de la classe collaborative virtuelle).
· De quelle nature est l'innovation introduite dans l'enseignement / apprentissage institutionnel des langues à travers ces pratiques?

Du point de vue de l'apprentissage, les usages répertoriés prennent en compte (mais à des degrés divers) la nécessité de l'individualisation, le besoin de création d'automatismes langagiers indispensables à la production langagière par le biais des tâches proposées (modèle ACT), l'intérêt des interactions sociales avec les pairs dans la classe mais de plus en plus avec des natifs, à distance grâce aux possibilités nouvelles de communication en réseau (production partagée de journal ou de site).
L'interactivité permise par les machines ne suffit pas, l' " intercommunicativité " que permettent les ordinateurs en réseau est désormais indispensable à l'enseignement des langues : à l'époque du labo dominait l'idée qu'on pouvait apprendre une langue sans s'en servir en contexte réel ou plutôt avant de s'en servir avec des natifs. Le concept d'un apprentissage préalable à la pratique, dans des situations simulées et donc hors situation réelle, est de plus en plus rejeté pour privilégier celui d'apprentissage par la pratique, comme dans le monde professionnel. (Gauthier). Les dispositifs contribuent résolument à l'évolution de l'enseignement d'une forme transmissive à une forme appropriative dans des situations réelles mais surtout en induisant des comportements authentiques (types de lecture différentes, par exemple)

Les nouveaux dispositifs d'apprentissage des langues mis en place sont au-delà de l'environnement " technique ", des lieu(x) et des espaces sociaux d'interactions (humaines), d'échanges (CMO ) et d'interactivité (artefacts) avec des tâches, axés sur la construction de connaissances


En conclusion on peut dire que, dans les langues, les technologies se combinent pour créer des situations d'apprentissage plus riches qui nécessitent l'adoption de nouveaux dispositifs, conçus comme des agencements d'éléments matériels et humains, réalisés en fonction du but à atteindre. L'innovation technologique nécessite et entraîne des modifications organisationnelles qui induisent à leur tour des changements dans les pratiques qui tendent à modifier les croyances épistémiques des enseignants quant à l'apprentissage.
La création ou l'aménagement d'environnements d'apprentissage favorisant le travail collaboratif et la communication, l'apprentissage actif, la prise en compte des connaissances antérieures, la contextualisation de l'apprentissage, le développement de l'autonomie, la mise à disposition d'environnements langagiers et de dispositifs riches et variés, les tâches et documents à caractère " authentique ", l'implication dans des situations et des tâches d'apprentissage diversifiées, la compréhension interculturelle qui sont des paramètres des théories constructivistes (Martel, 2000) tendent à devenir (à des degrés divers certes) autant de préoccupations constantes des enseignants interviewés.


La formation en didactique mettant en perspective pratiques professionnelles et connaissances sur les théories de l'apprentissage puis la création de tâches immédiatement utilisables en classe et la mise en réseau (intranet) semblent faciliter une intégration réelle des instruments technologiques dans les pratiques des établissements.
Si les termes d'usage et de pratique sont souvent utilisés indifféremment, la pratique intègre l'usage comme simple utilisation et " les comportements, les attitudes et les représentations, voire les mythologies, suscités par l'emploi des techniques ". (Jacquinot-Delaunay G. & Monnoyer L., 1999 : 12)
Une question demeure posée :
· Dans quelle mesure l'innovation est-elle devenue chez les enseignants au-delà du Projet académique, " un état d'esprit, une démarche d'action recherche permanente sur le lieu de travail " ? (Rapport du CNIRS du 15 juin 2001 )


Bibliographie

Cros F. (2001) L'innovation scolaire, Enseignants et Chercheurs - Synthèse et mise en débat - INRP
Depover C. (2000) Un dispositif d'apprentissage basé sur le partage des connaissances in Alava S. (dir.) Cyberespace et formations, De Boeck Université : 147-164
Galisson R. & Puren C. (1999) La formation en questions, Clé international
Gauthier M. (1998) L' " e.mail " est-il l'avenir du " labo-langues ", Revue de l'EPI, n°91 : 139-146
Jacquinot G. (1996) " les NTIC : écrans du savoir ou écrans au savoir ", in Cahiers de la maison de recherche, Outils multimédia et stratégies d'apprentissage en FLE, Tome 1, Univ. Lille 3, 13-22
Jacquinot-Delaunay G. & Monnoyer L. (1999) Le dispositif : entre usage et concept, Hermès 25, CNRS Editions
Lahire B. (1998) Logiques pratiques, le " faire " et le " dire sur le faire ", Recherche et Formation, n° 27, INRP : 15-28
Martel A. (2000) L'apprentissage des langues par Internet. Transition par les technologies de communication, Intercompreensão-Revista de Didáctica das Linguas n°8, Santarém : Escola Superior de Educação
Warschauer, M. & Kern M (Eds) (2000) Networked-based Language Teaching : Concepts and Practice, Cambridge Applied Linguistics


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