La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment analyser et comprendre, les situations pédagogiques et didactiques ?


Titre : Mieux connaître les élèves et les démarches scientifiques pour construire des dispositifs d'enseignement de l'évolution biologique en Tunisie
Auteurs : AROUA Saïda

Texte :

En analysant les conceptions de lycéens relatives à l'évolution biologique, C.FORTIN (1993) a contribué à une meilleure connaissance de la dimension cognitive de l'élève. En intégrant le cadre théorique du " rapport au savoir " (CHARLOT et al. , 1996) nous proposons que cette étude de l'élève s'étende également à sa dimension identitaire. La question est : quel sens l'apprenant donne-t-il à l'évolution biologique et quel est son rapport à ce savoir scientifique ? Dans ce sens, une meilleure connaissance de l'élève et des démarches scientifiques permettrait-elle une meilleure conception des dispositifs d'enseignement-apprentissage de l'évolution biologique ?

Méthodologie
Nous avons mené une étude empirique prospective en post-enseignement de l'évolution du vivant suivant le curriculum en vigueur. Cette étude réalisée dans un contexte hors apprentissage a concerné une classe terminale tunisienne de sciences expérimentales de 29 élèves. Nous avons cherché à savoir le sens que donnent les sujets de cette classe au modèle évolutif enseigné. Dans une première étape nous avons procédé à une interview semi-directive avec un sous-groupe de 13 élèves volontaires de la classe. Afin d'instaurer une interdiscursivité, nous avons utilisé des textes controversés en début d'interview (Texte1 : évolutionniste, Texte2 : anti-évolutionniste). Dans une deuxième étape, nous avons sollicité l'ensemble des apprenants de la classe à répondre individuellement et par écrit aux deux questions suivantes :
q1- comment expliques-tu et argumentes-tu la diversité du vivant ?
q2- Sachant que l'Homme fait partie du vivant, gardes-tu ces mêmes arguments ?
Afin de repérer le sens que ces apprenants tunisiens octroient à l'évolution biologique, nous avons procédé à une analyse de contenu de l'ensemble des deux corpus. Nous avons centré notre analyse sur les argumentations explicites et ce qu'elles pourraient véhiculer comme implicite. Concernant les productions écrites, nous avons caractérisé principalement les référentiels et les rapports des élèves à l'évolution du vivant. Le corpus oral (entièrement enregistré et transcris) plus fourni nous a permis une analyse plus fine. Nous présentons dans ce travail une partie de l'analyse microscopique d'épisodes du discours (DUMAS-CARRE et WEIL-BARAIS, 2000) suivant la grille SIMONNEAUX (2001). Nous avons repéré chez les élèves la mise en relation entre "l'évolution biologique" comme modèle évolutif et les données qu'ils avancent comme argumentations vis à vis de ce modèle. Le micro-mouvement de l'ensemble des séquences argumentatives des apprenants est régressif (ADAM, 1996). Les unités d'intervention (Notées U1,...Ux ) comportent en général la proposition faisant fonction d'argumentation aux données d'une évolution d'après le texte1 ou d'un fixisme d'après le texte 2 au sein du vivant. Nous avons caractérisé les référentiels des argumentations, les stratégies argumentatives, les types d'actions langagières. Nous avons, également, évaluer la validité des argumentations par rapport au savoir biologique de l'évolution du vivant et leur conformité par rapport à la démarche scientifique. Par rapport à un précédent travail (AROUA, 2001) et en continuité de ce dernier, nous avons procédé à un croisement des données afin de rechercher en quoi le fait de ne pas différencier les référentiels et d'ignorer ce qu'est une démarche scientifique, pouvait influencer le sens que donne l'élève au modèle évolutif.

Les résultats
Analyse du discours
Nous présentons ici un résultat partiel de notre analyse centré sur la validité des argumentions des apprenants et leur conformité par rapport au savoir disciplinaire de l'évolution biologique. Nous illustrons notre analyse par quelques exemples d'interventions et d'argumentations d'élèves.
L'élève E12, "Anis" à la U27 utilise une stratégie argumentative plurielle linéaire pour exprimer son accord avec le modèle évolutif. Il évoque en conformité avec la démarche scientifique les études sur les fossiles comme témoins de l'existence de ressemblances et d'un ancêtre commun chez les vivants. Plus tard, à la suite d'un certain temps d'interaction, à la U81, son action langagière devient une mise en évidence d'une lacune par rapport à ce savoir scientifique. Il dit : " …les études sur l'évolution sont basées sur la théorie tous les verbes sont au conditionnel lorsqu'on parle de l'évolution ce ne sont que des hypothèses." A cet épisode du débat, Anis exprime un désaccord. Son argumentation est en non-conformité avec la démarche scientifique. Cet élève confond "théorie et "théorique". Il semble ignorer ce qu'est une théorie scientifique et il confond les référentiels d'argumentations. La U37 de "Ridha" (E2) est une question interpellatrice qui renferme une objection et un désaccord. Il dit : " pourquoi maintenant il n'y a pas de singes qui ont muté en hommes ?" Cette argumentation est non valide car elle exprime une conception transmutationniste. Elle est, non plus, non conforme à la démarche scientifique spécifique de l'évolution biologique puisqu'elle interpelle une validation immédiate à l'échelle des temps actuels. En U32 l'élève E6 (Hanène) argumente ainsi : " l'évolution du milieu oblige l'être à s'adapter pour vivre dans ce milieu quand il y a évolution du milieu c'est logique ou c'est normal que l'être subi des transformations." La conception de Hanène de l'évolution est adaptationniste et de ce fait son argumentation est non valide. Elle est également, non conforme à celle d'une démarche scientifique. Elle est vide de tout questionnement : s'il y a des changements dans le vivant, ceci ne peut relever que du "logique" et du "normal", il n'y pas lieu de se poser des questions et de retrouver une explication. Nous retrouvons un élément de réponse dans son argumentation à la U36. C'est une objection qui exprime un désaccord ; le référentiel d'argumentation de Hanène balance du scientifique au non scientifique : " oui, le changement de milieu, il oblige l'être de s'adapter à ce milieu de vie il y a transformation mais on ne peut pas dire que tout les êtres ont un ancêtre commun, on ne peut pas dire que l'homme et le singe sont parents ceci est en contradiction avec la religion qui dit que les premiers hommes sont Adam et Eve." Nous remarquons que les deux registres référents sont considérés sur le même plan d'égalité.

Analyse des productions écrites
Nous avons caractérisé principalement les référentiels des argumentations (scientifique, non scientifique : théologique…). Le tableau 1 présente la répartition des élèves (E1…En) en fonction de leurs registres de référence aux questions posées (q1 et q2). En fait, d'après l'analyse des réponses des élèves à la question 2, nous avons repéré chez eux deux formes de conceptions du vivant. La première forme intègre le vivant dans son ensemble, la deuxième exclut l'espèce humaine de l'ensemble des vivants.
Référentiels
Nous avons constaté une confusion des référentiels d'argumentation. Certains élèves passaient d'un référentiel scientifique à un référentiel non scientifique sans distinction (les élèves : E2-E3-E10-E12-E14-E26-E27), certains autres leur référentiel était carrément non scientifique (E17-E22), par contre, les élèves E20-E23 se sont référés aux deux référentiels en même temps. Chez plusieurs élèves, il nous a été difficile de caractériser le référentiel (référentiel indéterminé). Cf.tableau1.
Rapports à l'évolution du vivant
Le tableau 2 présente la répartition des élèves en fonction de leurs rapports à l'évolution. En caractérisant le rapport à l'évolution des élèves, nous avons pu constater que ce rapport est conjoncturel (AROUA, 2001). Il varie suivant la conception que se fait l'élève du vivant. Nous avons pu retrouver également qu'une grande majorité des élèves dont le rapport a été caractérisé comme identitaire confondent les référentiels (E2-E3-E5-E6-E10-E12-E14-E17-E18-E20-E21-E22-E23-E24-E26-E27) soient 16 élèves sur les 21 dont le rapport à l'évolution est identitaire. ( Cf. tableau 2). Parmi ces sujets, grâce à l'analyse des données orales, nous avons pu retrouver que plusieurs sont ceux qui ignoraient ce qu'est une démarche scientifique (E2-E3- E5-E6-E10-E-11-E12).


Tableau 1 : Répartition des élèves en fonction de leurs référentiels d'argumentations


Tableau 2 : Répartition des élèves en fonction de leur rapport à l'évolution du vivant

Conclusion
Cette étude prospective nous a révélé que, plusieurs élèves ne différencient pas le référentiel non scientifique du référentiel scientifique, leur rapport à l'évolution est conjoncturel. Quoique, leurs propos argumentatifs constituent la mise en évidence d'une lacune par rapport au savoir scientifique, ils sont non valides et ne sont pas en conformité aux démarches scientifiques. Pour d'autres, le référentiel paraît être scientifique. Cependant, leurs discours et leurs argumentations sont en termes de conviction. Ils sont en quête de preuves de l'évolution, irréfutables, reproductibles et valides aux dimensions temporelles actuelles. Ils semblent ignorer les spécificités des démarches scientifiques et celles propres aux modèles de l'évolution biologique..
Il semblerait pertinent de reconsidérer le curriculum tunisien actuel et de concevoir des dispositifs d'enseignement de l'évolution biologique qui puissent clarifier le statut scientifique de cet enseignement, expliciter les démarches scientifiques et contribuer ainsi à rationaliser la posture épistémique de l'élève.

Bibliographie
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